Eels - Electro-Shock Blues Show
Comme pour se faire étrangement pardonner de l'honorable mais décevant
Shootennany!, M. E sort de ses tiroirs et pour le plaisir exclusif des fans de
la première heure, des enregistrements live de la grande époque de Electro-Shock
Blues. Nous sommes en 1998, Eels sur scène se plaît follement à rendre ses
chansons méconnaissables. En ce sens, ce live miraculeux (si, si, n'ayons pas
peur des mots), est à la fois un best of de la première période du groupe (même
si on aurait finalement voulu aussi du Daisies of the Galaxy) et un disque tout
nouveau, tout neuf, plein de très grandes et très bonnes surprises. Tout ce que
j'aime chez Eels est présent ici. Et même des aspects qui me laissent d'habitude
nettement plus perplexes s'avèrent réjouissants. Pour exemple les tendances
encore très "grunge" du groupe qui culminent ici dans une formidable version de
Not Ready Yet qui a elle seule vaut l'investissement et un Souljacker part 1 (de
1998 !) encore plus punk que sur album. De nombreux autres classiques obtiennent
des versions particulièrement énergiques voire virulentes (Everything's Gonna Be
Cool This Christmas). Last Stop This Town rentre dans le tas et Butch qui
entonne Efils Good est un bien bon moment. My Beloved Monster devient une
nouvelle fois méconnaissable car joué sur le riff de ... Satisfaction des
Rolling Stones... De même, Novocaïne For The Soul ne se ressemble plus du tout,
pour le meilleur.
Et après cette
première partie de disque particulièrement rock et déglinguée, l'émotion surgit
avec les titres "bonus". Tout d'abord Flower, toujours aussi touchant, mais
c'est avec un Dead of Winter radicalement bouleversant que l'on retrouve au
mieux le Eels que l'on adore. Mais le plus beau reste à venir et on ne
s'attendait pas du tout à cette version digne et funèbre de Electro-Shock Blues
(la chanson), où l'on imagine presque un M. E muet d'émotion en plein milieu du
morceau. L'état de grâce se poursuit avec The Medication Is Wearing Off,
ralenti, étouffé, douloureux, qui semble presque surgir d'outre-tombe. La
conclusion (provisoire) réside en une belle version acoustique de Climbing To
The Moon (la plus belle chanson du groupe, doit-on le rappeler ?). Et ! Il y a
un morceau caché, oui, oui, comme au doux temps de Nirvana... Une version très
enlevée, très drôle et excellente de l'incontournable My Beloved Monster
(environ 250 versions gravées sur disques dans toute la carrière du groupe).
J'ai aussi oublié d'évoquer l'ouverture très efficace sur Cancer for the Cure et
du terrible Going To Your Funeral toujours aussi éprouvant.
Et ce live vient
nous rappeler que M. E n'a jamais été aussi talentueux et touchant que pris dans
le cyclone des drames et qu'à cet instant Eels était l'un des plus admirables
groupes pour franchir l'an 2000. Ce grand frisson ne se retrouve que très
parcimonieusement sur les dernières livraisons de Eels. Mais il est présent d'un
bout à l'autre de ce live rigoureusement indispensable pour tous les amateurs de
E, qu'ils aient été déçus ou non par les derniers albums. Tout ce qui a fait de
Eels l'un des groupes clefs de son époque est ici présent. Du rock qui dégage,
de la folie mélancolique et souvent iconoclaste, de la tristesse insondable, la
mort qui rôde. Tout est là. Oui, j'ai douté de M. E et j'avais raison, car il a
su se faire pardonner à la hauteur de mes attentes. |
Blondie - The Curse of Blondie
Pouvait-on attendre de Debbie Harry et de ses petits camarades qu'ils se
laissent aller à une vieillesse paisible ? Après la demie-réussite du No Exit
attendu pendant 16 ans, on pouvait croire que Blondie allait offrir une retraite
gentiment paisible à ses heureux membres. Et bien non, il y a une "malédiction
de Blondie", comme l'annonce le titre de ce nouvel album. Deborah Harry, à près
de 60 ans, ne veut pas laisser la place aux jeunes. Et bon sang qu'elle a raison
! Certes, The Curse of Blondie, comme No Exit, n'évite pas toujours les fautes
de goût, et dévoile parfois que tout cela est conçu et interprété par de "vieux
punks" un peu à la masse. La musique de Blondie, autrefois résolument parfaite
et sans failles, navigue désormais entre la grâce d'antan et le ridicule non
dénué de charme. En général, ce sont les arrangements qui ne suivent pas le
rythme. Mais, par ailleurs, que l'on se rassure, Blondie n'a rien perdu de ses
coups de génie mélodiques (toutes les chansons, ou presque, sont immédiatement
accrocheuses) et Debbie Harry est toujours la meilleure chanteuse de notre monde
occidental (tant que Kate Bush est à la retraite, il n'y a pas beaucoup de
concurrence).
Mais voilà, à l'époque de Parallel Line ou de Eat To The Beat, les outrances
parfois kitsches s'effaçaient à grands coups d'énergie et de magie. A l'écoute
de The Curse of Blondie on reste quelque fois nettement plus dubitatif. Debbie
Harry en MC énervé dès l'ouverture de l'album sur Shakedown, c'est assez drôle
et je ne suis pas sûr que ce soit le but recherché. Par contre, quand la même
Debbie Harry vient nous rappeler que les Madonna, Kylie & co lui doivent tout
sur le monstrueusement néo-disco Good Boys ou sur la fusion dance-pop adorable
de Undone (l'un des sommets de l'album), on s'incline, c'est du grand Blondie.
Du grand Blondie avec le son des années 2000, et on est loin d'avoir à faire à
un groupe à la ramasse. Golden Rod est un bon petit rock, peut-être un peu trop
lourdaud et longuet, mais pas désagréable. Par contre l'intégralement pop Rules
For Living est une perle qui vient enfin rappeler que Blondie fut le plus grand
groupe de pop-rock de son temps (et même l'un des plus grands de tous les temps,
zut alors !). Et de toute façon il y a la voix de Debbie Harry...
Ce
que l'on pourrait peut-être le plus reprocher aux chansons du Blondie reformé
c'est d'être en général un poil trop longues. Avant c'était du trois minutes de
moyenne, maintenant on est souvent au-delà des quatre minutes et plus proche des
cinq. Pas toujours la durée idéale pour la pop légère. Après le charmant Rules
For Living, le groupe continue dans la douceur avec le très beau et très amusant
Background Melody, porté par une jouissive performance vocale de la Dame Harry.
Nouvelle perle avec le vaguement japonisant et très mélodieux Magic, auquel on
pourra juste reprocher une nouvelle fois de traîner un peu en longueur. Et
l'album, désormais sur orbite, prend encore de l'ampleur avec l'excellent End To
End, tube évident, pas très loin de ce que l'hallucinant Maria avait été pour No
Exit : la machine temporelle qui parvenait à nous faire croire que le Blondie de
1978 était de retour. Ah, oui, End To End, ça a l'air simple, comme ça, en
apparence, ça paye pas de mine, c'est moins immédiatement grandiose que Maria,
mais croyez-moi, c'est du bijou pop, ça, oui ma bonne dame !
Après l'hommage à Jeffrey Lee Pierce, Debbie Harry envoie un dernier au revoir à
un autre camarade de la grande époque. Avec Hello Joe, c'est à Joey Ramone que
l'on dit adieu. La chanson, loin de ressembler à du Ramones, est une petite
histoire légère aux sonorités nostalgiques. Simple et très beau. Retour de la
dance sur The Tingler. Le décalage entre le "beat" costaud et la voix de Debbie
Harry est assez étonnant, si ce n'est réussi. Divertissant même si un peu
casse-tête sur la durée. Nouveau rock musclé avec The Last One In The World. La
déception vient surtout du fait que Blondie ne fait plus du punk (ou du
punk-pop, ou du power-pop, comme vous voulez), mais plus du rock FM calibré pour
les radios américaines. On est plus proche du vilain U2 Left Behind que de The
Clash, là. Il n'empêche que le refrain imparable et la voix de Debbie Harry
rendent l'ensemble tout à fait acceptable (voire proche de procurer un plaisir
coupable). Un nouveau tour par les dancefloors, nettement teintés rock, avec
l'agréable, volontaire et étrangement sombre Diamond Bridge. Pas mal du tout.
La
meilleure surprise de The Curse of Blondie surgit avec l'avant-dernier morceau,
le dingue Desire Brings Me Back. Une section de cuivre en roue libre, une
rythmique puissante, une guitare vicieuse et une construction imprévisible, font
de cette chanson le chef-d'oeuvre chancelant de l'album et peut-être le plus
grand moment du Blondie des années 2000. Tenez, c'est tellement bien qu'on
dirait du Tom Waits. C'est dire si c'est bien. Tom Waits, toujours, décidément,
auquel on pensera aussi sur la magnifique conclusion de Songs of Love. Une
ballade ivre de fin de soirée, qui ose s'égarer en territoire électronique sans
perdre de sa superbe. Une ballade un peu ébréchée, un peu divine, un peu triste,
débordant d'une classe inégalable. La classe de Blondie, la classe de Deborah
Harry. Et cette synthèse entre mélancolie jazzy enfumée et rythmiques froides
parvient idéalement à conclure et à résumer The Curse of Blondie.
En
effet, cet album, contrairement à No Exit, ne semble pas être un fourre-tout
inégal où les diamants seraient voisins de vaines tentatives de s'accrocher aux
dernières tendances musicales. Non, The Curse of Blondie s'avère au final très
cohérent, et après un début un peu trop tonitruant et clinquant, trouve le ton
juste entre pop à l'ancienne, rock solide et dance avec de la classe. Debbie
Harry se permet donc de remettre en place aussi bien Madonna (American Life ne
tient pas deux rounds face à The Curse of Blondie) que Kylie Minogue ou toutes
les petites jeunes plus ou moins douées. Et avec une bonne dose de "punk-rock
attitude" qui n'a rien de factice (ces gens déjà là étaient là et bien là en
77). Ces dernières années, on ne voyait guère que des gens comme Moloko osant un
peu approcher la magie blondiesque (et on s'était pris un méchant revers avec le
faux espoir de Garbage), mais là, pourquoi chercher ailleurs ? L'album pop de
2003, c'est le plus grand des groupe pop encore vivant, une légende qui ne
rouille pas, la chanteuse qui a (ré)inventé la classe, qui nous l'offrent. 21
ans après sa triste séparation et 23 ans avec Autoamerican (le dernier véritable
chef-d'oeuvre), Blondie nous remet la larme à l'œil et le cœur en joie. Bien
plus que le frustrant No Exit, The Curse of Blondie est le disque l'on espérait
sans plus vraiment trop y croire. Et qu'importe les faux-pas épars, les trésors
sont en nombre, ils sont en écrasante majorité, comme à la grande époque. La
nostalgie n'est (presque) plus de mise, le présent chante de nouveau avec la
voix de Debbie Harry. |
Gorky's Zygotic Mynci - Sleep/Holiday
C'est avec une discrétion qui leur sied si bien que les Gorky's Zygotic Mynci
viennent de nous offrir leur nouvel album. C'est au détour d'un rayon de Fnac
que l'on croise la pochette, somme toute assez banale, de Sleep/Holiday. On
aurait presque pu passer à côté sans la noter, si ce n'est le sur-emballage
cartonné, un peu inutile, qui donne un peu de volume à l'objet. L'ambiance
visuelle se veut étrangement kitsch et automnale et le tracklisting s'affiche en
première page, bref, tout porte à croire que l'on tient là un petit album d'un
petit groupe indépendant. Pour un quidam qui n'aurait jamais entendu parler du
groupe, il serait difficile d'imaginer que Gorky's Zygotic Mynci est l'un des 4
ou 5 plus grands noms de la musique populaire actuelle et que tous leurs albums
(oui, j'ai bien dit : tous leurs albums depuis 1994) sont indispensables et au
moins la moitié d'entre eux sont de purs chefs-d'oeuvre (Barafundle, Spanish
Dance Troupe, le Ep sublime The Blue Trees, le mirifique How I Long évoqué un
peu plus bas sur cette même page, etc...).
Donc, oui, la découverte d'un album tout neuf des Gorky's est un choc. Lorsque
l'on insert pour la première fois Sleep/Holiday dans le lecteur, on réalise à
quel point on en attend monts et merveilles. How I Long To Feel That Summer In
My Heart est sans nul doute, avec Sumday, le disque qui aura le plus bouleversé
mon année 2003, et qui aura taillé immédiatement sa place dans mon top des
albums fétiches. Il en devient alors prévisible que les premières écoutes de
Sleep/Holiday sont décevantes... Cela semblait inévitable. Je suis encore trop
sous le choc de l'album précédent (découvert avec beaucoup de retard) et
Sleep/Holiday lui est à la fois trop similaire, tout en ne possédant pas le même
impact immédiat. J'ai alors l'impression d'écouter un "accompagnement" de How I
Long et non pas un tout nouvel album plein de surprises et de trésors. Bref,
j'écoute Sleep/Holiday avec grand plaisir, mais je n'accroche pas, le disque est
trop en demie-teinte, je passe à côté des chansons en ne voyant dans la plupart
d'entre elles que des copies un peu fades de celles de How I Long.
Première impression radicalement trompeuse, car au bout de trois jours, la magie
des Gorky's commence à faire son effet. Petit à petit. Tout doucement. En
légèreté. Exactement comme on pouvait l'attendre de la part de ce groupe si
discret et si intime. La première chanson, l'entraînant et joyeux Waking for
Winter commence à sonner comme un hymne d'une fin d'année idéale. L'enchaînement
avec Happiness permet de faire le lien avec l'album précédent tout en affirmant
la personnalité de cette nouvelle oeuvre. Tout ce que l'on aime chez le groupe
du génial Euros Childs est ici présent, cette douceur, cette ambiance onirique
qui donne l'impression de respirer un air frais et pur d'une campagne idéalisée.
La chanson suivante, l'énervé Mow The Lawn rappelle par contre les débuts du
groupe et s'avère un peu moins convaincante (voire légèrement énervante à la
longue). Mais cette légère fausse note est immédiatement oubliée à l'écoute du
brillant Single to Fairwater, qui cache sous ses apparences de classique
ballade, des paroles particulièrement tristes et acérées.
Puis vient le délicat Shore Light. Ah, le terme délicat ne cesse de venir à mon
esprit pour parler de la musique des Gorky's Zygotic Mynci. Il faut m'excuser,
mais on peut difficilement trouver qualificatif plus juste. Et ce Shore Light,
acoustique et murmuré, est d'une beauté toute cristalline. Le bref mais plein
d'enthousiasme Country porte admirablement son nom. Oui, c'est de la country, de
la country européenne, avec de la classe ! L'album reste sur une note enjouée et
estivale avec le motivant Eyes of Green, Green, Green. Nous sommes clairement
ici dans la partie "Holiday" du disque. Et c'est sur la seconde moitié de
l'album que nous allons découvrir l'ambiance "Sleep" et de fin d'été/début
d'automne.
