Ghost In The Shell
Oui, je sais, ce film j'en ai déjà parlé, longuement, sur une page entière, pleine de lyrisme béat. Mais, il ne faut pas l'oublier, c'était il y a longtemps, au début de The Web's Worst Page, il doit bien y avoir cinq années de cela. Pas vraiment une éternité à l'échelle d'une existence cinéphile, mais la sortie prochaine de la suite de Ghost In The Shell : Innocence, m'a donné l'occasion de revoir, pas plus tard que hier soir, le film originel. Oh, cela ne faisait pas cinq ans que je ne l'avais pas vu, non, à peine deux ans, à tout casser. Mais au moment où Innocence s'apprête à faire exploser les standards esthétiques de l'anime, au moment où Oshii nous offre un approfondissement de ses réflexions métaphysiques sur l'avenir de l'humanité, que reste-t-il de Ghost In The Shell premier du nom ?
Tout d'abord, le frisson. L'émotion immense qui nous saisissait, sans que l'on comprenne bien pourquoi, devant l'intensité des images, de la musique, des situations, est toujours bien présente. Elle n'a pas diminué d'un souffle, d'un silence. Au contraire. Elle semble avoir augmentée au fur et à mesure que l’œuvre s'inscrit dans le temps, au fur et à mesure qu'elle nous est devenue familière. Les enjeux du film devenant peu à peu clairs au fil des visions, la portée de l’œuvre grandie. Et l'on réalise de plus en plus à quel point Ghost In The Shell est une œuvre parfaite, totalement idéale. Car c'est aux sens que s'adresse directement une scène telle que la traversée de la ville. Et c'est à la raison que parle les dialogues d'une richesse philosophique quasi effrayante. Raison et sentiments réconciliés devant Ghost In The Shell. En particulier lorsque les deux natures de notre être s'entremêlent, se complètent et s'enchantent mutuellement devant des séquences telles que le générique d'ouverture et son échos durant la plongée littérale de Motoko, puis sa plongée symbolique dans le Projet 2501. Mais tout autant devant le combat contre le tank-insecte (ou l'insecte-tank ?) ou devant ce final bouleversant qui positionnait déjà Oshii comme le plus digne des héritiers des Tarkovski, Bergman ou Kurosawa.
Ghost In The Shell côtoie bien souvent le sublime. En particulier lors des enchaînements de séquences, lorsque l'action reste en suspend, le plus souvent figée sur le regard vide et bouleversant de Motoko, l'un des plus beaux regards de l'histoire du cinéma. Durant ces instants, le silence se fait, et la musique de Kenji Kawaï, monte lentement, portée par ses percussions enveloppantes avant de s'envoler sur des chœurs ou des cordes synthétiques tétanisants. Le regard de Motoko Kusanagi. Au moment de son saut dans le vide, à son éveil, face à un être vivant devenu une machine, face à une machine devenue un être humain, face à la citée tentaculaire, réseau si vaste et infini, face à son doute, à sa pulsion de vie contrariée, face à l'éternité qui s'ouvre devant elle. Ce regard multiplie pourtant les handicaps. C'est le regard d'une machine. Un regard de "dessin animé" de surcroît. On pourrait croire que l'on n'a jamais été aussi loin de l'humanité que face à Motoko. Et pourtant, on n'a que très rarement été aussi proche au cinéma de l'essence de l'âme humaine (ou de son successeur) que devant Ghost In The Shell.
Certes, il y a peu d'action dans Ghost In The Shell, mais n'oublions pas que chez Oshii, pour ce qui est de l'action et du spectaculaire, moins c'est plus. Tellement plus. Ainsi, chaque coup de feu, chaque combat, chaque explosion, chaque instant de (très grande) violence ne frappe que plus intensément le spectateur. Ah, l’intensité ! J'emploie ce mot à tout bout de champ pour évoquer le cinéma d'Oshii. Mais n'est-ce pas la meilleure des définitions ? Car l'intensité est un concept avant tout intérieur. Le cinéma intense pour moi se retrouve plus chez Tarkovski (l'intensité des silences du Miroir ou des pièges inexistants de Stalker) que chez tout le cinéma hollywoodien destructeur à grande échelle. L'intensité dans Ghost In The Shell c'est cette discussion sur le bateau au crépuscule. Lorsque toute la frustration existentielle de Motoko se dévoile dans son discours (secondé par un travelling compensé hitchcockien !) et culmine soudainement sur l'apparition d'une voix fantôme (ghost), rendant à la fois la scène angoissante, intrigante et d'une poésie inexplicable. Si je vous dis que cette fameuse séquence s'achève sur un regard de Motoko lancé vers la ville titanesque (et un souffle de vent que l'on ressent presque physiquement) et qu'elle s'enchaîne avec cette encore plus mythique scène de traversée du cœur de la ville sur la musique divine de Kenji Kawaï, vous comprendrez pourquoi je peux affirmer que Ghost In The Shell est l'une des œuvres cinématographiques les plus intenses de l'histoire du 7e art.
