La Disparition

 

 

 

 

 

Et soudain, il disparut.

 

        L’instant d’avant il était encore là, fier, triomphant, s’amusant du monde comme on s’amuse des facéties d’un chaton. Il était là, comme il avait toujours été là. Ou du moins, il était présent depuis si longtemps, que j’avais l’impression qu’il était là depuis le commencement. Mais en fait, non, certes, il exprimait des choses qui traînaient depuis des temps fort reculés, mais il n’était qu’une incarnation parmi tant d’autres possibles. Il répondait au besoin de l’instant et ne s’effaçait jamais vraiment. Lui, l’alter-ego déformant, déformé. Le double virtuel. Edwood. Ou edwood. Voire EdWood. Mais pas Ed Wood, car ça prête trop à confusion.

 

Edwood venait de disparaître.

 

        Me laissant là, comme un con, à essayer de vous parler à sa place. Comme si son rôle me convenait aussi bien. Comme si je pouvais recréer de toute pièce ce qu’il avait bel et bien emporté dans sa fuite. Mais sans lui, le monde n’était plus aussi drôle, plus aussi animé. Sans lui, j’en perdais mes mots pour rire, j’en perdais mes mots pour dissimuler ce qui ne se dit pas devant autant d’inconnus et devant autant d’inconnues, au féminin, comme il l’aurait très certainement écrit. Comme il l’aurait écrit pour désamorcer une bombe de déprime qui risquait d’exploser à chaque fin de phrase. Démineur professionnel de coup de blues, voilà ce qu’il était, le brave garçon.

        Et à présent, lorsque je regarde le monde, il ne fait que nuit, il ne fait que vide. Il n’y a plus de gerboises qui courent le long des murs, il n’y a plus de danses lointaines ni de Britney Spears dans le lecteur de CD. Alors, peut-être, peut-être que si nous l’appelons bien fort il reviendra :

 

Edwooooooood ! ! ! ! ! "

....

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        Hum…. Non, ça n’a pas l’air d’être très efficace. Peut-être en passant en boucles The Kick Inside. Aller, juste la chanson titre. En boucles. Ca ne le rendra pas vraiment guilleret, mais ça l’attendrira sans doute. Alors, il cessera de faire des farces et il nous reviendra, avec quelques jeux de mots douteux pour égayer nos soirées grease (pardon, grises, ah ça y est j’ai l’impression que le Edwood sort de sa retraite…).

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        Mais ce n’était qu’une fausse alerte. Le jeu de mots était vraiment trop nul, trop prévisible, trop usité. Ce n’était pas le bon mot pour rappeler le disparu. Edwood est parti, il a pris des vacances, il a fui les obligations, il est allé voir ailleurs s’il y était. Bref, il est aux abonnés absents. Cela devrait l’amuser beaucoup, de me savoir ainsi dans l’embarras, à essayer de remplir des lignes et des paragraphes à sa place, moi qui ai définitivement autre chose à faire. Oh oui, l’idée devrait le ravir, mais sans doute, ce qu’il attendrait avec le plus d’impatience, c’est de pouvoir lire le résultat, d’en rire et de s’en moquer. Un bon sujet de divertissement pour les longues soirées d’hiver.

 

        Mais je ne vois vraiment pas ce qu’il y a de drôle dans cette histoire. Non, je ne vois pas ce qui le réjouit tant à me laisser là, encore plus seul que je ne le suis déjà. Comme si j’avais besoin de ça. Non, mais oui, mais non, mais je vous jure ! Il faut les laisser s’émanciper ces petits gars joyeux et vivants, il faut les laisser courir par monts et par vaux, il faut les laisser chanter, hein, comme ils disent. Mais voilà, un jour ils disparaissent, comme ça, pour de faux, et ils courent à travers le monde, visitant de nouveaux lieux, croisant de nouveaux visages. Et puis, ils vous oublient. Car les Edwood sont innocents et sans cœur, comme dans Peter Pan.

        Au fond d’eux-mêmes, ils vous aiment bien, ils vous ont toujours bien aimé, même lorsque vous ne faisiez plus parti que du décor, vous n’étiez plus que celui qui tapais sur le clavier. Mais qui sait ? Le Edwood trouvera quelqu’un d’autre pour taper sur le clavier à ma place. Et je n’aurais plus qu’à alter-egotiser ailleurs.

 

        Soudain je trouvais cela vaguement triste. Et même plutôt révoltant. Après tout, Edwood n’était pas grand chose sans moi, mine rien, si on y réfléchissait bien. J’avais certes besoin de lui, mais il avait aussi besoin de moi. Car pour un peu, il allait rester encore plus sans voix, que je ne le suis moi-même, là, maintenant, à essayer de vous parler à sa place.

 

        Je n’avais pas le choix. Cela ne m’enchantait guère, car il faisait nuit, car il faisait froid, car il ne faisait pas pluie, mais presque. J’étais quand même fatigué, sans bien savoir pourquoi, déjà, par avance. J’étais un peu fâché, ça se comprend, ça se conçoit. J’étais un peu inquiet, le cœur a ses raisons que la raison ignore. J’étais un peu mélancolique, mais je le suis toujours. Enfin, je me devais quand même de le faire. Car il y avait un public, qui attendait qu’on lui parle et je ne pouvais pas laisser ainsi en suspend une telle œuvre, un tel sommet populaire, non.

 

Alors, n’écoutant que mon courage, je partis à la recherche d’Edwood…