La
suite de Sleep/Holiday est souvent du niveau de How I Long. Tout d'abord avec le
bouleversant The South of France, l'incarnation de la chanson d'amour
mélancolique parfaite. Mélodie simple, délicate, forcément délicate et paroles
qui disent tout en quelques mots. Merveilleux. J'ai lu que Leave My Dreaming
sonne comme une chanson des Beach Boys passée au ralenti, c'est fort vrai.
J'irais même jusqu'à dire que Leave My Dreaming pourrait presque être l'un des
innombrables morceaux perdus de Smile. C'est vous dire si c'est bien.
Sleep/Holiday s'achève par deux ballades épiques et une coda magique. Le premier
monument se nomme Only Take A Night et débute dans un murmure pour s'achever
dans le bruit. Ici, les Gorky's parviennent à faire fusionner leur talent pour
les ballades acoustiques gracieuses et leurs racines de rockeurs électriques.
Littéralement envoûtant, comme un vent furieux qui surgirait dans un soir
paisible de fin d'été. Très impressionnant. Pretty As A Bee déroule 10 minutes
de mélancolie essentiellement instrumentale. Les quelques paroles font échos aux
thèmes déjà au centre de How I Long : l'amour, le temps qui passe, l'absence, le
passé qui revient hanter à la tombée du soir. Sur le début du morceau, on
pensera soudainement aux plus belles partitions de... Pink Floyd... L'errance se
fait rêve...
Mais c'est avec la
dernière chanson de l'album que Sleep/Holiday peut prétendre au titre de
chef-d'œuvre. Ce Red Rocks est une divine ballade qui égale les plus fabuleux
instants de How I Long. Si vous voulez avoir une idée de ce que peut être une
chanson parfaite, que ce soit au niveau de la mélodie, des textes ou de
l'interprétation, Red Rocks est l'une des références de cette année. Et ce
piano... mon Dieu... ce piano.... On se perd dans ses pensées, on écoute un peu
distraitement, on se sent un peu triste, gentiment en paix avec nous-mêmes, avec
le monde, on accepte le temps qui passe, on est humblement heureux... Instant
inestimable...
Et
c'est en gardant le meilleur pour la fin que les Gorky's Zygotic Mynci
parviennent à faire oublier toute déception. Oui, une fois encore, on est tombé
amoureux de leur musique, sans doute la plus raffinée et la plus émotionnelle de
ce côté-ci de l'Atlantique. Dans un style bien différent de celui de Grandaddy,
Gorky's Zygotic Mynci est à l'heure actuelle le seul groupe qui parvient à
m'offrir les mêmes frissons que les musiciens de Jason Lytle. Grandaddy sait
parfaitement user de ses racines américaines et Gorky's Zygotic Mynci se pare
d'une sensibilité toute européenne. Deux groupes complémentaires, donc, touchés
par la grâce, qui ne parviennent toujours pas à me décevoir. Car, non,
définitivement, non, Sleep/Holiday n'est pas une déception. C'est un nouveau
disque discret, délicat, émouvant, intime, de la part du plus discret, délicat,
émouvant et intime des groupes. |
Britney Spears : In The Zone
Dévorée par l'ambition, Britney Spears tente la vampirisation
totale de la musique pop actuelle. Dans un mouvement que n'aurait pas renié le
Michael Jackson de la grande époque, Britney se rêve en "Queen of the Pop". Pour
se faire, elle se confronte, dès la première chanson de ce nouvel album, à la
figure autoritaire incontournable, la Madonne herself. Le choc est brutal,
humide, grinçant et déglingué. Me Against The Music a déjà été qualifié, par des
personnes fort estimables, comme étant l'un des "10 plus horribles singles de
l'histoire de la pop". C'est vous dire si on ne fait pas de prisonniers. Le
morceau est aussi accrocheur que déplaisant. Aucune véritable mélodie sur
laquelle se reposer, des brassées de gimmicks coupants qui semblent s'effondrer
sur le passage de l'auditeur. Le morceau est follement entraînant, étrangement
érotique et en même temps très antipathique. Au fil des écoutes on reste
admiratif et, loin d'être un machin immonde, Me Against The Music fait honneur à
son titre aussi ambitieux que vaniteux. Un massacre en règle qui nous transporte
dans une autre dimension... The Zone. The Britney Zone (déjà présente depuis
1999 dans Lourdland sur ce même site !). Radicalement génial. Et que l'on ne s'y
trompe pas, ce qui ressemble à un catch vocal entre la mère incestueuse et sa
progéniture avide de liberté, se transforme bien vite en un remake musical de
The Vampire Lovers.
Et
le reste de l'album vient emprunter cette voie tortueuse et étonnante, déjà à
l'œuvre sur les Slave 4 U et Boys de l'album précédent. Sur In The Zone, il ne
reste quasiment plus aucun vestige de l'ancienne Britney. Il n'y a plus de pop
pyrotechnique à la manière de Trevor Horn, il n'y a plus de ballades gluantes
co-signées par Shania Twain. Tout est adulte et agressif, et l'album finit par
ne plus ressembler à rien de connu dans notre beau monde. Incroyablement
radical, le nouveau Britney Spears ne cesse de surprendre. Comme par exemple
avec le second morceau I Got That (Boom Boom), un machin de r'n'b/hip hop
vicelard qui renvoie aux oubliettes le très médiocre album de Beyoncé (sauf le
fabuleux single Crazy In Love, mais c'est une autre histoire). Britney ne veut
plus être Bit-Bit, la petite fille sage un peu dévergondée, dont on avait du mal
à prendre au sérieux les quelques incartades érotiques. Maintenant, c'est un
autre film, une autre existence, une différente classe. Car la chanson suivante,
Showdown persiste dans la veine sanglante du début de l'album. Tout n'est que
murmures et production organique. Un vieux titre de film X surgit à notre
esprit, In The Zone, c'est "l'Indécente aux Enfers" !
Des
gimmicks, il n'y a plus que cela chez Britney, des accroches oreilles et des
braquages du cerveau. Mais la maligne emprunte à tout le monde. Au rock, à la
pop, au rap, au r'n'b, à l'electro, au métal, au funk, chez Madonna, Michael
Jackson, les Destiny's Child, Kylie Minogue... Kylie justement, ouvertement
pillée sur Breathe (une chanson de Kylie porte le même nom !), dans un délire
neo-disco parfaitement convaincant (bien plus que le nouvel album de la Minogue
sus-citée). Britney l'a dit en ouverture de l'album : "All the people on the
floor ! I want to see you dance !". Et elle y parviendra quel qu'en soit le
prix. Elle veut fédérer, elle veut tout dominer par tous les moyens, même les
plus triviaux. Elle se livre alors entièrement, nue et pornographique, sur un
Early Mornin' orgasmique (et oui je sais que c'est l'ignominieux Moby qui
produit... mais bon, ça pourrait être Charlie Oleg que ça ne changerait pas
grand chose). Britney nous baille à la face. Elle ricane, nous soupire dans
l'oreille. Et c'est pire que si elle se masturbait en public à Disneyland. Sa
musique est désormais gorgée jusqu'au débordement de petits pièges, de sons
étranges qui sortent de nulle part, de dissonances presque effrayantes. In The
Zone devient par instant une BO perdue d'une scène coupée de Twin Peaks Fire
Walk With Me.
Arrivé au sixième morceau de l'album, le terrible Toxic, on se rend compte que
Britney n'a pas baissé les armes une seule fois depuis le début. Toujours à
l'attaque, travaillant au corps, elle nous vide de tout esprit critique. On
aimerait avoir un peu de recul, pour se souvenir que Britney Spears est
l'Antéchrist de la musique que l'on aime. Et que si on lui concédait certains
charmes et une belle efficacité, on n'avait jamais vraiment imaginé aimer sa
musique, être surpris, être charmé par la pimbêche à couettes, cette fillette
américaine niaise et proche du degré zéro du glamour tel qu'on le rêve. Mais en
écoutant l'effroyable Toxic, bombe pop inhumaine, qui accumule les effets
irrésistibles comme on n'en a jamais vraiment entendu depuis que Michael Jackson
a définitivement pété les câbles, on ne sait plus trop quoi penser. On ne
voudrait pas aimer cela, et pourtant c'est génial. Le petit sample de violon là,
le petit riff de guitare à la Ennio Morricone (ou à la Faye Wong (??!!)), la
voix qui part dans les aigus en dissonant comme c'est interdit par la convention
de Genève (comme si Mariah Carey rejoignait le côté obscur), tout cela nous
plaît trop, on sait que c'est mal, mais on aime ça, et on aime d'autant plus que
l'on sait que c'est mal.
Sur
Outrageous, Britney ne nous lâche pas, elle continue à nous étouffer dans un
maelström sonore d'une sophistication synthétique effroyable. Ce n'est que sur
le plus apaisé Touch of my Hand qu'elle consent à nous laisser souffler, tout en
persistant à donner des petits coups de pieds mesquins au cadavre de Madonna
(définitivement vidée de son fluide vital par Britney Carmilla). Mais In The
Zone ne pouvait pas flirter ainsi avec les étoiles sans se brûler les ailes.
C'est sur The Hook Up que Britney manque d'exploser en vol. Dans un bordel
vaguement "ragga", elle s'égare. Le groove se prend les pieds dans le tapis, le
procédé s'évente, la magie s'estompe, on reprend nos esprits, choqués de
découvrir les incisives de Bit-Bit plantés dans notre cou. Mais l'intro
ténébreuse de Shadow (c'est de circonstances), ses airs de "trip-hop" obsolète
et les vibrations électriques de la voix de Britney pourraient nous faire
replonger dans la torpeur. Mais le refrain, soudain, retrouve les accents
pompiers des anciennes ballades de la demoiselle. On se heurte alors à nos
vieilles réticences. Pourtant, la production résolument monumentale ne cesse de
nous prendre à la gorge. Bit-Bit, qui nous a saigné à blanc avec toute la
première moitié de l'album, Britney, si certaine de nous avoir conquis, ose la
ballade à la Mariah Carey et parvient à sauver la mise. De justesse.
Et
c'est avec la pop enjouée et carrée de Brave New Girl que la miss veut planter
un pieu dans le cœur de la Madonne, elle qui n'a cessé de faire planer son ombre
sur In The Zone. Alors ? Alors ? Brave New Girl est-il le nouveau Material Girl
? On serait tenté, ah, qu'on nous pardonne, de répondre par l'affirmative. Il y
a le même côté irresponsable, horripilant et adorable que dans le tube fondateur
de la Ciccone. Oh, vous allez être nombreux à trouver cela immonde, tant ce In
The Zone n'est pas un album sympathique et ressemble souvent plus à une attaque
au Napalm qu'à un disque de pop de bon goût. Mais voilà, c'est sur le tout
dernier morceau, la seule véritable ballade, Everytime, que Britney remporte la
mise et s'envole avec la banque. Car elle a réservé un petit espace délicat dans
ce déballage indécent de puissance érotique. Un tel morceau aurait semblé
immonde et démagogue, gluant, sur les autres oeuvres de Bit-Bit, et on ne
pardonnerait cela à personne. On se méfierait. Mais là, bizarrement,
magiquement, on est touché. Tout cela est formaté, pensé par des producteurs
immondes, tout cela n'est ni pire ni meilleur que ce qu'aurait fait un Phil
Spector ou un Trevor Horn en son temps... Chacun y trouvera ce que sa
sensibilité voudra bien y amener. Que ce disque soit atroce aux oreilles de la
plupart d'entre vous, cela ne me surprendra pas. Mais que ce soit un sommet de
la pop de notre époque, cela ne me surprendrait pas non plus. Et loin d'avoir
honte d'apprécier le dernier Britney Spears, on peut sans problème l'assumer. In
The Zone est une bombe, une claque, une perle, un sortilège et comme je vous le
disais déjà au tout début, on n'est pas près de se débarrasser de Britney. Tant
mieux. |
Johnny Cash
Il
est toujours regrettable d'évoquer un artiste que l'on aime énormément à la
seule occasion de son décès. Cela fait des années que j'aurais aimé au moins
glisser une petite chronique au sujet de Johnny Cash sur ce site. Si j'ai
fréquemment cité son nom, c'était pour qualifier d'autres personnes (notamment
Frank Black et ses Catholics), mais jamais pour ne parler que de lui et de sa
musique. Sans doute, me disais-je bien innocemment, que j'avais du temps devant
moi et que de ne pas l'évoquer c'était reculer un peu la fatale échéance.
Et maintenant,
bêtement, je ne peux que suivre le mouvement et ajouter quelques lignes,
provisoires, forcément provisoires, pour bien signifier que, oui, comme au moins
la moitié de la planète, je suis un fan de l'Homme en Noir. Et que l'annonce de
sa mort, cette échéance que l'on annonçait depuis 10 ans et qu'il parvenait à
repousser sans cesse, m'a beaucoup touché. Presque un an après Joe Strummer,
voilà encore un type bien qui s'enfuit. Mais, contrairement à Joe, Johnny Cash
avait eu le temps de nous tirer sa révérence en musique. Et quelle putain de
musique ! Depuis le premier American Recordings, Johnny Cash n'a cessé de signer
des albums funèbres d'une beauté douloureuse et quasiment inqualifiable. Il
suffit d'écouter la manière dont il vole à Nick Cave sa plus belle chanson (le
sublime The Mercy Seat) pour en faire un monument encore plus intouchable. Il
suffit d'écouter son interprétation chancelante et bouleversante de Hurt pour
remettre en question le culte que l'on voue à la version de Trent Reznor.
Et il y a quelques
mois, lorsque j'ai écouté pour la première fois son dernier album et l'ultime
chanson qu'il a enregistré, sa coda, sa reprise de We'll Meet Again, m'a fait
pleuré comme un gamin, de la dixième seconde jusqu'à la dernière...
"Le reste est silence". |
IAM - Revoir un Printemps
Avec la sortie de Revoir un Printemps, la surprise ne réside pas dans l'immense
qualité du disque (ça, c'était prévisible), mais bien dans la sortie de l'album
elle-même. En effet, cela faisait six ans que l'on attendait le successeur de
l'excellente École du Micro d'Argent. Certes, tous les membres d'IAM n'ont pas
glandé pendant cette période, mais comme le prouve Revoir un Printemps, ils ne
sont jamais aussi bons que lorsqu'ils unissent leurs forces. Et de force(s), ce
(très long) album n'en manque pas. Au contraire, c'est le disque coup de poing
dans la gueule idéal. Une telle violence, au niveau des textes et du son, est
assez surprenante de la part d'un groupe qui se réservait souvent des petits
écarts plus légers au sein de ses albums. Ici, à part une poignée de morceaux un
peu moins agressifs, tout est brutal, coupant, nerveux, tendu comme un arc.
