Edwood Vous Parle de
La déprime
Descartes disait : "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée". En cela il n'avait pas tout à fait tort, mais si je lui donne raison je rate mon introduction et ce ne serait pas très glorieux. Donc, Descartes disait : "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée". Ce qui se discute mais c'est vrai que sa conception du "bon sens" peut très bien être partagée. Mais non, ce n'est pas ça que je voulais écrire. Alors, Descartes disait : "Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j'y ai faites ; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu'elles ne seront pas peut-être pas du goût de tout le monde". Ah zut, ce n'est pas le bon chapitre, mais ça me fait penser que voilà une citation bien pompeuse qui ferait un bon exergue à Edwood Vous Parle. Mais n'allons point trop vite en besogne et revenons à la phrase d'introduction de ce chapitre. Non, franchement, là, c'est mal parti, on fait comme si on avait rien vu et on recommence...
hum...
hum...
hum...
René Descartes écrivait en ouverture du Discours de la Méthode : "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" (on va finir par le savoir). Ce en quoi il n'avait qu'en partie raison, car la chose la mieux partagée du monde c'est la déprime, voire la dépression. Au moment où j'écris ces lignes nous sommes au début de l'automne de l'an 2000 ("l'an 2000 ??? Mais c'est super vieux !" s'écrient mes lecteurs et lectrices de l'an 2568) et la grisaille, la pluie et le froid s'abattent peu à peu sur la rentrée. A cet instant, les statistiques le prouvent, les gens font une grosse poussée de déprime. Le Prozac coule à flot au Macumba et au Café Philo, on regarde les Misérables sur TF1 et c'est pathétique, au loin un chien hurle à la mort, les couples se séparent, les enfants mangent à la cantine, il faut sortir les poubelles, la fin du monde n'a pas eu lieu, il y a la guerre quelque part en Palestine ou peut-être aux Philippines, voire partout, on nous dit que les Républicains vont passer, le quinquennat a gagné, mais on ne sait pas trop quoi, votre meilleur(e) ami(e) a mal aux dents, vous n'allez pas gagner des millions, vous écoutez Joy Division et Nine Inch Nails, vous êtes allés voir les Rivières Pourpres, on vous a volé tous vos albums de Blondie et des Pixies, on nous promet qu'on va tous crever de la vache folle ou de l'amiante, voire du réchauffement de la planète, on nous apprend que les pandas sont trop déprimés pour se reproduire, et on aura beau nous dire qu'à la fin l'amour que l'on prend est égal à l'amour que l'on fait, on n'y croit plus des masses. Alors c'est la déprime. La déprime qui n'est pas un monstre Lovecraftien mais plutôt une petite chose mesquine quelque part entre le cafard et Arthur. Un machin désagréable qui gratouille plutôt qu'il ne chatouille.
La déprime n'est pas une fatalité car il y a toujours une solution. Donc, voyons, vous n'avez plus de disques de Blondie, vous n'avez d'ailleurs pas de lecteur CD. Vous n'avez plus de vidéos des Monty Python, vous n'avez pas de magnétoscope, ni de TV. Vous n'avez pas de cinéma près de chez vous qui passe Yi Yi, vous n'avez pas de cinéma près de chez vous de toute façon. Vous n'avez pas d'ami et je ne parle même pas de petit(e) ami(e). Vous détestez votre famille et de toute façon vous n'en avez pas. Vous ne lisez pas Garfield ni Franquin, vous n'aimez pas lire. Bon, c'est vrai, vous êtes mal barrés. Mais vous avez internet, non, si je ne m'abuse ? Hein ? Comment ça c'est le web de la fac ? Hein ? Un cyber-café ? Quoi ça va couper dans deux minutes ? Bon, on va faire comme s'il y avait quand même un peu d'espoir. Vous êtes sur mon site et ça y est, c'est merveilleux, LA VIE EST BELLE ! Si vous êtes en train de me lire, là, déjà, vous ne déprimez plus, c'est prouvé scientifiquement. La prose d'edwood est anti-dépressive. Ouais ! C'est formidable ! On est heureux ! Youpi !
