Cet album est une légende, une œuvre d'art totale qui demeure encore aujourd'hui franchement révolutionnaire. Tout ce qui s'est fait depuis 1967 est là. A la base il y a un happening de Warhol, un mélange sulfureux de musique, de bruits, d'images, de performances et de surréalisme glamour. Le casting fait toujours rêver : Lou Reed, le poète du sordide, incapable de chanter ou de jouer juste, chantre de la drogue et du stupre décadent. John Cale, extrémiste de l'avant-garde tcharbée, violeur de violon et futur producteur inspiré. Sterling Morrison, musicien par erreur, qui a vu de la lumière et qui est entré sans trop savoir pourquoi. Maureen Tucker, femme à poigne qui joue de la batterie debout. Et Nico, le top-model qui inventa le gothique et qui n'hésita jamais à repousser les limites de la décadence, de la haine de soi et des autres et de l'auto-destruction, elle fut la plus sophistiquée et la plus rock'n'roll, elle fit de son existence même une œuvre d'art baroque et morbide. Pas la peine d'en rajouter, on ose à peine imaginer le résultat. Et on a raison. Sur cet album en forme de clef de voûte du rock, il y a aussi bien la pop la plus cristalline passée à la moulinette (Sunday Morning, There She Goes) que l'expérimentation la plus pure, mille fois imitée, jamais égalée (Heroin, The Black Angel's Death Song, European Son). On y entend aussi bien le souffle de l'ange de la mort (All Tomottow's Parties, acte de naissance du gothique musical), que les râles du junkie (I'm Waiting For The Man). Ca crisse et ça cogne (Run Run Run) et ça murmure d'outre-tombe des menaces glamours (Femme Fatale). Et au final ça magnifie le sado-masochisme dans une profession de foi immortelle (Venus In Furs) et ça nous glisse la plus belle déclaration d'amour de ce côté-ci de l'Enfer (I'll Be Your Mirror). Ca vit au cœur des ténèbres et on imagine fort bien que de très nombreuses générations d'auditeurs resteront béats face à ce disque sublime et unique. Le reste n'est plus que littérature.


Moins "pop", plus hermétique, franchement expérimental, moins riche, aussi hypnotique que la meilleure techno, ce deuxième album fait encore baver d'envie tout le petit monde du rock "alternatif". Et oui, le Velvet c'est à la fois du pop-rock gracieusement sordide (la chanson titre, Here She Comes Now, I Heard Her Call My Name) et de formidables monstres sonores malades (The Gift et Sister Ray). Aussi important et inécoutable que le Loveless de My Bloody Valentine, cet album fait aussi peur qu'il fascine. Mazette...


John Cale était l'extrémiste de l'histoire (et c'est pourtant lui qui donnera l'album le plus gracieux post-Velvet avec Paris 1919) et après son départ du groupe (au profit de Doug Yule), un Lou Reed franchement pop-folk prend les commandes. Dès Candy Says, on croit presque entendre un nouveau groupe. Si les anciens "écarts" pop du Velvet étaient noyés dans des sonorités bizarres (Sunday Morning) ou un Fantastique à toute épreuve (tout ce que chantait Nico), ici on se trouve face à des chansons presque "normales". Alors, c'est à la force de la mélodie et de l'énergie que le nouveau Velvet trace son chemin. Et ça marche, forcément, on adore. C'est moins spectaculaire, mais largement aussi impressionnant au fil des écoutes. Toutes les chansons possèdent une personnalité gigantesque, pour exemple le divin Pale Blue Eyes ou le toujours très gothique I'm Set Free. Il reste bien une bizarrerie expérimentale (The Murder Mystery), mais dans l'ensemble le Velvet laisse de côté la provocation pour tout miser sur les chansons. Le résultat, un peu moins connu que les deux premiers albums, est largement aussi exceptionnel et indispensable. Ce troisième album est un recueil de petites perles immenses, si, si, qui n'ont pas pris l'ombre du début de la moindre ride. De quoi être K.O. sur place, je vous aurais prévenu, surtout quand Maureen fredonne l'immortel After Hours.


Malgré le départ de Reed avant l'achèvement de l'album, Loaded est le digne successeur de The Velvet Underground. Encore plus pop, presque "normal" par instants, Loaded supporte très bien le poids des ans et sa réputation de Beach Boys glauque. Il suffit d'entendre Who Loves The Sun pour comprendre, c'est de la folie moins tonitruante que sur les premiers albums, mais c'est de la folie quand même, la même qui habite le Good God's Urge de Porno For Pyros. Les chœurs font "pa pa papa" et pourtant ce n'est pas du Sheila, croyez-moi. Et même si l'on s'est longtemps astiqué sur le riff (monstrueux) de Sweet Jane, Loaded vaut largement que l'on s'y arrête un (long) moment. Cet album a moins inspiré Sonic Youth que Eels ou Beck, comme quoi, le Velvet Underground a tout inventé, ça ne s'invente pas.


Reconstitution miraculeuse de ce qui aurait dû être le successeur de The Velvet Underground, VU n'est pas une compilation de chutes opportunistes, c'est un album du Velvet à part entière. Et c'est évidemment un chef-d'œuvre, à ne surtout pas sous-estimer. Certes il y a ici des choses que l'on a retrouvé plus tard sur du Lou Reed solo (Stephanie Says (Caroline Says en plus aérien, une chanson totalement différente de celle de Berlin), Andy's Chest) et on osera affirmer (et je ne suis pas le seul) que les versions de VU sont supérieures. Et c'est un disque qui concilie à la perfection l'aspect très rock (I Can't Stand It) et le plus pure pop-folk (Lisa Says, Ocean) du groupe. Et là encore il n'y a que des merveilles, de l'or, des émeraudes, du cristal, la vache mais on n'a pas fait mieux depuis !

 
 
 
 
 
 
 
 
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