Revoir un Printemps se donne des airs de Raging Bull, parle beaucoup du passé,
pas mal du présent et énormément de l'avenir, et ne cesse de répéter, comme De
Niro à la fin du film de Scorsese : "I'm the Boss, I'm the Boss", pour s'en
convaincre et pour tenter de convaincre l'auditeur.
Et
dès le premier morceau, le fantastique Stratégie d'un Pion, l'auditeur est
immédiatement convaincu, certainement pas con, mais totalement vaincu. Ca tape,
ça claque, les mots tombent justes et la production explose sans relâcher la
tension une seule seconde. Désormais, IAM est sous la direction vocale de trois
MCs (Akhenaton, Shurik'n et Freeman) qui se partagent équitablement les rôles.
Tous possèdent une personnalité puissante, un style unique et de formidables
trouvailles textuelles. Encore plus que dans les trois premiers albums, les
textes sont le principal intérêt de ce disque. Plus mâtures, plus enragés, plus
engagés, plus ciselés, les paroles tombent souvent très justes et ne cessent de
relancer l'attention de l'auditeur. Du moins, de relancer mon attention, à moi
l'auditeur qui n'écoute que très peu de rap et de hip-hop.
Bien sûr, sur l'ensemble des 18 morceaux du disque, il y a des hauts et des bas.
Certaines chansons ne sont pas immédiatement percutantes et celle où intervient
Beyoncé est un peu problématique (son refrain est totalement "ailleurs" par
rapport au reste du morceau). Mais au moins une bonne moitié de l'album touche
au chef-d'œuvre. Outre cette Stratégie d'un Pion, je retiendrais, dès les
premières écoutes, Quand Ils Rentraient Chez Eux, Lâches, le très beau Revoir un
Printemps, le costaud Armes de Distraction Massive, le sublime Visages dans la
Foule, l'éprouvant Ici ou Ailleurs, le brutal Tiens, le non moins éprouvant
Fruits de la Rage et la conclusion de Aussi Loin Que l'Horizon, qui n'atteint
pas le génial Demain c'est Loin du précédent album, mais quand même !
Musicalement, l'album ne cherche pas à rivaliser avec les productions
américaines les plus sophistiquées. Au contraire, Revoir un Printemps semble
sciemment éviter la plupart des pièges d'un "rap-pop" à la Eminem. A part
quelques écarts (dont le single avec Redman et Method Man du Wu Tang Clan), rien
n'est prévu pour plaire aux amateurs de rap à la radio. Mettant ainsi d'autant
plus en valeur les textes et le phrasé parfait des trois MCs. Et si IAM a
clairement vieilli (pour le meilleur), ce temps qui a passé, ce lendemain
lointain qui finit toujours par arriver, leur a offert une puissance nouvelle et
une volonté de ne rien céder. Un disque sans presque aucune concession qui
risque de ne pas rencontrer un immense succès commercial, mais qui confirme le
statut, unique en France, d'un groupe qui a toujours réussi à se renouveler sans
se perdre, à rester en phase avec son époque et à ne signer que des
chefs-d'œuvre. Chapeau bas, messieurs ! |
Sophie Ellis-Bextor - Shoot From The Hip
De
Sophie Ellis-Bextor, on était en droit d'attendre beaucoup. Essentiellement
qu'elle transcende les débuts prometteurs de son Read My Lips. La première
déception survint avec le single, Mixed Up World, un remake embarrassant de
Murder On The Dancefloor. Et si la voix a toujours de la classe, le reste n'est
guère palpitant, ni même véritablement efficace. L'album, essaie d'abord de
rassurer, avec une ouverture sur un Making Music franchement proche du Music
(justement) de Madonna. Ca sonne bien, c'est très rock, lorgnant du côté de
l'excellente pop des Sugababes. Malheureusement, Mixed Up World enchaîne
aussitôt. Bof. Après, c'est un quasi plagiat de Kylie Minogue avec un I Won't
Change You à nouveau bien peu convaincant. Le refrain se laisse écouter, mais
que tout cela est prévisible. Alors, certes, sur un Nowhere Without You, on
retrouve une part de la classe de Sophie Ellis-Bextor, mais rien qui ne nous
enivre véritablement. C'est beau, bien fait, mais sans passion, sans risques.
Sur Another Day, la miss persiste à creuser le filon extrêmement éculé de la
nostalgie 80's. Ouf, bon, on va ranger les vieux Human Leagues, maintenant, là,
ça suffit la plaisanterie.
Ce n'est que sur
l'entraînant Party In My Head que l'on cède un peu aux charmes de la Sophie.
Même si la banalité de la chose ne cesse d'attrister. C'est d'autant plus
flagrant sur Love It Is Love qui pourrait sortir de Read My Lips sans que l'on
ne s'en rende compte. Sophie en profite pour quasiment plagier le Freak Like Me
des Sugababes sur You Get Yours, peut-être, malgré tout, le meilleur morceau de
Shoot From The Hip. Doublé gagnant avec le pas mal du tout Walls Keep Saying
Your Name. Mais on retombe dans une certaine routine avec I Won't Dance Without
You. Le très cool I'm Not Good At Not Getting What I Want fait sourire. Ah !
Sophie ! Tu es belle, tu as une voix parfois divine. Tu pourrais avoir une
sublime classe si tu le voulais ! Et c'est le dernier morceau, le très joli
Hello, Hello qui vient sauver l'album de la débandade quasi générale. On ne
regrette pas totalement d'être venu revoir Sophie, mais Dieu que l'on est déçu !
Il y a bien un titre bonus rigolo (une reprise de Olivia Newton-John...), mais
il est trop tard. On attendra, sans précipitation, la suite des aventures de la
demoiselle, en espérant que ce faux-pas ne l'entraînera pas dans les limbes... |
Frank Black & The Catholics
Show Me Your Tears
Il
faut parfois faire face aux faits (allitération en "f"). Comme il y a des
groupes spécialisés en reprises des Beatles ou d'Elvis Presley, un auditeur
innocent et naïf pourrait penser, de prime abord, que Frank Black & the
Catholics est un groupe spécialisé en reprises de Neil Young. Depuis les Pixies,
on sait que Frank Black compte parmi ses idoles le Loner. Influence souvent
hautement explicite, jusque dans l'excellente version de Winterlong sur le
single de Dig For Fire. Mais depuis le début de sa carrière solo et d'autant
plus depuis la radicalisation "rock" des Catholics, Charles Thompson semble ne
plus jurer que par Bruce Springsteen et Neil Young. Par instants on irait
jusqu'à hurler au plagiat, mais en même temps Frank Black n'est pas le premier
petit rigolo venu. Son talent est immense, ses capacités de compositeur et de
chanteur aussi. Il parvient ainsi à chanter du Neil Young avec les voix de
Michael Jackson et de Leonard Cohen... au sein du même morceau, bien sûr, sinon
ce ne serait pas drôle (Massif Centrale). Mais voilà, il est désormais temps de
faire face à la réalité et de se poser la question de ce que l'on attend
vraiment d'un nouvel album de Frank Black.
Car
Show Me Your Tears n'apporte musicalement pas grand chose de nouveaux à Dog In
The Sand et à Black Letter Days. Certes, c'est bien l'immortelle basse des
Pixies qui résonne sur Massif Centrale, certes l'intro au piano de New House of
the Pope est très classe (mais directement issue du Tonight's The Night de...
Neil Young), certes Horrible Day c'est la chanson de rock américain parfaite,
certes The Old Heartache c'est déchirant, et il faut oser faire du Neil Young à
ce point sur Coastline. Non, franchement, musicalement, c'est toujours la même
chose, mais oui, mais oui, mais c'est toujours aussi bien. Et Frank Black a beau
dire que c'est son album le plus déprimé, il est nettement plus "joyeux" que le
plombant (mais génial) Black Letter Days.
Plus encore que Dog In The Sand, Show Me Your Tears s'affirme comme un grand
"best of" du rock américain de ces 50 (voire plus) dernières années. Du blues à
la country en passant par le métal californien. Mais le problème essentiel de
cet album n'est pas sa qualité intrinsèque (c'est du carré, du costaud, du
solide, du taillé dans le marbre), le principal problème, qui couve chez Frank
Black depuis près de 10 ans, c'est que c'est toujours le même disque. Lorsque
l'on veut chercher les quelques différences avec les précédents opus, on devient
des enquêteurs un peu mesquins. On notera un harmonica ici, des cuivres là, la
mélodie étonnante de l'hymne Manitoba... Mais aux premières écoutes on
remarquera surtout les similitudes. En ce sens, Show Me Your Tears est l'album
qui fait définitivement table rase du passé pixisien de Charles Thompson. Au
moment où il se réconcilie sur scène avec ce fameux passé glorieux, son nouvel
album fait désormais totalement pencher la balance dans le sens de sa carrière
de rockeur avide de grands espaces et qui aimerait bien reprendre Ragged Glory
sans que cela ne se voit trop...
Les
fans de Frank Black, dont je fais bien sûr partie, vous l'avez compris depuis le
temps, donc, les fans de Frank Black trouveront largement leur bonheur sur Show
Me Your Tear. L'album est, sans aucun doute, aussi réussi que Dog In The Sand et
que Black Letter Days. Mais c'est toujours le même disque. Ceux qui n'aiment pas
la carrière solo de Frank Black ne trouveront rien ici qui pourra les faire
changer d'avis. On leur conseillera quand même l'écoute, car on ne sait jamais.
Pour tout le monde, même les moins convaincus, donnez une chance à Nadine, New
House of the Pope, Massif Centrale, Manitoba et à The Snake, sans doute les
chansons les plus immédiatement frappantes de ce Show Me Your Tears qui tient
ses promesses mais qui ne va pas plus loin. On va me dire que l'on s'en fout, on
voulait du Frank Black, on en a.
SHOW ME YOUR TEARS en détails
- Nadine : Sur l'intro, on se dit que Frank
Black, plutôt que de reprendre Tom Waits ou de faire semblant d'être les Rolling
Stones, veut tout simplement prendre la place de l'un et des autres. Donc,
Nadine s'avance pendant une minute sur les bases d'un "blues-rock tribal"
troublant. Avant d'exploser sur un rock carré et un solo de guitare hystérique.
Le son est très agressif, très coupant et la voix de Frank Black annonce la
couleur, Show Me Your Tears ne sera pas un disque gai. Ca va chier. Une superbe
entrée en matière, comme sur à peu près tous les albums de Charles Thompson.
- Everything Is New : Une délicate ballade
rock, très classique, qui pourra rappeler bon nombre d'autres chansons de l'ami
Frank. Quelque part entre End of Miles et I'll Be Blue. Aucun effet de surprise,
mais un superbe emballage (production classe, piano classe, chœurs classes,
guitare classe, paroles classes). Et déjà une bonne dose d'émotion.
- My Favorite Kiss : Musicalement, c'est du
Catholics tout ce qu'il y a de plus habituel (avec l'introduction de
l'harmonica). Mais ce qui transcende ici le morceau, c'est le chant de Frank
Black. Posé, confiant, visiblement très préoccupé de toucher l'auditeur, deux
minutes parmi les plus matures de l'œuvre de Charles Thompson. Très beau.
- Jaina Blues : belle intro acoustique, avant
d'évoluer vers une réminiscence étonnante des deux premiers albums solos de
Frank Black. Et rapidement la chanson prend son rythme de croisière sur un rock
plus classique et finalement moins blues que Nadine. Un morceau efficace mais
qui perd son intensité sur la durée.
- New House of the Pope : énorme intro piano +
basse pour un bien beau moment de Show Me Your Tears. Un rock-blues bien sûr
très influencé par Neil Young, mais interprété avec un vrai panache par les
Catholics. Un exercice de style et de classicisme. Oui, mais quelle classe !
- Horrible Day : une version légère et
"joyeuse" du terrible Black Letter Days. Au désespoir des paroles répond une
musique country-rock particulièrement enlevée. Encore du très classique mais qui
culmine sur un refrain audacieux dans son lyrisme country obsolète. Amusant.
- Massif Centrale : On pardonnera sans
problème la faute d'orthographe du titre pour s'extasier devant ce qui est
peut-être la meilleure chanson de Show Me Your Tears. Massif Centrale est un
petit best of de ce que l'on aime dans la carrière solo de Frank Black. Intro en
mode mineur, basse pixisienne en diable (celle de Debaser, quand même !), piano
en soutien discret mais essentiel, énergie croissante, solo de guitare ultra
bref et bordélique, refrain à double détente et un véritable moment de grâce en
tout début de chanson quand Frank Black part dans les aigus en livrant une
imitation troublante de Freddie Mercury. Le genre de petits chefs-d'œuvre "pan
dans la gueule" qui transforme les plus classiques des albums en vrais
indispensables. Monumental.
- When Will Happiness Find Me Again : sur la
deuxième moitié de Show Me Your Tears, Frank Black mise sur de courtes chansons
qui sont un peu à la country-blue-rock des Catholics ce que les missiles
hardcore-punk-pop étaient aux Pixies. Pour exemple, ce When Will Happiness Find
Me Again, discret, carré, classique (décidément), mais joliment efficace.
- Goodbye Lorraine : dès le début on a compris
la donne : c'est de la country. De la pure, de la dure. Une image d'Epinal du
standard country comme on voit dans les vieux films. Quelque part entre le
traditionnel My Darling Clementine et le So Long Marianne de Leonard Cohen
(Goodbye / So Long, je sais, je fais des comparaisons faciles...). L'un des
moments les plus dispensables de l'album.
- This Old Heartache : encore une magnifique
intro au piano (de plus en plus la marque de fabrique des Catholics) qui
s'enchaîne à une rythmique inattendue et une mélodie troublante qui fera une
nouvelle fois penser à certaines oeuvres de Tom Waits. Comme Waits, Frank Black
dérive parfois vers la musique de "westerns gothiques". Cette ambiance bizarre,
le chant malade de Frank Black et un travail sur les guitares particulièrement
barré font de cette chanson l'un des sommets de Show Me Your Tears.
- The Snake : l'un des standards évidents de
Show Me Your Tears, The Snake pourrait faire un single grandiose, malgré (ou
grâce) à sa très courte durée. The Snake est un petit rouleau-compresseur rock
dont le climax se situe bien sûr dans un étonnant solo de saxophone (on se
croirait revenu au premier disque solo).
- Coastline : l'hommage le plus évident (hors
reprises) que Frank Black ait rendu à son plus important inspirateur : monsieur
Neil Young. Non seulement Coastline porte le même titre qu'une chanson du Loner
(sur Hawks & Doves, récemment réédité en CD), mais il sonne avec un mimétisme
frappant comme une chanson perdue d'un Comes a Time ou d'un After The Gold Rush.
Deux petits minutes émouvantes pour bien rappeler que si l'on aime Frank Black
on ne peut que placer au-dessus de tout l'intégrale de Neil Young.
