Edwood Vous Parle de

 

 

La Bonhomie naturelle des marmottes

 

 

        Vacances de Noël obligent, comment ne pas laisser dériver notre esprit vers les cimes enneigées, que seuls les plus fortunés, et donc les plus pourris, d'entre vous pourront s'offrir. Ces cimes me permettent d'évoquer enfin un animal qui pourrait être cher à mon cœur, mais qui finalement ne l'est pas tant que cela, la marmotte. Bien sûr, la période d'hibernation n'est pas la meilleure pour observer ce charmant mammifère qui n'entretient que peu de rapports avec les couleuvres, forcément, car les couleuvres n'en sont pas, des mammifères, ni des marmottes, et encore moins ma sœur. Vu que j'en ai pas, de sœur. Décidément, ce n'est pas la première fois pourtant que je vous dis que je n'ai pas de sœur. Je n'ai pas de sœur. Donc bon, laissons-la tranquille. La pauvre.

 

        Donc il faudra admettre que nous sommes en été et que sur les chemins escarpés des Pyrénées les allemands rougeauds et gluants attardent leurs regards fatigués sur les jambes fraîches et dénudées des adolescentes émouvantes qui viennent rafraîchir leur puberté naissante au creux des vaguelettes glacées et coquines du torrent mutin. C'est l'heure de la marmotte, à défaut d'être le jour. Il nous faudra être discret et prudent, et ainsi remiser notre ghetto-blaster gorgé de Miss Dynamite, de peur d'effrayer la petite bête farouche.

 

        En effet, la timidité de la marmotte est proverbiale, ce qui n'est pas le cas de celle de ma tante Aglaé, mais cela n'a rien à voir. La marmotte est extrêmement méfiante et elle a appris à ne pas faire confiance aux hommes. Et comme elle a bien raison. Donc, c'est en cheminant avec précautions sur les pentes ensoleillées que l'on pourra espérer l'approcher. Avec un peu de chance, on pourra alors apercevoir le mignon museau tout adorable de la boule de poils choupinette qui égaie nos montagnes. Mais déjà elle a entendu notre approche et, se dressant sur son petit postérieur, dans sa position si caractéristique, elle émet le sifflement d'alarme strident dont on se demande comment il peut surgir d'une aussi petite créature. A ce signal, c'est la débandade et toutes les marmottes du secteur se précipitent dans leurs terriers. On a juste le temps de voir les éclairs roux et bruns se faufiler sous les rochers. Ah, mais bon, ce n'est déjà pas si mal pour un début. Il est temps de faire une pause.

 

        Le soleil tape sévèrement et l'on se sent prêt à avaler des litres d'eau minérale naturellement riche en principes actifs. On cherche un coin d'ombre auprès des arbres en contre-bas. Sur le chemin de randonnée, les touristes se suivent. Il y a de jeunes couples qui tirent leur petit dernier par la main, pressés qu'ils sont de l'amener sur les contrefort du Gouffre de la Mort, que l'on nomme ainsi parce que des gens y sont morts, parfois, de temps à autres. Des groupes du troisième âge montent la pente au ralentis. En sachant parfaitement que nombre d'entre eux ne rentreront pas sur leurs deux pieds à l'hôtel ce soir. La tension est insoutenable et on pense soudain au Viet-Nam.

 

        Dans la pénombre du sous-bois, où l'on a réussi à trouver une racine accueillante où reposer notre derrière et notre passion pour les marmottes, l'ambiance se fait mystérieuse. Les bruissements de la forêt sont autant d'appels vers l'aventure. Mais bon, il paraît qu'il y a des ours, des sangliers et des renards enragés au cœur de ces dédales végétaux où résident sans doute les derniers Ents de France. On se dit qu'il nous faudrait une très bonne raison pour les déranger et la vision des Deux Tours n'a pas du les mettre d'une excellente humeur. On ne dira jamais assez à quel point les arbres peuvent être mesquins et rancuniers.

