Edwood Vous Parle

 

 

 

 

 

Je ne vois pas de gens morts

 

 

 

 

 

 

        "Je parle aux morts." Ainsi pourraient s'expliquer les possesseurs de "kit mains libres" devant le Grand Inquisiteur. "Non, mon seigneur, ce n'est pas de la sorcellerie, I see dead people !". Et ils leurs parlent, de surcroît. Comme ils ont les mains libres, ils leurs font même des gestes, là, comme ça, en pleine rue, juste devant moi. Ils parlent avec animation aux fantômes des Noëls passés. La fascination fait le reste. Je ne vois pas les morts et je ne leur parle pas non plus. Sauf, si, on peut l'admettre, que, toi le lecteur qui me lit, le survivant de toutes les modes de l'internet, toi, tu es plus mort que vivant, si tu viens à nouveau traîner tes guêtres grises en ces terres arides. Alors, non, je n'ai pas les mains libres, j'ai le kit mains prises, le kit avec lequel on n'est jamais vraiment tout à fait quitte. Mon kit me double, d'une certaine manière, tant il aime à me faire perdre les heures solitaires des soirs noirs à raconter des choses inutiles à des vivants pas vraiment morts même si devant un écran on a l'air plus mort que vivant.

 

 

        A Pâques, on sonne les cloches et on éviscère Jesus. Dans The Passion, la crise de foi frappe droit au foie, pour voir si Dieu incarné n'était pas en fait une marionnette en papier. Non, monsieur, non, madame, non mademoiselle, Dieu incarné était bien de chair et de sang. Et ce n'était pas joli à voir à l'intérieur, car la nature ne sait pas faire les choses autrement. Un extérieur qui charme et un intérieur qui dégoûte. Ou l'inverse, pour les gens qui sont vraiment très très portés sur la boucherie-charcuterie. Alors, est-ce donc si important les tripes à Jesus ? Un peu comme si on se questionnait de savoir à quoi ressemble le gros colon de Sherilyn Fenn, la rate de Miho Kanno, le poumon gauche de Johnny Depp, le cervelet d'Uma Thurman. Qu'importe ! Hein ? Qu'importe ! Tant que tout cela fonctionne bien, qu'allons-nous nous préoccuper de ce qui vrombit et glougloutte à l'intérieur. Alors, Jesus incarné l'était, métaphoriquement ou non, peu importe, il avait un estomac en état de fonctionner, un oesophage choucard et la langue bien pendue. On envisage clairement qu'il allait aux toilettes comme tout le monde, ou presque. De là à dire qu'il a peut-être eu envie de faire pipi pendant la montée du Calvaire, il n'y a qu'un pas que je laisserais monsieur Gibson franchir sans moi. Pour une telle métaphore, il faut un contenu variable, aller y inclure le pipi, la trépanation et tout le tralala, s'il vous le souhaitez. Mais on peut tout aussi bien faire sans.

 

 

        Au loin, quelque part dans le mois de mars, un voisin plante un clou, ou du moins, on pourrait le croire. Ca frappe quelque part, dans le mur, plus haut, à gauche, par la-bas, dans l'immeuble à côté, peut-être. Le papier peint en pleure des petites lettres bleues. Oui, disons cela, même si ce n'est qu'une métaphore, sans le pipi inclut mais avec un supplément trépanation ketchup mayonnaise. Des petites lettres bleues, qui courent, courent, courent. Et des petits blocs de feuilles, plastifiées, les feuilles. Ici. Et là. Et encore ailleurs. Voyez-vous. Je ne parle pas aux morts, mais je peux parler au papier. Transfert. Je fais un transfert sur le papier transfert, dirions-nous si nous faisions de la poésie de bazar pour chansons à textes de bazar. Je ne mange pas de ce pain là, quand bien même vous iriez le multiplier devant moi. Il en faudrait plus, pour m'impressionner. Il faudrait le lapin dans le chapeau et le bouquet de fleurs surgissant de la baguette. Là, oui, j'applaudirais, admiratif devant tant de bonne volonté. Voilà, vous m'auriez séduit. Avec des vieux tours de magie. C'est un peu l'histoire de la vie, l'histoire de l'amour, qui dure, toujours. Les vieux tours de magie. Et du papier transfert.