Malgré toutes ses (immenses) qualités, Avalon n'est pas parvenu à ce degré d'implication émotionnelle doublée d'un spectacle aussi intrigant, fascinant et grandiose. Oui, Patlabor 2 (d'Oshii) et Jin-Roh (d'un disciple d'Oshii) flirtent avec l'intensité du chef-d’œuvre du maître. Et nous sommes là dans un univers de chefs-d’œuvre plastique et thématique sans équivalent à l'heure actuelle dans le monde du cinéma Fantastique. Car, oui, je peux reprendre ce que je disais il y a 5 ans de cela. Ghost In The Shell est peut-être le plus grand film de SF de l'histoire du cinéma. Car il s'inspire de ses deux grands concurrents au titre, 2001 et Blade Runner, tout en offrant de nouvelles percées visuelles et spirituelles. Comme les deux références de Kubrick et de Scott, Ghost In The Shell ne cesse de fasciner dès la première vision mais ne cesse aussi jamais de nous échapper. On appréhende peu à peu ses méandres, mais on réalise à chaque vision à quel point l'ensemble, la portée de l’œuvre nous dépassent. Comme si Oshii, consciemment ou non, avait trouvé une clef vers des notions absolument transcendantes. Il pose alors des questions auxquelles il nous est à présent impossible de répondre. Le futur n'a jamais été aussi présent, d'une point de vue métaphysique et esthétique que devant Ghost In The Shell.
C'est donc bien peu de dire que l'attente face à Innocence est indescriptible. Il n'y aura pas de demi-mesure, il ne peut pas y avoir de demi-mesure, la suite de Ghost In The Shell se doit d'être supérieure à l'originale. Les premières images, les premières musiques laissent supposer, qu'au moins formellement, Oshii a réussi à se dépasser lui-même. Si le contenu est à l'image des images, Innocence sera certainement une œuvre encore plus sensuelle, transcendante, élitiste et intense que Ghost In The Shell. Il n'y aura définitivement pas de demi-mesure. Inutile de se voiler la face. Et d'essayer d'attendre le nouveau Oshii sans appréhension, inutile d'essayer de se protéger vainement contre une possible déception. Il n'y aura pas de demi-mesure. Car la tiédeur n'a pas sa place dans l’œuvre d'Oshii, un cinéma qui ne cherche pas à faire l'unanimité, mais qui cherche à nous amener plus loin, hors de nous-mêmes et donc au plus près de notre "ghost"...
The Powerpuff Girls - The Movie
Que pouvait-on attendre d'un très court long-métrage en forme de genèse de la série animée culte The Powerpuff Girls ? Les personnages de la série, déjantés et attachants, pouvaient-ils avoir un intérêt sur grand écran ? Le style graphique, extrêmement simpliste (mais ultra dynamique), tiendrait-il la route sur un format aussi noble que le 35mm ? Avant le début du film, on pouvait légitimement douter de l'intérêt d'un tel projet. Mais dès les premières minutes, le métrage adopte un ton mi-sérieux, mi-parodique et un rythme de cartoon très soutenu mais jamais fatigant. Et la première surprise de Powerpuff Girls The Movie, c'est qu'au lieu de miser sur l'hystérie, le film s'offre très souvent des pauses, des silences, du calme et surtout prend très à cœur la personnalité de ses héroïnes. Et si les scènes d'action sont parmi les plus grandioses que l'on ait vu dans un dessin animé, c'est bien l'émotion qui se dégage de l'œuvre qui étonne. En effet, The Powerpuff Girls n'est pas une parodie, c'est un vrai film de super-héros, avec un méchant follement charismatique et tragique (le monty-pythonesque Mojo Jojo), une ville à sauver, des héroïnes qui se questionnent sans cesse sur leur place et leurs responsabilités et un savant bienveillant et maladroit. Et tout cela avec tellement moins de blah-blah et de chichis que dans un Spider-Man ou un Hulk. Car le film est là pour divertir et atteint son but avec une maestria qui ne cesse d'émerveiller. On s'habitue très rapidement au dessin basique et on se réjouit du sens hautement cinématographique de la mise en scène. Chaque plan est un bijou d'efficacité et de construction. Chaque scène est un morceau d'anthologie. Et de toute façon Frank Black chante sur le générique de fin (avec l'un des sommets des Catholics, le fantastique Pray For The Girls).
Bref, on pourrait se moquer des Powerpuff Girls, mais on se rend très vite compte que l'on a rarement vu un film qui enthousiasme du début à la fin sans jamais décevoir une seule seconde. Qui répond et qui dépasse toutes nos attentes. Qui amuse avec un humour idiot mais raffiné et surtout qui émeut avec trois fois rien, tout en rendant un vibrant hommage à toute la culture Comics (comme dans la scène (magnifique) où les Girls s'exilent dans l'espace). Bref, The Powerpuff Girls parviennent à ravir le fan de Comics, de dessin animé, d'humour surréaliste, de cinéma qui décoiffe, de musique qui dépote, d'émotion toute simple au sein d'un film d'action énorme, que je suis. Je ne m'y attendais qu'à moitié, mais non seulement The Powerpuff Girls The Movie est un formidable anti-dépresseur à regarder, mais c'est aussi une oeuvre qui marque, qui se bonifie avec le temps qui passe. Avec l'image hautement touchante de ses trois petites filles extraordinaires, qui sont avant tout des petites filles qui aiment jouer avec leur papa et l'attendre le soir à la sortie de l'école. Un film adorable, un monument à la gloire des super-héros et de l'émerveillement le plus sincère. L'un des plus immenses petits chefs-d'œuvre qu'il m'ait été donné de voir.