Et puis quoi encore ? 100 balles et un Mars ? Sans être désagréable j'aimerais vous faire bien comprendre que ce n'est pas la prose d'edwood qui va éliminer la déprime dans le monde. D'une part parce que je n'en ai rien à foutre de la déprime, j'ai déjà donné. Ensuite parce que ça ne paye pas. Et il n'y a que l'argent qui m'intéresse, c'est bien connu. Et enfin je sais parfaitement que mes lecteurs et lectrices ne sont pas des gens déprimés. Ce sont des personnes qui aiment Tim Burton et The Nightmare Before Christmas, des gens qui écoutent les Pixies et KLF, qui sont ouvert à la philo qu'elle soit de comptoir ou universitaire, que ce sont des gens qui pensent par eux-même et qui n'imitent personne. Et comme tout le monde déprime, je suis sûr que mes lecteurs et lectrice n'iraient pas imiter tout le monde, hein ?
Juste pour dire que je ne suis pas de ceux qui entretiennent le culte de la dépression comme mode de vie, et sans être un joyeux petit compagnon à l'il vif et à la truffe humide, je ne suis pas non plus le merveilleux camarade qui ne parle que par citations de Cioran et qui se prend pour un poète tourmenté (poète ? pouet-pouet !). Ne comptez pas sur moi pour égayer les soirées en vomissant dans le lave-linge, mais ne comptez pas non plus sur moi pour vous organiser une messe noire "sérieuse". Edwood il est plutôt (ouah ! ouah !) adepte du happening idiot et non de la glauquerie du style : soirée joint-partie de cartes-Doors-mauvais alcool ou soirée Macumba-drague pathétique-mauvais alcool ou bien encore soirée étudiants-blah-blah-blah-compil inrocks-mauvais alcool. Faut pas s'étonner que les gens qui pratiquent ce genre de choses soient déprimés, on le serait à moins.
Tiens, y a le film Vous Avez Un Message qui passe à la TV. Merveilleux ce film, typiquement le genre de comédie romantique absolument incroyable (comme Notting Hill ou Ghost) qui fait fureur auprès des midinettes. Si on pouvait draguer Meg Ryan sur le web, je le saurais. Et je vous le confirme, on ne peut pas draguer sur le web. Ou du moins, ça n'en vaut pas la peine. Enfin, ce que j'en dis. J'en étais où déjà ? Ah oui, la déprime ! La déprime n'a pas lieu d'être, car on trouve toujours plus malheureux que soit et gna gna gna. Chaque problème a sa valeur propre et patati et patata. Et qu'on n'est pas le centre du monde blah blah blah. Et que ça arrive à tout le monde et que t'en verras d'autres et que ce sont toutes les mêmes et que c'était un brave gars et qu'il ne faut faire confiance à personne et que je vais t'en acheter une neuve et que sont tous pourris j'te l'dis et que tu le repasseras l'année prochaine et que tu vas en trouver un autre, etc... Et que c'est bien beau tout ça mais on sait très bien que la déprime n'a pas d'oreilles, exactement comme le ventre affamé avec qui elle partage bon nombre de points communs.
"Ta ta ta ta", me direz-vous ! "Ca ne nous mène à rien c'te histoire, comme d'habitude, Edwood tu nous déprimes à parler pour ne rien dire". Là, voilà, ça va encore être de ma faute. Mais je n'ai rien fait ! Comment ça "justement" ? Non, mais, hé, ho ! Edwood c'est pas M. Prozac, hein, c'est pas Bozo le Clown (enfin, si, mais non). Je ne suis pas là pour amuser les enfants. Je suis là pour me parler à moi-même. Et je me parle très bien tout seul. D'abord. Oui. Laissez-moi seul ! Bande de vilains voyeurs dépressifs. Bouh ! Les vilains ! Bouh ! Méchants ! Allez vous faire pendre ailleurs, c'est moi qui ai vu la corde à piano le premier ! Preums ! Hein ! Faut pas croire ! Hein ! Non mais !
J'ai testé pour vous : le syndrome narcissique maniaco-dépressif avec retournement conflictuel sur l'altérité et double salto arrière carpé. J'ai testé et c'est très surfait. On y mange mal, on est pas super bien reçu, la musique est à chier et ça coûte cher. Je vous conseille par contre un petit bistrot pas dégueu en bas de la rue Gustave Jerrignac, vous m'en direz des nouvelles ! Dites au patron que vous venez de ma part et tout de suite vous vous sentirez chez vous. On y cause pas philo, on y cause pas politique, on y cause pas sport, on y cause pas de cul... Mais de quoi qu'on y cause, alors ? Et bien vous n'avez qu'à y aller pour le savoir. Hein ! Faut pas croire !