- Manitoba : un hénaurme final. Encore une
fois, mais on commence à avoir l'habitude, l'intro est splendide. Avant
d'enchaîner sur ce que l'on peut qualifier de véritable hymne. Un rock quasiment
"pompier" qui culmine sur un refrain à reprendre en chœur en concert. Manitoba
est d'ailleurs taillé pour le live. Cela pourrait être indigeste, mais la belle
mélodie, les paroles amusantes et le chant très nuancé de Frank Black, font de
Manitoba une conclusion étonnante, audacieuse et particulièrement marquante à
Show Me Your Tears.
Au final, l'album
s'affirme comme très classique mais aussi très agréable, la qualité des
compositions n'étant à peu près jamais prise en défaut. On notera aussi que, si
Frank Black annonçait le disque comme très sombre, ce album est moins déprimé et
bouleversant que le terrible Black Letter Days. La déception est sans doute
présente, mais avec le temps on finit essentiellement par retenir les
excellentes chansons et même si elles sont peut-être un peu moins nombreuses que
sur Dog in the Sand ou Black Letter Days, Show Me Your Tears demeure un album
indispensable pour les fans de Frank Black et une oeuvre d'une grande classe.
Forcément.
Petite précision en conclusion (provisoire, forcément provisoire), il faut
radicalement distinguer les deux périodes de la carrière solo de Frank Black
(sans puis avec les Catholics), sous peine de ne pas apprécier pleinement les
qualités de ses dernières oeuvres. En effet, si l'on compare le génial Teenager
of the Year avec les productions des Catholics, on ne peut qu'être déçu. Les
albums des Catholics sont nettement moins dynamiques, novateurs, variés,
enthousiasmants. Mais leurs qualités se situent ailleurs. Dans l'émotion qui
s'en dégage, dans la qualité de l'écriture et du chant de Frank Black, dans les
instants magiques disséminés ici et là. Frank Black n'est plus le Dieu du rock
comme il l'était encore à l'époque de Teenager of the Year, c'est désormais un
vieux sage du rock américain, qui a encore de grandes choses à nous conter et de
belles chansons à nous offrir. |
Grandaddy : Concert le 18 juin 2003 au Café de la Danse à Paris
"I
guess they still don't understand, they will never understand, they can never
understand", insiste Jason Lytle. Oui, effectivement, ce soir-là une grande
partie du public n'a rien compris à ce qui était en train de se passer. Ce
soir-là, Jason Lytle venait de perdre un être cher. Et le monsieur aurait
souhaité être n'importe où, sauf sur cette scène où malgré tout le spectacle se
devait de continuer. Alors Jason Lytle a pleuré. Il a pleuré pendant la grande
majorité du concert. Et nous, nous étions là, face à lui, à ne pas savoir trop
quoi faire, comment réagir. A plusieurs reprises, le leader de Grandaddy a
montré qu'il en voulait au public, que nous étions bel et bien là au plus
mauvais des moments. Et à d'autres instants, il essayait de détendre la
situation, maladroitement, comme pour se faire pardonner d'avoir décidément trop
mal ce soir et de nous emmener malgré lui, malgré nous, dans ses tourments. Et
comme pour contrebalancer cette situation proche de l'insoutenable (rester ?
partir ? faire silence ? que faire ? que dire ?), le groupe a offert le meilleur
des concerts qu'il m'ait été donné de voir.
Car
il faut balayer les clichés tenaces, il faut cesser ces vagues continuelles
d'insultes qui circulent dans le moindre des articles dédiés à Grandaddy. Ce
groupe n'est pas un ramassis de vilains rednecks barbus ploucs et que sais-je
encore ? Ce groupe a la classe, ce groupe est beau, sur scène le charisme de
Jason Lytle est une tornade. Ces types sont des artistes jusqu'au bout des
ongles. Et ceux qui en sont encore à se gausser de leur apparence, ne sont
finalement que dégoûtés de voir un gros barbu, qui aime l'écologie, le skate, la
bière et son pays, de le voir, lui, lui qui s'éloigne en apparences tant des
clichés de "l'Artiste romantique tourmenté", de le voir composer les chansons
les plus touchantes et délicates de notre époque. Oui, ces gens sont jaloux,
mais ils oublient un peu vite que ce si fameux Brian Wilson n'était finalement
qu'un djeun californien amateur de bagnoles, de bimbos et de surf. Et pour en
finir avec un autre cliché qui colle aux baskets de Jason Lytle. Désormais on ne
le comparera plus aux grands anciens de la pop. Non. Ce sont les nouvelles
générations que l'on comparera à Jason Lytle. On dira de ce nouveau petit génie
qui surgira dans un futur proche : "Ah ! Il est le fils spirituel de Brian
Wilson et de Jason Lytle". Mais, il faut l'avouer, tout cela est bien trivial
face à la musique de Grandaddy.
Malgré la souffrance, et sans doute aussi grâce à elle, Jason Lytle et ses
camarades ont tout donné avec une sincérité et une intensité incroyable. Voir un
groupe avec un tel répertoire au bout d'à peine trois albums (et une poignée de
Ep), c'est renversant, presque inhumain. Surtout que, si Grandaddy est un
merveilleux groupe "à albums", c'est aussi un fantastique groupe "de scène". Le
choix des morceaux interprétés est à ce titre d'une intelligence affolante. Pas
(ou presque) de pièces lentes et complexes, mais essentiellement les bombes
pop-rock qui rendent leurs disques si peu ennuyeux à écouter et à réécouter.
Grandaddy sur scène, c'est l'association entre une énergie presque punk et une
sophistication mélodique rare. Tous les "tubes" ont ainsi été joué. Accompagnés
par des petits clips ou des images projetés en fond de la scène. Cela allait du
documentaire sur la vie des insectes, aux extraits de vieux films, en passant
par les aventures pittoresques des gens de Grandaddy murgés. Mais finalement, ce
visuel n'était qu'une petite gâterie supplémentaire et ne venait jamais voler la
vedette à la musique.
Vous allez me dire : comment Jason Lytle parvient-il à recréer ses compositions
pleines de pièges, de sons bizarres et de breaks assassins sur scène ? Et bien,
oui, il y arrive. Avec l'aide de tout son petit monde, certes, mais aussi avec
l'aide d'un matériel du plus compliqué au plus trivial (dont par exemple la
révélation du mystère du son couinant qui ouvre Now It's On, en fait un appeau à
canard...). En "vrai", toutes ces chansons que l'on connaît désormais par cœur
et qui font partie de notre existence comme les amis les plus proches, prennent
une toute autre dimension. On se laisserait emporter totalement par cette
musique venue des cieux, mais la souffrance de Jason Lytle vient nous rappeler
que ce moment est aussi délicieux qu'insoutenable.
Pour mémoire je vais rappeler le "set listing" du concert. Ouverture avec Hewlett's Daughter, très efficace et légèrement inattendue pour lancer un
live. Enchaînement avec le déchirant Yeah Is What We Had, à la fois léger
par le chant aérien au possible de Lytle et lourd de regrets par son riff de
guitare. Poursuite avec le monstrueux Summer Here Kids, terrible
hurlement d'une énergie qui nous explose à la figure à chaque écoute. Vous ne
pouvez même pas imaginer ce que cela donne sur scène (clip hilarant par
ailleurs). Le méconnu (car sur The Broken Down Comforter Collection) Levitz est joué ensuite. On apprend alors la raison de la tristesse insondable qui
ravage le leader de Grandaddy ce soir. Le clip, dessin animé déprimant qui
montre la séparation involontaire de deux chats qui partaient en voyage de noces
dans l'espace, achève de rendre le moment bien trop douloureux. Heureusement
(?), Levitz est aussitôt contrebalancé par le missile Chartsengrafs.
Ensuite c'est The Go and The Go-For-It, que Jason Lytle présente comme
une chanson sur le thème de "parfois il faut mieux fermer sa gueule". Certes,
aie aie aie. Puis, un gag, récurrent, sur l'insuccès chronique de ce qui reste
leur plus sublime single, The Crystal Lake. Bien, rien à ajouter, tout le
monde doit savoir désormais que c'est LA chanson pop-rock parfaite. Surprise en
milieu de concert avec une version tétanisante de Laughing Stock, le
coeur palpitant de leur premier album. Alors que pourrais-je dire ? Une bêtise
du style : "instant féérique" ? Non. Je vais plutôt me taire et souhaiter à tous
ceux qui n'étaient pas là ce soir-là, de ne pas rater la prochaine tournée du
mois de novembre 2003.
Dernière ligne droite avec l'impeccable The Group Who Couldn't Say ("are
you happy with what you're doing ?"). Le toujours très populaire et doté d'un
clip littéralement renversant A.M. 180. Une pause (c'est le cas de le
dire) avec le très chargé de sens I'm On Standby. Jason Lytle, cela se
voit, n'en peut plus. Mais il ira jusqu'au bout quand même. Immense. Il jouera
même l'hilarant Our Dying Brains (face B du Crystal Lake), qui plaît tant
à ces potes déjantés. Puis c'est le bouquet final avec le fantastique Now
It's On (essayez juste une seconde de résister au refrain). Et une
conclusion à la fois surprenante et finalement tout à fait logique sur Lost
On Yer Merry Ways. Conclusion triste et pleine d'espoir qui culmine sur une
monstrueuse montée de guitares en folie où toute la rage de Jason Lytle a pu
s'exprimer. Le génial compositeur était littéralement tordu de douleur et
c'était pour nous aussi sublime qu'atroce. Finalement, on pouvait ne pas
s'attendre à un rappel. Le groupe ayant déjà tellement donné, au-delà de ce qui
était permis d'espérer d'un tel soir.
Mais non, Jason Lytle remonte sur scène. Et c'est par l'intermédiaire de la plus
belle chanson du groupe (et aussi, avouons-le, de la plus belle chanson de ces
dernières années), qu'il va nous faire passer son ultime message. He's
Simple, He's Dumb, He's The Pilot. Perdu, oui, Jason Lytle était perdu,
seul, seul face à une foule qui ne comprenait pas, qui ne pouvait pas comprendre
ce qu'il pouvait ressentir à cet instant. Mais, bigger than life, il n'allait
pas abandonner, il allait partir debout (mais à bout de forces), il allait tout
donner au spectacle une dernière fois, au péril de ses sentiments. On aimerait
être ailleurs, comme lui. On aimerait que cela soit différent. Et en même temps
on sait que l'on vit quelque chose d'unique, de littéralement extraordinaire. Et
cette musique est la plus belle qui soit. Touchée par la grâce, oui, et même
plus. On ne cherche plus à comprendre, on s'incline, on est en face d'un type
qui nous dépasse totalement, de la lignée de la poignée des véritables artistes
qui ont marqué la musique populaire. On se dit que même si cet instant est
souffrance, on n'échangerait sa place pour rien au monde, on assiste à la
confirmation (car il ne s'agit plus là de naissance), d'un talent hors normes.
Qu'à partir de ce jour, chaque concert de Grandaddy sera un moment historique et
que dans bien des années, on nous enviera à crever d'avoir été là à cet instant.
Oui on a raté les Beatles, oui on a raté les Clash, oui on a même raté les
Pixies, mais on ne passera jamais à côté de Grandaddy.
Jason Lytle quitte la scène au ralenti, en chancelant, il remercie encore le
public, et on ne sait pas s'il réalise lui-même ce qu'il nous a donné ce soir.
On aimerait pouvoir lui dire que l'on comprend, que l'on sait, qu'on ne
l'obligeait pas à monter sur scène ce 18 juin 2003, qu'on aurait tout pardonné.
On reste alors sur un sentiment angoissant. Partagé entre ce malaise qui ne nous
a finalement toujours pas quitté et cette joie transcendante d'avoir assisté à
un moment qui dépasse les mots. On rêve alors de la meilleure des conclusions
possibles : les revoir. Le plus vite possible, le plus tôt possible.
Avant ce concert, j'aimais déjà ce groupe à la folie, comme on peut le lire
juste en-dessous sur cette même page. Mais après ce soir-là, c'est une
admiration sans bornes que je ressens. Non seulement Grandaddy est le groupe
actuel que je chéris le plus, mais cette affection ne cesse de grandir de jour
en jour. Oui, il y a d'autres gens talentueux et d'autres groupes qui méritent
bien des éloges dans nos années 2000, mais Jason Lytle est ailleurs,
définitivement ailleurs. Plus humain, plus vivant, il dépasse le cadre de
l'achat de disques, il dépasse le cadre d'une file d'attente devant une salle,
il dépasse ces gens qui n'avaient vraiment rien compris ce soir-là et qui sont
restés assis comme des ploucs devant un concert de Serge Lama. Jason Lytle s'en
fout, Jason Lytle s'en fout de mes mots. Jason Lytle est ailleurs, au sommet,
dans cette sagesse folle qui nourrit ceux dont le destin est d'apporter la
lumière aux hommes. |
Un
mois après la première approche de l'album et pour convaincre les quelques
réticents, car il doit bien y en avoir, je fais retour, chanson par chanson, sur
Sumday.
1. Now It's On : On ne peut pas
reprocher à Grandaddy de ne pas savoir comment ouvrir ses albums. Depuis Under
The Western Freeway, le groupe n'a jamais commis la moindre faute et parvient
sans peine à plonger, en quelques notes, l'auditeur dans l'ambiance du disque.
En contre-pied quasi parfait de l'épique, tortueux et divin He's Simple, He's
Dumb, He's The Pilot de The Sophtware Slump, Now It's On est un rêve de single
pop. Mélodie immédiatement familière, riff accrocheur, paroles lumineuses,
progression entraînante. Sur le refrain on ne peut s'empêcher de sauter sur
place, emporté par ce déferlement de bonheur harmonieux. La douceur de la voix
de Jason Lytle sert parfaitement ce qui aurait pu être autrement un simple
single très efficace. Par l'entremise de son chant perpétuellement entre humour
et tristesse, Jason Lytle transforme Now It's On en chef-d'œuvre.
Thématiquement, Grandaddy en a marre de la déprime et veut retrouver la lumière.
Heureuse initiative, s'il en est.
2. I'm On Standby : Ce second morceau
ne change pas l'approche rythmique et mélodique entamée avec Now It's On. C'est
encore du pop-rock solide, avec joli couplet et refrain très prenant. On
reprochera juste des paroles un peu trop prévisibles mais biens dans l'esprit du
groupe. Ce qui sauve le morceau, c'est sa légèreté, sa sympathie, la manière
dont Lytle aborde ses chansons un peu "déprimées". Pas de lourd
auto-apitoiement, pas de chouinement sans trêve. Même lorsque l'on est triste,
on est toujours un peu gai chez Grandaddy. Ces gens ont tout compris.
3. The Go In The Go-For-It : Encore une
chanson assez similaire aux deux précédentes. Si on ne peut pas remettre en
cause la qualité de composition, on remarquera que Grandaddy se révèle sur
Sumday moins aventureux que sur les deux premiers albums. On peut le regretter,
comme on peut s'extasier devant la puissance mélodique des morceaux et la voix
vraiment divine de Jason Lytle.
