Edwood Vous Parle
Glen Or Glenda ?
Tout change, rien ne change. Pour énoncer le pire des clichés dont le sens, multiple, nous échappe tant et plus. L'apparence du monde change, ou non. Mais l'essentiel demeure immuable, ou non. Tout change, rien ne change. Un hymne réactionnaire, comme je les adore. Enoncé avec le maximum de volume sonore par des personnes qui n'en foutent pas une, l'expression garde toute sa saveur comique au fil des ans. Tout change, peut-être, mais "tout change, rien ne change", ne change pas. C'est déjà rassurant. Contrairement à Descartes, Husserl et leurs amis, je ne partirais pas du Moi et de son existence pour reconstruire le monde. Je partirais de la certitude que l'expression "tout change, rien ne change" garde sa valeur comique en toute circonstance. A partir de là, à moi de remonter jusqu'à l'invention du portable WAP en passant par le théorème de Pythagore mais en tachant d'éviter la case Dieu et Malin Génie, juste pour montrer que depuis le cartésianisme, il y a eu la phénoménologie et Bouygues Télécom.
Mais il se fait tard et je n'ai aucune envie de reconstruire le monde ce soir. Pour reconstruire le monde sur un site internet avec des petites phrases mesquines quant à la plénitude de leurs sens, il faut beaucoup d'alcool (je m'abstiens), beaucoup d'impudeur (j'essaie d'arrêter), beaucoup de temps libre (demain, j'arrête) et beaucoup de mesquinerie (j'en ferais profiter tout le monde jusqu'à l'heure de ma mort et après aussi si possible, ce qui fait une belle série de "si"). Depuis que Lourdman nous a montré qu'il ne servait à rien de parler de soi sur le web, ma tâche est devenue de plus en plus ardue. Au fait, le dernier album de Phil Collins est nul. Et celui de Sigur Ros aussi. Na na nèreuh !
Attention cher lecteur, à chaque coin du web il y a quelqu'un qui vous guette, prêt à vous refiler sa déprime et à vous engluer avec son petit quotidien minable ou peu s'en faut. Attention petite fille, il y a toujours un vieux ou jeune pervers, parfois marié, souvent puceau, qui ne cherche qu'à approcher le plus possible de la satisfaction libidineuse en discutant avec toi et plus même si aucune affinité. Attention à vous, ici ou ailleurs, quelqu'un va essayer de vous soutirer de l'argent, du temps, de l'attention, des minutes et des sentiments. Sous le simple prétexte qu'Autrui, il n'y a que cela de vrai. Ah ! Le beau prétexte ! Autrui ? Autrui ! L'Autre, nié comme jamais par l'altérité bien trop radicale d'internet. Pour vous le prouver dans le chapitre suivant, Edwood va devenir une femme. Et hop.
Et voilà, maintenant je suis une fille. Comment pouvez-vous, comment osez-vous, prétendre le contraire ? Je suis une fille, avec mes bonheurs de fille, mes problèmes de fille, mes pensées de fille, mon petit cur en sucre de fille. Tous les mecs derrière leur écran sont en train de fantasmer. Edwood, une fille ? A quoi ressemble-t-elle ? Est-elle libre ? Où habite-t-elle ? Quelle âge a-t-elle ? Et sa webcam, quand remarche-t-elle ? Et je vous passe les questions les plus vulgaires qui pourtant, je le sais bien, surgissent dans l'esprit des mâles en rut. Oui, je suis une fille. Les gens qui me connaissent me trouvent vraiment pas mal, peut-être un peu trop maigrichonne, mais je m'aime bien telle que je suis. Suis-je libre ? Comme l'eau claire du torrent quand la glace de l'hiver montagnard commence à fondre au soleil du printemps naissant. Mon domicile ? Partout et nulle part, essentiellement dans votre imagination. Mon âge ? Voilà bien quelque chose qui n'importe qu'aux mecs. Plus elles sont jeunes mieux c'est, n'est-ce pas ? Et bien alors, juste pour le principe, je suis trop vieille pour vous. Quant à ma webcam, elle finira bien par arriver. Et elle sera payante. Parce que je sais gérer mon image au mieux. Alors si vous voulez voir ce qui se cache sous les jupes plissées d'Edwood, il faudra banquer. Et pas qu'un peu. Mais ça en vaut la peine. Croyez-moi. Mais je me sens d'ailleurs tout à l'étroit dans mes sous-vêtements. Je vais donc les ôter pour passer au paragraphe suivant et redevenir un garçon plein de verve et de frustration.
Ah, et bien me revoilà, Edwood, le mâle, déception au sein des homosexuels refoulés ou avoués des deux sexes. Enfin, parfois, je ne sais plus très bien moi-même. Suis-je donc véritablement la lesbienne que j'ai toujours avoué être ? Après vérification, il sera toujours possible de revenir à la case départ sans passer par la prison et en touchant, non pas 5000 euros, mais bien ma lampe de poche. Je me sens outré par tant de vulgarité, soudainement. Mais je voulais vous montrer les plaisirs cachés du web où rien ni personne n'est entièrement ce qu'il n'est pas tout en étant parfaitement le même que s'il n'était pas véritablement différent. Le contrat entre vous et moi, c'est que je vous dis la vérité, rien que la vérité, toute la vérité. Et bien ce contrat je le brise à cet instant. Et je le prouve.
