Edwood Vous Parle
Internet II
On se suicide encore une fois parce que c'est bien marrant.
Plus j'y pense, plus je me dis que Signs est vraiment un excellent film. Mais cela n'a rien à voir avec le sujet du jour : le retour épique des réflexions edwoodiennes dédiées au web et à ses méandres. Le premier volet commençant à accuser son âge (4 ans !), il est temps de faire une mise à niveau sur le sujet. Première constatation, en quelques années internet s'est ramassé la gueule plusieurs fois et s'est toujours relevé en revoyant ses ambitions à la baisse, mais avec un vrai courage. L'univers virtuel qui allait tous nous emmener, avant même l'an 2000, dans un monde "autre" merveilleux où tout serait facile, ne s'est pas du tout imposé. Cela viendra sans doute, mais cela va prendre bien longtemps que prévu. Du moins, bien plus longtemps que les fanatiques de technologies et de finances ne l'avaient prévu.
Le commerce en ligne s'est vautré. Seules les enseignes ayant pignon sur rue "réelle" ont supporté le choc. Même les plus grands, du style d'Amazon.com, survivent tant bien que mal, et plutôt mal que bien. Pourtant ils avaient tous les arguments en poche : moins cher, plus pratique, plus de choix, plus facile. Mais la demande n'a pas suivi et il faudra du temps pour que les choses s'équilibrent. Seul l'incroyable Cdiscount s'en est bien tiré en jouant la carte du bluff et du perpétuel coup de poker. Résultat ? L'un des rares carton du commerce en ligne. Bon bah voilà, tout n'est pas noir, tout n'est pas rose, la vie virtuelle c'est comme la vie réelle.
La communication sur le web a montré ses limites. On ne se parle pas plus depuis que le web existe. En fait, entre internet et les SMS, ce n'est pas que l'on ne se parle pas plus, mais on se parle de plus en plus mal. Non seulement l'orthographe et la grammaire auront peut-être été les seules vraies victimes des nouveaux moyens de communication, mais les échanges humains se sont réduits plus rapidement que la peau de chagrin. Aujourd'hui on ne se parle plus que par onomatopées et abréviations pittoresques et franchement incompréhensibles. Une régression de la communication qui nous amène aux portes d'un langage primitif. Un progrès "en creux" ; qui, s'il nous permet d'être plus rapidement au "contact" les uns des autres, s'est accomplit aux détriments des valeurs de base de l'échange. On ne se parle plus, on se postillonne des bouts de signifiants, on parle par syllabes dont le signifié semble évident tant il atteint le degré zéro de la pensée. En gros c'est toujours du "comment ça va ?", "tu fais quoi ?", "tu aimes quoi ?"... Avec en prime le nivellement vers le bas des goûts et des opinions qui accompagne inévitablement la régression du langage. C'est peut-être bien pratique pour vous de parler par sigles, de ne plus mettre de ponctuations, de majuscules, d'accords. C'est peut-être génial de chier sur 1000 ans d'orthographe et de grammaire (qu'ils soient français, anglais, allemands, espagnols...). Mais au final, c'est vous qui vous ruinez l'esprit, et je ne veux même pas parler de vos enfants.
Et bien si, parlons-en de vos enfants. Parce que entre le nivellement vers le bas qui se pratique à tous les niveaux (scolaire, culturel, médiatique, moral...) et le reste, je les plains. Mais après tout, chacun est libre de mener sa vie comme il l'entend. Vous êtes tout à fait libres de vous rouler des oinjs et d'assumer ensuite l'éducation de vos enfants dotés de problèmes plus ou moins graves. "T'en fais pas fiston, si t'es un peu débile c'est parce que maman et moi on a trouvé ça génial de fumer du shit dans les années 2000." Mais de toute façon, les gens qui fument régulièrement ne pensent qu'à crever, donc ça m'étonnerait qu'ils veuillent des enfants. Ou alors ils sont encore plus cons que je ne le pense, ce qui est un record. Et ne venez pas me dire que je suis un affreux moralisateur. J'ai fumé, de tout, suffisamment pour ne pas en avoir fait un mode de vie minable, et je suis prêt à fumer à l'occasion, comme ça, pour le plaisir, entre gens de bon goût. Comme on peut boire un petit verre aussi, pour le plaisir, en toute amitié. Mais entre le vrai épicurisme et la dérive du "tout jouissif pour ma gueule", il y a un monde que certains n'ont toujours pas appréhendé. Il va falloir attendre qu'ils émergent, vous comprenez. Bon, en fait, on ne va pas les attendre et on va passer au paragraphe suivant.
