Edwood Vous Parle
Voilà l'été
Tout le problème des chroniques saisonnières conçues pour durer, c'est que l'on a trois chances sur quatre que le lecteur ne se situe pas à la bonne période de l'année pour savourer la prose du chroniqueur saisonnier. En clair, vous serez nombreux et nombreuses à lire ces lignes en plein mois de novembre et vous aurez l'impression que je me fiche assez cruellement de votre être transi par le froid perçant de l'hiver naissant. C'est dans cette optique et uniquement par un soucis altruiste qui ne cesse de me surprendre ("Bouh !"... Ah ! Que je suis surpris par mon soucis altruiste, le coquin !), que je vais donc ne pas évoquer l'été qui approche. En effet, en n'évoquant pas l'été j'évite le piège du discours trop circonstancié, à peine écrit déjà bon à jeter, et puis, en vérité, il faut l'avouer, je n'avais pas grand chose à raconter sur l'été. La canicule, tout ça, blah-blah-blah, la plage, les cancers de la peau, tout ça, blah-blah-blah. Je l'ai déjà fait plus d'une fois en six ans (6 ans !). En même temps, lorsque l'inspiration manque, saisir au vol un sujet d'une banalité confondante (mais point trop n'en faut) permet parfois de trouver le fil palpitant d'une aventure littéraire hors normes.
Comme nous sommes habitués à oeuvrer dans la démesure, l'inédit, le définitivement "bigger than life", chez Edwood, nous allons évoquer les fruits confits. Sujet pour le moins dense et collant, apte à fasciner aussi bien l'adolescent avide de sensations que la ménagère de moins de cinquante ans qui aimerait bien apprendre une nouvelle recette de cake aux fruits confits propre à impressionner ses copines lors de la prochaine réunion Tupperware®. Le fruit confit se présente sous la forme d'un fruit, oui, nous pouvons dire cela, à peu près avec une certaine certitude. Un fruit, disons, même, parfois, souvent, ça dépend, sous la forme d'un fruit en morceaux. Donc, le fruit confit se présente sous la forme d'un morceau de fruit. Confit. Oui. Aller. Osons le dire. Il semblerait. Probablement. Que ce morceau de fruit soit, je crois, confit. Confit, que l'on retrouve dans confiture et qui évoque donc une matière gluante, collante, sucrée et douce qui fait surgir dans notre esprit dépressif les souvenirs d'une enfance heureuse et des soirées d'été, couché dans le foin avec les fruits confits pour témoins.
Le terme "été" s'étant insidieusement glissé dans le paragraphe précédent je me vois dans l'obligation d'en entamer un autre. D'une part parce que je n'aime pas que l'on se glisse insidieusement dans mon propos, surtout lorsqu'il est hautement passionnant et éducatif. Ensuite parce que si je commence à parler de l'été, en sombrant, de surcroît, dans un sentimentalisme dégoulinant, tel de la confiture, toute cette chronique va finir par ressembler à une longue lamentation vaguement poético-autobiographico-laborieuse. Et internet n'est-il pas saturé par les lamentations poético-autobiographico-laborieuses ? Lorsque le "moi" prend trop de place, il n'y a pas de plus grand plaisir que de le dissoudre dans un liquide des plus corrosifs.
Le problème de rédiger une chronique sur l'espace de plusieurs jours, ce que je ne fais jamais normalement notez-le bien, c'est que le ton peut en changer radicalement l'espace d'un paragraphe. Au moment où je vous ai laissé, au paragraphe précédent, il y a donc trois jours de ça, j'allais sans doute partir dans une énième diatribe contre les journaux intimes sur le web, sur ces ego qui s'exposent mais où rien ne s'échange à part soi-même envers soi-même ; et, à ce moment-là, mieux valait encore persister à enfermer son journal dans le tiroir du haut de la table de nuit ou, encore mieux, s'acheter un miroir et se parler, tranquillement, c'était finalement moins pathétique. Mais depuis le paragraphe précédent j'avoue que ce thème archi-rebatu, et qu'il me semblait avoir enterré depuis fort longtemps, me paraît d'un intérêt tellement relatif que j'ai presque honte d'avoir faillit le refourguer avec complaisance. Je ne suis qu'un affreux donneur de leçons, on le sait, et d'ailleurs cela fait bien longtemps que ceux qui n'aiment pas recevoir de leçons ont cessé de me lire.
Je voulais quand même parler d'intimité, pas de la mienne, vous vous doutez bien, mais d'intimité en général et de la volonté farouche de l'être humain résolument contemporain à l'exhibitionnisme bon teint. Internet nous aura au moins permis de nous offrir un terrain de jeu théoriquement sans limites pour nous montrer, là, sous toutes les coutures (une webcam, une prise USB et hop ! demain, j'enlève le bas !). Je dis bien : théoriquement. Vu qu'il paraît qu'une loi très très vilaine va désormais nous marquer à la culotte. Difficile avec moi, hein, pas con le mec, vu que j'ai enlevé le bas, hein, ça va être difficile de me marquer. A la culotte. Vous voyez, si c'est malin et si c'est drôle. Bon sang je me tourneboule de rire soudainement. Ouf. Que d'émotions. Donc, où en étais-je ? Ah oui, pour la 2455489e fois depuis que ce site existe, il paraîtrait donc que la liberté d'expression sur internet est en danger. Taiaut mes frères zet mes soeurs ! La liberté en danger ça sent le : No Pasaran ! à plein nez. En même temps, que voulez-vous que j'y fasse ? Moi, la liberté d'expression sur internet, je m'en sers copieusement, autant que je le souhaite et jusqu'à preuve du contraire je ne m'en suis jamais privé. Je n'en demande pas énormément, de liberté d'expression, si on y réfléchit bien, juste suffisamment pour me sentir à l'aise et pouvoir exprimer tout ce qui me passe par la tête, quand je le veux. Bien sûr, comme tout utilisateur habitué de la liberté d'expression je suis susceptible quand on me chatouille la prose. Mais, et jusqu'à preuve du contraire, personne n'est jamais venu me chatouiller ici, ici qui est un peu chez moi et c'est aussi un peu chez vous ce soir, en particulier ce soir où nous allons recevoir des dizaines d'artistes très très connus, qui vendent beaucoup de disques et donc, logiquement, ces gens sont bourrés de talents (et accessoirement d'argent, vu que talent = argent et réciproquement, vous pensez bien ! Ce qui suppose donc que mon manque de talent est insondable....). Où en étais-je ? Peut-être à un autre paragraphe.