4. The Group Who Couldn't Say : Oui,
même quand ils ont des critiques à formuler, même quand ils cherchent à faire
réfléchir, à toucher, les gens de Grandaddy ne perdent rien de leur
décontraction, de leur humour, de leur joie de vivre. Une nouvelle fois, pour
montrer du doigt les valeurs contemporaines (technologie et déshumanisation en
première ligne), ils prennent les chemins de traverse, en perdant leurs
protagonistes aseptisés dans la campagne idéalisée. Un superbe morceau de pop
narrative, qui vaut de l'or, au même titre que l'inoubliable, mais nettement
plus mélancolique, Jed The Humanoid.
5. Lost On Yer Merry Way : première
mini-fresque de l'album, Lost On Yer Merry Way, provoque la première rupture de
rythme de l'album. On se dit que rarement groupe aura aussi bien su gérer les
ballades un peu longues, un peu lentes. Car on ne s'ennuie pas une seule seconde
sur ce Lost On Yer Merry Way, qui débute dans la douceur pour s'achever dans le
déluge sonore et les errances guitaristiques. En cela, la musique accompagne au
mieux les paroles et on se sent vraiment perdu, angoissé et désireux de revenir
sain et sauf chez soi. Beau.
6. El Camino In The West : Après cette
petite symphonie pour guitariste agoraphobe, Grandaddy trouve le génie
d'enchaîner avec l'une des chansons les plus légères de son répertoire. El
Camino In The West pourrait sembler anodin, c'est un incroyable tour de force de
compositeur, qui ne manquera pas de faire dire à nouveau que Jason Lytle est le
digne successeur de Brian Wilson, l'âme des Beach Boys ("Here comes my baby,
laughing at me in the sun..."). Pas besoin de réfléchir à l'écoute de cette
chanson, on se laissera porter et on abordera en douceur la seconde moitié de
l'album, plus triste mais plus réussie encore.
7. Yeah Is What We Had : Une chanson de
séparation. On se dit : aie aie aie. Et on aura bien raison. L'introduction du
morceau avec son lourd riff est en fait un piège à la manière du Velouria des
Pixies. Car aussitôt, les harmonies et la voix de Lytle nous emmènent dans les
nuages et dans les tréfonds de la tristesse. Le clip, filmé chronologiquement à
l'envers (comme un Irréversible poussé à son paroxysme), donne parfaitement le
ton. C'est terrible et les textes font mal. "In this life, will I ever see you
again ?". On commence à verser une larme.
8. Saddest Vacant Lot In All The World : Et la tristesse durera. Car c'est une nouvelle histoire de séparation, réaliste
et douloureuse, qui surgit ici. Contée d'un point de vue féminin, elle évoquera
aussi bien les Beatles de She's Leaving Home que les Flaming Lips de The Soft
Bulletin (façon Suddenly Everything Has Changed). Car c'est sur une valse au
piano que vient se poser la voix de Jason Lytle. C'est gracieux, aérien, et
bouleversant.
9. Stray Dog And The Chocolate Shake : Après ces deux moments éprouvants pour notre petite sensibilité, Grandaddy nous
offre un petit morceau typique de leur talent. Il y est question de robots et de
magie (avec un étrange clin d'œil à... Queen). Le tout sur une petite rythmique
amusante et des sons de synthés non moins drôles, à la manière de leur A.M. 180.
Léger et agréable, pour entamer la dernière ligne droite qui va transformer
l'album en chef-d'œuvre.
10. O.K. With My Decay : une fresque,
oui, mais une fresque à la manière de Grandaddy. Et on a beau s'y attendre, on
se fait prendre au piège. On commence en douceur, ballade pop impeccable. On
s'amuse du refrain avec ses rimes faciles ("I'm OK, with my decay, I have no
choice, I have no voice"). Et soudain, vlan, Jason Lytle baisse le masque et
s'offre le plus bel hommage aux Beach Boys qui puissent se concevoir. Une minute
de "tu tu tu du du" en état de grâce, paradisiaques, gorgés d'une mélancolie
folle et d'une douceur émouvante. Ce type est capable de nous écrire un nouveau
Surf's Up, là, il faut se méfier ! Et O.K. With My Decay se poursuit sur un
rythme vivant, qui nous fait penser que les chansons les plus tristes ont
souvent l'air d'être des chansons gaies.
11. The Warming Sun : Peut-être le plus
beau morceau de l'album, The Warming Sun est un monument émotionnel douloureux
qui nous parle de ce qui aurait pu être mais qui n'a jamais été. Bien, où
vais-je trouver des superlatifs convenables ? Vous devriez écouter cette
chanson, je ne vois vraiment pas quoi ajouter. C'est absolument et totalement
parfait. Vraiment parfait. Une telle écriture vaut tout l'or du monde, ce Jason
Lytle a du génie, non, franchement, que peut-on dire de plus ? On pleure, là,
voilà, on pleure. Et on sourit en même temps.
12. The Final Push To The Sum : Une
autre chose qui devient certaine avec ce groupe, c'est qu'il sait achever ses
albums aussi haut qu'il les a ouverts. Il sait se réserver les sommets (le mot
est donc juste) pour le final et ne donne ainsi jamais l'impression de s'épuiser
en cours de route. Débutant par une énorme explosion harmonique qui le propulse
vers des hauteurs admirables, The Final Push To The Sum se poursuit une nouvelle
fois dans une ambiance éthérée et rêveuse. Cette ambiance n'empêche pas de
ressentir au plus fort l'inquiétude des textes et cette mélancolie toujours
omniprésente. Notez la beauté des quelques instants où Jason Lytle nous murmure
"Here at the final push to the sum, if my old life is done, what have I become
?". Et après une nouvelle explosion sonore, Sumday va s'achever sur la
répétition délicate, inquiète, poétique de ces quelques mots : "what have I
become ?" L'introspection s'achève et nous voilà transfiguré. |
Radiohead - Hail To The Thief
Même problème, même punition que pour le monsieur E ci-dessous. Hail To The
Thief est prévisible de la première à la dernière minute. Un album routinier qui
fait à peine frémir les oreilles. Car les oreilles frémissent sous le coup des
éternels gémissements de Thom Yorke (par exemple l'interminable miaulement de
Suck Young Blood). Mais sinon, les chansons sont d'un classicisme et d'un ennui
saisissants. Ici on retrouve la rythmique électro maladroitement découverte
depuis Kid A (finalement autrement plus intéressant), là on plaque un gentil
riff de heavy métal pour essayer de réveiller le fantôme de Creep ou de Just.
Ici on déroule d'interminables ballades couinantes qui n'atteignent pas la
cheville de la moindre faces B de l'époque de OK Computer. Alors, oui,
peut-être, quelques belles petites choses surnagent, comme toujours. Mais là où
avant Radiohead produisait des albums fortement inégaux où le magnifique
côtoyait l'indigent, l'indigent domine aujourd'hui.
Comme pour Bjork, on sait ces gens capables de bien mieux. Non, parce que bon,
il faut quand même avoir un minimum de talent sous le coude pour composer Street
Spirits, Paranoid Android et Exit Music, même, si, en y réfléchissant bien,
Radiohead fait toujours un peu la même chanson. Vous savez, avec le syndrome de
la phrase éthérée répétée jusqu'à l'épuisement du chanteur et de l'auditeur
("ruuuunnnn, ruuuuuun", "immerse your soul in love", "rain down on me from a
greeeeaaaat heeeiiiiiight", "we hope that you choke", "for a minute there I lost
myself", "yesterday I woke up sucking a lemon" (sic), "I'm not here, this is not
happening", etc... etc...). Comme je le disais, cela n'enlève rien à la qualité
de certaines de leurs oeuvres, mais au bout d'un moment, on commence à le
savoir. Et si à l'époque de The Bends, et sous l'influence de très beaux clips,
on se disait qu'ils avaient le pouvoir entre leurs petites mains, maintenant on
a le droit de se poser des questions. En tout cas, là, hein, Hail To The Thief,
c'est du moquage de gueule. Pas aussi flagrant que le dernier Massive Attack,
mais faut quand même pas pousser mémé dans les orties. Bien sûr, il y en aura
encore pour apprécier les minauderies de plus en plus exaspérants du torturé en
chef, mais, ohla, ouf, un peu d'air, ça fait du bien, on se remet Now It's
On... |
Kylie Minogue - Body Language
Le
nouveau Kylie porte le même nom qu'une chanson réjouissante de Queen. C'est
plutôt bon signe. Mais ce n'est qu'illusoire. Profitant de son état de grâce
public et critique, la petite Kylie persiste dans la veine dancefloor-electro et
offre un quasi remake de son Fever. Avec une pochette 60's façon Brigitte
Bardot, vraiment très obsolète. Le premier single (que tout le monde s'arrache),
le très classique Slow, ne fait dresser qu'une oreille et certainement pas deux.
Le reste de l'album se traîne relativement dans des "poum-tchak" des plus
classiques. Parfait pour aller "clubber" mais quasiment inécoutable chez soi.
Bref, on se croirait dans une énième soirée revival disco/techno pop. Et aller !
Ressers-nous un coup de "poum-tchak" et de "bip-bip", ma chère Kylie ! Cet album
va cartonner.
Kylie fait même
"WOOOO !" en ouverture de Sweet Music, c'est vous dire si c'est la fête ! Moi,
je l'aime bien Kylie, mais là, par moments, on a envie de lui mettre des
claques. Et que ça fait "clap-clap !" et que ça fait "pouët-pouët !". Il n'y a
bien que sur un Red Blooded Woman que l'on s'intéresse un peu à la musique.
Moui... On apprécie un peu l'amusant Chocolate, mais là encore, c'est Fever en
moins bien. Et l'album se poursuit, dans une certaine indifférence, tant chaque
morceau ressemble au précédent jusqu'à la confusion. Et ce n'est pas la
conclusion d'une banalité affligeante de After Dark qui viendra nous contredire.
Après sa résurrection surprise au tournant de l'an 2000, Kylie est déjà
retournée dans la tombe. Espérons que les "poum-tchack !" finiront par la
laisser reposer en paix... |
Eels : Shootenanny!
Bill Drummond, grand homme parmi nos contemporains, ne cesse de clamer la valeur
de l'expérience de la "déception". Il faut être déçu, sous peine de vivre dans
l'illusion. Oui, je sais, on dirait du Nietzsche, aussi, tiens donc. Mais qu'il
est souvent pénible, je vous le dis, d'être déçu. Surtout lorsque l'on arrive en
confiance, presque certain de retrouver auprès de l'être, du lieu, de l'œuvre,
l'émerveillement promis. Donc, oui, il m'est très pénible de devoir vous
annoncer (on croirait un faire-part de décès) que le dernier Eels n'est pas un
fameux cru. Loin de là. Ce n'est pas véritablement un mauvais disque, non, mais
pourquoi pardonnerais-je à monsieur E, ce que je ne pardonne pas à Radiohead.
Donc, voilà, cela m'embête, mais E fait du E, à un point que l'on a l'impression
qu'il "remake" tous ses grands classiques avec une conscience professionnelle
qui force l'admiration. Alors oui, c'est estimable dans l'ensemble, mais cela
laisse un arrière-goût d'inachevé particulièrement persistant. Les mélodies sont
bien faibles et l'on est franchement plus proche des albums solo de E (beaux
mais datés, quand même), que de Daisies of the Galaxy.
Comme la musique, les thèmes abordés sont plus que familiers. Et souvent on
replonge dans une dépression un peu aigrie qui donne l'impression que
Electro-Shock Blues n'a jamais existé (un comble). Bref, E ne surprend jamais
(contrairement à Souljacker, que l'on va bien finir par réévaluer à la lumière
de ce Shootenanny!). On se demande même à un moment si E ne baisse pas un peu sa
culotte en essayant de retrouver le succès commercial (relatif) de Beautiful
Freak. L'album se retrouve alors hanté par les fantômes des chefs-d'œuvre de E.
Rock Hard Times secoue la dépouille de Hello Cruel World, sur la fin on ne cesse
d'entendre les échos de Something Is Sacred ou Manchester Girl, ailleurs il y a
des vestiges du rock primitif de Souljacker, partout on s'étonne du manque de
passion, et franchement de magie.
Shootenanny! n'est pas un très mauvais album. Ni surtout un album détestable. Il
est juste gentiment classique, gentiment routinier, un peu banal, pas assez
bancal, pas assez surprenant, pas assez passionnant. On aurait pu prévoir ce
disque à la note près, à la rime près. Oui, on pourra trouver de belles choses
sur Shootenanny!, on pourrait même s'en contenter. Mais on espérait tellement, on
demandait tant à un nouvel album de Eels, que non, décidément, qui adore châtie
fort. Monsieur E, ceci est un premier avertissement, reprenez-vous, que diable !
C'est en roue-libre que vous avez composé Selective Memory et You'll Be The
Scarecrow ? |
Maintenant que Pulp est mort, il fallait bien que mes cris du cœur s'épanchent
vers de nouvelles directions. En attendant que Eels reprennent (peut-être) en
main le navire laissé à l'abandon, le titre que j'aime tant décerner de "plus
grand groupe de la planète" pourrait se partager entre deux entités très proches
et en même temps totalement différentes. D'un côté de l'Atlantique, il y aurait
les fous, délicats et poétiques Gorky's Zygotic Mynci et de l'autre côté, on
trouverait les poétiques, délicats et fous Grandaddy. Ces dernières années, ces
deux groupes se sont répondus, comme aux plus héroïques des temps des Beach Boys
répondant aux Beatles, en enchaînant les chefs-d'œuvre. Après le sommet
indiscutable de The Sophtware Slump de Grandaddy, les Gorky's n'ont pas hésité à
délivrer le plus beau des hommages à Nick Drake avec leur incroyable How I Long
To Feel That Summer In My Heart. Sumday est donc la tentative de Grandaddy pour
revenir au sommet du monde de la musique pop.
Avouons-le d'emblée, Sumday n'est pas entièrement du niveau du The Sophtware
Slump. Moins riche, moins novateur, moins cohérent, Sumday "n'est qu'un" recueil
de chansons parfaites. On voit le genre. On rate le sublime "album-concept",
mais pour retrouver un immense disque de pop-rock comme plus personne (ou
presque) n'en fait. Le principal reproche que l'on pourrait faire à Sumday,
c'est la relative inégalité des nouveaux morceaux. Les merveilles telles que Now
It's On, Lost On Yer Merry Way ou les trois chansons finales, côtoient des
petites choses plus anecdotiques, comme I'm On Standby ou The Group Who Couldn't
Say. Mais en même temps l'album est si envoûtant et il grandit avec une telle
force au fil des écoutes, qu'il vient prétendre une nouvelle fois au titre de
chef-d'œuvre.
Au
première écoutes, on se laisse porter, parfois on reste perplexe, souvent on
s'abandonne. Mais c'est finalement avec les deux dernières chansons de Sumday
que Grandaddy nous prouve, s'il en était encore besoin, qu'ils sont un groupe
qui a la grâce. The Warming Sun déchire le coeur avec une délicatesse lacrymale
irrésistible. Quant à The Final Push To The Sum, c'est tout simplement l'une des
plus belles conclusions d'album de ces dernières années. Et même si je suis loin
d'être le seul à le dire, Jason Lytle chante comme un Dieu vivant.
