Edwood Vous Parle

 

 

Avant qu'il ne soit trop tard

 

 

        Demain, la guerre sera déclarée. Vous allez me dire : la belle affaire ! La guerre est toujours présente. Ici ou ailleurs, il y a toujours au moins un pays qui s'offre une guerre civile pour occuper les fêtes ou bien deux pays frères qui se déchirent pour bien rappeler que Abel et Caïn sont nos grand-parents et que nous descendons tous des insectes qui se mangent entre eux sans faire de sentiment. Non, la guerre n'est pas une nouvelle neuve. Sauf que là c'est de la guerre médiatique, de la guerre qui fait beaucoup parler. Et puis elle nous touche, parce qu'on se sent investit. On ne sait pas trop pourquoi, on se sent investit. Bien plus que lorsque les émeutes en Argentine, au Rwanda ou à St Glin-Glin Les Bois faisaient des milliers de morts. Là, c'est de la guerre hollywoodienne, alors forcément, les spectacles hollywoodiens font plus d'entrées que les spectacles locaux. Là on se déplace, on veut voir, on veut savoir, on critique beaucoup, comme en sortant des Deux Tours ou de Harry Potter. Alors que bon, quand c'est pour parler des Larmes du Tigre Noir, y a déjà moins d'avis sur la question. Alors oui, ça va être la guerre hollywoodienne. Et ce ne sera pas très joli à voir, mais ce sera toujours plus agréable que d'aller faire un tour dans les camps de Corée du Nord. Ce sera la guerre télévisuelle, comme il y a 10 ans, la guerre entre deux pubs, la guerre jeux vidéos. On se dira bien que sur le terrain ça doit pas être bien joli-joli, mais bon on verra ça façon Hollywood, façon La Chute du Faucon Noir. C'est pas joli-joli, mais c'est divertissant. Et bien sûr on va se révolter. Pour du beurre. Comme ça. Parce que c'est révoltant, la guerre.

 

        Demain, il y aura de la misère en bas de chez moi. Ce ne sera pas joli-joli et je serais révolté. Parce que la misère c'est révoltant. Mais bon, Metroid Prime sort bientôt sur GameCube, alors j'aurais d'autres chats à fouetter. La misère, la belle affaire ! Notre monde prône l'intervention passive, l'intervention qui n'intervient pas. Je suis révolté, mais chez moi, devant mon café, en écoutant France Musique, en lisant les news de Yahoo. Mais bon, je ne peux pas me permettre d'être révolté plus de 15 minutes par jour. J'ai bien de grandes idées pour faire tourner le monde plus rond, mais je ne sais pas où les dire. Je ne sais pas quoi en faire. Et de toute façon je ne les applique pas. J'voudrais bien, mais j'peux point. On voit des jeunes et des moins jeunes, se jeter à corps perdus dans des mouvements "anti-mondialisation". Ils vous diront que, eux, au moins, ils font quelque chose. Oui, certes, ils font beaucoup de bruit, c'est marrant de faire du bruit. Ils créent des groupuscules, ils s'embrigadent sous prétexte de s'aider les uns les autres. On crée des règles, des manifestes de mes couilles, des discours, des opinions, des articles, des livres qu'il faut acheter très cher dans des collections nébuleuses. Tout se mélange, tout le monde s'engage, tout le monde se dégage, chacun y voit son petit profit personnel. On exploite la naïveté du plus grand nombre, d'un côté, de l'autre, on se renvoie la balle, on se tape un peu sur la gueule. On manifeste, parce que c'est bien de manifester. C'est un droit, un devoir. Je manifeste aussi. Parfois. Rarement. Ca fait prendre l'air. Ca fait voir du paysage. On drague sévère pendant les manifs. Après tout, ça ne revient toujours qu'à ça.

 

        Demain, avant qu'il ne soit trop tard, pensez à me rappeler de vous dire que l'on peut changer le monde. Mais que je ne sais pas comment. Parce que si je savais comment et bien je le changerais. Mais je sais qu'on le peut. Par la violence souvent, par les paroles parfois, par la tendresse rarement à grande échelle, par l'engagement pas si fréquemment que cela, par la lecture, par l'écoute, par l'amour, et bien plus encore par la haine. On choisit ses armes et on avance au hasard. On trace des plans, pour échapper au hasard, mais le plus souvent c'est la chance, l'instant, qui fait et défait l'Histoire. Alors, le monde, je le change déjà pour moi-même, c'est déjà difficile. Et en faisant cela, je donne des petits coups d'épaule à l'univers qui m'entoure. Et il s'en fout.

        Demain, c'est la guerre. Mais c'est beau une ville la nuit. Dans un siècle on nous aura oublié et le monde aura changé sans nous. Dans un siècle nous aurons tout oublié et d'autres se souviendront à notre place. Demain, c'est la guerre, ou même après-demain, peu importe, on verra cela au journal TV. Avec les meilleurs images, pour voir des inconnus voltiger dans les airs quand les explosions commenceront. Ce sera bien. Il y aura des reportages et des émissions spéciales. Et puis des sketchs comiques, ou essayant de l'être. On rira de la guerre. Avant qu'il ne soit trop tard.

 

Demain, tsoin-tsoin.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("mourir pour des idées, d'accord mais de mort lente")