Annie - Anniemal
Elle nous vient du nord, vous savez, la Norvège, l'autre pays de la musique couverte de sucre glacé. Elle est un peu bizarre et adore créer sa propre légende. Elle n'a pourtant pas froid aux yeux, n'hésite jamais à laisse aller son ego et à sampler Madonna avec désinvolture. Elle, c'est Annie, la nouvelle égérie pop des esthètes. L'objet du délit, c'est Anniemal, le hold-up musical doux-amer de l'année.
Un véritable coffre aux trésors, où brillent une dizaine de joyaux, jonglant entre l'évidence mélodique la plus charmante (le single Chewing Gum, Me Plus One, Greatest Hit), des méandres plus nuancés et inattendus (Always Too Late, Happy Without You) et surtout la fusion idéale entre cette pop la plus vivifiante et des tonalités résolument matures (My Heartbeat, sans doute le délice de 2004, l'euphorisant Anniemal, Come Together qui rendrait Kylie Minogue verte de jalousie).
D'ailleurs, avec ce premier album, Annie donne un terrible coup de vieux à toutes les bimbos des dancefloors. Même notre chère Britney obtient un aller simple pour la maison de retraite. La musique pop, en particulier cette "bubble pop" dont la Annie de Chewing Gum se revendique explicitement, est un univers où l'on ne peut pas espérer rester longtemps au sommet. Une saison, parfois deux... Puis on tente des come-backs plus ou moins réussis, avec un succès généralement décroissant. Le seul espoir étant de se faire une petite place culte dans le coeur de certains auditeurs. Avec Anniemal, Annie a déjà accompli admirablement cette tâche si délicate. On ne l'oubliera pas.
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Green Day - American Idiot
Dans la série des artistes, que le bon goût se doit de mépriser, défendus avec
ardeur sur The Web's Worst Page, aux côtés de Britney on trouve aussi Green Day.
Certes, on a lu ici et là des avis franchement positifs sur l'oeuvre du groupe
de Billy Joe. En particulier lors des sorties des excellents Nimrod et Warning.
Mais la progression artistique de Green Day a quasiment logiquement été suivie d'une
chute drastique des ventes. Donc, même si l'indispensable best of International
Super Hits a occupé un peu le terrain, il a fallu attendre quatre ans pour
connaître la suite de l'étrange parcours de Green Day, groupe tiraillé entre ses
origines de punk californien primitif et ses ambitions musicales très respectables.
En
deux morceau, American Idiot synthétise idéalement la schizophrénie de Green Day.
L'ouverture, sur la chanson titre et single évident, est dans la lignée des
tubes power pop du groupe. Rouleau compresseur à guitares, aussi efficace que
basique, déroulant une énergie mélodique irrésistible dans la plus pure
tradition punk, American Idiot donne l'impression que rien n'a changé depuis
1994. Mais dès le second morceau du disque, tout est bouleversé. Jesus of
Suburbia dure 9 minutes, bourrées de changements de style, de refrains et de
thèmes qui s'emboîtent, se répondent, se contredisent, des accélérations, des
ruptures, bref, un mini opéra rock qui se veut dans la lignée des Who. Tout en
clamant haut et fort que nous sommes là en plein coeur d'un concept-album qui
nous évoque l'état pathétique de l'Amérique actuelle et en particulier de sa
jeunesse. Grâce à des personnages particulièrement "vivants" et au final
touchants (St Jimmy et Whatsername en tête).
Ambitieux Green Day ? Au-delà du raisonnable ! American Idiot se rêve le London
Calling de son temps. Admettons-le, on est loin de l'éclectisme parfaitement
maîtrisé du Clash. Cependant, au vu, du moins, à l'écoute de la production
musicale actuelle, et surtout venant de la part d'un groupe aussi populaire que
Green Day, le geste ne peut être que salué. A défaut d'être apprécié par bon
nombre d'entre vous, qui auront sans doute du mal à supporter l'avalanche de
guitares, la batterie martiale et la production clinquante et d'une puissance à
donner le tournis. Et pourtant. Et pourtant...
