Edwood Vous Parle de   

  

Pierre Desproges

 

        Cela pourrait être le dernier Edwood Vous Parle, il va sans dire. La boucle est bouclée, au moment où je rends hommage à celui qui a déjà tout dit, juste comme il fallait le dire, avant que d'autres essaient de le redire, mais en nettement moins bien. Edwood ne va pas parler de Desproges, loin de là, Edwood va s'écraser, juste comme il faut, il n'y aura plus d'Edwood dans les lignes qui viennent, c'est la disparition, le suicide virtuel. Et oui, ça ferait une bonne conclusion, au moins pour montrer à tous ceux qui ont pensé que Edwood Vous Parle c'est parfois drôle, ce que c'est qu'un comique vraiment drôle. Non, enfin, quoi, ne perdons pas de vue les vraies valeurs. Stevie Wonder chante As en fond sonore et je ne sais quel extrait Desprogien choisir. Alors, comme ça, hum... oui... voilà... tenez... le Chapitre Femelle de Vivons Heureux en Attendant la Mort (Editions du Seuil - 1983 (déjà, comme le temps passe)). Et voilà, rien à ajouter, à part bien sûr, en ultime hommage, une petite mise à jour d'une des répliques les plus cultes de notre misanthrope favori. Le jour où Desproges est mort j'ai pleuré comme un gosse, le jour où Laurent Gerra est mort j'ai repris deux fois des moules.

 

        "C'était un mercredi ou un dimanche après-midi. Toujours est-il que je traînais un morne ennui dominical de pièce en pièce à travers la maison, en chaussettes, canette à la main, sandwich dans l'autre, cherchant sans y croire l'idée fulgurante d'où jaillirait l'une de ces pages implacables où la délicatesse nacrée du style le dispute à la clairvoyance rigoureuse de l'analyse austère au lyrisme glacé.

    Traversant la chambre des enfants, je m'apprêtais machinalement à enjamber ma progéniture abrutie d'images et vautrée sur la moquette, pour éteindre le téléviseur barbitural d'où montait sans grâce le beuglement sirupeux d'un chanteur écorché vif ; quand soudain, Dieu me turlute, vous m'apparûtes.

    Vous m'apparûtes sur l'écran, mon amour - vous permettez que je vous appelle mon amour ? Je crus défaillir.

    Je sentis le fa se dérober sous mes pas alors que, normalement, c'est le sol, c'est vous dire à quel point j'étais bouleversé. Mes bras tremblaient, mes jambes flageolaient au gigot, c'est tellement meilleur, bref mes membres, je veux dire la plupart de mes membres, mollissaient. J'aurais voulu tourner le bouton car les boutons sont faits pour qu'on les tourne, sinon ça finit par couiller, rouiller, mais je n'avais pas de fesse, de cesse, mais j'étais comme figé devant votre visage, ma bien-aimée - vous permettez que je vous appelle ma bien-aimée ? La pétillante exubérante de vos yeux, la troublante malice de votre pipe, la troublante malice de votre bouche à faire les pitres, selon saint Paul, l'érotisme acidulé de votre voix de gorge profonde quoique enfantine, mais l'avaleur n'attend pas le nombre des avalés, l'ourlet gracile de vos oreilles sans poils aux lobes, la finesse angélique de votre mou de nez de putain, de votre bout de nez mutin dont la pointe rose se dresse vers la nue comme le goupillon trempé d'amour que Mgr Lefèvre agite à la Sainte-Thérèse qui rit dans la Corrèze où la paire de Marie, où le maire de Paris, lui aussi, s'ennuie le dimanche en attrapant des champignons. Mais je m'égare aux morilles, mais je m'écarte du sujet.

    Cette femme m'a rendu fou. Vous m'avez rendu fou, délicieux petit cabri sauvage indomptable - vous permettez que je vous appelle délicieux petit cabri sauvage indomptable ? Ah ! cabri, c'est fini. Ah ! Jésus, Marie, Léon ! Ah ! femme étrange. N'abrites-tu point, sous la robe austère de la speakerine, la plus fine petite culotte de soie noire sauvage qui, comme un écrin de pétales veloutés d'orchidée sauvage, maintient dans la chaleur moitée de son duvet tendre les plus exquises rondeurs charnelles finement duveteuses où la tiédeur exsangue de l'été finissant a laissé la dorure attendrie de ses rayons ultimes poser son sourire de cigale sur ton corps alangui que ma détresse exalte au soir de solitude où tu me laisses anéanti d'impuissance et totalement dérisoire devant cet écran glacé où je me cogne en vain, comme le papillon de nuit aveugle en rut se calcine la zigounette sur l'ampoule brûlante où la phalène poudrée l'attend les ailes offertes et le ventre palpitant pour une partie de trompe en l'air.

    Il faut me comprendre, pour toi je vibre ô ma sœur - vous permettez que je vous appelle ma sœur ?

