Edwood Vous Parle de

 

 

La Guerre du Monde

 

 

        Un ordinateur c'est merveilleux, une télévision c'est extraordinaire, un téléphone portable c'est génial. Toute cette technologie qui nous entoure, qui nous avilit et qui nous libère, tout ce monde fantastique qui donne envie de pleurer de bonheur ou de paranoïa galopante, tout cet univers n'appelle qu'à la dégustation d'une bonne glace Mars(tm). Ce que je fais de ce pas, et je reviens m'occuper de vous juste après.

 

        Me revoilà, en pleine forme. Aujourd'hui c'est The Dreaming de Kate Bush qui sera notre bande son. Quand on écoute l'un des disques les plus novateurs de l'histoire de la musique populaire, on se doit d'être en verve, et même en verge mais là ça commence déjà à déraper alors que nous n'avons même pas commencé. D'abord les préliminaires et ensuite la... euh... le... comment dire ? La suite. Donc, voici, l'introduction. Enfin, non, pas l'introduction, le début, quoi, enfin, dans ce cas on peut l'appeler l'introduction, ça va, mais ça prêtait à confusion avec ce que je disais avant. Je crois. La dernière fois que nous nous sommes vus, je voulais vous appeler à faire la guerre contre les Etats-Unis d'Amérique, mais finalement, c'est stupide, toute guerre est d'une inutilité flagrante, elle ne sert qu'à renforcer le pouvoir des dominants et parfois à inverser les rapports de force. Mais quel intérêt ? Hegel vous dirait que c'est ça, l'Histoire ! Et qu'un jour ce sera fini et tout, ce sera génial et tout, et même que l'on n'aura plus besoin d'art. C'est dire si l'on va s'éclater quand les fins régneront. Pour l'instant, ce sont toujours les lourds qui gagnent à la fin, et c'est tant mieux parce que cela nous permet d'avoir des films incompréhensibles de Michael Bay et des disques immondes de Bon Jovi. Et je ne vois pas pourquoi j'enchaîne les pléonasmes.

 

        Popstars c'est magnifique. L'émission de télévision la plus dramatique depuis les dossiers de l'écran. Ecoutez-moi cette musique qui rythme le moindre état d'âme des intervenants. Machine va être en retard à son audition parce qu'elle a la diarrhée : musique de la Ligne Rouge. Bidule craque nerveusement après s'être fait recalé : la Mort de Siegfried de Wagner. Truc-chose va en quart de finale : Ave Maria de Schubert. L'enculé de chez Universal s'énerve parce qu'il n'y a plus de bière glacée : musique de bataille tirée de Gladiator. Comment rendre le néant parfaitement fascinant à grands coups de dramatisation surréaliste. La "real TV" nous aura au moins apporté cela : une démystification de la dramaturgie digne des meilleurs cours de fac de cinéma. Par contre, d'un autre côté, si on se dit que les trois merdes qui forment le jury de Popstars et la poignée de gamins sans âmes qui rêvent de gagner le machin sont en train de représenter le "bon" côté de la musique actuelle ; c'est sûr, comme le dit Renaud, ils sont bien à la musique ce que le Diable est au bon Dieu. Personnellement je regarde cela comme si c'était une fiction débile dans un monde parallèle. Pas le monde où je vis et qui écoute Pulp, non, un monde bizarre qui n'existe pas vraiment. Non, dans mon monde, les gens n'iraient pas croire que Popstars montre ce qu'il FAUT faire pour réussir dans le monde de la musique. Qui a décrété qu'il fallait savoir danser comme une conne et gueuler comme un porc pour faire de la musique ? Est-ce que Jarvis Cocker danse comme Britney Spears ? Non, mais il est mille fois plus sexy. Est-ce que Neil Young gueule comme Patrick Fiori ? Non, mais il transmet un milliard de fois plus d'humanité. Est-ce que le look de Frank Black arrache sa race ? Non, mais il est plus cool que tous les gens que l'on voit sur MTV réunis. Putain, être jeunes aujourd'hui c'est choisir son camp entre Popstars et le Neo-Métal. Merde, alors ! Je préfère être vieux et nase. Entre les immondices r'n'b et les étrons du niveau de Nickelback (qui est au rock ce que Patrick Bruel est à Georges Brassens), pourquoi ne pas prendre les chemins de traverse ?

