Avant l'après
Ce n’est pas toujours facile.
Non. Ce n’est pas toujours facile.
Pour plein de choses, notez bien.
Dans le cas qui nous intéresse, ce n’est pas toujours facile d’écrire pendant 20 ans pour un site internet indépendant.
Et de faire la maintenance, le ménage, le repassage dudit site.
« 20 ans ? Il exagère sûrement », diront probablement ceux d’entre vous qui sont plus jeunes que ce site (ils ne doivent pas être très nombreux à passer par ici plutôt qu’à rester sur Snapchat ou sur le 18-25, mais je sais qu’il y en a).
Et pourtant 20 ans, oui. En avril prochain. Si nous sommes encore là, j’aurais l’occasion d’en reparler, ne vous inquiétez pas.
En attendant, et pour revenir au sujet qui va nous occuper aujourd’hui, 2017 fut une année « sans » pour The Web’s Worst Page. Il y en a. Les plus anciens d’entre vous (enfin, pas les plus vieux, ni les plus vieilles, mais ceux qui lisent parfois depuis le début. Il y en a). Les plus anciens d’entre vous, donc, et les plus anciennes (il y en a, aussi), ont déjà connu les périodes de disette. Des années avec rien, ou si peu. Des phases de néant. De grands moments de « mais qu’est-ce qu’il devient ? Nous a-t-il oubliés ? Nous a-t-il quittés ? Existe-t-il vraiment ? Que reste-t-il de nos amours ? Quand c’est l’heure, c’est l’heure ? Que sera sera ? Whatever will be will be ?
Oui, il y a déjà eu des années « sans ».
Hors d’ici, loin d’ici, et juste à côté, vu que sur le web tout est simultané, déjà passé, plutôt demain, encore hier, immédiat, jamais là. Bref, ailleurs. Ici. Il s’est passé tellement de choses en 2017. Je préfère ne pas vous en parler, parce que sinon ce que j’écris à cet instant ne sera jamais publié. Je suis d’ailleurs le premier surpris que cela soit enfin en ligne, parce qu’au moment où je tape ces mots sur mon clavier, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, si je puis m’exprimer ainsi.
Autant faire court. Et neutre. La fameuse neutralité du net, en danger, je vais me l’appliquer à moi-même, instantanément. Je ne vais donc pas vous parler de politique, de sujets forts et sociaux.
Mais en fait si, car depuis le début, je veux dire, depuis 20 ans, le début de The Web’s Worst Page, évidemment, mais il faut le rappeler : tout a toujours été politique. Le choix des œuvres, le choix des mots, les amours pour les artistes, les désamours aussi. Le pourquoi elle et pas lui ? Pourquoi lui et plus elle ? Pourquoi eux ? Pourquoi pas nous ? Pourquoi maintenant et pas avant ? Pourquoi plus tard et pourquoi jamais ? Des choix tout le temps, éminemment politiques. Souvent hors des modes d’ailleurs. Pourquoi pas ?
Des choix, partout, tout le temps. Dont ceux, dérisoires, symboliques, pratiques, des classements de fin d’année. Le grand panier garni qui permet de parler d’un maximum d’artistes. Et d’en occulter davantage. Des choix politiques donc, mais livrés à vous comme ça, sans l’analyse méta que je me réserve pour mes phases d’autocritique, le soir, au fond des bois.
Des choix, donc, pour les classements qui arrivent, ils sont là, ils approchent. Des choix imparfaits, subjectifs, parfaitement assumés comme tel, mais avec des arguments. Et des évidences. D’abord parler de ce qui me plaît. Essayer d’expliquer. Avec des superlatifs et aucune retenue. Enfin si, parfois, si peu. Tout ce qui est excessif devient dérisoire, m’avait écrit un lecteur, il y a longtemps, pour me faire passer un message, sans doute. J’ai douté, d’ailleurs, ayant bien conscience de mes excès et de mon style ampoulé. J’ai dévié, j’ai corrigé, je me suis honni et j’ai changé, je suis revenu en arrière, et j’ai oublié. Et puis voilà, ça revient différent et assez identique. Peu importe, hein. Ecrire un peu, être un peu lu. Ce fut, brièvement, inscrit sur la page d’accueil. Alors tant qu’à faire d’écrire peu pour pas grand monde, autant se faire plaisir.