    Ah ! Dieu me crapahute, mon impossible amour, soyez mienne, ma biche - vous permettez que je vous appelle Bambi ? Vous si pleinement éblouissante parmi tant de dindes hébétées, vous détonnez cruellement comme un diamant somptueux dans un carré de topinambours, comme un cygne royal entouré de mouettes emmazoutées, comme un ouvrier polonais dans une soirée CGT, comme un lys au pays des merdouilles. Ah, je vous le dis, et je vous le redis, en récitant Pagnol : vous êtes belle comme la femme d'un autre.

 

        "La femme remonte à la plus haute antiquité" disait Alexandre Vialatte. (Je le répète une fois de plus à l'intention des étudiants en lettres qui commencent à savoir lire dès l'âge du permis de conduire, on peut très bien vivre sans la moindre espèce de culture. Moi-même, je n'ai pas mon permis de conduire, eh bien ça ne m'a jamais empêché de prendre l'autobus. D'ailleurs, si vous n'êtes pas capable de vous priver d'un seul épisode de Dallas pour lire un chapitre des chroniques de Vialatte, dites-vous bien que ça ne vous empêchera pas de mourir d'un cancer un jour ou l'autre. Et puis quoi, qu'importe la culture ? Quand il a écrit Hamlet, Molière avait-il lu Rostand ? Non.)

    La femme est beaucoup plus que ce mammifère inférieur qu'on nous décrit dans les loges phallocratiques. La femme est l'égale du cheval.

    Et de même qu'il ne peut pas vivre sans cheval, l'homme ne peut pas vivre sans femme. Comme la femme, le cheval permet à l'homme de s'accrocher derrière pour labourer jusqu'au fond du sillon. Bref, la femme permet à l'homme de semer sa petite graine.

    Observons deux papillons. Pouf pouf. Observons une femme.

    Si nous la coupons dans le sens de la longueur, que voyons-nous ? Nous voyons que la femme se compose de 70% d'eau et de 30% de viandes rouges diverses qui sont le siège de l'amour.

    La femme a-t-elle une âme ? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question avec certitude. Tout ce que l'on peut dire, avec une marge d'erreur infime, c'est que la nuit sera fraîche, mais à mon avis, à mon humble avis, c'est sans rapport aucun avec le problème de l'existence de l'âme chez la femme.

    Et d'abord qu'est-ce que l'âme ? Selon Jacques Lacan et mon coiffeur, l'âme est un composé nébulo-gazeux voisin du prout. Sigmund Freud, pour sa part, affirme dans l'édition de 1896 de l'Annuaire des Refoulés que l'âme pèse 21 grammes, ce qui exclut évidemment la restitution de notre âme à Dieu par les PTT avec un timbre normal, même à grande vitesse, toute surcharge au-dessus de 20 grammes étant taxée aux frais du destinataire, c'est à dire en l'occurrence le Père, le Fils et le Saint-Esprit, c'est pourquoi, au moment de votre agonie, je vous conseille, mes frères, de vous coller deux timbres à l'âme, afin de faire bonne impression à l'heure cruciale entre toutes de votre comparution devant les pieds nickelés de la Sainte Trinité.

    La vivisection de la femme ne nous permet pas de distinguer clairement la présence de l'âme. En effet si nous ouvrons une femme, que voyons-nous exactement ? Un foie, deux reins, trois raisons d'avoir une âme. Certes, je vois venir l'objection. Vous allez me dire : le ragondin velouté des marais poitevins lui aussi a un foie et deux reins. Mais a-t-il une âme pour autant ? Non. Il boit Contrexéville et puis voilà.

    En fait, en l'état actuel de nos connaissance, rien ne permet de confirmer la présence d'une âme chez la femme. Pourtant, de même qu'il ne peut pas vivre sans marché noir, l'homme ne peut pas vivre sans femme. Serait-ce une vie normale, pour un homme, que de ne baiser que le fisc, alors que les femmes des percepteurs, exhibant à chaque coin de rue leur arrogant derrière que le rond-de-cuir délaisse, hurlent à l'amour en attendant désespérément la main virile qui viendra leur nationaliser la libido à coups de zigounette dans la fonction publique, avec effet rétroactif en données corrigées des variations saisonnières ?

    D'autre part, si l'on examine la femme d'un point de vue purement ludique, que constatons-nous ? Eh bien, nous constatons que la femme est souvent pour l'homme un agréable compagnon de jeux. On cite notamment le cas, reconnu médicalement, de nombreux hommes qui ne peuvent connaître de plaisir sexuel qu'avec des femmes. Comme ce gardien de phare paimpolais, Yvon Le Poignet, qui ne pouvait pas rester plus de six mois d'affilée à son poste. Malgré la conscience professionnelle avec laquelle il astiquait son phare entre deux naufrages, il lui fallait absolument revenir périodiquement à terre pour se livrer, sur la personne de son épouse, à des gesticulations spasmodiques dont la seule évocation me soulève le cœur.