 

        Enfin, on va me dire qu'il en faut pour tous les goûts. Que je n'ai pas à embêter les fans de Slipknot, parce que dans deux ou trois ans ils auront suffisamment honte comme cela d'avoir été fans de ce machin. C'est pareil pour tout le monde. Mais parfois, le mauvais goût dure. Et c'est dur. Qui suis-je pour juger le goût des autres ? Comme je vous l'ai déjà expliqué, je suis moi et c'est déjà pas mal. En vrai, je ne suis sans doute pas aussi méchant, mais ici c'est la salle où l'on pratique les électrochocs. Et quand j'entends Kate Bush imiter le cri de la mule à la fin de The Dreaming, je me dis qu'il y a quand même des gens qui ont du talent et qui font les choses avec du cœur, des tripes et un cerveau et qu'il y a ceux qui errent dans la vile imitation des autres, qui pensent se forger une personnalité en intégrant la masse, en niant, justement, toute leur personne. J'enfonce des portes ouvertes et certains vont juger que je suis bien désagréable encore une fois. Oh mais vous êtes fatigants à la fin ! Si ça vous ennuie ce que je vous raconte je peux vous chanter une chanson ! Non ? Ah bah il faudrait savoir. Vous voulez que je vous raconte un truc porno à la place ? D'accord, mais il va falloir me mailer votre n° de carte bancaire d'abord. Après, nous verrons. Si vous êtes une personne de sexe féminin, on peut s'arranger avec un numéro de téléphone, une adresse voire un lieu et une heure de rendez-vous. Je pense que c'est faisable, même si la maison ne fait pas crédit, il y a un cœur qui bat sous la dure carapace que j'arbore comme le dernier rempart de mon être face aux désillusions de la réalité qui chaque jour m'emmène un peu plus loin de l'évidence du bonheur qui pourtant me tend les bras. Alors, voilà, quoi, on peut s'arranger, quoi.

 

         Notre monde intérieur est semblable à Twin Peaks, n'est-ce pas ? A la fois drôle, tendre, charmant, rassurant, bizarre, mais aussi plein de rêves incestueux, de meurtres, de folie furieuse, de tentations et d'échecs. Nier la complexité de nous-mêmes c'est courir vers la fadeur de notre époque. Aujourd'hui, on se retrouve aux pires heures des années 80. Il suffit d'allumer Canal + ou M6 pour reconnaître la 5 de Berlusconnerie. Il n'y a plus de mystère, il n'y a plus de véritable violence, il n'y a plus le sexe qui est en nous, il n'y a plus l'émotion qui nous hante, il n'y a plus que des reflets de tout cela, de l'imitation d'imitations qui imitent d'autres imitations. Des imitations parfois sincères et c'est là que cela devient pathétique. On ne se reconnaît pas, mais on se force à se reconnaître. On s'imite. Il n'y plus de place pour le temps, pour l'espace, pour la respiration, pour les vices et les vertus. On cherche en vain un brin de nous-mêmes dans ces catalogues d'humanité desséchée, atrophiée, délavée, endormie. Notre époque vit en creux, et peut-être y-t-il parmi nous des Bach et des Stendhal, des Patti Smith et des Tarkovski en puissance, mais qui s'ignorent, qui s'ignoreront toujours, délicieusement étouffés par le rien ambiant, et le sommeil de l'esprit. Mais tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Et c'est fort vrai. Tant que nous errons sur Terre à la recherche de nos nourritures, nous pouvons aller plus loin. Et c'est ce que nous allons faire, en sautant une ligne.

 

        On me dira que le plaisir de l'un est le déplaisir de l'autre et qu'il est bien difficile d'être à l'unisson. Faut-il pour cela rester tout seul dans son errance ? Dès que l'on est plus de quatre, pour sûr, on est une bande de cons, comme dit Brassens. Alors faisons les choses à un petit niveau pour commencer. Mais ce petit niveau ne prend-il pas déjà toute une vie ? Bien avec moi, bien avec toi. Ouhlala, c'est déjà trop. Peut-on ne penser qu'à son propre bien à soi. Le petit bien-bien qui pleurniche, encore et encore. Faut-il voir plus loin ? Faut-il faire le casting de Popstars ? Faut-il devenir acteur porno ? Faut-il faire la manche à la sortie de la station Stalingrad ? Faut-il élever des chèvres en Auvergne ? Ohla ! Ce n'est pas moi qui vais vous répondre. J'erre autant que vous, croyez-moi ! Si j'ai trouvé beaucoup de choses sur mon chemin et si j'en garde plein auprès de moi ("I take them with me when I go"), je cherche encore, et j'en suis fier. Même si cet incessant tourment m'empêche de faire tout ce que je veux faire. Je vois les autres autour de moi, qui font plus, qui ont plus. Juste, pas juste, indifférent ? C'est ainsi. Et oui. Car d'un point de vue extérieur, je fais beaucoup, je vis beaucoup et j'ai une chance à se damner. Et oui...

        Certains d'entre vous vont finir par croire que j'ai bien fait le casting de Popstars et que j'ai été recalé. D'où mon aigreur. Oui, et bien, ah ! On peut croire ce que l'on voudra, après tout, je suis toujours partout et je suis toujours nulle part. Aujourd'hui dans votre ordinateur, demain dans un donjon hanté, aujourd'hui à la boulangerie, demain à New Delhi. Preuve que tout est possible et c'est bien cela l'essentiel.

 

Edward D. Wood Jr. ("didn't you say things go better with a little bit of razzmatazz ?")