Me revoici Edwood, la demoiselle de vos curs. Et si, enfin, je faisais mon coming out en vous avouant que depuis le début je suis une fille. Une fille qui ne jure que par Faye Wong et Sherilyn Fenn, mais bon, une fille quand même. Qui porte des pulls angora roses et des bas résilles. Et qui fait le Time Warp encore une fois. Juste comme ça. Pour le plaisir absolu. Mais vous qui me lisez, vous le savez parfaitement, je ne suis pas une fille. Et j'en suis très vexée. Que vous pensiez cela, pas que je ne le sois pas, pffff, faut suivre alors. Ah, ça y est, je me mets à parler comme une fille sur le web. Je sens une grande crise de smileys aiguë monter en mon sein. C'est atroce, cela grouille de points de suspension, de virgules et de parenthèses à jamais inachevés ou violemment fermées devant tout ce qui aurait pu être. En effet quand on commence par : on s'attend à ce que quelque chose soit annoncé, développé, avoué, donné. Mais non, au mieux les : sont suivis du - qui annonce la parole retranscrite, le dialogue en général. Bref, souvent les deux points prometteurs laissent espérer la naissance de la discussion. Mais non ces deux points ne sont qu'illusions car aussitôt surgit l'infamante parenthèse. Soit fermé ), soit ouverte (. Mais qui ne même à rien dans les deux cas. La parenthèse vient tuer les belles promesse et réduire à néant le discours. Le smiley est la mort du discours, la mort du sentiment, à défaut de la fin du sens. Car Dieu sait que le smiley en détient du sens. Mais Dieu sait aussi que l'on s'en fout de ces générations d'abrutis chroniques qui correspondent par onomatopées, symboles rachitiques et abréviations consternantes. Non, je n'ai pas envie d'aller chercher le sens dans vos discours imbitable, dans votre jargon souvent informatique qui crée un élitisme de bazar, encore moins respectable que l'argot de banlieue. Vous pouvez ramener votre vocabulaire tribal, souvent limité à coller quelques lettres dans le but de représenter je ne sais quelle technologie déjà ringarde, vous pouvez le ramener oui, il ne vaut pas plus qu'un "NTM" ou qu'un "P'tain sa race", autrement plus signifiants et sympathiques au demeurant qu'un "LAN" ou qu'un "MIRC". Mais je m'emporte, tout le monde va dire que j'ai mes "humeurs". Alors pour vous éviter de sombrer dans la misogynie mesquine, forcément mesquine, je file redevenir l'homme que j'étais encore il y a quelques minutes.
Sans aller aussi loin que mon équivalent féminin, j'avoue être entièrement d'accord avec elle. L'abus du texte n'a jamais été aussi bien représenté que sur internet. Tout est possible et personne ne s'en prive. De l'abréviation grotesque au délire de verbiage complaisant qui ne cesse d'étaler des lignes et des lignes de métaphores qui feraient bien rire ma concierge, tout est là, en gros, en gras, en italique et de préférence en tout petit, minuscule, de moins en moins lisible, de plus en plus apte à nous niquer le peu de performance visuelle qu'il nous reste après l'abus de F-Zero sur SNES. Le discours se fait tellement mesquin et insignifiant qu'il se fait dans sa forme même tout aussi mesquin. De plus en plus petit, de plus en plus écrasé, de plus en plus invisible, comme conscient de son inutilité et essayant ainsi de faire pardonner son existence que l'on aura oublié dès demain. Mille et un Proust aux petits bras surgissent quand le soir vient et disparaissent au point du jour. Autant de personnes, oui, des personnes qui se rabaissent au rang de simples individus, chair virtuelle pour les boucheries des statisticiens et des hit-parades. Des personnes de chair et de sang qui transforment leur existence, qui leur paraît si médiocre, en verbiage encore plus médiocre. Le nivellement vers le bas ne cesse de sévir. Et il n'est jamais trop tard pour s'en rendre compte. Et je ne vous parle même pas de ceux qui se contentent de lire. Non, tiens, je ne vous en parle même pas.