 

        Il fait frais dans la moiteur brune du sous-bois. On se sent presque prêt à somnoler gentiment, ou du moins à partir en rêveries douces et mélancoliques. Un écureuil gambade adorablement à quelques mètres de nous. Dans la brume onirique de la poussière de la forêt qui scintille sous les rayons du soleil de la fin de la matinée, on se sent plus près de toi, mon Dieu. Bien que l'on ne soit pas croyant, il faut bien l'avouer, ce qui est d'autant plus admirable. Un oiseau pittoresque gazouille au loin. C'est beau.

 

        Sur le chemin, au détour de la montée, surgit soudain une randonneuse solitaire qui tend à prouver que même si Dieu n'existe pas, il y a vraiment de la bonté en ce monde. Elle est jolie, sous les feux de l'astre solaire, la douceur de sa jeunesse la libère de la notion d'âge. Même chaussée d'énormes outils de sport montagnard estival, elle ne perd rien de sa grâce. Son short et son t-shirt, loin d'en révéler trop, ne font que souligner discrètement ce que l'imagination ne cesse déjà de recréer. Elle s'approche lentement sur le chemin escarpé. En pleine lumière, son visage nous apparaît enfin. On ne sait comment le décrire, mais notre cœur ne fait pas un bond, mais bien plusieurs en même temps. On ne peut détacher nos yeux de cette féerie. On se dit qu'elle ne peut pas nous voir, nous, le voyeur vicieux des sous-bois brumeux.

 

        Mais on se trompe. Car elle tourne soudain les yeux dans notre direction. Elle est encore assez loin, mais on ne peut pas douter qu'elle nous contemple de son regard divin qui scrute au plus profond de notre âme. On voudrait baisser humblement la tête, vaincu par une telle puissance magique. Mais on ne peut pas se détacher d'elle. Arrivée à notre hauteur, elle ralentit son pas. Les mots ne suffisent plus pour évoquer le ravissement que nous procure sa vision. Elle nous sourit, nous demande si elle peut s'asseoir avec nous. Sans hésitation, on l'invite, en sachant pertinemment que c'est la chance de notre vie. Elle s'installe à nos côtés, radieuse. Les échanges tournent autour des montagnes, du soleil, de la fatigue et de la faune amusante.

 

        Pendant un instant d'éternité, nous nous regardons sans rien dire, en souriant bêtement. Et avec une grâce poétique, elle penche son visage vers le notre et ses lèvres soyeuses se posent délicatement sur nos lèvres. Nos paupières se ferment, les bouches s'entre-ouvrent doucement. Le temps n'existe plus. Nos mains glissent dans ses cheveux, caressent avec précautions son visage, effleurent tendrement son cou et descendent avec pudeur jusque sur ses seins fermes et enivrants.

 

Au moment où les tétons s'apprêtaient à durcir sous nos doigts, la marmotte siffla.

De son petit sifflement aigu.

Mesquin.

Exaspérant.

Vilain.

 

        Nous tirant ainsi de notre rêverie et nous ramenant brutalement à la réalité caniculaire de la montagne aveuglante. Sans réfléchir, sous l'effet des hormones masculines belliqueuse qui ont instauré la levrette comme premier commandement et sans prêter attention à la très honorable érection qui déforme notre pantalon, nous saisissons une poignée de graviers et de branchages et nous nous précipitons en hurlant sur la pente qui nous fait face. En arrosant copieusement et maladroitement les immondes boules de poils ridicules à grands coups d'insultes et de cailloux.

        C'est seulement au bord de l'épuisement et sous le regard désapprobateur de quelques familles stupides, que l'on accepte enfin de mettre un terme à notre vaine expédition punitive. Les marmottes infâmes ricanent au creux de leur terrier puant.

 

Marmottes = 1

Edwood = 0

 

Quand je serais le président du monde, c'est sûr, elles feront moins les malignes.

Et puis d'abord.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("mais où sont les neiges d'antan ?")