Pourtant American Idiot dégage une telle mélancolie. Même dans son énergie
musicale et surtout, évidemment, dans ses textes dotés à la fois d'une vraie
rage adolescente et d'une désillusion des plus mâtures. La fin de l'album est
quasi déchirante, surtout provenant d'un groupe qui a tant incarné le
désoeuvrement des branleurs à peine pubères. L'enchaînement de la ballade Wake
Me Up When September Ends (du niveau du superbe Good Riddance), Homecoming (à
nouveau 9 minutes grandioses) et l'émouvant Whatsername, conclut l'album avec
une maestria qui ne cesse de surprendre. Ces gens ont donc un coeur. Et leur
portrait de l'Amérique à la dérive est l'un des plus justes qui soient. Sans
atteindre le Funeral de The Arcade Fire, Americain Idiot s'impose comme un autre
fascinant témoignage de notre monde toujours en attente du grand chaos. |
Brian Wilson - Smile
35
ans plus tard. 35 ans après. Le disque le plus mythique de l'histoire de la pop.
Enfin achevé. On en perd les mots. On en perd ses billes. On ne sait que dire.
Ce qui devait être l'ultime chef-d'oeuvre de son temps, la réponse des Beach
Boys (et donc de Brian Wilson) au Revolver des Beatles, trouve enfin sa
plénitude artistique. Sans les Beach Boys (définitivement mort avec la
disparition de Carl Wilson), mais avec Brian Wilson (et Van Dyke Parks). Tous
les vestiges de l'incommensurable Smile ont été retrouvés, complétés,
réenregistrés. Même ceux que l'on connaissait déjà dans leur version single (le
sublime Good Vibrations) ou dans leur version album plus tardive (dont l'encore
plus sublime Surf's Up). Sur ces chansons bien connues de tous, les
modifications sont souvent minimes. Le plus grand changement étant la voix de
Brian Wilson, avec 35 années de plus...
Mais pour ce qui est des inédits de Smile ou des chansons les plus
transfigurées, on en reste bouche bée. Do You Like Worms, renommé Roll Plymouth
Rock, n'a jamais été aussi fascinant. Heroes and Villains tient enfin debout
sans la moindre faiblesse. La logique de la construction de Smile est désormais
évidente et le moindre interlude tombe et sonne juste. Les chefs-d'oeuvre sont
tous présents. Cabin Essence, Wonderful, Child Is Father of the Man, Vega-Tables,
Wind Chimes... Emballés dans des orchestrations fastueuses et une production
divine.
Si
Smile était sorti en cet état en 1968, nul doute qu'il aurait éclipsé le si
fameux Pet Sounds au titre de plus grand album des Beach Boys. Et même au titre
de meilleur disque de l'histoire de la pop. Aujourd'hui, c'est à la fois idéale
(cette musique est définitivement indémodable) et trop tard. L'événement est
extraordinaire, mais n'éclipsera pas le best de Marilyn Manson ou celui de
Britney Spears (malgré toute l'affection que je lui porte, il faut bien avouer
que Smile c'est une différente classe). Les temps ont changé, et pourtant...
Pourtant...
