Edwood Vous Parle

 

 

La Porte du Paradis

 

 

Tourner la page. Et la tourner à nouveau. Et la tourner encore. Tout est bien tant que ce n’est pas la même page, qu’on retourne sans cesse. Tout va bien tant que c’est un vaste livre qu’on feuillette.


Un livre illustré.


Sur chaque page s’animent des petits dessins pittoresques.


Ici, une charrette de l’ancien temps. Là, une fusée qui s’envole vers les étoiles.


Ailleurs, une porte qui s’ouvre sur une autre porte, puis une autre. Et une autre. Et encore une. Une porte après l’autre. Une porte en bois. Une porte en fer. Une porte blanche. Une porte bleue.


Un bleu tendre, azuré.


Sur le dessin d’à-côté il y a un champ de maïs. Rien de plus. On tourne la page et là une vache rumine dans la prairie. Une vraie vache bien vivante, pas de la chair à fast-food. Une espère en voie de disparition.
De quoi se dire : oh, la vache. Sans point d’exclamation. Car ce n’en est pas une. D’exclamation. Ce n’est pas : oh, la vache ! Equivalent, toutes proportions gardées de : oh, punaise ! Non, c’est une constatation un peu émerveillée. Oh, une vache. Voyez-vous.


Vous en avez marre de mes histoires de vaches ? Vous préféreriez que je vous parle de l’actualité ? Des rues sales de la vilaine ville de Montreuil ? De Tweeter ? De Pinterest où les gens vont piner (je n’invente rien) ?


Aller, une digression aigrie, parce qu’il y en a qui ne viennent que pour ça :


Parler cinéma sur internet revient désormais à faire des listes et du « trollage », le plus souvent sur le site le plus infantilisant qui soit, le mal nommé senscritique. Un lieu où le moindre pet de l’esprit est récompensé par un badge, comme chez les scouts. Pour flatter la collectionnite du geek et la régression de l’adulescent. La critique cinématographique est morte de sa moche mort. Circulez, y a plus rien à voir. Et fais donc ta liste des 15 meilleurs films de tous les temps avec des filles nues dedans.

Voilà, vous êtes contents ?

 

Moi pas.


Du tout.

 

J’étais venu là pour faire un petit sketch. Un truc rigolo, à l’ancienne.

 

Vous expliquer que le mouvement de la grue. La machine, vous savez, le truc de chantiers, pas la bestiole à plumes. Le mouvement de la grue me renvoie l’image de l’infini. Avec ce ciel et ces nuages en arrière-plan. La grue s’en fout de senscritique et d’ailleurs elle s’en fout de ton sens critique. Infiniment aussi. Elle parle le langage de ceux qui n’ont pas le vertige. Ceux qui grimpent les échelons comme d’autres tournent les pages. Un par un, une par une. Jusqu’à toucher les cieux.


Hop, hop, hop, jusqu’au Paradis.


Toc, toc, toc, à la porte.


Saint Pierre regarde par le judas (gag)


« Ah c’est encore vous, Edwood !, il s’exclame, vous n’arrêtez pas de mourir, mais c’est toujours pour de faux. A force de crier au loup, le jour où ce sera pour de vrai, je vais vous laisser sur le perron. »


« Mais mon vieux Pierre, je lui dis, avec mon sens de l’orientation, je fais des repérages. La dernière fois, j’étais en enfer, la fois d’avant, j’étais quelque part en dehors de l’univers. »


« Ah, le chemin du Paradis est pavé, donc il est glissant, et il est facile de se perdre. »


« J’ai cru remarquer, il faut de bonnes chaussures pour monter jusqu’ici. »


« Mais je vois que tu as prévu le coup cette fois. C’est quoi la marque ? »


« Je ne vais pas l’écrire ici, car je me refuse de faire de la publicité sur un site à but non lucratif. »


« Fort bien, tu mérites la clef d’or qui te permettra d’installer un lupanar sur un coin de nuage. »


« Saint Pierre je ne suis ni croyant, ninja. Ai-je vraiment ma place au Paradis ? Même si tout cela se réroule dans une histoire et dans un livre d’images. »


« Ecoute, tous les quatre matins, tu invoques le nom de Dieu en vain. Tout est prétexte à t’exclamer selon les anciens rites monothéistes. Mon Dieu par-ci, mon Dieu par-là. Devant une scène incroyable dans un film vachement bath. Durant l’acte charnel d’amour. Devant la beauté des formes du sexe très opposé. Devant les jolis nuages d’orage qui montent à l’horizon. Mon Dieu, mon Dieu. Avoue-le, quelque part, tu es croyant. »


« Tarata, mon bon Pierre. Si je m’exclame, mon Dieu, ce n’est pas devant ses Saints, mais devant les seins d’une autre. J’ai pêché autant de fois que j’ai lancé ma ligne. »


« Ta trivialité ne peut dissimuler que tu écrases ta larme devant La Passion de Jeanne d’Arc. Que tu renifles ta morve devant The Tree of Life. Que tu t’exaltes devant le miracle d’Ordet. Coupable de sensibilité au sacré, voilà ce que tu es. »


« J’expierai mon mal de foi une autre fois. Car ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on m’y prendra. Je suis au-delà de cela. Je suis dans le monde des philosophes, pas celui des vieillards à barbe blanche qui ont fait l’homme à leur image, la femme n’a pas d’âme et je ne te parle même pas des étrangers, ces animaux. »


« Alors je ne suis qu’un personnage de fiction pour toi ? »


« Comment te dire, mon gentil Saint ? Tu te crois là-haut, à filtrer l’entrée du Paradise. Mais c’est moi qui te crée et te fais parler. Si je souhaite que tu te taises, toi et ta théologie simpliste. Hop. »


« …. »


« Ca te la coupe, hein ? »


« …. »


« Je sens que tu as encore des choses à dire. »


« Je voudrais bien un nouveau badge sur Senscritique. »


« Non. »


« Et si je fais une liste des films qui donnent la foi aux hérétiques ? »


« Non. »


« Des disques, alors ? »


« Non. »


« Puis-je au moins piner quelques Saints sur Pinterest ? »


« Non, mon cher Pierre, tu ne pineras rien du tout. Tu retourneras tweeter avec les petits oiseaux, dans les cieux, amen. »


« Pas mieux. »


« Ce n’est pas donc pour cette fois que je franchirais la porte dorée, pour faire le tour du propriétaire. »


« Blasphème ! Crois-tu être le propriétaire du Paradis des bons chrétiens, des bons juifs et des bons musulmans, là où on se retrouve tous pour danser la samba ? »


« Si je le veux, je le suis. »


« Amen. »


« Pas mieux. »


« Alors ? »


« Alors, brisons-là mon pépère Pierre. Pour cette fois. A rebrousse poil, je redescends le long de l’échelle, de la grue, de la rue. »


« Au revoir, au revoir, à bientôt ! »


« Quelle réplique peu savoureuse pour conclure ce débat hautement métaphysique, mais c’est mieux. Pas de regrets, pas de déchirements, pas d’éclats sur le bord du quai quand le train part, tchou tchou. »


Me voilà en bas, libéré des guillemets.


Je vous ai fait partager un bout de mon quotidien. La banalité de tous les jours. Une page après l’autre.
Ce n’était pas très intéressant. Beaucoup moins qu’un fil Twitter ou les photos de vacances de tes amis Facebook.


Mais voilà, chez moi, c’est comme ça.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("You were right about the stars / Each one is a setting sun")