Et puis en sortant vous remontez par la droite jusqu'à l'avenue Jean Mougritte, y a un petit disquaire juste au coin, il te vend pour une bouchée de pain des petits vinyles qui sont du pur bonheur. Et pour ceux qui n'en sont encore qu'au CD, il a une petite sélection d'imports avec des petits délices tels que la réédition de l'album des Checkmates produit par Spector ou la version anniversaire de Superfly avec plein de bonus. Et puis le patron, il va vous raconter plein d'anecdotes croustillantes sur toute la musique qu'il aime. En sortant de chez lui, vous aurez forcément envie de flâner un peu, en remontant doucement vers les boulevards. Vous aurez le temps de regarder les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics en public ainsi que les vitrines des petits libraires indépendants qui se portent toujours gaillardement. En arrivant près du pont Marcel Baugirard, vous croiserez sans doute le vent du soir et sur la fin de l'été vous aurez peut-être la chance de le voir soulever une robe hors-saison de passage. Avant de remonter les boulevards, vous en profiterez pour prendre le programme du petit cinéma art et essai de la rue Léopold Vrituer, bah tiens, regardez, la semaine prochaine ils passent Yi Yi ! Sur les boulevards vous ferez sans doute semblant de reluquer la devanture du magasin de fringues à la con du n°69, mais on sait très bien qu'en fait vous observez du coin de l'il la jolie nouvelle vendeuse (ou le craquant nouveau vendeur) et que vous vous dites que vous allez finir par acheter un de ses pantalons à la con, parce que, quand même, elle a des yeux, je ne vous raconte pas ! Et au moment où la nuit tombe, vous allez entrer au Super U juste avant la fermeture et acheter un bout de pain et du jambon blanc plein de flotte à l'intérieur. Et vous allez manger tout cela en court de route. Oui, je sais, vous ne savez pas trop où vous allez, mais ce n'est pas bien grave, car le plus dur est fait. On peut passer au paragraphe suivant.
Vous êtes déjà loin de la déprime, qu'elle vous ai effleuré ou non, il n'y a plus de risques. Vous pensez à autre chose qu'à vous apitoyer sur votre misérable vision du monde et d'un coup, tout devient plus sympathique. Même moi je deviens plus sympathique. Si si ! Une fois rentré chez vous, vous allez glisser ce petit disque acquis pour trois fois rien sur les conseils avisés du disquaire éclairé (voire sur les conseils de la discothèque idéale d'Edwood, hein, on ne sait jamais). Et vous allez voir que finalement le monde n'est pas merveilleux mais que votre vision du monde, elle, elle l'est (merveilleuse).
Mais ce que je raconte est relativement crétin, car l'on sait très bien que passer deux heures par jour dans le métro et dans le RER, que de rentrer le soir dans la maison vide, dans la chambre vide avec les oiseaux qui passent comme des menaces et j'entends l'automne, etc..., que de savoir que demain sera pareil qu'aujourd'hui, juste, peut-être, en un peu plus pire, que de se dire que de toute façon quoi qu'on fasse on est seul et la TV est cassée, que de trimer pour rien et sans doute un peu moins, que la crise d'adolescence, hein, c'est pas cool les djeunz, et que chagrin d'amour dure toute la vie... Quand on sait tout cela, on en a rien à cirer de ce que je raconte, on se dit qu'Edwood il n'y connaît rien et que de toute façon c'est un rigolo qui se la joue, hein, faut pas croire. Et je suis bien d'accord.
La déprime (Deprimus Deprissiva) a été inventée il y a bien longtemps par quelqu'un qui n'avait rien de mieux à faire. Elle a connu un vif succès de part l'univers et en particulier dans la banlieue parisienne. On la reconnaît grâce à son pelage moucheté et à son cri lugubre, le soir près des étangs. Sa vision nocturne est parfaite et elle est imbattable à l'édition Pikachu de Pokemon. Elle aime les endroits humides et les matchs de foot. Si vous la croisez, ignorez-là, c'est une petite chose craintive et mesquine qui ne s'attaque qu'aux petites choses encore plus craintives et mesquines qu'elle. Comme je le disais plus haut, vous n'avez donc pas à avoir peur. La déprime ne vous concerne pas, vous n'aviez donc pas besoin de lire cette page. Que d'efforts inutiles évités, on peut me remercier, hein, et plus fort que ça !
Edward D. Wood Jr. ("Auprès de mon arbre, je vivais heureux, j'aurais jamais dû le quitter des yeux...")