Pourtant Surf's Up demeure la plus belle chanson du monde. Good Vibrations le
single plus ambitieux de l'histoire de la pop. Mrs. O'Leary Cow fait toujours
peur. Heroes and Villains donne le tournis. Et on ne peut que se laisser hanter
par Roll Plymouth Rock et Child Is Father Of the Man. Avec les années, Smile pourrait devenir tout aussi vital que les chefs-d'oeuvre du passé qui ont
largement eu le temps de s'inscrire dans la mémoire collective. Les trésors de
ce disque méritent tout à fait le même amour que l'on peut dédier à Strawberry
Fields Forever ou à Bohemian Rhapsody. Au moins... |
Britney Spears - My Prerogative - Best Of
Ce
n'est pas seulement une légende de l'internet francophone. Britney Spears, dite
Bit-Bit, et Edward D. Wood Jr., dit Edwood, c'est une belle et grande histoire
d'amour, de haine et de musique. Oui. De musique. Mais nous y reviendrons. Car
nos carrières respectives, à Britney et à votre serviteur, ont débutées à peu
près au même moment, il y a un peu plus de 6 ans de cela. Et au fil de divers
Edwood Vous Parle, Edwood VS MTV et autres véritables chroniques musicales,
Bit-Bit est devenue l'une des plus inébranlables (elle vous en prie) mascotte,
l'un des plus fiers symboles de The Web's Worst Page. Une relation pour le moins
ambiguë qui pousse encore beaucoup de lecteurs et de lectrices à se demander si,
oui, non, peut-être, enfin, quand même, j'aime ou je n'aime pas "sérieusement"
Britney Spears. Où se situe la part d'humour, la part de vérité ? Est-ce de la
moquerie ou une affection longuement entretenue à chaque nouveau single rigolo,
à chaque nouvel album toujours meilleur ? De l'humour, il y en a, pas besoin de
vous faire un dessin, il suffit de relire n'importe quel Edwood VS MTV ou VS La
Musique. De l'affection, il y en a aussi, c'est certain, dans les mêmes pages
que citées précédemment. Mais alors donc quoi ? Au moment où Britney sort son
premier Best Of (au titre pas possible), se marie et envisage tout à fait
sérieusement de "prendre sa retraite" pour fonder une famille et calmer un peu
son existence bien timbrée, il est sans doute temps de tomber les masques.
Alors oui, sur The Web's Worst Page, Britney, on l'aime. Et sans second degré
d'aucune sorte. On aime sa musique, on aime son personnage trash et niais, on
aime ce qu'elle représente, on aime ses qualités et ses pires défauts. Britney
n'est pas la reine du glamour, ce n'est pas non plus une artiste qui "réfléchit"
pour nous. Britney Spears a toujours eu la chance (bien plus que le talent)
d'être toujours à peu près là où il le fallait, quand il le fallait. Pendant une
bonne moitié de décennie elle a incarné la pop la plus populaire, dans ses
aspects les plus démagogues, les plus discutables et aussi les plus admirables.
Elle fut la Madonna du tournant du millénaire, surplombant toute la concurrence
sans véritablement le faire exprès. Car, comme le prouve très bien My
Prerogative, Britney Spears c'est VRAIMENT toujours la même chose, ou peu s'en
faut. Une musique bruyante, souvent agressive, ressassant les mêmes effets, les
mêmes gimmicks, les mêmes thèmes jusqu'à plus soif. On est surpris de noter à
quel point Britney n'a finalement jamais fait que paraphraser, aussi bien
musicalement que littéralement, son tube fondateur, Hit Me Baby One More Time.
Rien qu'au niveau des paroles, la chanson est citée plus ou moins directement
dans Oops I Dit It Again, Stronger, Overprotected, I'm Not A Girl et Toxic ("I
need a hit, baby give me it...").
Mais même si Britney radote depuis son... deuxième album... La musique a quand
même grandement progressé au fil des années. Du gluant Sometimes aux monstrueux Slave 4 U et Me Against The Music, il y a tout un univers de séparation. Au
niveau de l'intérêt, ce Best Of semble être le disque unique et suffisant pour
tous ceux qui veulent avoir un vestige de l'ère Britney chez eux. Tout comme l'Immaculate
Collection de Madonna ou le Abba Gold étaient les pierres angulaires de leurs
époques respectives. Tout les tubes sont là, tous les hymnes, tous les
chefs-d'oeuvre. Même si finalement In The Zone demeure recommandable en
lui-même. Pour le reste. Rien à demander de plus. De l'euphorisant Crazy au
brutal Stronger en passant par le définitivement sublime Toxic, tout est là.
Même certaines scies dont on se serait bien passée (la reprise de I Love
Rock'n'Roll, en même temps ils ont "oublié" Don't Let Me Be The Last To Know, et
ça, c'est chouette).
On
peut aussi conseiller d'acquérir le DVD, qui partage la même hideuse pochette
(monument kitsch qui peut prendre place à la droite de celle de The Hunter de
Blondie...). Les video-clips semblent indissociables de la musique chez notre
camarade Bit-Bit. Même si la laideur proverbiale de certains d'entre eux dessert
souvent une musique finalement vraiment intéressante, ou au minimum très
divertissante. Bien sûr, à écouter en boucle chez soi, c'est un vrai casse-tête,
avec migraine au bout du compte. Et puis il paraît que c'est honteux d'avoir du
Britney Spears chez soi. Et je ne vous dis même pas combien il est, semble-t-il,
difficile d'assumer le fait d'apprécier sa musique. Oui. Sa musique.