       

        L'internaute d'aujourd'hui est semblable à celui d'hier. Il n'a pas de temps à perdre lorsqu'il perd son temps. Nous en avons déjà parlé, il y a plus de cinq ans. Le thème est récurrent. Il est même très courant, sur ces pages, sur mon clavier. Pour vous, c'est une vieille scie, un vieux tour de magie qui n'entretient plus l'amour, qui dure, toujours. La séduction s'effondre. Là. Soudain. Oh ! Boum ! C'est la cata ! Boum ! Et encore ! Et re-Boum ! Elle tombe ! Et re-re-Boum ! Il ne reste plus rien. Des ruines. Ici. Là. Des vestiges pour les civilisations futures qui pourront se masturber, intellectuellement s'entend bien, sur les reliques de ma prose séduisante.

 

 

        "Moi, charmé ? , s'écrit le lecteur de Ste Foix-La-Grande, non, non, ça jamais ! Plutôt mourir que d'être séduit par ces mots qui me font perdre mon temps ! Moi, l'imbécile, qui revient toujours ici, histoire de voir que c'est toujours aussi peu intéressant !"

        Oui, toi, le lecteur, tu es séduit, bien fait pour toi, t'étais prévenu, j'allais pas non plus t'envoyer un SMS pour te prévenir du risque. Tu vois, t'y es là, en plein dedans, trop tard pour mourir. Et si jamais, malheur de moi, malheur de toi, tu préfères mourir, je te causerais quand même, sans les mains ! Devant tout le monde, dans la rue. On pensera un instant que je suis fou, mais non, je vois des messieurs morts et je leur parle. Je vois des Dames décédées et la nuit venue, quand il fait noir, je les écoute, elle me réponde et je ne suis pas nécrophile, pourtant, vous devez me croire ! Mais non, allez, que croyez-vous ? J'ai assez à faire avec les vivants sans m'encombrer des morts. On est toujours poursuivi par trop de fantômes dans une existence, sans chercher à s'en créer d'autres. Aimons-nous vivants, disait la chanson nulle. C'est un bon slogan.

 

 

        Quand le signal sonore retentit, vous serez prié de ne plus monter dans la rame. Merci. Enfin. Sinon ça sert à quoi qu'il y ait un signal sonore ? Et la fermeture automatique des portes ? Les gens sont irrespectueux. C'est un monde ! Je n'aime pas les gens. Disait le canard. Le canard ne reste pas assis sur les strapontins à l'heure de pointe et il laisse sa place aux femmes enceintes. Le canard est un citoyen modèle. Il vote, car il est fier de son pays et il se sent responsable de celui-ci, auprès des générations futures. Le canard responsable d'aujourd'hui, c'est le poussin heureux de demain. Il n'empêche qu'il n'aime pas les gens. Car on peut aimer son pays, sans aimer qui que ce soit. C'est un vieux tour de magie, voyez-vous. Qui marche très bien auprès des palmipèdes à poil ras. Et vous pouvez n'en avoir rien à foutre, à carrer, à secouer, à branler de mes histoires de canards, à vrai dire, cela n'importe que peu. Oui, oui. Cela importe peu.

       

        L'important c'est que le canard, hein, il aime le cinéma et il profite du printemps du cinéma pour aller voir des films. Au cinéma. Tout ça. Et bientôt, il s'engagera dans la résistance contre tout, après avoir vu le génial Battle Royale II. Mais en attendant, y a-t-il quelqu'un pour se dévouer et m'accompagner voir Big Fish une seconde fois ? Personne ? Allons ! Voyons ! Ce film n'est pas si catastrophique... hum... ah.... Tim, Tim, Tim, pourquoi m'as-tu fait cela ? La piscine, le barbecue, la maison blanche, la famille et tout le bonheur gluant que l'on ne souhaite pas. Trop de bonheur et trop de larmes pleines de bons sentiments. Comment ne pas aimer Big Fish ? Pourquoi ? Comment ? Où est le poisson ? Non, nous ne sommes pas des Edward Bloom, jamais. Nous n'avons pas cette assurance qui nous fait dire dans toute occasion : aller, va, je ne me trompe pas, j'ai raison. Nous sommes des Edward avec des ciseaux, solitaires et maladroits. Nous sommes des Edward D. Wood Jr., passionnés, mais maladroits. Nous ne sommes pas des Rosetta, nous sommes des Selina Kyle. Des morts-vivants accrochés à notre écran. Alors, le gros poisson peu s'échapper, l'image est belle, nous pouvons nous rêver éternels. Mais maintenant, là, tout de suite, nous sommes seuls, passionnés et maladroits. Et nous faisons avec.

 

 

 

Edward D. Wood Jr. ("there was heat from the fire, but I still froze, when I saw the ghost.")