Edwood Vous Parle
Le Quotidien
Il ronge et il grignote, il use, il élime, il consume. Patient, consciencieux, avec ses airs innocents, sa fausse candeur, sa troublante douceur, sa répétition engourdissante. Il n'est pas à attendre, en embuscade, comme le bonheur qui vous guette chaque jour au coin de votre esprit. Non, le quotidien triomphe par sa présence. Sa permanence. Et peu à peu, c'est l'amer, l'amer toujours recommencé.
Alors on se révolte, à tort et de travers. On essaie toutes les tactiques pour ébranler ce colosse inusable. On s'agite, on s'énerve, on boude, on cause, on conséquence. Parfois même, on se résigne, on abandonne, on s'efface par une reddition honteuse. Le quotidien a gagné. Sans tambours, et encore moins de trompettes. Vous risquez fort de transiter par la case départ, mais sans toucher les 10 000 euros, et encore plus certainement de passer longtemps votre tour.
Et que ce quotidien soit celui d'un prince ou d'un manant, d'une star ou d'un paysan, d'un enfant ou d'un vieillard, il n'en aura pas moins toujours les mêmes effets. Et vous pourrez vous débattre et vous démener, la chape de plomb est bien compliquée à déloger, à la force de vos petits poignets tout vindicatifs. Heureusement le merveilleux Edwood est là pour vous aider à surprendre vos quasi misérables existences (je dis bien : "quasi misérables", parce que je ne me permets jamais de juger autrui, vous le savez fort bien). Les bons conseils affluent déjà sous mes doigts et mon clavier tremble d'émotion à l'instant où ma prose va prendre forme sur ses touches. Moment féerique, quasi miraculeux, parfois même épargné par les fautes d'orthographes.
L'ennui vous guette, la routine vous mine ? Une cure dans une ville thermale s'impose ! Vous y découvrirez la relaxation par la pression hydraulique et la béatitude par l'imposition de la morve terrestre. En peignoir du dernier chic (mais vraiment du dernier) vous déambulerez sur les vénérables carrelages foulés par les plus bronchitiques de vos ancêtres. Expérience inoubliable, coup de fouet à votre lassitude. Des histoires rocambolesques à conter à vos amis, vos conquêtes, vos enfants et petits-enfants. Admirez la lueur de jalousie qui s'allume dans le regard de vos proches lorsque vous évoquez l'apparition majestueuse de ce petit bourg de nos montagnes, perdu dans le brouillard du mois de juillet pyrénéen. Ils seront frappés par la puissance de vos aventures, et vous admireront pour avoir survécu à un régime alimentaire qui pourrait tuer en moins de 24h n'importe quel être vivant. Certes, votre quotidien n'aura été réellement bouleversé que pendant un maximum de 15 jours, grâce aux offres promotionnelles de Carrefour Voyages. Et nous devons admettre qu'au bout de 64h vous vous faisiez chier comme un rat au bord de ce ruisseau adorable, mais bon, quand même.
Certes.
Vous pouvez aussi très bien envisager un stage de parapente en Nouvelle-Zélande. Très classe. Avoir l'air d'un con sur les lieux de tournage du Seigneur des Anneaux, pour peu que vous ayez de bons amis nerds (toutes mes condoléances), vous deviendrez le phénix des hôtes de ces newsgroups. Certes, encore, il faut avoir les moyens d'avoir l'air bête à l'autre bout de la planète. Mais bon, si vous voulez vraiment que je vous guide dans votre transfiguration, il va falloir y mettre un peu du vôtre. Surtout que nous ne sommes pas encore arrivés au passage dédié aux backrooms.
Dans les erreurs à éviter, il y a bien sûr l'animal familier. Qui vous rendra d'autant plus dépendant d'une routine aussi choupinette que désobligeante, et qui, par ailleurs et accessoirement, accentuera votre processus de dégénérescence cérébral. Car l'animal de compagnie rend gâteux. Ce qui n'est pas forcément le cas du partenaire amoureux, même si on a parfois tendance à confondre les deux. Ce qui est plutôt mauvais signe, opinons en choeur sur ce point. Soulignons que les enfants ne sont pas forcément une plaie du quotidien. C'est important de le mentionner. En particulier lorsque vos chers bambins atteignent l'âge de sortir seul, de se maraver la tête à coup de drogues de synthèse, de casser votre Ford Fiesta, d'adopter des comportements sexuels révoltants et de ne pas faire leurs devoirs de mathématiques. Le genre de choses qui donnent un peu de tonus aux jours qui passent. Et pour cela nous pouvons dire : merci. Merci aux enfants sans qui nous ne serions pas ce que nous sommes. Ah si, j'insiste.