Aimer la musique de Bit-Bit, c'est tout de suite passer, soit pour un fan de la
Star Ac' (ce qui n'a pas grand chose à voir), soit pour un rigolo qui se fout de
la gueule de son estimable interlocuteur. On vous cherche alors des raisons.
Forcément, si on apprécie Bit-Bit, c'est parce qu'on kiffe son cul, vous voyez.
C'est une attirance physique, un truc dans ce genre, c'est pas possible
autrement monsieur le Juge, votre Honneur. Et pourtant non. Certes, il m'est
arrivé de trouver Britney charmante, là, par exemple, dans le clip de Boys.
Quand même. Mais je ne suis pas dévoré par une passion pour la donzelle, loin de
là. Non, j'aime surtout sa musique. Et c'est bien le pire. L'horreur. Le truc
inconcevable. La marque du démon sur mon front. Ce qui fait que l'on ne pourra
plus jamais me prendre au sérieux quand je viendrai chanter les louanges de The
Arcade Fire. Car on ne peut pas. Non, on ne peut pas aimer The Clash et Britney
Spears. C'est gravé dans le marbre, c'est le 11e Commandement. C'est même pire
que de convoiter la femme de son prochain. Mais aimer Britney Spears. Non.
Impossible. C'est... C'est mal. C'est Mal. Le Mal. C'est elle. Notre Bit-Bit à
nous. Et rien que pour cela, on ne peut que l'aimer davantage. |
Supergrass - is 10
S'il y a bien un anniversaire musical que l'on a envie de célébrer cette année
c'est celui de Supergrass. Génial groupe de pop énergique, mélodique, acidulée,
parfaite, qui aura largement contribué à sauver les années 90 des ténèbres
étouffantes qui les ont englouties corps et biens. Avec une fraîcheur et un
plaisir jamais pris en défaut, Supergrass aura enchaîné quelques uns des plus
grands singles de la dernière décennie. Sur album, le groupe révèle une ambition
très impressionnante et ce dès I Should Coco que l'on juge souvent un peu trop
vite comme un monument adolescent un peu stupide. Que nenni ! La qualité
d'écriture est présente depuis toujours. Et surtout, surtout, le génie absolu
pour composer des diamants pop/rock du niveau des plus grands sommets des Kinks
ou de Blondie. Sur cette compilation richement garnie, il n'y a que des tubes.
Des hymnes. Des splendeurs qui donnent envie de sauter dans tous les sens, à
n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, au grand désespoir des voisins.
Ce
best of, parfait d'un bout à l'autre, semble indispensable, même si on est en
possession de toute la discographie du groupe (4 albums, on ne se ruine pas...).
Juste pour le plaisir, rien que pour le plaisir. Le plaisir d'insérer cet objet
adorable dans le lecteur consentant et de laisser défiler les chefs-d'oeuvre. Caught by The Fuzz, Alright, Richard III, Grace, Mansize Rooster, Late In The
Day, Sun Hits The Sky, Strange Ones, Mary, Time, Lenny, Pumping on your Stereo,
Rush Hour Soul, Moving... On peut citer toutes les chansons. Bien sûr, on pourra
trouver un tel déploiement d'énergie parfaitement épuisant. Mais tellement
communicatif. Quand il vous faut un petit coup de booster, un coup de pouce pour
démarrer, redémarrer, achever une journée plus ou moins difficile, plus ou moins
grise, Supergrass c'est définitivement le bon réflexe. |
Arcade Fire - Funeral
Incroyable année 2004 ! Formidable année 2004 ! A peine quelques semaines après
le choc de Blueberry Boat, un nouveau chef-d'oeuvre atteint nos conduits
auditifs. Un monument. Un extraordinaire et bouleversant recueil de chansons qui
tapent droit au coeur, droit à l'âme. Un disque qui évoque la mort, le doute, la
peur, la solitude, le quotidien, mais aussi la révolte, l'espoir, le courage,
l'amour, le pardon, la survie au sein du chaos. Une musique qui incarne, comme
nulle autre, notre époque. Que ce soit tant au niveau des sonorités, des
arrangements, que des thèmes abordés, The Arcade Fire compose la bande son de
2004. Émotion épidermique, lyrisme omniprésent, passion qui déborde de la
moindre note, Funeral ne cesse de grandir au fil des écoutes, de s'imposer à
notre esprit.
