Les temps sont durs pour le cinéma
gore. Après le triomphe de la fin des années 70 et du début des années 80, le cinéma
saignant s'est retrouvé sur une pente glissante. Le monde avait assez vu de films de
zombies, assez subis de cannibaleries craignos, le monde en avait assez des comédies
gores répétitives et de plus en plus nulles. Les réussites exemplaires de Re-Animator
et de Evil Dead 2 signèrent aussi le chant du cygne du genre. Récupéré par Hollywood
(de Predator aux Silence des Agneaux en passant par AlienS) mais aussi par la médiocrité
(la série des Vendredi 13, le Retour des Morts-Vivants 2...), le gore devint un objet de
culte un peu poussiéreux. Aujourd'hui, ceux qui ont vécu les grandes heures du genre
passent leur temps à évoquer les grands moments que furent les premières visions
intégrales de l'Au-Delà, de Dawn Of The Dead, de Maniac ou de Suspiria. Symboliquement
ce fut le génial Peter Jackson qui enterra le genre en beauté avec Brain Dead.
Et symboliquement ce fut Brian Yuzna
qui le ressuscita un an plus tard avec Le Retour des Morts-Vivants 3. Brian Yuzna est
surtout connu pour avoir été le producteur de Re-Animator de Stuart Gordon, l'un des
plus importants films gores de l'histoire du cinéma. Effectivement Yuzna est un
producteur prolifique de séries B enthousiasmantes, de Dolls à From Beyond en passant
par le givré Ticks. Mais Brian Yuzna est d'après moi, et avant tout, un réalisateur
audacieux et talentueux, qui sait montrer beaucoup avec des budgets ridicules.
Bride of Re-Animator (1989)
On sait que Yuzna s'est toujours
beaucoup investi dans le tournage de ses productions. Le premier Re-Animator lui doit donc
beaucoup et cela se voit. La suite de ce chef-d'œuvre est, dès le titre, plus un hommage
aux Frankenstein de Universal qu'à Lovecraft. Il faut bien le reconnaître, Bride Of
Re-Animator n'est pas à la hauteur du premier film. Certes les effets spéciaux de
Screaming Mad George sont toujours aussi fabuleux et le film comporte quelques monstres
anthologiques (l'oeil qui marche en particulier), mais dans l'ensemble c'est assez
ennuyeux et assez répétitif par rapport au premier film. Bien sûr le final est de toute
beauté. Même si le climax reprend le plus grand moment du Histoires de Cannibales de
Tsui Hark, lorsque la "fiancée" donne littéralement son cœur au héros.
Du déjà-vu (qui ne l'était pas à l'époque, les films de Tsui Hark n'ayant été
découvert dans nos contrées que bien plus tard), certes, mais d'une efficacité
grandiose, annonçant déjà Le Retour des Morts-Vivants 3. Une suite pas si indigne que
cela.
Silent Night, Deadly Night :
Part 4 : Initiation (1990)
La série des Silent Night brille par
une qualité des plus inégales. D'après moi ce quatrième segment, mis en scène par
Yuzna, est le meilleur de tous. Et c'est surtout un véritable festival du style Yuzna.
Manipulations, complots, personnages déjantés, mélange rêve/réalité, effets gores
suintants, symbolique sexuelle omniprésente. Initiation est finalement une uvre
assez dérangeante et impressionnante. Évidemment ce grand malade de Clint Howard vole la
vedette au pourtant sublime casting féminin. Et au final ce (télé)film de luxe demeure
une belle réussite du Fantastique des années 90. A redécouvrir de toute urgence !
Society (1992)
C'est avec ce film hallucinant que
Yuzna s'est imposé comme l'ultime porte-parole d'un cinéma gore ambitieux n'hésitant
pas à déranger et à laisser pour un temps l'humour aux vestiaires. Society est le
premier chef-d'œuvre de Yuzna. Certes le film est parfois un peu laborieux et les acteurs
sont plus que moyens. Mais les situations possèdent un impact incroyable. Pour sûr, le
moment clef du film reste cette partouze final, l'un des moments les plus incroyables de
l'histoire du gore, au cours de laquelle les riches vampirisent littéralement les
pauvres. La métaphore sociale n'est pas d'une finesse phénoménale mais cela vaut bien
Titanic, en tout cas c'est beaucoup plus drôle et tout aussi impressionnant. Le début du
métrage est un cauchemar extrêmement parano qui insère le glauque et le malaise dans le
monde de Baywatch ; et si parfois le film stagne un peu, la découverte progressive des
horreurs de la jet-set vaut son pesant d'effets chocs. Là encore les effets spéciaux
hallucinants de Screaming Mad George (le Tom Savini des 90's) transportent le métrage
dans les plus hautes sphères du genre. Society est un classique, un vrai de vrai.
