Edwood Vous Parle

 

 

 

La Canicule

 

 

 

 

 

Sur le plateau argenté

brillant

On y trouve des clefs

brillantes

Et dans le vieux panier

usé

Une tasse à café

cassée

 

 

Le soir tourne le dos au soir. Et vers minuit seulement, la chaleur s'effondre doucement. Une voiture remonte l'avenue. Puis tourne à droite. Puis à gauche. Puis en haut. Puis en bas. Au milieu. Et à gauche. Vers une heure du matin, une lumière dans une chambre. Vers deux heures, le silence. Vers trois heures, un rat passe. Vers quatre heures, il est tard. Vers cinq heures, il est tôt. Vers six heures, un pigeon dort. Vers sept heures, une vitre vibre. Vers huit heures, petit déjeuner.

 

En marchant dans la rue au matin quand les gens vont au travail il est facile de ne pas voir les restes de la nuit qui jonchent le trottoir sale où chacun laisse une petit marque de son passage en y traînant ses chaussures personnellement impersonnelles on croirait un ballet mal fait un ballet contemporain qui sonnerait faux comme une timbale fêlée on a vite envie d'entrer quelque part où il fait frais mais il ne fait frais nulle part et on dirait que le monde fond avec les premiers rayons du soleil qui tapent sur les têtes et sur les vitres et sur les toits et sur le mois d'août qui passe pourtant si vite et on aimerait bien le retenir pour ne pas vieillir encore une fois déjà bientôt et devoir partir sans savoir et devoir choisir mais déjà un balayeur s'attaque à notre chemin et on dirait qu'il veut nous pousser sous les cars de touristes qui ne cessent de flirter avec le bord du trottoir pour happer les enfants imprudents que délaissent des parents inconscients et inconsistants j'aimerais que l'ombre s'étende un peu plus loin dans la rue et qu'ainsi il n'y ait plus besoin de sentir le soleil qui cherche à pénétrer sous la peau comme un scalpel brûlant qui viendrait disséquer la petite souris blanche dans le laboratoire qui prépare un futur meilleur pour les enfants innocents des parents inconscients qui me coupent la route en rollers alors que je ne faisais rien de mal je ne faisais que passer près des arbres en cherchant la fraîcheur illusoire comme un soir le matin d'été sans doute est-il trop tard car le soleil est déjà haut dans le ciel et je dois acheter de l'eau pour ne pas mourir ce qui serait embêtant de mourir maintenant sans avoir vu le Retour du Roi même si je connais déjà la fin car j'ai lu le livre que j'aime bien par ailleurs et j'aimerais voir tout cela au cinéma cet hiver quand nous aurons tous très froid et que nous fuirons le vent qui coupera comme un scalpel comme dans un laboratoire du monde meilleur je ne verrais plus rien à cause de la bise de décembre qui gèle la rétine au fond de l'œil comme un jeu comme un passe-temps comme ça pour rire mais ce n'est pas un jeu c'est ainsi que l'on doit affronter le monde quand il fait trop chaud ou trop froid et que les perceptions se font indistinctes et que soudain on lève les yeux et l'on voit le ciel bleu infiniment bleu et que l'on se prend à croire en Dieu parce que l'infini est trop grand pour nous pour moi pour l'infini lui-même et que si Dieu n'existe pas cela ne sert à rien de lever les yeux vers le ciel et de penser que c'est beau et pourtant oui c'est beau malgré le brouillard de la pollution qui nous vomit dessus toute la journée je pense que c'est beau le ciel quand on lève les yeux et qu'il est encore plus beau avec quelques nuages et la lumière du soir en été en hiver au printemps en automne je me dis que c'est inestimable et que si Dieu n'existe pas il a de la chance de ne pas savoir ce qu'il manque en n'existant pas mais en fait je ne me dis pas ça parce que c'est ridicule et je me dis surtout qu'il fait trop chaud et je regarde par terre car je suis prudent et il n'y a rien.

 

Vers neuf heures, il fait déjà trop chaud.

 

Assis ici en attendant que le monde tourne je vois qu'il n'y a rien mais ce n'est qu'une impression je réfléchis et je me dis que ce n'est déjà pas si mal et que le ciel se fait plus sombre ainsi il fera moins chaud je me le dis mais je n'y crois pas vraiment du moins pas tout de suite j'ai d'autres choses à penser et la journée passe trop vite je suis tenté par des tentations je craque un peu je craque beaucoup je ne craque pas je m'en veux je vais faire un tour là et je reviens ici il est déjà plus de midi et je me dis qu'il n'y a rien et c'est pas plus mal ainsi alors j'essaie d'organiser tout cela et je m'envoie des messages à moi-même en moi-même comme une carte routière sans route et sans carte et c'est ainsi que l'on avance et c'est ainsi qu'il est déjà l'après-midi.

 

Vers dix-neuf heures, il fait plus frais qu'hier.

 

Dans la pénombre je ne vois que des papillons, des gerboise, un lapin et des myrtilles cela me fait une belle jambe et sur le mur les reflets des vitres des voitures qui s'arrêtent au feu rouge et qui repartent au feu vert et sans doute très bien ainsi mais cela fait des dessins sur le mur je me demande et j'essaie mais je n'arrive pas à y voir un sexe féminin pourtant je devrais y voir un sexe féminin ou des seins ou un sourire de fille ou des yeux de chats ou un sexe masculin à la rigueur mais je pense que je suis plus apte à voir un sexe féminin ou du moins quelque chose de féminin car c'est ainsi mais je vois des gerboises et cela me fait rire parce que cela ne ressemble pas du tout à des gerboises ni à quoi que ce soit mais plutôt au reflet d'un pare-brise alors forcément c'est amusant et cela m'amuse j'essaie de ne pas tourner en rond et de faire quelque chose d'important mais je ne suis pas convaincu je remets à demain quand il fera moins chaud je n'ai pas envie de faire des choses trop importantes pas tout de suite pas assez prêt pas assez près alors le monde tourne et la nuit tombe et il y a des papillons sur le sol et sur le tapis des petits bouts de papier et j'ai faim mais j'ai perdu l'ouvre-boîte et puis c'est marre.

 

Vers vingt heures, il est temps de partir.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("Tu mens, scélérat aux oreilles velues !")