Dans son ensemble, mais aussi dans ses détails chaque chanson étant un "tube"
potentiel. En particulier l'hallucinant Neighborhood #3 (Power Out), carrément,
oui, carrément, l'hymne de l'année, facilement, de loin, le Take Me Out de Franz
Ferdinand paraît plombé et ridicule à côté de ce sommet d'énergie, de mélodie,
de rock comme on le rêve. Mais toutes les autres chansons voisinent avec ce
niveau. Crown of Love, ballade déchirante qui, en atteignant son sommet
élégiaque, explose soudainement en une rythmique "dance". Wake Up et son
étonnant rockabilly final. Rebellion, rock bondissant secondé par des violons.
Mais aussi la conclusion déchirante de In The Back Seat, belle à crever sur
place.
Et
d'enchaîner les écoutes en boucle. Encore. Et encore. Et encore. Plusieurs fois
par jour. L'amour passionné, passionnel. Le coup de foudre, encore un ! On se
dit qu'on ne nous y reprendra plus, que l'on est trop vieux pour ces conneries.
Ce rock'n'roll, là. Tu penses ! Un truc de mômes, oui ! Et puis on écoute Funeral. Et on se retrouve à terre. Là. En larmes. Oui, monsieur, oui, madame,
oui, mademoiselle. Oui mes lectrices, oui mes lecteurs. Par terre, en larmes. Et
soudain en train de sauter dans tous les sens quand la musique de The Arcade
Fire se met à injecter toute l'énergie du monde directement dans nos veines.
Comme Eels en son temps, c'est en évoquant les sujets les plus douloureux que
The Arcade Fire se transforme en anti-dépresseur idéal.
Si
vous n'aimez pas Funeral, vous n'aimez pas le rock, vous n'aimez pas la pop,
vous n'aimez pas la musique, vous n'aimez pas la vie, punaise, bazar de fichtre
de cornegidouille ! Si ce disque ne reste pas à votre chevet pendant des jours,
vous êtes perdus pour la cause. A la limite, si vous avez acheté et forcément
adoré les Fiery Furnaces, on peut vous pardonner, on peut pardonner beaucoup aux
fans de Blueberry Boat. Mais ce n'est qu'un abus de ma gentillesse. Car Funeral est un chef-d'oeuvre démesuré. Humble et révolté, déchirant et écorché, humain,
fier, fragile, qui ne se laissera jamais apprivoiser. Pouvoir profiter d'une
telle musique, bon sang, c'est un privilège, c'est une chance, inaliénable,
indescriptible. Ah ! Mais quelle année ! |
Bjork - Medulla
Le troll islandais,
pardon, l'elfe des cavernes, nous revient. Après son Vespertine consensuel et un
inévitable best of, Bjork prouve que, malgré tout, elle est une artiste qui ne
fait pas de concessions. Enregistré uniquement à la voix et avec le recours
d'une poignée de samplers et de PC (bref, elle a tout fait dans sa chambre), Medulla tient déjà du concept gaillardement conceptuel. Des invités de marque
par dizaines (liste dans votre numéro habituel des Inrocks), de l'intensité en
veux-tu ? En voilà ! Et hop, c'est reparti comme à la grande époque. Ça gémit,
ça grogne, ça murmure, ça vocifère, ça hulule, ça glapit, ça human-beat-boxe
dans tous les coins. L'écoute de Medulla est immédiatement impressionnante. Le
son gigantesque, basses poussées à leur paroxysme, échos grandiloquents, emphase
et lyrisme à tous les étages. Ce pourrait être sublime. Même que parfois, sur Where Is The Line, par exemple, ça l'est. Mais il y a la voix de Bjork. Et
franchement. Non. Oui. Mais non. Pour effrayer les enfants en bas âge, certes.