Return of the Living Dead 3 (1993)
C'est le chef-d'oeuvre de Brian
Yuzna. Troisième volet d'une série originellement parodique, ce film n'a plus rien à
voir avec les précédents. Si le premier film de la série par Dan O'Bannon s'avère
très ludique et parfois très impressionnant (et puis il y Linnea Quigley
!), le deuxième était une sorte de Police Academy chez les zombies et c'était très
nul. Sur les bases des deux premiers films, Yuzna change tout et signe un film cruel,
sombre, extrêmement violent, avec très peu d'humour et un pessimisme à tout épreuve.
Une merveille, l'un des meilleurs films gores de tous les temps, peut-être le plus beau.
Et pourtant nous sommes dans le domaine de la série B, voire du Z. Budget ridicule, peu
de décors, acteurs de sitcoms, effets spéciaux rudimentaires mais d'une efficacité
redoutable. La routine du cinéma Bis en fait. Comment transcender ces contraintes ? Et
bien par une histoire d'une grande force et par un personnage tragique à l'impact
émotionnel unique. Ainsi naît Julie, la morte-vivante "humaine", lentement
rongée par un mal qui la dépasse. Mindy Clarke est tellement
fabuleuse dans ce rôle exigeant que je lui ai dédié la page qu'elle mérite plus
qu'amplement. Les situations anthologiques s'enchaînent à toute vitesse jusqu'au climax
de l'auto-mutilation d'une Julie espérant ainsi noyer sa faim par la souffrance. C'est
magnifique, mais prêtez bien attention à voir la version intégrale sinon cette scène
sublime sera largement amputée. Après un début un peu laborieux, le film prend son
envol dès la mort de Julie et sa résurrection, une nouvelle fois Yuzna a inséré
l'horreur dans le monde de Beverly Hills, du sitcom pour ados on passe à la tragédie
cronenbergienne (si ! si !). L'inévitable final s'avère sublime, équivalent à celui de
Candyman, c'est dire ! Un chef-d'oeuvre du genre.
Necronomicon : Whispers (1996)
Cette anthologie de 3 sketchs, d'un
prologue et d'un épilogue, adaptée (de près ou de très loin) des merveilles de
Lovecraft, est bien sûr inégale. Le premier segment, mis en scène par Christophe Gans,
est un hommage respectueux aux films gothiques (très Roger Corman dans l'inspiration, on
pense à la Malédiction d'Arkham) et s'avère très réussi. Non, franchement, on
sous-estime cette première histoire qui brille par un visuel et une mise en scène
magnifiques. Le deuxièmes sketch est le plus faible. Le malsain de la chose est noyé
dans un certain ennui. La dégénérescence finale, très visuelle, sauve quand même
l'ensemble. Brian Yuzna met en scène le prologue et l'épilogue, dans lesquels Lovecraft
est incarné par un Jeffrey Combs égal à lui-même, c'est à dire horripilant pour
certains et fabuleux pour les autres (dont je fais partie). Mais surtout Yuzna met en
scène la troisième histoire : Whispers. Une phénoménale descente aux Enfers (dans tous
les sens de l'expression), qui voit une femme flic tentée par l'avortement (on a dit de
ce sketch qu'il était un peu réac... ah bon ?), plonger dans l'antre de tueurs
extra-terrestres particulièrement sauvages. Visuellement c'est peut-être ce que Yuzna a
fait de plus beau, c'est très très gore, très glauque et surtout d'une cruauté
phénoménale. Largement le meilleur moment du film, surtout que le moyen-métrage
convient parfaitement à Yuzna qui sinon pêche par délayage de ses histoires. Ici chaque
moment fait mouche, c'est magnifique.
