Edwood vous parle du
Débat d'Opinions
Le débat d'opinions est une chose méprisable. Et ce, à bien des égards. Déjà, dès l'intitulé, le terme "opinion" entre en jeu. Et l'on sait que l'opinion est une affirmation subjective, dogmatique qui n'est en rien une thèse argumentée. Ce qui prouve que l'opinion, il vaudrait mieux se la garder pour soi. L'opinion, et son fidèle complice, l'argument d'autorité, sont un couple de tueurs sournois, qui ne cessent de traquer la veuve et l'innocent (ce qui est loin d'être la même chose, mais ce n'est pas la question). C'est toujours à peu près la même histoire ("Edwood, une histoire ! Edwood, une histoire !" Oui, oui, asseyez-vous les enfants, je chausse mes lunettes et nous y voilà. "aaaahhhh !")
Prenons une situation de la vie ordinaire, classique, banale, là où l'on ne s'attend pas à ce que la violence et l'effroi viennent insérer profondément leurs mandibules dégoulinantes de bave acide. Vous discutez avec l'un des vos amis (nous supposons que vous avez au moins un ou une amie, oui, je sais, ce n'est pas évident). Discussion habituelle entre ami : l'esthétique freudienne est-elle compatible avec l'éthique lacanienne ? Mais on me dit dans l'oreillette que ça ne va pas comme sujet. Bon, c'est vrai que ce n'était pas très crédible. Donc, vous discutez du dernier film de Claude Lelouch (pour faire plaisir à un fan célèbre du Professeur Rollin). Vous, qui me lisez, vous n'êtes pas du genre à être fans de Lelouch ou alors je me demande bien pourquoi le videur ne vous a pas déjà mis à la porte de mon site.
Donc, en toute bonne foi et assuré par un bon goût et un minimum de connaissances artistiques voire cinématographiques, vous démontrez avec une argumentation sans faille, que le dernier Lelouch, bah oui, mon pauvre, que veux-tu, c'est de la merde. Imparable, évident, idée innée, data hylétiques, etc... Ce n'est pas une opinion, c'est une argumentation, une thèse, que dis-je une thèse ! C'est une pénin... euh... c'est une vérité universelle et nécessaire ! La Terre tourne autour du soleil, la mer est salée, le dernier Lelouch est une merde, c'est comme ça et puis c'est tout. Induction ou pas, c'est comme ça. Voilà, quoi. Bon, OK, je vous ai passé l'argumentation, mais ça aurait fait trop long.
Mais ! Car il y a un mais, sinon tout cela se serait bien fini. Une happy-end. Mais non, ce ne sera pas un happy-end, comme elle dit. Mais ! Votre ami n'est pas un porte-parole du bon goût, votre ami (?) n'est pas acquis d'avance, votre ami ne connaît pas ses tables de multiplication, votre ami ignore ce qu'est une vérité universelle et nécessaire. Bref, votre ami est un abruti mais surtout, votre ami a une opinion. Oui, votre ami est méprisable, mais c'est votre ami alors, moi, ce que j'en dis... Donc, vous venez de finir l'exposition de votre thèse, et il faut dire que c'était tellement brillant qu'on se demande pourquoi on ne vous apporte pas un Doctorat de Cinéphilie sur un plateau plaqué or et avec du persil autour (pour faire joli). Et là, horreur, malheur, là, nous entrons dans un monde où tout est pareil que comme si c'était différent. Passé cette limite, vous pénétrez dans un univers étrange, effroyable, incroyable, beyond your imagination, vous entrez dans le monde réel (tadadam ! tadadam !)
Et là, dès la frontière passée vous êtes assailli par votre ennemi héréditaire, la veule opinion. Elle est là, en face de vous, elle grogne, elle agite ses tentacules, elle siffle, elle entame sa danse de mort, vous êtes perdu, si jamais l'innommable argument d'autorité est aussi dans les parages, je ne donne pas cher de votre peau. Fuyez ! Fuyez ! Faites un jet de sauvegarde et un jet de dextérité pour voir si vous échappez à son crachat de venin acide. Trop tard, vous êtes pris ! C'est fini, c'est affreux, l'opinion vous tient entre ses griffes sanglantes. Car il semblerait que votre ami ait prononcé ces mots : "le dernier Lelouch il est vachement bien." Vous sentez la morsure de l'opinion dans votre cou, déjà son venin sulfureux se répand dans vos veines, le froid glacial envahit votre corps. En un ultime geste d'auto-préservation vous murmurez un "quoi ?" éberlué. Mais il est déjà trop tard et vous refusez les faits. Le monde réel va vous faire la peau, il va vous scalper, et il se fera un collier avec les os de vos orteils.