Voilà un nouvel album de référence. Mais pour écouter chez soi, au calme, le
soir, par exemple. C'est presque de l'agression. Du masochisme. Elle hurle, elle
vrille, elle trille, elle rabote les conduits auditifs. Bref, les fans seront
aux anges. Pour mes oreilles de chat, c'est trop.
Certes, Oceania,
c'est vraiment très beau, très impressionnant, même si on a l'étrange impression
d'avoir déjà entendu un tel morceau des milliers de fois auparavant. C'est beau.
Et assez comique en même temps. Mais ça n'engage que moi. Malheureusement,
l'aspect comique n'est finalement pas suffisamment mis en avant. Mais bon, ce
n'était sans doute pas le but. Et, bien avant la fin de Medulla, on commence à
s'ennuyer gentiment. C'est rudement bien fait, c'est osé, par moment c'est très
joli. Mais cela ne me touche pas. Sur Ancestors c'est carrément très drôle. On
se croirait dans une représentation de Living Theater. Ces gens savent s'amuser,
bon sang ! C'est concret, c'est atonal, c'est contemporain. Et extrêmement
désagréable. Mais poilant. Quand on arrive au dernier morceau, un truc dance "à
la bouche", Triumph of the Heart, on ne peut s'empêcher de rire. Medulla était
donc un disque drôle. On le réécoute sous cet angle. Et tout de suite, c'est
mieux. Fatigant, interminable, mal aux oreilles, tout ça, mais mieux. Parce que
drôle. Traitez-moi de barbare, je m'en fiche, je retourne auprès de mes Fiery
Furnaces. Parce que "I hate Bjork her whistles woozy my bird brain." |
Loretta Lynn - Van Lear Rose
Loretta Lynn, ma foi, en Europe, peu d'auditeurs connaissent son nom. Aux USA,
c'est une légende de la country. Une grande dame de la musique nationale
américaine. Et la country, c'est certain, cela s'exporte fort mal (Garth Brooks,
quelqu'un ?). Alors, pourquoi ? Pourquoi cet album fait-il déjà partie des
sommets musicaux de 2004 ? Car il est souvent bien difficile de différencier un
disque de country d'un autre disque de country. Et pourtant, si vous ne deviez
acheter qu'un seul disque du genre cette année, faites que ce soit celui-là.
Donnez-lui au moins une chance. Pourquoi ? Nous y arrivons.
Loretta Lynn vient tout juste d'atteindre l'âge fort respectable de 70
ans. En plus de 40 ans de carrière, sa discographie ferait pâlir un Neil Young
ou un Frank Zappa. Elle apporte au sein de Van Lear Rose sa voix désenchantée,
ses mélodies taillées dans le marbre, un "feeling", une atmosphère qui touche à
l'essence même du genre. La révolution, bien sûr, c'est que l'album est produit
et arrangé par Jack White, le monsieur des White Stripes (pour ceux qui ont
passé les deux dernières années sur une île déserte). Jack White apporte son
génie de la production aussi sophistiquée que totalement directe en apparences.
Il parvient à redonner tout son sens au genre "country-rock", polissant des
morceaux aussi purement country que Family Tree que d'autres franchement rock
tels que son duo avec Loretta, Portland Oregon.
