Edwood Vous Parle

 

Nocturne

 

 

"Tout raisonnement se réduit à céder au sentiment"

Pascal

 

 

        Se poursuivant sans cesse et se construisant sans répit, l'existence ne tend qu'à faire tenir un lapin dans une bouteille. J'en suis persuadé et je l'entends d'ici. Voyez comme le monde s'écroule en permanence sans pourtant jamais s'effondrer. Un jour sans doute, il tombera en miettes. Les atomistes avaient raison depuis le début. Tout est éternel que si rien n'est éternel. La fin est la condition nécessaire et incompressible à l'infini.

        Dans la boulangerie, la musique de Noël en midi n'est plus. Il est tard dans le début de l'année. Il a neigé hier. En fait, non. Mais c'est tout comme. Quelques pigeons maladifs se traînent sur le trottoir. Ils sont grands dans leur souffrance. Mais pas comestibles. Il faut parler de ce que l'on connaît. J'en connais une bien bonne. Et ce n'est pas, ouf, pas encore une fois, Sherilyn Fenn. Non, j'en connais une bien bonne qui sonne un peu comme cela : ding ding ding.

Il est trois heures.

 

        Nocturne, ce n'est pas que le titre du live des Banshees. C'est aussi un joli terme pour parler de ce qui peut se passer le soir. Vous savez, quand on fait durer la journée, une fois la nuit venue. Un Edwood Vous Parle en roue libre, là, par exemple. On se retrouve en bas pour la signature.

 

            Un chien a mordu quelqu'un tout à l'heure. Je n'aime pas les chiens. C'est une affirmation sans nuances, je l'avoue. Peut-être que j'aime un peu les chiens quand même. Certains chiens. Parfois. Mais pas souvent. Voire jamais. Non, je n'aime pas les chiens. Ils ressemblent trop aux humains. J'aime les chats. Mais on s'en bat. Je me demandais si on aurait un jour des machines à cloner à vitesse super rapide. "Pong !" Un clone ! "Pong !" Un autre clone ! "Pong ! Pong ! Pong !" Plein de clones ! "Pung !" Un clone un peu raté, mais il est tellement mignon ! Ce serait ridicule et nous serons tous morts avant. Il arrive toujours un moment où l'on revient six pieds sous terre. Millenium Mambo, c'est chiant.

 

        Se renier chaque jour, ne faire que semblant d'exister, avoir l'impression de vivre en se passant à fond Summer Here Kids de Grandaddy, puis dormir. Naviguer entre joies qui devraient être immenses et qui ne sont plus que lointaines et tristesse récurante et qui récure. Se demander : pourquoi ? Et se repasser Summer Here Kids. Se dire que l'on perd son temps. L'instant d'après, se dire que cela en vaut la peine. Se relever. Se coucher. Se passer Black Letter Days. Se relever. Ecouter Seconds de Pulp. Se recoucher. Marcher un peu, sur un mètre ou deux. Retourner ici. Et ne pas aller là. Monter un peu le volume sur Summer Here Kids. Ecrire quelque chose de ridicule pour passer le temps. Faire illusion. Monter le volume sur Leave It Open de Kate Bush. Lire un truc sur Frege. Se rappeler des souvenirs lointains. Lire un truc sur Russell. Se dire que ce n'est pas si lointain, en fait. Ecouter du Schubert. Se sentir bien. Enchaîner avec Man Of Steel. Se sentir encore mieux. Faire une pause. Inventer. Trouver un nouveau piège pour la réalité. Envoyer tout balader. Ecouter Deep Fried In Kelvin de Pulp. S'endormir un peu. Mettre le son trop fort sur Summer Here Kids. Retrouver le sourire. Déjà l'instant s'achève. Feuilleter un épisode de The Swamp Thing. Penser vaguement à Husserl et à Pythagore, sans bien savoir pourquoi. Se dire qu'Alan Moore est le nouvel Edgard Poe. Etre heureux en sachant pourquoi. Mettre Under The Western Freeway en boucles. Baisser un peu le son. Le monter sur Summer Here Kids.

 

        La mise en scène, le jeu, l'illusion, on n'a pas attendu David Lynch pour connaître cela par coeur. La mise en scène, c'est beau, c'est grand, c'est sophistiqué. En ce moment même, tout n'est qu'illusion. Pour preuve, ce Nocturne est rédigé en pleine journée (il est 12h pile, mais vous pouvez ne pas me croire). La mise en scène pour rendre le monde meilleur, plus présentable, plus vivant. Mais quand on soustrait tout cela, le plus important n'est pas seulement de savoir de quel côté du parapluie on se tient, non, le plus important est de voir que nous sommes tous égaux. Il ne reste plus rien de la belle construction. Poum ! Badaboum ! La réalité sans maquillage, nue, dépouillée, pauvre et virginale. La réalité hideuse, immonde, abjecte, belle à mourir. Toute mise en formes du sentiment est déjà du raisonnement. Et lorsque l'on cherche le sentiment brut, c'est l'horreur, l'effroi, l'angoisse et l'essence même du bonheur qui nous serre dans ses bras. Le sentiment dans sa pureté, apeuré et terrifiant, immobile et tremblant comme un plan de Tarkovski. Le moment gai où l'on a envie de revoir du Pialat, qui l'eut cru ? Se compliquer ne sert à rien, car oui, finalement, il faut toujours être du bon côté du parapluie.

 

Ding ! Ding ! Ding ! Ding ! Ding ! Ding ! Ding !

Il est... euh... laissez-moi compter... Il est sept heures !

Dormez-en paix braves gens !

 

Il y a du soleil aujourd'hui. Passer l'aspirateur. Et remettre Summer Here Kids.

 

 

Edward D. Wood Jr. ("Et le lynx, qui demeure dans la tombe pour l'éternité, en sortit, et il se coucha aux pieds du Démon et il le regarda fixement dans les yeux.")