"Si, si, je t'assure, il est vraiment bien le nouveau Lelouch, la preuve..." Et là le temps se fige. Vous êtes entièrement paralysé, c'est affreux, franchement, les personnes sensibles devraient arrêter de lire, parce que bon, ça va devenir vraiment ignoble, là, je vous aurais prévenu. L'opinion vous enserre dans ses tentacules et ses gigantesques pattes arachnoïdes. Vous ne pouvez plus bouger, mais vos organes sensoriels sont encore actifs, et je ne vous parle même pas de votre cerveau, qui fonctionne à plein régime, cherchant par une ultime concaténation de raisonnements à s'arracher à l'emprise de l'opinion. Le combat de la raison contre la force animale. Combat bien inégal. Rien ne pourra vous sauver et pour cause, ce n'est pas fini. Vous êtes déjà bien mal en point. Vous contemplez les mandibules géantes et ignobles de votre ennemie qui claquent devant vos yeux. Vous entendez votre squelette lentement broyé sous la puissance de la Bête, vous entendez cet étrange bruit de succion, un bruit terriblement humide, tellement humide. Vous sentez l'odeur de la salive dégouttante. Vous goûtez votre propre sang qui commence à se répandre dans votre bouche. Et surtout vous touchez la Chose, ce contact qui brûle. Vous vous croyez perdu et vous avez raison, mais le pire est à venir. Car il manque la preuve. Et c'est là que l'argument d'autorité, celui qu'il ne faut pas nommer (ah zut, tiens !), entre en piste.
"La preuve : Nagui l'a dit à NPA hier soir !" Il surgit bien évidemment dans votre dos. L'argument d'autorité n'attaque jamais de face. Il est lâche, brutal, vicieux, plein de haine. Et là, vous avez une fraction de seconde pour l'anticiper, cette fois, ça va faire vraiment très très mal. Vous entendez son cri effroyable qui traverse mille et une dimensions du temps et de l'espace : "NNNAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAGGGGUUUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !!!!!!!!!!!" Un cri plus ancien que le monde lui-même, un hurlement qui fait frémir tous les peuples de l'univers, des homards aveugles de la lune de Coriassandre aux blobs mous du système de Yurtio. Tous sont terrifiés et tombent à genoux dans une position dérisoire de prière à leur Dieu protecteur. Mais rien ne sert d'implorer le grand Thymbhur Thonne, l'Omniscient Grand Lapin Vert ou le très sage Ha Phaixeu-Tuineu, l'argument d'autorité n'a ni dieu, ni maître. Il est libre, Max... Enfin, je me comprends.
La douleur est fulgurante, inconcevable, intolérable. Son terrible dard perforant, aiguisé comme un Laguiole, large comme un pot d'échappement de Jacky, vient de vous pénétrer par un des sept orifices du corps humain, que la décence m'interdit de nommer en ces lieux, mais je peux vous garantir que ça doit faire mal surtout si on a des hémorroïdes. En un instant sa terrible arme déchire et malaxe, elle remonte rapidement le long de l'abdomen, perforant les intestins sans même être incommodé par l'odeur fétide qui s'en dégage. Et déjà elle traverse l'estomac et s'attaque aux poumons. A l'instant où vous allez commencer à vomir vos viscères, l'opinion, que nous avions presque fini par oublier, pose sa terrible gueule sur votre bouche en enserrant votre tête dans ses terribles mandibules. En un baiser passionné, elle bloque votre crise de vomissements de sa gigantesque langue purulente qu'elle enfonce profondément dans votre gorge, comme si elle voulait ainsi rejoindre le dard de son partenaire.
Bon, je voudrais pas dire, mais en écrivant tout ça je suis en train de manger et ça commence à devenir vraiment craignos cette histoire. Non, mais quand même, vous pourriez choisir vos amis un peu mieux, enfin ce que j'en dis, quoi. De toute façon, au point où vous en êtes, votre corps convulsionnant n'est pas dans un super état, je ne vais pas vous le cacher. Même si vous arrêtez de fumer maintenant, j'ai peur qu'il n'y ait plus grand chose à faire. Mais votre cerveau fonctionne encore, vous voudriez tant réagir, mais vous ne pouvez pas, vous êtes là, impuissant, perforé de toute part, secoué par mille spasmes inédits, et "Nagui l'a dit". Il est donc temps d'arriver aux conclusions.
Dans cette affaire vous avez :
- Démasqué un faux-ami, c'est le point positif.
- Roulé une pelle à un monstre lovecraftien, il y en a qui apprécie, alors bon, on va mettre un +/- suivant les sensibilités.
- Eté sodomisé par un laguiole géant, il y en a aussi qui aime, donc +/-
- Ridiculisé par un animateur de Canal +, bon là, c'est un gros -, plus gros que ça encore -
- Vaincu par un suppôt de Lelouch, tiens, tu l'as vu mon gros -
Donc, dans l'ensemble c'est le négatif qui l'emporte de façon assez conséquente. Et encore, heureusement que c'était pas un suppôt de Luc Besson, parce que là... non... j'ose même pas y penser... Bon, ça y est, vous avez compris pourquoi le débat d'opinions est une chose horrible, hein ? Je crois que c'est clair... Parce que bon, au final, vous avez aussi la possibilité de vous sortir de l'emprise des monstres à la solde du populisme pour mettre un grand pain dans la gueule de votre faux-ami. Mais même si ça ressemble à une happy-end, c'est quand pas très joli-joli, d'un strict point de vue argumentatif, s'entend bien...
CQFD