Edwood Vous Parle

 

 

 

La misérable existence des mathématiques

 

 

 

        Cela peut sembler une excuse facile, mais il n’est pas aisé de faire survivre Edwood Vous Parle dans les temps sombres de la dictature des blogs. Plutôt que d’être comparé à l’ennemi, je préfère me taire. Quand on me dit : « ah dis donc, il est pas mal ton blog », des pulsions meurtrières montent en moi, je deviens encore plus méchant que d’habitude. Cela peut avoir son charme, mais ça fait dépenser de l’énergie en vain.

 

        Vous me direz : « quel prétexte idiot que celui-ci, encore pire que d’habitude ». C’est assez vrai. Car je manque aussi de temps, voyez-vous, car il en faut pour écrire dans le vide. L’autre jour, au bord de la piscine d’un hôtel quelconque, partageant un rafraîchissement anodin avec une star banale, la discussion tournait d’ailleurs autour de la nécessité de répondre aux exactions par l’inaction. Probablement en clamant partout que le bombardement du Sri Lanka n’est pas une priorité de la lutte contre les méchants internationaux. Sage pensée, que l’on pourrait difficilement croire issue d’une star banale. Mais elle devait sans doute être aidée par l’appui d’une oreillette discrète, dans laquelle murmurait une attachée de presse rôdée aux réponses toutes faites, susceptibles de plaire aux journalistes français, ces sales gauchistes qui n’ont que les droits de l’Homme et la tolérance à la bouche.

 

        Ce qui est très exagéré. Un peu de répression n’a jamais fait de mal à personne. Ou alors juste un tout petit peu, rien de très notable sur l’échelle du temps universel. Un peu de privation de liberté, un peu de torture, quelques dénonciations, des activités saines d’une démocratie florissante. Comment refuser le bonheur fondé sur des bases aussi communément partagées et acceptées ? Ce serait cracher dans la soupe. Et nous ne pouvons encourager de telles pratiques à une époque où la moitié de la planète rêve toujours d’avoir seulement une soupe dans laquelle cracher. Pensez-y et culpabilisez. Ca vous occupera cinq minutes. Pendant les vacances.

 

        Beaucoup d’entre vous passent les congés payés soit à s’ennuyer, soit à se fatiguer bêtement avant de reprendre le boulot, épuisés. Dans les deux cas, ce n’est pas très productif. Sans pour autant faire un grand travail intellectuel sur l’acceptation d’une nuisance joyeuse de son prochain, régulée par la globalité de la société, vous pouvez au moins laisser tomber ce sudoku et vous élever vers des sphères plus nobles. Le jeu des 7 erreurs, par exemple. Au hasard.

 

         J’en parlais l’autre jour avec une star quelconque, au bar d’un palace anodin devant un bol de cacahuètes fraîches de la dernière guerre civile. Jouer n’a de sens que s’il n’y en a pas, de sens, voilà ce qui était posé au départ, à l’origine. Ce qui aurait pu donner de la noblesse au sudoku, car rien n’est plus insensé que les jeux de chiffres, création sordide, repoussant les limites de l’horreur trop loin pour qu’on puisse les apercevoir depuis cette rive. Non, non, c’était impossible, aucune noblesse ne pouvait être issue de processus médiocrement dérivés des mathématiques. « Les mathématiques sont l’antithèse de l’esprit aristocratique », telle était ma thèse. La célébrité insignifiante n’était pas difficile à convaincre, même si elle s’accrochait à l’argument dérisoire selon lequel de magnifiques accomplissements humains sont tirés de la pratique des mathématiques. Ah, oui, justement, cela est bien la preuve du caractère profondément méprisable de la manipulation des chiffres. Des accomplissements ! Que c’est bas, que c’est ridicule. Brisons-la cette discussion.

 

        A la tombée de la nuit sur la plus laide des plus belles avenues du monde, les mathématiques errent sans but, contemplant les boutiques qui s’illuminent. Derrière leurs lunettes de soleil, leur regard se fait fuyant. Les touristes les évitent, les enfants leur jettent des emballages de fast-food vides. Elles remontent et elles redescendant l’avenue, sans but, si ce n’est celui de se faire ramasser par un inconnu pour la nuit. Un bar, quelques verres, un taxi et l’amour glauque dans un lieu commun. Au matin les mathématiques ont la gueule de bois. Il faut pourtant aller accomplir de grandes choses pour la science et l’humanité. C’est triste, c’est pathétique. Il n’y a rien à admirer là-dedans, à peine une part de grandeur dans la misère. Voilà en quoi le sudoku, non, je vous l’assure, n’a rien de noble. Bien au contraire.

 

 

Edward D. Wood Jr. (are we facing the end of all the medicine we're taking ?)