Je
dois aussi ajouter un mot sur le single, la chanson d'ouverture de l'album,
l'hallucinant Now It's On, un monument pop qui prend sa source aussi bien auprès
des Pixies que des Clash. C'est tellement efficace que l'on a l'impression, dès
la première écoute, d'avoir toujours connu cette mélodie. Impossible de ne pas
avoir envie de sauter dans tous les sens en l'écoutant. Avec Now It's On,
Grandaddy tient peut-être un grand succès public. Mais rien n'est moins sûr,
tant, déjà avec Summer Here Kids et The Crystal Lake, tout aussi efficaces, ils
avaient déjà tout pour réussir. Quoi qu'il en soit, les 52 minutes de musique,
encadrées par deux chansons magnifiques, de Sumday méritent déjà le titre de
disque de l'année. Mais on va me dire qu'il était très prévisible que j'affirme
cela. Certes, certes. Mais écoutez donc cet album et venez ensuite me prétendre
sérieusement le contraire. Ah oui, vous allez moins faire les malins, là. |
t.A.T.u. : 200 km/h in the Wrong Lane
Impossible d'aborder cet album sans évoquer le phénomène médiatique que sont
devenues les filles de T.A.T.U. Yulia et Lena sont des créatures comme le rock
les adore. De Madonna à Jim Morrison, de Elvis Presley à Sid Vicious, en passant
par Jerry Lee Lewis et Ozzy Osbourne, le monde de la musique populaire se
réjouit de chaque nouvel artiste scandaleux, à défaut parfois d'être
véritablement talentueux. Oui, mais le scandale sans talent fait rarement long
feu. Alors est-ce que Yulia et Lena, désormais les bisexuelles les plus célèbres
de la planète, survivront à la "tendance" ? Car au niveau du scandale, elles ont
sans doute déjà surchargé leur carrière. Imaginez un peu, elles s'affichent en
tant que lesbiennes, parlent de se marier prochainement, prétendent croquer les
hommes et les filles par camion entier, insultent tout le monde, alignent les
photos évoquant clairement les clichés pédophiles véhiculés par internet,
s'embrassent goulûment à la moindre apparition, et j'en passe et des meilleures.
Difficile de faire la part de ce qui est vrai et de ce qui n'est que de la mise
en scène pure et simple. Tant de provocation finie par laisser perplexe. Ces
filles sont-elles vraiment les nouveaux punks ou simplement un coup médiatique
d'un goût très douteux. Disons que quand Trevor Horn est allé recueillir les
T.A.T.U. dans leur Russie natale, elles étaient des stars et les tubes
existaient déjà, dans une forme certes moins percutantes, mais tout aussi
enragée.
Alors, T.A.T.U. odieuse manipulation ou chef-d'œuvre artistique digne des années
2000 ? On se questionne, on se souvient que Trevor Horn est un malin, on n'est
pas prêt d'oublier l'homosexualité agressive de Frankie Goes To Hollywood (dont
là non plus on n'a jamais pu démêler le vrai du faux). Les qualités de
producteur de Horn ne sont plus à prouver, et on lui a rapidement offert tout le
crédit de l'efficacité affolante de All The Thing She Said, Not Gonna Get Us et
Show Me Love. Avant de s'apercevoir finalement qu'il n'y avait pas que Trevor
Horn dans l'histoire. D'une part parce qu'il n'a écrit ni les mélodies, ni les
textes et d'autre part parce que comme à son habitude le bonhomme se fait plutôt
discret. Car si la puissance immédiate de T.A.T.U. se situe bien dans une
production dantesque, le véritable intérêt de l'album se situe ailleurs. Il se
situe dans l'étrange et très intense émotion qui se dégage au fil des écoutes de
ces morceaux monstrueux. Car toutes les chansons de 200 km/h in the Wrong Lane
sont des hurlements, des cris. Des cris d'amour, des cris de tristesse, des
appels à la tolérance, des excuses, des hymnes de jeunesse, des déclarations
passionnelles de liberté et surtout de terribles affirmation d'existence. Ce
qui, bah mince alors, nous ramène aux abords des Clash (cf ci-dessous). Toute
proportions gardées, faut pas déconner, parce que la musique de T.A.T.U. n'est
pas aussi géniale que l'énergie qui s'en dégage.
Car
voilà les clefs de cet album : son énergie et son émotion. Ce disque est une
tempête, avec ses bourrasques effrayantes et ses moments de (fausses) accalmies.
Car il n'y a pas que les terribles singles sur 200 km/h in the Wrong Lane, il y
a aussi le très touchant 30 minutes (et si ces filles savaient vraiment chanter
finalement ?), le bien beau Clowns et le délicat Stars. Alors comme cela les
ballades sont aussi bien fichues que les tubes qui hurlent ? Et bien oui. Les
versions russes des deux singles sonnent nettement plus Eurodance mais gardent
un charme certain. Par contre, même s'il prend affreusement la tête, Malchik Gay
flirte avec 2 Unlimited. Mais ce qui finalement fait de l'album un petit
chef-d'œuvre, c'est la reprise du How Soon Is Now ? des Smiths. Car cette
reprise n'est ni le fruit du hasard, ni une faute de goût, les paroles du Moz
collent parfaitement à la thématique de l'album ("You shut your mouth, how can
you say, I go about things the wrong way, I am human and I need to be loved,
just like everybody else does"). Et la petite Yulia, la vraie rock star du duo,
offre ici une performance vocale des plus impressionnantes. De même, si l'on
pense de prime abord que la réorchestration du morceau percute franchement le
kitsch, on se rend rapidement compte qu'elle ne le dénature point. C'est une
belle réinterprétation et une splendide vampirisation d'un grand classique. Osé,
courageux, couillu, comme tout le reste du disque.
Bien, ne nous emballons pas trop. Musicalement, T.A.T.U. ce n'est ni Pulp, ni
les Clash, c'est quand même du produit spécialement conçu pour exploser les
charts. Une machine parfaitement huilée et vendue avec ce qu'il faut de
publicité et de provocations. Oui, mais il semblerait, et je peux me tromper,
qu'il y ait une âme dans la machine. Et de toute façon, que cette âme soit
présente ou non, ne change rien au fait que 200 km/h in the Wrong Lane est un
monument d'énergie adolescente, de rage et de fureur. Et cette fureur, fort bien
représentée par les trois premiers et épuisants morceaux de l'album, se
transcende ensuite dans les ballades déchirantes. On a rarement entendu un
produit "pop" aussi agressif et finalement aussi libre ("Nothing can stop us,
now that I love you !"). Si effectivement le prochain single de T.A.T.U. est
bien cette incroyable reprise des Smiths, alors elles détiendront peut-être et
successivement, les trois plus efficaces singles de l'année 2003. Et même si
l'album est très très court (mais bon, tous les disques punks sont très courts),
il est à la hauteur. T.A.T.U. est déjà la révélation de l'année, mais, et oui,
mais, comme le disait fort bien une critique lue sur le web, comment
pourront-elles survivre à tout cela ? La question mérite déjà d'être posée et,
vu que Yulia est potentiellement une fabuleuse "rock star", la réponse sera
suivie avec le plus grand intérêt. En conclusion, 200 km/h in the Wrong Lane est
sans problème l'un des grands albums de l'année, qu'on le veuille ou non. Ne pas
tenter de l'écouter serait une grossière erreur, mais bon, je dis ça, je dis
rien...
|
Rassurez-vous tout de suite, cette compilation était prévue et bouclée avant la
mort de Joe Strummer et n'est pas une exploitation mercantile de l'événement le
plus tragique que le rock ait vécu ces dernières années. Non, cette double
compilation était là pour améliorer les déjà assez anciens The Story Of The
Clash vol. 1 (il n'y a jamais eu de volume 2) et The Singles. Ainsi que pour
offrir une alternative à l'indispensable mais honéreux Clash On Broadway. Alors
? Est-ce qu'il faut acheter ? Et bien, la question est délicate. Si on possède
tous les albums ainsi que le Super Black Market Clash, on peut douter de
l'utilité de la chose. Si on ne possède pas tous les albums, ce n'est pas bien
du tout ça ! Bon sang ! Ce n'est pas pour le nombre de disques qu'ont sorti les
Clash et surtout pour leur prix (tous en mid price, on les donne presque un peu
partout) ! Bref, avant même de parler de la compilation, j'aimerais rappeler que
comme pour les Pixies ou que pour Nick Drake, la discographie des Clash est fort
réduite et que le moindre de leurs albums tient du chef-d'oeuvre absolu (sauf
Cut The Crap, mais je radote). Bon, ouf, c'est clair comme cela ? Jamais,
JAMAIS, une compilation ne pourra remplacer London Calling (remplacer Sandinista
à la limite, et encore).
Bien, passons à la compilation. Déjà, c'est un double disque. Bon point, il
fallait bien cela. Ensuite, hum, voyons le tracklisting. Boum, d'entrée de jeu,
sur le premier disque, il y a la quasi intégralité (à quelques exceptions prêt)
des deux premiers albums. Fichtre ! Ils sont tous là (à part, par exemple,
Remote Control). Il y a White Riot, bien sûr, mais aussi Janie Jones, Complete
Control, London's Burning, Career Opportunities, Police & Thieves, Clash City
Rocker, White Man, English Civil War, Tommy Gun, Stay Free, Safe European Home,
I Fought The Law... On peut énumérer tous les morceaux, ce sont tous des hymnes,
des antidépresseurs, des cris du coeur, des hurlements de révolte, des sommets
musicaux inégalés. C'est trop, c'est affolant. C'est sublime. Toujours aussi
sublime. Su-bli-me.
Et
sur le second disque ? On débute avec 7 extraits de London Calling. Vous savez,
le disque qui peut prétendre très très sérieusement au titre de plus grand
disque rock de tous les temps. Comme tout l'album est parfait et qu'on le
connaît par coeur, cela fait un peu bizarre d'écouter ses morceaux hors
contexte. Surtout qu'ils ne sont même pas dans l'ordre chronologique. Jimmy Jazz
après Lost In The Supermarket, c'est spécial. Et ne pas enchaîner après London
Calling avec la reprise monstrueuse de Brand New Cadillac, c'est dommage. Bref,
vous avez compris, non ? Vous allez acheter London Calling ! Merde à la fin !
Par contre, il y a de quoi être ravi par la sélection de morceaux issus de
Sandinista. Bon nombre d'entre eux sont inédits en compilation. A part les très
fameux Magnificent Seven et Somebody Got Murdered. C'est bien sûr un bonheur de
retrouver Ivan Meets G.I. Joe ou Stop The World. Mais on reste abasourdi par
l'absence des chefs-d'oeuvre Hitsville UK, Lightning Strike et Police On My
Back. Bon, il va falloir acheter Sandinista aussi. Pour ce qui est de Combat
Rock, les singles mille fois entendus sont présents (le Shoud I Stay Or Should I
Go et le fatigant Rock The Casbah). Mais le sommet de l'album, le divin Straight
To Hell (le véritable testament du groupe et l'une de leurs meilleures chansons)
est bien présent. Il y a aussi en final, et grande surprise, un extrait de Cut
The Crap, le single This Is England. Oui, bon, c'est clair que sur la fin, le
Clash ce n'était plus trop ça. Mais ce qui a précédé était tellement immense,
fondateur, révolutionnaire, génial, que l'on pardonne tout. Ces gens ont tout
changé.
Donc, bon, je recommande cette compilation malgré tout. Parce que c'est un objet
estimable, intelligent, bien fait (c'est tellement rare pour une compilation).
C'est un Essential qui porte relativement bien son nom et qui n'a pas pour
ambition d'effacer les albums. Au contraire, il donne envie de réécouter en
boucles London Calling. Et tous les autres. De toute façon, The Clash c'est The
Last Gang In Town, c'est le putain de groupe de Joe Strummer. Et Joe Strummer,
c'est le type qui veillait et qui veille sans doute encore sur le Rock. Le
putain de Rock, la décharge d'énergie ultime, la révolution en marche,
l'éternelle jeunesse électrique, la volonté d'être des gens biens toute notre
vie. La musique des Clash c'est cela, c'est la rage de réussir, la fureur de
vivre, le désir irrépréssible de s'exprimer, d'exister. Alors qu'importe le
flacon, pourvu qu'on ait le Clash. |
Liam Lynch - Fake Songs
La
musique classique n'est pas un monde follement drôle. C'est vrai. On ne rigole
pas des masses en écoutant le Requiem de Mozart ou l'Or du Rhin de Wagner.
Parfois, on s'amuse un peu, on se détend, mais on dira alors que ce sont des
œuvres "mineures" (et non pas "en mineur", parce que quand c'est "en mineur" ce
n'est pas la débauche de gaieté sautillante). Dans la musique populaire, c'est
une autre histoire. Il y a les chansons à boire, les chansons paillardes, les
chansons bubble gum que l'on reprend en cœur comme des bœufs quand le virage
commence à chanter et que tout le stade se met à vibrer. Oui, la chanson pop est
souvent joyeuse, positive, sympa et tout. Là, n'est pas la question, car avec
Liam Lynch, nous allons évoquer le cas bien particulier de la musique
"parodique". On sait à quel point la parodie est un genre tentant pour celui qui
n'a pas d'imagination et beaucoup d'aigreur sous le coude (cf le nouveau
Lourdland sur ce même site où vous êtes là en ce moment). On ne compte plus les
cartons idiots commis par des "comiques de mes couilles" (copyright ou-pas.net).
De Lagaff à Charlie et Lulu, de Sim à Michael Youn, des moindres débiles
congénitaux des radios pour jeunes en passant par un peu tout le monde, le
nombre de crétins qui font des scores avec des parodies vulgaires de tubes à la
mode est quasi infini.
Mais point de tout cela chez Liam Lynch. En effet, le type a tout du comique
talentueux. Et ça, merde alors, c'est tellement rare que l'on s'évanouit presque
rien qu'en le disant. Sur son Fake Songs, il n'y a que des chansons
"parodiques", que des imitations et des contrefaçons. Les morceaux durent en
moyenne 1 minute 30 secondes. Rarement plus de 2 minutes. Le gars sait que les
plus courtes sont souvent les meilleures. Et ça marche. Et presque tous les
genres y passent (il manque juste le néo-métal, mais je chipote). On a donc
droit au faux hymne punk (le tube United States of Whatever), au faux hard rock
80's (l'hilarant au-delà du soutenable Rock and Roll Whore), aux faux Beatles
façon Lennon (Cuz You Do et Try Me avec le véritable Ringo Starr à la batterie),
aux faux rap (la parfaite imitation d'Eminem sur Rapbot), aux faux disco (Sugar
Walkin', façon Bee Gees), au faux country, au faux standard pour l'Eurovision,
au faux rock indépendant, etc... etc... Et le meilleur, ce sont les chansons qui
visent directement les interprètes d'origine. Il y a une troublante recréation
de Bjork (quasi impossible à différencier de la vraie), une impeccable imitation
de Bowie, un tordant Depeche Mode qui fera date ("Miserable Life, Miserable
Life"), un bel hommage aux Talking Heads et bien sûr, le sublime pour la fin,
avec un déboulonnage des Pixies qui ne pouvait pas me laisser de marbre.
