Pour beaucoup d'entre nous évoquer Akira c'est parler d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. C'est au moins une génération qui s'est initiée à l'animé, voire plus généralement aux mangas, avec l'adaptation cinématographique du chef-d'œuvre graphique de Katsuhiro Otomo. Ce fut un choc, une révélation, l'excitation de découvrir une telle inventivité débridée et une telle liberté de ton, qui ne transparaissaient qu'à peine dans les séries télévisées diffusées (bien souvent censurées) sur les chaînes françaises. Un nouveau genre de cinéphilie, déjà présent par le passé mais fort marginal, prenait son essor et l'animation japonaise allait peu à peu gagner ses lettres de noblesse en France, lentement, parfois très difficilement, mais avec une croissance jamais démentie. Akira fut la première onde de choc et il est difficile de l'évoquer sans laisser transparaître une nostalgie bien coupable.

 

En toute objectivité, la version cinématographique d'Akira est loin d'être sans reproches. On pourra noter combien l'animation et le character design ont pris un coup de vieux, même si certains décors n'ont pas à rougir face aux plus ambitieuses productions récentes. Mais d'un autre côté, la musique de Geinoh Yamashiro, a acquis avec les années une patine qui la place toujours au rang des bandes originales les plus riches et les plus audacieuses de l'histoire du cinéma. De même, le rythme, quasi hystérique et révélateur des coupes et autres compressions qu'a subi le manga d'origine, en remontre toujours à la majorité des films d'action. Il découle de l'esthétique d'Akira une impression d'urgence, voire de rage, totalement absente du nettement plus ample SteamBoy (mais 15 ans séparent ces deux œuvres...). Bien évidemment, certaines images sont entrées dans l'histoire du 7e art, que ce soit Kanéda et sa moto futuriste ou les formidables mutations organiques de Tetsuo.

 

Le film obtint un budget de 11 millions de dollars, du jamais vu à l'époque. Sous le nom d'Akira Committee ce sont plusieurs studios qui se réunirent pour financer cette adaptation pharaonique. On y retrouve notamment l'éditeur Kodansha, Bandaï et le studio historique Toho. Selon les conventions en valeur dans l'animation japonaise, les lèvres des personnages ne devaient bouger que lorsque leurs visages demeuraient immobiles. Akira brisa cette règle et proposa des mouvements naturels lors des dialogues. Un tel travail, ainsi que le réalisme global de la plupart des animations, nécessita pas moins de 160 000 cellulos.

 

Le film fut terminé en 1988, soit deux ans avant l'achèvement du manga. Otomo eût d'ailleurs toutes les peines du monde à finir son œuvre graphique. La petite histoire raconte que c'est après une conversation avec Alejandro Jodorowsky que l'inspiration pour sa conclusion fut trouvée. Plus tard Otomo renia toutes les fins différentes données à Akira et il affirma qu'il ne pourrait jamais vraiment conclure ce qui demeure l'œuvre de sa vie.

 

S'il fallait chercher des défauts au film d'Otomo, ce serait sans doute au niveau du scénario et de l'adaptation qu'on pourrait le plus aisément les déceler. Pour qui a dévoré les 1000 pages du manga, le film se révèle fréquemment frustrant, en particulier lorsqu'il modifie totalement certains personnages (Lady Miyako, en particulier, qui fait ici de la figuration et que la VF transforme même en un personnage masculin !), coupe des éléments essentiels à la compréhension de l'histoire (l'usage des drogues demeure des plus obscurs) et va jusqu'à trahir étrangement le sens du récit. En effet, dans le film Akira est mort et ne revient que grâce aux prières (à l'invocation ?) de ses camarades. Si on ajoute à cela toute une « prophétie » concernant son retour et l'existence d'un culte du même ordre, nous découvrons des aspects absents du manga, qui entraînent le scénario et même une partie du discours du film vers une métaphore religieuse des plus évidentes. Etonnant de la part d'Otomo qui, par ailleurs, ne cesse de placer son œuvre dans un cadre révolutionnaire et en soulignant sans cesse le rôle des enfants et de leurs révoltes face à une société ultra répressive. On comprend que les modifications de l'histoire ont été nécessaires à l'élaboration d'un film d'une durée « normale », mais on s'étonne encore de certains partis pris.

 

Ces remarques ne sont bien sûr que des détails par rapport à l'écrasante réussite de l'ensemble, Akira proposant un compromis idéal entre des réflexions métaphysiques souvent ardues, un récit d'anticipation à mi-chemin entre pamphlet politique et délire scientifique effrayant, et un pur divertissement explosif peu avare en scènes d'action inoubliables. Très violent et destructeur, le film a posé les jalons de plus d'un genre d'animés, les scènes ou thèmes faisant échos à Akira sont légions dans la production japonaise (voire internationale). Cet improbable mélange entre questionnements à la 2001, l'odyssée de l'espace et combats spectaculaires impossibles à concevoir dans un film « live » de l'époque, permet à ce long-métrage de demeurer l'un des plus uniques du monde de l'animation, et du cinéma en général. Car par-delà son évidente importance historique, Akira est toujours, avant tout, une bombe sur pellicule, qui n'a rien perdu de sa capacité à impressionner durablement le spectateur.

 
 
 
 
 
 
 
 
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