Donc, des classements de fin d’année, copieux, forcément. Sauf en cinéma, c’est la dèche. Une poignée de films immenses qui cachent la forêt de la médiocrité. Ou du moyen. Du sympa, voyez-vous. J’ai décidé, cette année, d’être un peu plus sélectif, moins de trucs sympas. Surtout les trucs sympas qui créent l’enthousiasme par le biais de la « politique des auteurs ». Oh, j’ai horreur de ça. Si j’ai réussi à relativiser l’amour que je porte toujours à certains de mes artistes favoris, tout le monde en est capable. Alors admettons que nos chouchous peuvent faire des œuvres mineures, très mineures et même ratées. Ca fera du bien à tout le monde. Donc il y a des gens qui ne seront pas dans mes classements, parce que leurs films, voilà quoi, non.
Pour la musique, c’est l’affluence, c’est dingue, ça déborde. J’ai trouvé de nouvelles solutions pour essayer de faire entrer le maximum sans que ce soit indigeste. Et en mettant quand même en valeur ceux qui sont au-dessus du dessus. Mais quelle belle année, encore, que le 2017 en musique (et en musique au cinéma, une grand année musicale qui déborde sur l’art d’à côté).
Il y a longtemps, je me suis dit que j’allais vraiment parler de tout sur The Web’s Worst Page. De théâtre et de sciences, de littérature et de jeux vidéo (je l’ai parfois fait, un peu, en dilettante), de politique et de société, de vous et de moi. Il m’aurait fallu des journées de 70 heures et un salaire à vie, à ne rien faire d’autre qu’à taper sur un clavier pour le plaisir. Dans un autre monde, un autre temps, à l’âge du Fantastique…
Donc on fait avec ce qu’on a, en essayant d’améliorer les choses petit à petit, dans ces phases où les lendemains qui chantent semblent s’éloigner un peu plus chaque semaine. J’avais dit : pas de politique. Mais, si 2017 en musique c’était chouette, 2017 à bien d’autres niveaux, c’était l’année de la régression. Il y a peut-être d’ailleurs un lien de cause à effets. Heureusement, qui dit grandes régressions, dit aussi grands progrès en devenir. Des germes qui poussent, des fleurs qui éclosent, des choses dont on peut se réjouir. Il y en a eu, notamment dans cette dernière ligne droite où certains ont vu leurs règnes vaciller, où des paroles ont surgies plus claires et plus fortes qu’avant, où on sent que ça bouge et que, fol espoir habituel, on se dit qu’on ne repartira pas aussi loin en arrière quand la vague refluera. On sera déçu, un peu, beaucoup, un peu moins que la dernière fois. On espère.
En attendant, donc, bientôt 20 ans, pour moi. Enfin, pas 20 ans en vrai, 20 ans en virtuel. Le personnage a bientôt 20 ans, l’âge de déraison, ça ne s’arrangera pas. On ne va pas commencer à sortir les violons et les trémolos, à faire la chenille qui redémarre et à porter des toasts. C’est pas le genre de la maison (quoique, la chenille, hein…). On y reviendra, ou pas, mais quand même, peut-être.
Pour l’instant, que voulais-je dire ? Normalement il y a les excuses : je n’étais pas là, je n’étais pas loin, j’ai pas eu le temps, j’ai plus 20 ans. Désolé. Et les remerciements : vous êtes encore là, jamais loin, vous avez de la patience, vous êtes éternellement jeunes. Ici, on ne vieillit pas. C’est de l’autre côté de l’écran que le temps passe. « Toujours ici, toujours maintenant, vous et moi sommes éternels », c’est la fin la plus mémorable, forcément mémorable, de la bande dessinée la plus mémorable, mais si, vous savez laquelle. Sinon, je vous laisse chercher.
Trêve de trémolos.
Vous voyez je ne tiens jamais mes promesses. J’avais dit : pas de politique. Y a eu de la politique. J’avais dit : on ne parle pas des 20 ans. J’ai parlé des 20 ans. J’avais dit : je fais court. A mes yeux et selon mes critères, c’est un texte court. Mais s’il y des déficients de l’attention parmi vous… Non en fait il n’y a pas de déficients de l’attention parmi vous, vous n’auriez jamais réussi à tenir deux minutes ici. Bref, j’ai fait tout ce qu’il ne fallait pas faire. Je n’ai pas fait ce que je devais faire. Tout est normal.
Je vais finir en vous disant ce que je dis à tous mes proches avant un silence radio de six mois : je vais essayer de vous donner plus souvent de mes nouvelles, d’écrire davantage, de parler de tout et de rien, comme avant, comme aujourd’hui et comme demain, comme hier. En attendant l’attente, et avant l’après, je vous souhaite tout ce que vous souhaitez.
Edward D. Wood Jr.
("We don't do life, we don't choose life, life does us")