Tout cela pourrait être ridicule, prétentieux, de mauvais goût (les textes sont
un tantinet vulgaire), con comme ses pieds. Mais Liam Lynch a du talent. Il a
bidouillé tout ça chez lui avec son ordinateur et il a quand même dû y passer du
temps, quoi qu'il en dise. Donc c'est efficace, parfois hilarant, toujours
drôle. Tout n'est pas génial, il faut l'avouer. Il y a du remplissage. Mais le
type est généreux. En effet, si l'album en lui-même ne fait que 35 minutes (ce
qui est largement assez long dans le genre), on trouve un DVD bonus de 90
minutes. Dessus ? N'importe quoi. Mais vraiment n'importe quoi. Il y a des
fausses pub en images de synthèse très pourries, il y a des clips fauchés, des
marionnettes mal foutues, des making of nuls, des parodies à la tonne, plein de
conneries plus ou moins marrantes mais toujours sympathiques. C'est souvent très
con, mais c'est aussi bien bon. Bref, vous devriez fortement jeter une oreille
et un oeil à tout ce fatras. Il y a à boire et à manger et c'est pour l'instant
le disque le plus rigolo de l'année. Et cela risque fort de le rester. |
Gorky's Zygotic Mynci : How I Long To Feel That Summer In My Heart
La vie réserve parfois des coups de foudre.
Des
coups de foudre pour des personnes. Pour des lieux. Pour des sons. Pour des
images. Pour des histoires. Pour des objets. Pour des œuvres. Des coups de
foudre. L'amour au premier regard. L'amour à la première note. Les coups de
foudre sont rares, c'est ce qui fait tout leur prix. Quand on en reçoit un, tout
devient évident. Quand on y repense, on se rend compte que c'était fait pour
être ainsi. Sans que ni le destin, ni la Providence, ni quoi que ce soit de ce
style entre en jeu. Le coup de foudre ne pouvait qu'arriver à cet instant.
Des
coups de foudre musicaux, j'en ai connu quelques uns. Peu. Tous inestimables.
Des coups de foudre pour une mélodie, un texte, une chanson dans son entier.
Oui, cela arrive. Encore faut-il que cet amour dure et c'est encore plus rare.
Des coups de foudre pour des albums entiers, cela tient du domaine de
l'extraordinaire. Au sens le plus exact du terme. Combien de disques ai-je aimé
dès la première écoute ? Ils sont là, je le sais, ils sont près de moi. Je
regarde les disques que j'aime. Pour beaucoup d'entre eux, c'est le temps qui
m'a plongé dans leurs bras. Mais auprès de combien me suis-je abandonné dès les
premières notes ? Pour certains, le doute m'étreint. J'aime tellement ces
albums, est-ce que je peux ne pas les avoir adoré dès les premiers instants ?
Peut-être, sans doute. Mais je vois aussi ceux dont je ne peux pas douter.
Entièrement, follement, j'ai été amoureux instantanément du Five Leaves Left de
Nick Drake. Comme du Trompe Le Monde des Pixies. Oui, je le sais, je m'en
souviens. Comme si c'était hier.
Mais aujourd'hui, cela recommence. Cela a recommencé. Je savais que le disque
pouvait me plaire. Mais sans doute pas à ce point. Je suis resté là. Un peu
ahuri. Un peu stupide. Un peu désemparé. Un peu heureux. Un peu inquiet.
Amoureux d'une musique comme on peut être amoureux d'une musique (ce qui n'est
pas la même chose que d'être amoureux d'un tableau, d'un animal ou d'un arbre).
Et j'ai tout de suite compris pourquoi j'étais pris au piège. Cette musique
était mélancolique. Au plus haut point. Aux abords d'un autre artiste pour qui
j'ai eu quelques uns des plus grands coups de foudre de mon existence. Cette
musique voyageait sous l'influence bienveillante de Nick Drake.
Cette musique était triste et joyeuse. Parfois incroyablement gaie, elle faisait
se lever le soleil à toute heure de la journée. Parfois follement triste, elle
faisait verser des larmes sans que l'on sache vraiment pourquoi. Elle nous
contait quelque chose d'essentiel et qui paraît pourtant si peu doté
d'importance. Elle nous parlait de l'été. Elle nous parlait des étés passés.
Elle nous parlait du soleil, du ciel, des vacances. Elle parlait des gens que
l'on a connu et que l'on a perdu de vue. Elle parlait des gens que l'on aime et
dont on est loin. Elle parlait de ces sensations qui n'appartiennent qu'aux mois
d'été. Elle parlait de tomber amoureux. Elle parlait d'être gai et d'être
triste. Elle parlait de sourires et de larmes. Avec une simplicité qui allait
directement au cœur. Parfois elle touchait les rivages des plus belles ballades
des Beatles, parfois c'était la sophistication juvénile des Beach Boys, parfois
la profondeur sublime de Nick Drake, parfois l'exubérance brillante des Kinks.
Un disque d'amour et d'humanité.
Les
mélodies étaient immédiatement familières et uniques. La voix s'envolait là où
personne n'ose s'aventurer. Et tout était si léger. Et en même temps si lourd du
temps qui passe. On entendait des déclarations d'amour, des prières pour
retourner chez soi, des invitations à passer une lune de miel ensemble, des
appels lancés aux personnes que l'on a aimé et le désir idéal, inexprimable, de
ressentir à nouveau l'été au plus profond de notre être. Retrouver l'insouciance
du temps passé et toucher avec son âme le bonheur absolu.
Ce
que conte cet album est la quête du passé idéalisé. Une quête d'un futur espéré.
Faire revivre et vivre à chaque instant les réalités du rêve. Humble, délicate,
drôle, douce comme une brise, la musique de Gorky's Zygotic Mynci porte en elle
la bénédiction du soleil de l'été et des souvenirs que l'on garde au plus près
de son cœur. |
Moloko - Statues
Ce
n'est rien de dire que j'attendais cet album. Le précédent opus de Moloko,
Things To Make And Do, s'était imposé comme l'un des chefs-d'œuvre de son
époque. Porté très haut dans le ciel par un single rien moins que sublime, The
Time Is Now, et une cargaison de chansons géniales (Pure Pleasure Seeker,
Indigo, Absent Minded Friends, Remain The Same...), cet album aussi bordélique
et inégal qu'il fut, est rapidement devenu vital. Alors, oui, j'attendais
beaucoup de Moloko, j'attendais aussi bien, mieux, j'attendais qu'ils confirment
que ce n'était pas une illusion, qu'ils ont bien la classe. La vraie.
Statues est finalement assez différent de Things To Make And Do. L'album est
plus court, plus cohérent, moins foutraque. Il y a moins de trucs bizarres et de
bruitages de dessins animés. C'est un disque plus posé, plus calme, plus
construit. Mais surtout plus touchant. Si on perd en bordel jouissif, on y gagne
sans doute en qualité d'écriture. S'il y a toujours du remplissage parfois
légèrement embarrassant (du néo-disco électro machin truc, comme tout le monde),
les hauts sont tellement hauts, qu'il faut bien l'avouer, ils peuvent prétendre
à dépasser The Time Is Now. C'est aussi bien que cela.
Le
premier morceau, le single Familiar Feeling, commence par un crescendo
impressionnant de rythmes, de voix et de cordes, avant d'exploser sur une
mélodie toute simple et un rythme léger transfigurés par la voix totalement
divine de Roisin Murphy. Cela donne une assez bonne idée de ce qui va suivre
tout au long de l'album. Une succession de calmes et de tempêtes. De soudaines
montées sonores délirantes enchaînées avec des instants de grâce aériens. Assez
proche de The Time Is Now, mais en plus dansant, Familiar Feeling est un nouveau
chef-d'œuvre. Au bout de la troisième écoute, il devient rigoureusement
impossible de s'en passer. La drogue fait à nouveau effet. Et une chanson où
l'on entend les mots "deja-vu" est forcément un classique.
Les
deux chansons suivantes sont peut-être les moins intéressantes du disque. Come
On est un exercice classique, bien fichu, mais bien peu touchant. De même que Cannot Contain This, efficace mais sans grande personnalité. Même si on ne peut
que difficilement nier la qualité de l'ensemble. Cela sent un peu trop le
"deja-vu", justement. Mais avec la chanson titre, Statues, on revient dans les
terres du sublime. Peut-être la plus belle chanson jamais issue de Moloko, Statues est une ballade toute simple, triste et délicate, un peu bizarre, quand
même, sinon on serait déçu. Ca y est, on est rassuré, on se détend, on se laisse
porter, on est, à nouveau, conquis.
Et
heureusement, car la chanson suivante, Forever More, commence bien mal. Une
rythmique d'eurodance vient nous planter sur place. On n'est même plus dans le
disco, là. On est au Mega Macumba de Lacanau. On résiste, on ne va pas s'enfuir
en courant. Car après tout, ce Statues, là, la chanson, c'était bouleversant. Et
puis cette voix, ahlala, cette voix. Dès qu'elle monte un peu dans les aigus
pour redescendre bravement dans les graves, fichtre, ça met presque des
frissons. On a eu bien raison de ne pas partir avant la fin. Car Forever More pète les plombs très vite. Les rythmes s'empilent, les cordes, les sons, les
instruments, ça redevient le joyeux n'importe quoi qui nous fait tant aimer
Moloko. Excellent.
Blow X Blow est une petite chose amusante quoique assez anecdotique, un peu dans
la veine des petits interludes dont le groupe est friand. 100% débute dans une
certaine routine, mais s'offre un break incroyable pile en son milieu.
Étrangement (décidément) après cette explosion en direct, le refrain devient
tellement irrésistible que l'on se surprend à le reprendre sans s'en rendre
compte ("a hundred percent, je t'adore", oui je sais, on peut difficilement
faire plus basiquement accrocheur). The Only Ones poursuit dans la veine triste
de l'ensemble du disque et annonce la dernière partie du disque,
particulièrement belle. On peut par contre se demander pourquoi au moment le
plus poignant du morceau surgit un vocodeur. Hum, limite, ça, hein, quand même,
enfin, ce que j'en dis.
I
Want You est une chanson simplement parfaite, qui ne s'embarrasse d'aucune
ironie et qui ne sait même pas ce que l'expression "faire une faute de goût"
peut bien signifier. Mais c'est l'extraordinaire conclusion de Over and Over qui
nous achève sur place. Avant d'y arriver on a un peu peur. On nous annonce 10
minutes au compteur. Les morceaux de 10 minutes en fin de disque, on s'en méfie.
On connaît le truc. C'est du remplissage, ça. Voire du vide, du silence, une
seule note tenue pendant un quart d'heure. Mais bon, on peut très bien avoir
recours à cette mystification et pondre une merveille (The Day After The
Revolution sur le This Is Hardcore de Pulp, amis de Moloko, là, je l'ai dit en
passant, comme ça, y a plus de doute). Alors ? Alors Over and Over entre aussi
dans la catégorie des possibles plus belles chansons de Moloko. Et donc de
l'année. Déluge de cordes, guitare acoustique sur rythme simple, et la voix,
juste la voix, si proche, si présente. Et puis les textes, l'amour va nous
déchirer encore une fois, ce genre de choses. C'est triste, ouhlala, on ne
s'éclate plus sur les dancefloors, là. On pleure. C'est classique, oui, mais
c'est beau. Tellement bien construit, harmonieux, touchant.
Voilà tout ce qui fait le charme de Moloko. Un groupe qui n'est pas du tout ce
qu'il semble être. Sur un album de Moloko on s'attend à pouvoir danser sans
honte et sans regret. Et on peut. Mais cela va bien plus loin. Car leur musique
n'est que très rarement là où on l'attend. Mélancolique quand on la voudrait
gaie, drôle quand on la voudrait sérieuse, elle parvient à surprendre, même
lorsqu'on croit l'avoir épuisé. Refusant la banalité et presque toujours les
facilités, Moloko est un groupe qui sait construire l'une des plus belles bandes
sons du quotidien. Car Statues peut juste se mettre en fond sonore, pendant que
l'on fait n'importe quoi pendant ce temps. On peut être joyeux dessus, on peut
être triste, on peut penser à tout, on peut s'endormir, on peut sauter dans tous
les sens, on peut penser à un amour perdu, on peut penser à un amour (re)trouvé,
on peut penser à la nuit qui tombe ou au jour qui se lève. On peut penser aux
vacances ou aux examens. Moloko tombe toujours juste, dans sa très complexe
simplicité, leur musique semble pouvoir convenir à presque tous les sentiments.
Sauf, bien sûr, si vous avez besoin de silence. Et encore, peut-être mieux
vaut-il écouter Over & Over ou Statues que rester seul dans le silence. Mais ça,
c'est à vous de décider. Et pour ma part, que puis-je vous dire ? Je ne vais pas
vous dire : Statues, album de l'année. Parce que bon, début mars, ça ne serait
pas trop sérieux. Même si pour l'instant c'est vrai. Non, je vais vous dire :
Statues, album indispensable. Rien de plus, rien de moins. Rien de moins, qu'un
grand disque. Alors, vous attendez quoi pour l'acheter ? La fin du monde ?
(encore...) |
Massive Attack - 100th Window
J'ai hésité et j'ai failli copier/coller ici-même, la chronique de Mezzanine que
vous devez pouvoir retrouver tout seul dans les archives de ce site. Car depuis
1997, rien n'a changé chez Massive Attack. Les mêmes personnes qui se plaignent
du manque d'évolution au sein de la discographie de Frank Black ou de Cure, vont
pouvoir ravaler leurs arguments face au néant créatif de 100th Window. A vrai
dire, ce n'est même pas le même problème qu'avec Blue Lines et Protection, il y
a finalement plus de différences entre ces deux albums qu'entre 100th Window et
Mezzanine. Massive Attack persiste à broyer du noir et du trip-hop obsolète,
sans l'ombre d'une remise en question, sans l'ombre d'un espoir, sans l'ombre
d'une ombre. Forcément, quand tout est sombre, même les parts d'ombre finissent
par disparaître. Pas aussi ennuyeux que le dernier Sigur Ros, mais finalement
moins sympathique, 100th Window est aussi un disque "nul". Pas nul, dans le sens
minable, mais "nul" dans le sens : rien. Y a rien. C'est comme ça. Les grands
noms des années 90 ne cessent de produire du "rien". Comme si ce "rien" était un
concept neuf. Alors que mouliner du rien, depuis le début des années 70 (et
surtout leur fin), on connaît ça par cœur. Même si la musique est quand même
assez différente, on n'est vraiment pas loin de l'état d'esprit de King Crimson,
Yes, Tangerine Dream, Gong & co. Il y a des fans de ces gens, donc, bon, ça peut
plaire à certains d'entre vous, ce 100th Window. Pour les autres on leur
pardonnera d'attendre le nouveau Grandaddy, ou le nouveau Eels. Ou pourquoi pas
? Ah bouffée d'air frais dans les remontées d'air pollué des années 1990 qui ne
cessent de s'accrocher à nos tympans, oui, pourquoi pas ? Acheter le nouveau
Moloko !
