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The White Stripes - Elephant
En 2003, on nous aura encore fait le coup du "meilleur groupe de rock du monde", la litanie préférée des critiques blasées qui aimeraient ne pas se sentir si larguée par leur époque. Si personnellement j'y suis allé de mon petit couplet sur Grandaddy, pour la majorité des gens qui aiment le rock et qui en causent plus ou moins bien, le nom des White Stripes aura fusé de toutes parts. Le meilleur groupe de rock du monde, ce sont eux, Jack et Meg White, frère et sur, duo improbable et totalement idéal, moulinant des hymnes rocks comme si on était encore en 1965. Bien sûr, certains auront proposé des alternatives à cette hégémonie. Mais bon, après maintes écoutes, je ne pourrais qualifier des énervés comme The Kills que de laborieux et les pingouins de The Rapture que d'immondes (ou peu s'en faut, et croyez-moi je me suis enfilé leur Echoes plus d'une fois, cherchant en vain ce qu'on pouvait bien leur trouver de si palpitant (The Cure version Casio ?)). Et avec des groupes aussi pittoresques que Kings of Leon, on sent déjà poindre le revival Black Crowes (voire Pearl Jam), bref, ça craint un petit peu quand même.
Alors il y a les White Stripes, et leur Elephant, qui s'est vendu par camions entiers un peu partout dans le monde. Avant même d'être de la musique, les White Stripes sont tout un concept. Le duo est terriblement charismatique, clame son indépendance et son intégrité sur tous les tons. On retrouve même un flagrant hommage (involontaire ?) à Queen dans les notes de pochette. "Aucun ordinateur n'a été utilisé lors de la création de cet album", un peu comme le "No synthetisers" qui était la fierté du groupe de Freddie Mercury dans les années 70. Bref, avant même d'avoir inséré le disque dans le lecteur, on soupçonne que les White Stripes ne sont pas sérieux.
Et Dieu que l'on a raison ! Elephant est un disque de rock crétin, profondément basique, comique et légèrement débile, qui dégage une sympathie et une efficacité évidentes et radieuses. C'est con, mais c'est bon. Et vraiment bon. C'est du spectacle et rien que du spectacle (Queen, encore !). Jack White est beau et sexy, il fait craquer les filles (et les garçons aussi). Meg White est belle et sexy, elle fait craquer les garçons (et les filles aussi). Leur musique est carrée, directe, mille fois entendue partout, mais elle s'écoute avec une facilité et un plaisir indéniable. A part le Britney Spears, je n'ai pas entendu d'équivalent en 2003.
Elephant s'ouvre sur le terrible single Seven Nation Army, porté par l'un des riffs les plus simplistes de l'histoire du rock, mais forcément diaboliquement efficace (cf. Paranoid, Smoke on the Water, Like a Hurricane ou Smells Like Teen Spirit). Et tout l'album est dans cette veine, à la fois d'une sincérité absolue et proche de la parodie (la reprise hilarante du I Just Don't Know What To Do With Myself de Burt Bacharach). Le son de guitare est énorme, gras, saturé, quelque part entre les Rolling Stones de la grande époque et Led Zeppelin, le tout dans un format punk. Même si Jack White se permet un petit plaisir onaniste en milieu d'album avec un Ball and Biscuit interminable, qui m'a étrangement rappelé le I Want You de Lennon paumé dans le gracieux Abbey Road.
Mais pour une petite lourdeur, le groupe fait souvent mouche, même sur les petites ballades délicieuses façon In The Cold, Cold Night ou You've Got Her In Your Pocket. Certes, il n'y a pas la moindre once du début de l'ombre d'une touche d'originalité dans la musique des White Stripes. Chaque note, chaque gimmick, chaque parole, chaque intonation, est prévisible et évoque quelque chose que l'on a déjà entendu auparavant. Mais l'emballage ne laisse pas le temps de bougonner. Il n'y a pas de demie-mesure, on accroche à ce vaste Lego (justement), fait de pièces rapportés de partout, ou alors on déteste en bloc.
Les excellents rocks costauds sont légions, au hasard Black Math, The Hardest Button To Button, Little Acorns, Hypnotize, The Air Near My Fingers (avec le riff de Smells Like Teen Spirit, tiens donc)... Et même une rigolote blague finale avec Well It's True That We Love One Another. Qui vient bien confirmer l'immense capacité des White Stripes à clouer leurs refrains et autres petits trucs bien profondément dans notre cerveau (mais pitié, libérez-moi du riff de Seven Nation Army !).
Bref, c'est vrai, Elephant est le disque de rock pour tous de l'année 2003. On peut le passer en famille, pour Noël et le Réveillon, on peut le faire écouter à sa petite sur qui regarde Star Academy, comme à son grand frère qui écoute Lou Reed et Radiohead, à son papa qui aime bien les Stones et à sa maman qui aime bien Abba. Bref, tout le monde aime les White Stripes. Parce que c'est drôle et bien foutu, sexy et clinquant, qu'il y a bien là une bonne part de l'âme du rock'n'roll et que de toute façon, à la fin, l'amour que l'on reçoit est égal à l'amour que l'on fait.