    De même qu'il ne peut pas vivre sans oxygène, l'homme ne peut pas vivre sans femme.

    L'oxygène permet à l'homme de respirer un coup. La femme permet à l'homme de tirer un trait sur son adolescence, pour fonder enfin une famille d'où naîtront bientôt les merveilleux enfants du monde qui grandiront dans la joie avant de périr sous les bombes thermonucléaires dans une dizaine d'années au plus tard. En effet, si tout va bien et si le temps le permet, la troisième guerre mondiale devrait normalement éclater avant 1991 : la plupart des voyantes extralucides sont absolument d'accord sur ce point. Quant à Nostradamus, qui avait oublié d'être con puisqu'il croyait en Dieu, il situe précisément la fin du monde atomique le 14 juillet 1989, comme le dit clairement le paragraphe 13 du chapitre 4 de son Guide Gault et Millau de la mort pas chère :

        "Deux cents années après qu'éclatoit en royaume des François la honteuse révolte où triomphoit la populace (c'est à dire le 14 juillet 1789), les sauvages hordes rouges de l'Est glacé vomiront le feu du ciel sur le grand mol occidental" (Le grand mol occidental : c'est évidemment une allusion de Nostradamus à la mollesse décadente des hommes de l'Occident avachis par la bagnole, le déclin du patriotisme, l'athéisme, les congés payés, l'abolition de peine de mort et les sous-vêtements en dermotactile Babar qui suppriment le goût de l'effort tout en comprimant abusivement la pipistrelle.) "Lors, l'homme de guerre brandira le noyau fissuré du grand champignon fumeux, tirera la chevillette et la bombinette cherra. Dans ce brasier d'apocalypse, la terre s'ouvrira dans d'épouvantables craquements, les océans déchaînés recouvriront les terres en ruine où nulle âme ne survivra, et le périphérique Ouest sera fermé à la circulation entre la porte de Vincennes et le pont de Charenton."

    Donc la femme est importante, puisque c'est elle qui assumera la continuité de l'espèce jusqu'à la fin du monde, s'il le faut, sans bouger les oreilles.

 

        Arielle de Claramilène s'ébaudrillait nuquelle et membrissons en son tiède et doux bain d'algues parfumil. Molle en chaleur d'eau clipotillante, chevelyre aquarelle, charnello lèvre de fraise extase, chavirée de pupille à rêve écartelé d'humide effronterie, murmurant ritournelle enrossignolée, elle était clatefollement divine. La brune esclavageonne émue, qui l'éventait un peu de son parcheminet soyeux, contemplait ébloussée les blancs dodus mamelons de bleu nuit veinelés, les petons exquis de sang carmin teintés, les fuselines aux mollets tendres, le volcanombril cloquet, et la motelle foressante du sexiclitor.

    Perversatile et frissonnitouche, Arielle sentit bientôt ce libidoeil lourd à cils courbés tremblants que la madrilandalouse mi-voilée, presque apoiline, posait sur l'onde tiède où vaguement aux vaguelettes semblotaient se mouvoir les appas dorés à cuisse offerte à peine inaccessiblants, si blancs, au creux de l'aine exquise.

    Lors, pour aviser l'exacerbie de l'étrangère, elle s'empara du savonule ovoïde et doux à l'eau, l'emprisonna de ferme allégresse dans ses deux manucules aigles douces ongulées cramoisies, et le patinageant en glissade de son col à son ventre, s'en titilla l'échancrelle.

    "E pericoloso branletsi", rauqua la sauvagyne embrasée, qui se fondait d'amouracherie volcanique indomptable, et qui, s'engloutissant soudain les deux mains à la fièvre sans prendre le temps de slipôter, bascula corps et âme dans l'éclaboussure satanique de cette bénie-baignoire pleine d'impure chatonoyance et de fessonichale prohibité fulgurante. Quand l'étincelle en nuage les eut envulvées, ces étonnantes lesboviciennes se méprisèrent à peine et s'extrablottirent en longue pelotonnie de Morphée finissant jusqu'à plus tard que l'aube, sans rêve et sans malice, quoique, virgines et prudes, elles n'avaient naguère connu l'onanaire qu'en solitude.

 

        Ce texte admirable - et je baise mes mots - nous prouve à l'évidence que les femmes, en matière d'érotisme plus encore qu'en toute autre, sont nos maîtresses.

    Et si les femmes sont nos maîtresses, remercions-en, mes frères, le Tout-Puissant qui règne là-haut en son divin royaume, entre la bouche d'aération de la tour Montparnasse et la zone stratosphérique à l'abri de l'anticyclone venu des Açores qui, après dissipation des brumes matinales, cédera la place à un temps plus doux au nord d'une ligne Strasbourg-Berlin."

 

Pierre Desproges - Vivons Heureux En Attendant La Mort - Editions du Seuil - 1983

 

index