Pardonnez ma digression, mais vous savez, quand vous entendez à la télé qu'une gamine s'est faite fauchée par un fils de pute défoncé au shit qui conduisait sa bagnole avec ses pieds (ou du moins, sans son cerveau), il est bon de rappeler que la liberté individuelle s'arrête là où commence celle des autres. Alors si vous voulez crever, n'entraînez pas les autres avec vous. On n'a rien demandé. On était même prêt à vous aider à la base. Mais bon, comme je le disais, dans notre monde du "tout jouissif pour ma gueule", du "tout pour le fun, ouais ouais !!", il n'y a plus la place pour une parcelle de réflexions. Rien, que dalle, le néant. Alors on se laisse couler. Et on zone sur le web. Votre serviteur en fut l'un des meilleurs exemples. Et il pèche encore parfois, tel un vieil alcoolique qui boit sa petit goûte en vitesse pendant que personne ne le regarde.
Le monde de l'illusion n'a pas triomphé. Ou du moins, il y aura toujours des gens pour voir plus loin. Car sur internet il n'y a pas que des abrutis sans langage et sans esprit. Loin de là ! Il y a des gens biens et des choses intéressantes. Mais cela devient de plus en plus difficile de survivre. La pub est partout, la guerre fait rage sans faire de bruit. On veut la peau des gens biens sur le web ! On veut les racheter, leur coller des bandeaux publicitaires partout, les museler. Du moins, les faire rentrer dans des groupements, des putains de communautés de mes couilles, des catégories. Les sites se doivent d'être simples, clairs, précis, formatés, visuellement à l'unisson. Et au niveau du discours on ne veut voir qu'une seule tête ! Vous avez le droit d'être anti-mondialisation, mais vous devez le faire comme tout le monde ! Alors n'allez pas mélanger votre discours "révolutionnaire" avec un site sur les huîtres, sous peine de passer pour Elephant Man. Il FAUT plaire à tout le monde. Enfin, non. En fait il faut que vous plaisiez à la cible que vous êtes censés viser. Si vous visez les jeunes bobos dynamiques, vous ferez un site dans la ligne éditoriale bobos (les Bidochons de l'an 2000, on le rappelle, en moins marrants quand même). Si vous visez les beaufs home cinema tuning gros seins, votre site ne dérivera que bien peu de cette ligne là. Et ainsi de suite. On vous accordera que quelques écarts, mais vous devez entrer dans un putain de moule. Que ce soit sur la thématique (un site de cinéma ne sera qu'un site de cinéma) ou sur le style (un site de jeune sera un site de jeune). Les écarts seront justement dosés, mais si vous dépassez un peu trop du cadre. Bah merde alors, on vous snobe, on vous met au placard, vous disparaissez, les gens fuient, ça sent le sapin !
Mais la liberté d'expression est toujours là. Trop présente en fait. Car on peut dire TOUT ce que l'on veut sur le web. Sauf que l'on n'a rien à dire. Sur l'ensemble de ce que l'on peut lire sur le web. Voyons. Combien de gens ont des choses à dire ?? 2% ?? 5 % ?? Et encore... Les autres ne font que suivre, radoter ce que tous les autres ont dit avant eux. Ils ne font que de l'imitation. De l'imitation de (mauvais) style, de l'imitation de (mauvais) goût, de l'imitation de (mauvais) langage. Internet, toujours et encore la terre du grand Rien. Au milieu duquel, comme dans la réalité, surnagent des îlots de bien belles choses et de trucs vachement pratiques. Internet ? Ni un bien, ni un mal, un progrès indifférent qui ne prend du sens qu'à partir du moment où l'on s'en sert. Internet sera une bonne chose dans les mains des gens biens. Et une belle merde dans les pattes des abrutis. Internet passera du simple outil au suicide virtuel, suivant les sensibilités. Alors, je ne suis pas là pour faire la police et vous êtes assez grands pour vous débrouiller seuls. Même si malgré tout ce que je dis, je suis là et vous avez ma sympathie. Pas si virtuelle que cela.
Pour ce qui est de la création, internet aura permis à de jeunes talents aux patronymes aussi surprenants que Tim Burton ou David Lynch de s'exprimer. Car c'est bien de la part d'artisans déjà reconnus que sont venus les plus beaux exploits artistiques virtuels. Grâce à internet on a pu profiter gratuitement de l'excellent dernier album des Smashing Pumpkins, on aura pu jouer entre amis à Diablo 2 et à Phantasy Star, bref on aura eu droit à beaucoup de bonnes choses. On se sera exprimé librement, on aura claqué de l'argent, on aura fait des rencontres qui ont changé notre vie pour toujours, on se sera disputé, on se sera méprisé, on se sera aimé, on se sera amusé, on se sera détesté, on se sera énervé, on aura vécu des instants tellement forts dans un monde qui existe bel et bien car il fait évidement partie du notre. Au final, c'est encore une fois le futur qui gagne par K.O. Bravo à lui !
Edward D. Wood Jr. ("As the people here grow colder I turn to my computer And spend my evenings with it Like a friend.")