Tant que je vous tiens et ça n'a rien à voir, les Victoires de la Musique, ça
met dans l'embarras. Ca leur fait sans doute plaisir de s'occuper de Renaud
maintenant qu'il va mieux. Et bon, c'est assez mérité de toute façon. Mais voir,
encore une fois, maintenant, en 2003, les immondes Indochine se faire
récompenser sous les applaudissement d'un public abêti et fier de l'être, ça, ça
fait mal. Comme il faut faire œuvre de mémoire, permettez-moi de citer un
passage d'un spectacle de Desproges (le deuxième, celui de 1986). Vous allez
voir, ça fait du bien :
"Mais avec un Q.I. de moins de 130, je parie
que vous n'êtes pas foutus de m'expliquer pourquoi, quand je bande, je pèse
exactement le même poids que quand je ne bande pas.
Ca vous en bouche un coin, ça, hein ?
Et non seulement je garde le même poids, mais
je ne change pas non plus de volume. C'est fou, non ?
Si vous ne me croyez pas, faites vous-mêmes
l'expérience : remplissez votre baignoire. Entrez dans la baignoire sans bander.
Je sais c'est difficile. Il faut fournir un
effort d'imagination. Je ne sais pas moi, imaginez que vous passez la soirée à
manger des moules mayonnaise tièdes dans un restaurant d'autoroute avec
Jean-Claude Bourret qui vous explique les montants compensatoires. Bien.
Allongez-vous dans l'eau. La tête seule doit émerger. Repérez le niveau de
l'eau. Maintenant bandez. Pensez que le groupe Indochine fait de la moto sans
casque. Et boum, le camion ! Regardez alors votre repère de niveau : il n'a pas
bougé d'un millimètre !" (Pierre Desproges, Textes de Scène, Point 433) |
Lou Reed - The Raven
A
l'heure où tout le monde cherche à l'imiter, Lou Reed semble totalement perdu
dans son monde à part. Egocentrique jusqu'à l'étouffement, il se fend d'un album
d'une prétention qui confine au délire (ne serait-ce que la pochette, aussi
narcissique que d'habitude). Un album hommage aux œuvres d'Edgar Allan Poe,
auxquels Reed offre des parures de toutes sortes. Avouons-le, parfois, The Raven
est drôle et à d'autres moments, c'est un disque génial. Il suffit d'écouter la
première chanson, Edgar Allan Poe, pleine de cuivres et de l'énergie de papy
Reed. Le refrain est hallucinant : "these are the stories of Edgar Allan Poe,
not exactly the boy next door". A ce niveau de n'importe quoi, ça touche au
surréalisme. Mais on est très très loin de toutes nos surprises. Le morceau
suivant, Call On Me, est d'une beauté gracieuse, renforcée par la présence de
Laurie Anderson (madame Reed à la ville). On enchaîne avec la lecture d'un texte
de Poe par Elizabeth Ashley, avec quelques sons lointains. C'est très
joli. On continue avec un rock instrumental carré et brutal, plutôt excellent, A
Thousand Departed Friends. Puis un étrange petit rock à l'ancienne, typique de
Lou Reed, Change. Mais le meilleur est à venir.
Car
Lou Reed s'offre alors la relecture de deux de ses plus grands classiques solo. The Bed, l'un des sommets de son sommet Berlin, devient une ballade folk tordue,
où la mélodie se noie dans les harmonies angoissantes. Splendide. Puis c'est au
tour de Perfect Day de subir les affres des nouvelles ambitions de Reed.
L'interprète Antony transforme la chanson mythique en un monument gothique lavée
de toute mélodie et qui finalement se rapproche plus des œuvres de John Cale et
de Nico. Ironie du sort, sans doute. Prétentieux, aussi, mais impressionnant.
Ensuite, sur un accompagnement musical minimal, Willem Dafoe nous récite
l'intégralité de The Raven. Arty. Le temps d'un interlude tout aussi gothique
(après tout, Poe est le plus grand écrivain gothique), et Reed fait surgir un
hommage caricatural à Broadway, entonné par Steve Buscemi. Quel trip ! On est à
la moitié de ce (long) album et l'on se dit que l'on tient déjà là le meilleur
Reed depuis New York et Magic & Loss.
Puis vient un rock énervé, aussi ridicule qu'efficace, Blind Rage. Ensuite le
trip moyen-ageux revient sur Burning Embers. Avant que Reed se laisse aller vers
une sublime ballade, Vanishing Act. Les grandes heures de Berlin ne sont pas si
lointaines. Avec l'aide de Ornette Coleman, la chanson suivante, Guilty, prend
son essor et s'envole vers de splendides hauteurs. I Wanna Know est une longue
errance qui essaie de réconcilier le Velvet Underground, Lou Reed solo et le
blues. Le résultat, sans être parfait, est sans doute réussi. Science Of The
Mind est très joli mais c'est le poilant Hop Frog, scandé par David Bowie (!!),
qui remporte l'adhésion. Le temps d'un poème récité par Amanda Plummer, que
surgit la merveille pop sucrée de Who Am I ? Qui va se plaindre ? C'est aussi
bien que le Sad Song de Berlin, non ? Aussi théâtral, aussi grandiose, aussi
rock américain. Enfin, le superbe Guardian Angel achève l'album sur une note
douce.
La
conclusion réserve des surprises. Dans ses aspects prétentieux, arty,
grotesques, The Raven énerve. Mais la qualité incroyable de certaines
compositions, la beauté des ballades et des nouveaux arrangements des
classiques, la pêche du vieux Lou, tout cela fait de The Raven son meilleur
album depuis New York. Tout simplement. Mais ce n'est pas tout, car il y a un
retournement de dernière minute, digne de Poe pour le coup. C'est que The Raven
existe en double album, avec deux fois plus de morceaux ridicules et
magnifiques, enfin, essentiellement des textes récités en plus. Non ? Si ! Et
d'ailleurs le disque est beaucoup mieux construit et nettement plus intéressant
dans sa version longue. Alors ? Plutôt que de succomber au revival Velvet
Underground par l'intermédiaire de tous ces nouveaux groupes pas très
palpitants, écoutez donc cet album, je vous prédis un grand moment, quel que
soit votre avis final. |
Ikara Colt - Chat & Business
Que
se passerait-il si on faisait tourner un album de Sonic Youth en accéléré ? Et
bien il se passerait le premier opus d'Ikara Colt. Une poignée de morceaux de 3
minutes qui sonnent tous comme les passages les plus énervés du groupe de Kim
Gordon et Thurston Moore. Thurston Moore, d'ailleurs, dont le chanteur d'Ikara
Colt offre une imitation troublante. Pour une fois je vais jouer au
jeune con, Ikara Colt, c'est bien, c'est moins ennuyeux que Sonic Youth. C'est
plus simple, plus vivant, plus crétin, moins prétentieux, quoi. Alors ça
rafraîchit et puis ça à l'air moins frelaté que tous ces Vines et autres Hives.
Ikara Colt n'a vraiment pas inventé la poudre et leur Chat & Business, c'est un
peu 13 fois le même morceau, mais il y a quelque chose, un petit quelque chose
qui donne l'impression que l'on tient là un premier album sans éclat particulier
mais qui pourrait donner naissance à une carrière fort intéressante.
Bon, c'est sûr, on est loin de la classe du terrible I Should Coco des
intouchables Supergrass, par exemple, mais ça fait plaisir à entendre. Ces gens
là connaissent leurs classiques, lorgnant parfois du côté des Pixies, ce qui
vaut toujours mieux que de reluquer la copie des Rolling Stones ou des Sex
Pistols. Parce que bon, je ne dis pas qu'il y a trente ans les Stones ce n'était
pas bien et qu'il y a vingt ans les Pistols cela ne valait rien. Mais les
Pixies, c'est déjà plus récent, c'est moins grand-papa gâteau ou gâteux. Et
puis, dois-je rappeler que les Supergrass connaissaient à peine les Who ou les
Stones mais qu'ils connaissaient leur gros Frank Black par cœur ? Hein, hein,
c'est pas un signe ça ?
Et
Ikara Colt dans tout ça ? Et bien ils font du bruit, et ils font ça bien. C'est
lassant sur la longueur, mais pour se lever le matin, c'est diablement
efficace. Si vous aimez le rock un peu "noisy", un peu, comment dire ? Un peu le
cul entre la fin des années 80 et les prémisses des années 90, ce Chat &
Business risque de vous plaire. En tout cas, je signe et j'encourage. |
2 Many DJ's
As Heard On Radio Soulwax vol. 2
KLF
pas mort ! En écoutant ce vaste disque de mix foutoir, barbare, kitschissime,
référentiel et crétin, on est prêt à mettre sa main à couper que soit Bill
Drummond, soit Jimmy Cauty, soit les deux, se cachent derrière le machin. 2 Many
DJ's sonnent sans problème comme une version 2000 des JAMS et du KLF. Ce que
Drummond et Cauty avaient fait au Rap dans un premier temps, puis à la House, à
l'Ambient, à la Dance et à tout ce qui avait un rapport avec la musique
populaire, les 2 Many DJ's nous en remettent une couche, avec les mêmes bons
vieux samples (Michael Jackson, Prince, New Order...) et les derniers trucs à la
mode ou pas. Et bien non, jusqu'à preuve du contraire, ce ne sont pas les KLF
qui se font passer pour des DJ belges, mais bien des DJ belges qui se prennent
pour le KLF. Même si, conformisme de la jeunesse oblige, ils se font un fort de
citer et de respecter tous les copyrights de leur mix. Ah, bah, oui, c'est
clair, alors, ce n'est pas le KLF...
Pourtant, ça sonne comme du KLF, d'un bout à l'autre. Même soucis du bordel et
de la dance stupide, même fatras d'idées qui tombent parfois justes et parfois
bien à côté de la plaque, même irrespect très respectueux, hein, faut pas
croire. Et même style de pochette, tenez, là, encore, avec un sac en papier pour
se dissimuler, non, je ne fais décidément pas de la parano aiguë. Alors, voilà,
c'est dansant et c'est lourdingue à la longue, c'est un jeu de piste et c'est
souvent très drôle. C'est crétin, bon sang, que c'est crétin, mais c'est bon,
oui, oui, c'est bon. Mais, ah, contrairement à du KLF, la créativité s'arrête au
talent de remixeur. Ici pas de textes surréalistes, pas de démarche
situationniste, pas de tentatives de créer de vrais morceaux même si tout n'est
qu'une vaste blague. Les 2 Many DJ's ne sont finalement pas le KLF. Alors, oui,
c'est jouissif. Et c'est là l'essentiel, me direz-vous.
Et
vous me préciserez aussi qu'il faut que j'arrête de comparer les nouveautés avec
mes vieilles références mortes et enterrées depuis plus de 10 ans maintenant.
Oui, mais alors ça, vous pouvez toujours courir. Parce que ce disque des 2 Many
DJ's c'est d'abord un truc pour "nerds". On s'amuse à reconnaître les morceaux,
on commente, on critique, on se souvient, on compare les connaissances
musicales. C'est beau comme un Trivial Pursuit édition Pop Music. Mais peut-être
bien que derrière la démarche tape-à-l'oreille, qui parfois sonne comme "la
musique de Paris Dernière", il y a quelques voies musicales nouvelles à
défricher. Des idées qui surgissent ? Oui, y en a et puis de toute façon, un
disque idiot pour danser ou crâner comme des idiots, c'est toujours un bon
investissement. Quoique qu'on peut aussi le graver, hein, moi, je dis ça, je dis
rien. |
The Streets - Original Pirate Material
Le
sens du "gimmick", voilà ce qui fait un grand groupe de musique pop. Parce que
bon, le rap, c'est de la pop. C'est même du "hip-pop". Et si je voulais me la
jouer "critique de disques qui s'y connaît", je dirais que les Streets font du
"hip-pop", tant ce premier album navigue entre l'aridité musicale du rap et les
trucs accrocheurs de la pop anglaise. Mais bon, on ne va pas aller jusque là.
The Streets, c'est juste un gars, Mike Skinner, il est plus jeune que moi, le
bâtard, et il nous fait croire qu'il mène une vie de branleur entre le pub et sa
PS2. N'en croyez pas un mot. S'il ne fait aucun doute qu'il a glandé comme tout
bon ado, ce Original Pirate Material n'a rien d'un disque bâclé ou facile. C'est
du bon boulot, du gros boulot, pas un truc de glandu. Les samples sont bien
choisis, les mélodies, car il y a des mélodies, sont efficaces, les textes sont
grandioses. Du travail de pro, impressionnant et parfois assez novateur.
Et
surtout, c'est accrocheur. A la première écoute, on se fait un peu
chier, doucement, gentiment, on respecte, parce qu'on sent que c'est quand même
un bon disque. Mais on s'emmerde un peu, y a des facilités qu'on a du mal à
avaler, on est déçu. Parce que tout le monde a crié au génie devant cet album.
Il est disque de l'année un peu partout. Alors, bon, on se prépare à se prendre
une baffe, une claque, un truc du niveau du Soft Bulletin des Flaming Lips, du
Dummy de Portishead, vous savez, quoi. Bah, c'est pas trop ça. Mais on insiste
et dès la deuxième écoute, pan, ça y est, ça marche.
Ca
nous reste dans la tête. Des bouts de morceaux (tous très courts ou presque, bon
point, ça), nous collent au cerveau. Cela va de la progression de cordes de Turn
The Page, de l'accroche "Orignal Pirate Material, You're listening to the
Streets", de la rythmique ska du grandiose single Don't Mug Yourself, de la
litanie de Stay Positive. Oui, là, voilà, le hold-up est en court. De surcroît,
avec un minimum de notions d'anglais, on ne peut pas résister aux textes,
vraiment brillants, même dans certains moments joyeusement débiles comme sur The
Irony Of It All. Et c'est bien là la plus belle réussite de ce Mike Skinner,
c'est que son disque se révèle touchant et vraiment sympathique à la longue.
Par-delà la mode "The Streets" et les ambitions musicales de l'album, il se
passe quelque chose dans Original Pirate Material. On s'y amuse, on y est ému,
on y est intrigué, on écoute. Oui, on écoute. Et un premier album, sorti en 2002
mais je suis en retard d'une rame, que l'on a envie d'écouter et de réécouter,
ce n'est pas rien. C'est même beaucoup. Sans doute pas le chef-d'œuvre que
certains ont cru entendre, mais un beau disque, oui, certainement. C'est dire si
ça vaut la peine d'y jeter une oreille. |
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