The Dentist (1996)
Avec un budget toujours aussi ridicule
et des acteurs toujours aussi proche de l'amateurisme, Brian Yuzna signe (pour la
télévision ! câblée... je précise) un thriller pas du tout fantastique mais
franchement paranoïaque. L'histoire d'un dentiste jaloux et schizo qui perd peu à peu
les pédales. Certes cela se finit bien mieux que les deux uvres précédentes de
Yuzna, mais la cruauté est toujours omniprésente. Les scènes de mutilations à la
roulette sont grandioses, même si le film est le moins gore de toute la carrière de
Yuzna. Ici c'est l'ambiance et la folie progressive du dentiste qui comptent. Même si
l'ensemble est inégal et que parfois c'est un peu redondant, Yuzna réussit comme
toujours quelques scènes chocs qui marquent.
Progeny (1998)
Progeny est le meilleur film de Brian
Yuzna... juste derrière le Retour des Morts-Vivants 3... Et oui. Le sujet peut sembler
idiot (enlèvement et fécondation extra-terrestres), la première partie du film est un
cliché de l'uvre de Yuzna (le quotidien devient étranger, les personnages sombrent
dans la folie, il se passe des choses bizarres mais on manque de preuves...) et le
sérieux à toute épreuve menace d'agacer le spectateur. On remarque quand même au
passage que la mise en scène est de plus en plus brillante et que la photographie et la
musique sont les meilleures de toute l'uvre du réalisateur. Mais on ne s'inquiète
pas outre mesure, car l'on sait que chez Yuzna, il ne faut pas se presser, le meilleur est
pour la fin, et l'on est rarement déçu (le suspens "Amour, Gloire et Beauté"
de Society nous amenait quand même à la plus grand scène d'orgie de l'histoire du
cinéma). Et avec Progeny on n'est pas déçu, tout au contraire. Dans une ambiance de
plus en plus insoutenable et de plus en plus rythmée, les flash-backs menaçants
s'enchaînent. Brad Dourif apparaît, dans un rôle bien plus modéré que d'habitude (son
personnage n'est pas complètement dingue, pour une fois...). Et l'inévitable s'avance en
une succession de scène à l'horreur croissante. Ce qui débutait comme du Hollywood
Night mâtiné de X-Files à la noix, s'achève sur une vision "démasquée" des
extra-terrestres qui repousse les limites du monstrueux (Yuzna brouille une nouvelle fois
les pistes pour mieux saisir le spectateur quand ce dernier abaisse sa garde). Le gore qui
tâche fait son apparition au final, et c'est du costaud, bien sûr, heureusement, on est
fan de Yuzna et c'est aussi pour ça. Et quand le film s'achève (sur une scène aussi
gratuite qu'efficace), on considère Progeny dans son ensemble et l'on découvre un film
tendu comme une corde à piano et coupant comme un rasoir (pour faire dans les clichés).
Du gore intelligent, qui bien sûr pourra par instant (et à raison) rappeler Alien,
Rosemary's Baby ou encore le génial et méconnu Meurtres Sous Contrôle. Un très grand
film de genre, une série Z qui explose ses limites et qui en remontre à tout le monde.
Tout le talent de Yuzna est là.
The Dentist 2 (1999)
Je n'ai pas encore vu celui-là
et je n'ai que les échos de Mad Movies. Comme TF1 Vidéo a eu la bonne idée de le
sortir à la vente, mes impressions personnelles ne devraient pas tarder. C'est bien sûr
la suite du Dentiste (gros succès en vidéo) et Yuzna semble avoir misé cette fois sur
l'humour et l'excès, le suspens faisant place au cartoon.
Faust (2000)
Brian Yuzna adapte un comic ultra gore. Pas vu non
plus, mais l'important c'est que désormais Yuzna travaille en Espagne et
produit des tonnes de séries B Fantastiques (comme par exemple le Dagon de son
pote Stuart Gordon).
Beyond Re-Animator (2003)
Une bonne conclusion à la trilogie Re-Animator qui vaut surtout pour une scène d'anthologie où un rat combat un pénis zombie (ça ne s'invente pas).
Rottweiller (2004)
Pas si nul, si on accepte le côté surréaliste de l'oeuvre. Mais le film reste emblématique de la déchéance (relative) du réalisateur.
La Malédiction des profondeurs (2005)
Médiocre, malgré une mise en scène toujours au top, Yuzna ne parvient pas à transcender un matériau de base (et un casting) vraiment faiblards.
Amphibious 3D (2010)
Malgré quelques moments sympathiques et un travail technique très correct, le film n'a pas beaucoup d'intérêt. Malheureusement il est peu étonnant que Brian Yuzna, en tant que réalisateur, soit désormais en pré-retraite... |