Edwood vous parle des
Cinéphiles
Les cinéphiles, comme tous les fanatiques, sont des emmerdeurs de première (ou de studio, voire de Télérama). Je vais vous parler des cinéphiles car c'est un milieu que je connais bien, j'en suis un moi-même, mais par la grâce d'un adjectif accollé, cinéphage, j'essaie de contourner la malédiction inhérente à mon statut. Car, oui, je suis damné, j'aime, j'adore, je vis pour et par le Cinéma et je ne peux pas toujours éviter les affreux travers des affreux cinéphiles.
Le cinéphile est imbu de sa personne. Il connaît tout, il sait tout, il a vu tous les films, hélas et la chair est triste. Il détient le Savoir, il est l'ami de la Force, il lit Positif mais il pense que ce sont des abrutis, il lit Studio mais c'est juste pour s'informer, il donne son avis sur tous les films surtout ceux qui ne sont pas encore sortis. Il connaît tout les grands classiques par cur, alors que, bien évidemment, il n'en a pas vu le quart. Le cinéphile emmerde son monde et parfois il a des admirateurs et c'est là que cela devient horrible. Tellement horrible que je n'ose même pas en parler de peur de choquer les âmes pures qui me lisent. Bon, donc je vais en parler. Le cinéphile qui se croit écouté, qui pense qu'il peut avoir une influence, devient une sorte de monstre japonais géant, il écrase tout sur son passage, relève la moindre erreur de connaissance chez son interlocuteur. Engagez la polémique avec un cinéphile, commettez un lapsus malheureux (style : Citizen Kane date de 1942), vous êtes fichu ! Car le cinéphile est mesquin, il vous poursuivra de ses sarcasmes pendant des heures, des jours, des années entières.
Le cinéphile se la pète parce qu'il pense que d'avoir vu un Raoul Walsh période muette lui donne tous les droits. Il ne mentionne les titres de films qu'en VO, c'est affreux. Et des fois c'est grotesque, comme quand il vous sort des tonnes sur Hard Boiled ou Ashes Of Time (hé ducon, les titres VO ils sont en cantonais ou en japonais, pas en anglais !). Le cinéphile va bien souvent au cinéma pour se punir, il dissèque les films, il ressent vaguement des choses mais il a un irrépressible besoin de les analyser. Le cinéphile est un intégriste. Il se force à aimer des films qu'il faut aimer. Le cinéphile s'emmerde devant Vertigo mais le cinéphile doit aimer Vertigo. Le cinéphile s'amuse bien devant Ghostbusters, mais il ne faut pas aimer Ghostbusters. Ou alors le cinéphile aime tout n'importe comment et justifie cela avec des "critiques" à pleurer de rire. Le cinéphile aime le verbiage.
Le cinéphile passe son temps à se faire de l'auto-suggestion. "Il faut aimer tel film, il ne faut pas aimer tel autre. C'est provocateur d'aimer tel film, c'est consensuel d'aimer tel autre. Essayons d'être nuancé pour une fois, oui mais non. Tiens voilà mon top des meilleurs films du monde, ah zut il manque des films des années 30, rajoutons des films des années 30 !" Le cinéphile a vu Bad Taste et il a trouvé cela consternant mais bon comme il paraît que le gars a eu un prix quelque part pour un autre de ses films, on va trouver cela "prometteur". Le cinéphile adore Videodrome, mais chie sur eXistenZ, le cinéphile adore Fog mais trouve Los Angeles 2013 "foireux". Le cinéphile est ridicule.
Le cinéphile peut être bien pire. Il peut faire des études de cinéma. Dans ce cas là le cinéphile est une espèce fortement nuisible et il faut employer le remède radical : la tarte à la crème. Les zétudiants en cinéma sont l'élite, ils se la pètent, ils connaissent des films que le commun des mortels n'imagine même pas. Ah certes Bloodlust et Psycho Sisters ça leur passe un peu au-dessus de la tête. Mais pour eux le jeune cinéma qui est bien c'est La Vie Rêvée des Anges et Les Idiots. Mais bon c'est un peu osé tout cela, repassons nous Le Mépris image par image. Le plus grave problème en fait, c'est que l'on a au final beaucoup trop de réalisateurs cinéphiles. Et à la question : quels sont ceux qui aiment et qui respectent le plus le cinéma, les gens de la Femis ou ceux de Troma ? La réponse est d'une évidence qui va droit au coeur. "Who needs a 200 millions $ film anyway ?"
Affirmons le une bonne fois pour toute : le cinéphile ne vit pas le cinéma mieux qu'un autre, le cinéphile ne fera pas de meilleurs films qu'un autre (bien au contraire !), le cinéphile ne comprend pas le cinéma mieux qu'un autre. Le cinéphile fait juste une fixation. Et si le cinéphile peut être bien utile en tant qu'encyclopédie et qu'il est une bonne borne clignotante si un plagiat apparaît à l'horizon (le cinéphile n'est pas inutile donc), cela ne va pas beaucoup plus loin. Le cinéphile sait ce qu'est un travelling arrière et comment on le fait, le spectateur voir le travelling, ne sait pas comment on le fait ni comment il s'appelle mais il le vit tout aussi fort, si ce n'est bien plus fort que le cinéphile qui se demande bien comment le metteur en scène a placé son éclairage pour cette scène. Le cinéphile est mono-maniaque. Il ne faut pas être QUE cinéphile. Avoir un seul hobby, c'est dangereux, c'est bien connu.
Lorsque le cinéphile ne passe pas son temps à emmerder ceux qui l'entourent, il aime participer à des joutes avec ses semblables. Ces combats de cinéphiles ressemblent un peu à Invasion Planète X (vous ne connaissez pas cette merveille, vous n'êtes pas cinéphiles ! Ou du moins pas du bon côté de la Force). Bref les cinéphiles entre eux sont comme les protagonistes de La Baie Sanglante. D'ailleurs comme dans la merveille de Bava (je ne me refais pas, matez donc le superlatif), les cinéphiles finissent pas s'entre-tuer et les survivants se font descendre par des gamins joueurs.
Mais alors, me direz-vous, tu es un être aussi vil, méprisable et mesquin que cela ? Et bien je répondrais : oui mais non. Oui, parce que je participe souvent aux joutes de cinéphiles. Non, parce que j'y place un recul qui n'est pas que de façade. Oui, parce que j'emploie quand même un peu trop de titres en VO. Non, parce que je me soigne. Oui, parce que j'ai vu beaucoup de films. Non, parce que je n'ai pas vu TOUS les films. Oui, parce que je suis malade de cinéma. Non, parce que je suis aussi dingue de musique, de chats et de filles. Oui, parce que j'aime parler de cinéma. Non, parce que je ne détiens pas la science infuse (grande révélation). Mais finalement non, parce que j'ai toujours refusé de faire des études de cinéma, à vrai dire l'idée ne m'a jamais traversé l'esprit. Université et cinéma, c'est antinomique, apprentissage et cinéma, non. Peut-être est-ce là l'ultime touche d'intégrisme qui fait l'affreux, l'infâme, l'horrible cinéphile. Sans aucun doute même, car ne croyez pas tout ce que j'écris. Le cinéphile est une raclure qui se la pète. Le cinéphile cinéphage est une odieuse raclure qui se la pète. Je suis une odieuse raclure qui se la pète mais je suis fan de Tim Burton, donc je suis gentil.
CQFD