D'ailleurs pourquoi me lisez-vous là ? Je sais je répète ça à chaque fois. Mais bon. Ah oui, au fait, je suis toujours un homme, là. Au cas où. Vous savez, je ne suis qu'un de plus parmi des océans d'autres. Pour peu que vous maîtrisiez un peu l'anglais ou d'autres langues, vous multipliez vos chances de trouver d'autres Edwood, d'autres personnes qui déblatèrent pour rien. Car moi aussi je ne suis qu'un affreux qui veut refiler sa déprime (quoiqu'à cet instant je pète bien la forme et je suis plutôt d'humeur exceptionnelle, mais bon, je ne sais pas si je vais arriver à vous transmettre ma joie de vivre ainsi, et si on allait prendre un verre plutôt ? (et pas de gag avec "plutôt", "mickey", tout ça, tout ça !)). Je suis aussi un vieux pervers libidineux, marié ou non, ça ne vous regarde pas, bon sang. J'aimerais bien vous soutirer de l'argent, mais je ne peux point. J'aimerais aussi vous coller dans mes stats, mais je m'en fous en fait. J'aimerais, comme des millions d'autres, vous prendre votre temps, vos minutes, un peu de votre vie, vous prendre tout cela pour l'ajouter à mon temps, à mes minutes, à ma vie. Comme un grand lien merveilleux avec Autrui. Un putain de lien virtuel, merde, crotte alors ! Cette saloperie de lien virtuel qui fait que vous me lisez, bien sagement, sans que jamais je ne sache quoi que ce soit de vous et que finalement vous ne sachiez pas tant de choses sur moi que cela. Ce lien, ce n'est pas la Force, croyez-moi, ni le cycle de la vie ou je que sais-je encore. Ce lien c'est du rien, du vent. Sur internet les écrit ne restent pas ! Cela vous apprend l'humilité après tout. La disparition de l'uvre au sens le plus noble possible. Demain, internet peut avoir disparu et tous mes textes avec. Tous les textes, tous ces textes inutiles qui retourneront dans l'oubli. Internet n'est ni un livre, ni une toile, ni une pellicule, internet c'est un espace qui n'existe pas et je suis là sans être là. Tout peut disparaître immédiatement. Il suffit que Wanadoo efface mon compte. Et hop, en un clic, il ne restera RIEN d'Edwood. Qu'il soit homme ou femme n'aura finalement eu que peu d'importance. Vous allez me dire : un livre ça brûle, c'est tout aussi peu sûr qu'internet. Et vous aurez raison. Mais aucun d'entre nous ne vivra suffisament longtemps pour savoir si internet va tuer le livre. Permettez-moi juste cette opinion (oh mon Dieu, une opinion !) : le livre va tous vous niquer jusqu'à l'os !
Alors, oui, parfois on se dit, un peu prétentieusement, beaucoup même, que certains d'entre vous se souviendront de moi. Mais de quoi vous souviendrez-vous ? Vous ne me connaissez pas. Je ne ressemble à rien. Mes opinions et mes avis ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan de Solaris. Votre mémoire visuelle se souviendra de lettres blanches sur un fond noir ? Vos oreilles retiendront-elles mes musiques midi ? Votre esprit sera-t-il à ce point marqué par le fait que je hais Pink et que j'adore des films obscurs dont tout le monde se fout ? Et votre cur ? Votre cur n'a pas assez de place pour aimer un nombre indispensable de personne (soi-même, un peu de famille, une moitié, quelques amis, quelques modèles). Et je ne suis pas vous, je ne fais pas partie de votre famille, je ne suis pas votre moitié, je ne suis pas votre ami (ou vraiment exceptionnellement, pardonnez-moi les amis), et je ne souhaite en aucun cas être votre modèle sous ce patronyme ridicule d'Edwood. Qui rappelons-le appartient à une vraie personne, un metteur en scène très nul mais très touchant, qui lui, peut être un modèle. Alors je ne suis rien pour vous, ou si peu, un passe-temps. Mais ce temps que vous passez là. Il nous rapproche et nous unit brièvement. Virtuellement. Et comme nous ne pouvons pas avoir mieux nous nous contentons de cela.
Mon pied dans la gueule oui ! On peut avoir mieux ! Et se contenter de tout cela est intolérable ! De temps en temps, oui, ce lien virtuel fait du bien. Comme un petit coup de fil à un parent éloigné, comme un mail à un ami, comme le regard que l'on porte sur une vieille photo. Mais la vraie vie, merde alors, ce n'est PAS la littérature virtuelle. Et d'ailleurs ce n'est pas la littérature tout court. N'en déplaise aux innombrables proustiens précocement gâteux qui hantent le web. La vraie vie n'est nulle part en fait, puisque chacun choisit SA vraie vie. En tout cas, je vous donne mon avis très subjectif. La vraie vie est ailleurs. Pour Dame. Bien sûr.
Ah oui, un petit coucou du Edwood fille, parce que comme je suis une fille, je suis aussi très sentimentale, alors comme ce soir on fait dans le sentimental, je ne voulais pas partir sans vous dire au revoir et vous faire plein de bises et des poutous et.... :
- Oh tais-toi donc un peu !
- Bouh que tu es méchant parfois !
- Oui, mais tu es vraiment lourde là !
- Et toi t'es qu'un plouc !
- Lesbienne !
- Travelo !
- Et j'en suis fier !
- Moi aussi !
- Bon Ed ?
- Oui Ed ?
- On fait la paix ?
- Hum...
- On va quand même coucher ensemble ce soir non ?
- Ah ça...
- Bon alors, on s'embrasse ?
- Ahlala, je me fais toujours avoir par ton charme...
.....
- Mais quand même...
- Oui ma chère Ed ?
- Je t'emmerde.
Edward D. Wood Jr. ("Quand je pense à Fernande, je bande, je bande...")