Puisque nous parlons enfance, parlons amour. Et donc cul. Ça tombe bien, vous attendiez tous cela depuis le premier paragraphe. Car en effet, quel élément plus tributaire d'un bouleversement régulier du quotidien que la sexualité ? Si, au final, cela revient quand même toujours un peu beaucoup à la même chose ("Enfonce-moi ta [mésange] dans le [marronnier] et qu'on n'en parle plus"), il est important de savoir y mettre les formes. Et non, messieurs, et même mesdames, ce n'est pas en annonçant entre la poire et le yaourt bulgare que "Tout à l'heure, chéri(e), j'aimerais bien copieusement visiter les mystères enivrants de ton anus.", que vous obtiendrez forcément un changement radical de votre fin de soirée. Qui ne tente rien n'a rien, me répondrez-vous avec ce sens de la répartie que j'apprécie tant. Il n'en est pas moins vrai que toute chose se doit d'être accomplie avec un minimum de classe. Et cela vaut même pour se moucher, mais je m'égare.
C'est pour cela que, hors contexte érotique, la proposition de pénétration anale, quels que soient la partie du corps ou l'objet soigneusement sélectionnés pour accomplir cette noble action, doit être proscrite. Du moins dans le cadre d'une première approche et nous excluons ici les backrooms.
Observons à présent deux femmes qui s'embrassent. Leur lèvres s'effleurent et s'entrouvrent. Leurs langues se caressent. Il y a une douceur intense souvent absente des baisers hétérosexuels. Leurs mains enlacent leur visage, descendent le long du cou, et viennent naturellement étreindre les seins. Avec intensité elles s'excitent mutuellement, serrant doucement puis de plus en plus puissamment leurs généreuses poitrines.
Oui, je sais, j'en vois parmi vous qui se demandent en quoi cette scène lesbienne, absolument gratuite en apparence, va servir mon propos. D'une part, une scène lesbienne est toujours bienvenue et de bon goût, en à peu près toutes les occasions. Ensuite, je vous prierais de me laisser en arriver à mon point sans m'interrompre, ce serait bien agréable, merci.
Donc, où en étais-je ? Les mains s'étaient-elles déjà glissées dans les strings ? Les doigts jouaient-ils au creux des fentes humides ? Non ? Pas encore ? Vous voyez bien que je perds le fil quand on me déconcentre ! C'est un monde !
Donc, bien, bien. Nous allons devoir passer directement à la conclusion, oui, je sais, tant pis pour vous. Donc, pour le commun des mâles, dont je fais bien sûr parti, même si je suis un peu moins commun que vous, il va sans dire, une telle vision est irrésistible, déclenchant une Apocalypse plus ou moins silencieuse, qui vient dérouler son chaos dans nos corps. A priori, nous ne pourrions jamais nous lasser de ces instants. Pourtant, et oui, pourtant, un tel miracle de l'univers répété quotidiennement finira par lasser même le plus obsédé des représentants de la gente masculine.
"Bah on a qu'à faire intervenir une queue, de préférence la mienne, et tout de suite ça explosera net les pattes arrières de la routine !", viendra ici nous clamer le petit lecteur pré-pubère d'Angoulême, que je salue au passage.
Et bien non, justement, non, mon poussin. Car tu pourras faire intervenir autant de bites que tu voudras dans l'équation, le résultat demeure identique. La répétition du schéma aura tendance à faire approcher la fonction du 0 absolu. Oui. Du zéro absolu. Ce qui ne cesse d'effrayer.
"Tout espoir est-il donc perdu, amiral Wood ?", me demande la petite lectrice de Saint-Médard-en-Jalles.
Non, ma chouquette. Définitivement, non.
Tout espoir n'est pas perdu.
Il y aura toujours la place pour l'émerveillement dans nos existences minées par les habitudes. Toujours la place pour ces battements de coeur. Pour ces exaltations soudaines qui font monter le sourire aux les lèvres. Et le temps ne sera plus ce destructeur si redouté. Nous accepterons ses tours et ses pièges. Il veut nous faire plier par ses discrets assauts, nous lui livrerons un combat humble et résolu. Nous ne lui laisserons que peu de chances de briser nos élans, que peu d'opportunités de ternir nos jours et nos nuits.
"Amiral, amiral !"
Oui, ma petite lectrice de Ribérac ?
"Amiral, j'aime quand vous êtes autoritaire comme ça, mais, il faut bien le reconnaître, sauf votre respect, que ce sont des paroles, rien que des paroles, et qu'il est bien plus facile de dire que de faire, voyez-vous amiral, mais à part ça, vous êtes beau quand vous êtes en colère."
Merci, mais non. Non, ce ne sont pas que de vains mots sans impact. Non, ne croyez pas qu'à l'intérieur du coeur de pierre de votre serviteur ne se cache pas une petite flamme de sincérité qui clame et qui crame (ou l'inverse mais ça revient au même).
Mais au final, vous êtes suffisamment grands pour savoir ce que vous devez faire. Ou ne pas faire. Notamment mettre de l'eau de javel dans les bouteilles d'eau minérale. Ça, c'est mal. Et j'ai déjà suffisamment à faire avec la guérilla de mon propre quotidien sans venir faire de l'ingérence dans le votre (ou alors très exceptionnellement). Et je ne peux que vous laisser rêver de vos périples extraordinaires, de vos découvertes saisissantes. Et vous laisser devenir les premiers rôles de votre film, guerriers et guerrières, princes et princesses, rois, reines et amants éternels.
Edward D. Wood Jr. ("I went out into the night, I went out to find some light")