L'Autre Monde
Voici une nouvelle fois venu le temps de l'espoir.
Les prémisses semblent suffisamment forts. Des vagues se dessinent à l'horizon.
Dans le chaos, les monstres grognent et se réjouissent d'avance. Ils rêvent aussi de leur monde.
C'est l'instant où tout, une fois encore, demeure possible.
J'étais mort.
Ce n'est pas la première fois.
Depuis tant d'années que je meurs et que je ressuscite, parfois je me crois immortel.
Ce n'est pas le cas. Mais ce n'est pas encore pour cette fois.
Je remonte donc des enfers pour contempler le printemps de ma fenêtre.
Dehors, les herbes hautes se réjouissent de leur liberté. Des oiseaux, des insectes, tout ce qui vit, piaille, vrombit, vole, galope et, au final, survit un jour plus. Les arbres penchent leurs branches feuillues. Soleil et pluie se succèdent, ombre, lumière, un nuage puis un autre. Cet autre monde, différent et pareil à lui-même, indifférent et familier.
J'étais mort, je le croyais et puis, je n'y ai plus cru.
Lorsque j'ai cessé de croire à ma mort, j'étais vivant.
Au sortir des enfers, j'ai retrouvé l'ancien monde dont la chute s'accélérait.
La mort était là, incroyable mais vraie. Certains voulaient l'ignorer, à tort. D'autres, sans l'avouer, s'en réjouissaient. De la mort, pensaient-ils, ils feraient une nouvelle fois leur alliée. Les monstres se repaissaient du chaos, rêvant de leur monde.
Tous, ou presque, s'accrochaient pourtant à l'ancien monde. Celui où on n'était pas vraiment heureux, mais qui était devenu familier.
De ma fenêtre, je ne vois que la nature qui change, qui meurt et qui renaît. Les humains semblent parfois loin. Ils sont si proches, à distance, quand je les lis et que je les écoute, à travers les écrans.
Je n'ose pas leur demander s'ils vont bien.
Allez-vous bien ?
Ils sont vivants, je le sais.
Vont-ils bien ?
Autant que possible.
Mieux, peut-être, que je ne le crains. Moins, sans doute, que je ne le souhaite.
Une nouvelle fois, le temps de l'espoir.
Je voudrais que tout change.
Ou presque.
Ne plus entendre revenir les litanies et les injonctions absurdes.
De l'ancien monde, les monstres voudraient continuer à capitaliser et qu'on continue à capituler devant leur capital. Riche de tout, riche de rien.
De l'ancien monde, ils veulent continuer à nous faire marcher au pas. Le pas de la guerre, de la guerre contre tout, contre nous-mêmes surtout. Le pas de la guerre contre l'autre, donc contre soi.
Au coin de la rue, la mort guette.
La mort naturelle est là, insensée, incompréhensible, injuste. Elle est inévitable, mais il faut tout faire pour l'éloigner. Un jour de plus, un jour d'espoir.
Et c'est la mort de l'espoir qui guette aussi, plus perfide, plus cruelle.
Celle qui répète qu'il n'y a pas de choix, qu'il n'y a pas d'alternative.
Déterminés, destinés, allons.
J'étais mort, dans le tourment d'un calme apparent.
Aux enfers, je suis redescendu.
J'ai attendu. Je sais si bien le faire. J'attends jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Puis je remonte et je pleure.
J'ai attendu en entendant.
J'ai entendu en attendant.
Ca fait passer le temps.
J'ai entendu le vieux monde souffrir, gémir, se tordre.
Chacun, dans sa tour d'ivoire, regarde ailleurs.
Chacun, le nez sur ses problèmes, pense ailleurs.
Où sont-ils ?
Morts aux enfers, eux aussi ?
Eux qui ont parfois l'air si heureux.
Ils sont pourtant là, dans le monde, pendant que les monstres les grignotent, jour par jour, mois par mois, année par année.
Je suis trop vague, trop littéraire. Je devrais nommer les monstres. Je devrais vous dire quoi faire. Je devrais pointer du doigt les coupables du jour. Je devrais clairement afficher d'où je parle.
Allons, vous le savez, depuis le temps, d'où je parle.
Et vous préféreriez que je vous parle de choses futiles qui aident à vivre en oubliant le monde.
Ces choses merveilleuses et artistiques sur lesquelles je fais mon nid.
Pour un instant encore partir.
Mais je n'ai plus les mots. Les mots pour dire encore, légèrement différemment, probablement identiquement, ce que je dis d'habitude.
Cela aussi reviendra, peut-être, si le nouveau monde le permet.
J'étais vivant.
Et je voulais le dire.
M'en souvenir.
Edward D. Wood Jr