Oui, donc, je disais, ma liberté d'expression est en danger. Du moins, il paraît. On va scruter mes mails, on va disséquer mes Edwood Vous Parle. Et je plains les personnes, et même les machines, qui vont s'atteler à une tâche aussi ingrate. Il y en a qui n'ont décidément rien de bien intéressant à faire de leur existence. Que moi, majeur et responsable, je choisisse de perdre mon temps à abuser de la liberté d'expression, c'est un droit que j'ai en tant que citoyen qui vote, qui trie ses poubelles et qui est poli avec la factrice. Mais que des personnes, payées par l'Etat, certes, soient obligées de lire mes mails privés pour y rechercher... y rechercher quoi au fait ? La question mérite d'être posée, ma foi, n'est-ce pas ? Car ma correspondance privée est-elle pire que ce que j'offre en public au peuple qui m'adore ? Est-elle plus subversive, dangereuse pour la société qui tremble devant ma prose ? Sans doute, vu que la loi autorise à éplucher mes mails pour se régaler de mon humour si piquant et des histoires pornos que j'adresse aux mineures qui me demandent des nouvelles de Charlie et la Chocolaterie avec Johnny Depp (il est beau Johnny Depp, alors, hein, il est beau).
Donc, des gens seront payés pour venir lire ici ou dans ma boîte aux lettres, tout ce que je pourrais dire de nuisible pour le monde libre. D'ici à ce que ma critique positive du très discuté (et discutable) Battle Royale 2 me fasse classer comme chantre du terrorisme, il n'y a qu'un pas, hautement subjectif, à franchir. J'en tremble, vous ne pouvez pas savoir. J'en tremble tellement que je viens d'en renverser mon verre. Vous voyez où l'insécurité et la paranoïa (indissociables) nous mènent ? Cet univers terrifiant, violent, dangereux, tout ça, est en train de me conduire vers un rouleau de sopalin susceptible d'éponger les dégâts issus de ma terreur face à la nouvelle loi qui permet de traquer le déviant jusque dans son courrier privé. Voyez-vous. J'en ai des choses à me reprocher si j'en renverse mon verre, métaphorique ou non, ça n'a peu d'importance, c'est un aveu ! Ce type n'a pas la conscience tranquille, il a quelque chose à se reprocher et il ira en Enfer pour cela.
Pour ma part, forcément marqué par le Jesus pouêt-pouêt gore de Mel Gibson, je dirais que celui qui n'a jamais pensé avec plaisir à la sodomie me jette la première pierre. Que celle qui n'a jamais jalousé autrui me jette la seconde. En même temps, honneur aux Dames, donc on inverse tout et on recommence. Donc, je disais. Que celui qui n'a jamais péché me jette son verre à la figure en me traitant de traître au Contrat Social. Dangereux subversif ! Oui, car ce monsieur se permet de dire que la liberté d'expression, lui, oui, il est prêt à en faire tout et n'importe quoi. A lui faire subir les derniers outrages s'il en ressent l'envie. Et même s'il n'est pas encore passé à l'acte, on devrait lui couper la tête. Par mesure de précaution. Sévir dans le doute, comme les Etats-Unis d'Amérique. Voyez-vous, il est possible, que dans le futur, ce monsieur, ce pays, ce peuple, s'avèrent dangereux pour notre sécurité. Pas sûr. Hein. Juste vaguement possible. Alors, quoi ? Alors : qu'on lui coupe la tête ! Et tant pis si on se trompe. Un tien vaut mieux que deux : tu l'auras. Ce qui est fait n'est plus à faire. Et tant va la cruche à l'eau, qu'à la fin elle se casse...
Alors ? Bien sûr, vous noterez le paradoxe de mon propos. D'un côté je radote que vous me faites chier avec vos journaux intimes (que je ne lis plus, mais je discute du sujet juste pour vous emmerder) et d'un autre je prône l'utilisation abusive de la liberté d'expression. Logique ? Oui. Car ce n'est pas moi qui vais vous empêcher de créer vos Skyblogs à deux euros, au contraire. J'encourage. Même si c'est nul. Vous feriez peut-être mieux de faire autre chose de votre existence, mais bon... Je ne fais que donner des conseils d'une sagesse renversante. Moi, je vous dis, vive le monde, vive la vie, vive l'amour ! Et tout ce qui va avec (la guerre, la mort, la chaude-pisse...). Je suis quelqu'un de tellement positif que je répands une douce joie de vivre partout où je vais (même dans les toilettes publiques). Ma compagnie est appréciée au-delà de ce que le vocabulaire humain compte de termes laudatifs (et même la langue charmante de nos amis flamands ne peut pas rendre compte de la grâce qui m'habite). Je finirais donc pauvre, malade, seul et inconnu. Et accro au chocolat.
Edward D. Wood Jr. ("There are consequences to breaking the heart of a murdering bastard")