Donc par instants ça dégage bien hard, comme sur Have Mercy, et ça enchaîne aussitôt sur un hymne ultra caricatural et absolument
irrésistible (High On a Mountain Top). Le narratif Little Red Shoes est
éminemment sympathique et attachant, juste par la personnalité de Loretta Lynn
qui est finalement la vedette de cet album. Car à aucun moment la production de
Jack White ne parvient à faire de l'ombre à l'interprète. Quand on arrive à
l'épique Women's Prison, on comprend. Van Lear Rose est à Loretta Lynn ce que
les American Recordings furent à Johnny Cash. Une ultime cure de jouvence, une
coda d'une modernité qui renforce l'émotion au lieu de l'étouffer. Et après un
dernier très énergique Mrs. Leroy Brown qui n'aurait pas dépareillé sur l'Elephant des White Stripes, l'album se conclut sur deux sommets bouleversants. Miss Being
Mrs, qui évoque la mort du mari de la chanteuse. Et la conclusion sur Story of
my Life, qui sonne bien sûr comme un adieu. Un adieu léger, frais, vivant,
drôle. La classe, la vraie de vraie ! |
The Fiery Furnaces - Blueberry Boat
Si vous ne supportez pas le Edwood adepte de l'abus de superlatifs,
dépassant toutes les limites du lyrisme parce qu'il vient de découvrir une
oeuvre dont il est tombé fou dingue raide (hum...) amoureux, vous feriez bien
de vous arrêter ici.
Ici.
De nouveaux records en matière d'éloges risquent d'être battus (beat them
! hit them !) dans les lignes qui suivent. Vous êtes prévenus. Ne venez pas
vous plaindre ensuite. Ou alors juste pour le principe de vous plaindre. Ce que
je peux comprendre. Moi-même j'adore me plaindre. Et pourtant personne ne s'en
plaint. Enfin, allons tout de suite exposer les conclusions de la chronique, ce
sera plus simple et de toute façon nous ne sommes pas ici pour le suspens
(alors vous voyez, à la fin de Titanic, le bateau, il coule !).
Blueberry Boat des Fiery Furnaces est, bien évidemment, le disque de
l'année.
De très loin. Même la claque de Xiu Xiu et l'efficacité des Savy Fav
semblent dérisoire en comparaison. C'est vous dire. D'ailleurs nous n'allons
pas trop comparer Blueberry Boat à d'autres disques. Sinon on va entrer dans le
délire complet. A quoi peut bien ressembler le choc de cet album ? Mais à Sergent Pepper ! A Pet Sounds ! Au premier Velvet Underground ! Pas moins.
Direct. Sans concessions possibles. Je vous avais prévenu. Vous ne vouliez pas
me croire. On est dans l'historique, le monumental, le mythique, le pas
raisonnable...
Les Fiery Furnaces sont un duo, un brother et une sister, Matthew et Eleanor
Friedberger. Ils sont à présent élus nouveaux chouchous de The Web's Worst
Page, nouvelle lubie d'Edwood. Leur premier album, Gallowsbird's Bark est fort
réussi, mais ne préparait en rien à cet hallucinant Blueberry Boat. Incroyable
synthèse, impossible résumé de tout ce qui s'est fait et de tout ce qui peut
se faire dans la musique pop/rock depuis les Beatles. Tout est là. Parfois de
manière évidente (la guitare de European Son du Velvet Underground sur Quay
Cur et Straigth Street), souvent sans que l'on puisse dissocier les clins d'oeil
de l'unité totalement novatrice (comme sur la fabuleuse chanson éponyme). Et,
attention, ici on n'est pas dans le petit recueil de morceaux parfaits, non, on
est dans le concept-album ultra ambitieux. 13 chansons, 76 minutes, beaucoup de
compositions flirtent avec les 10 minutes. Et l'on peut passer d'un monument
épique et intime tel que Chief Inspector Blancheflower à la perfection pop des
3 minutes de Birdie Brain (chanson de l'année).
Certaines mélodies, toutes géniales, aiment à virevolter
d'un morceau à l'autre, et l'on note bien vite la grâce musicale de Blueberry Boat, qui fait copuler électronique et rock'n'roll comme si rien
n'était plus naturel, comme s'il n'y avait jamais eu de clivages entre les
genres. L'album est celui de la réconciliation. De la réconciliation évidente.
A aucun moment on a l'impression que tout cela est "forcé", que
les différentes parties ne sont pas cohérentes. On ne voit qu'un immense tout,
imposant aux premières approches et très rapidement aussi vital que l'air que
l'on respire. Les écoutes s'enchaînent, on ne peut plus se passer de cette
musique. Au sein d'une même chansons les Fiery Furnaces passent du gag à
l'émotion adorable, sans jamais donner l'impression de se croire plus malins ou
plus érudits que l'auditeur. Cet album est tout sauf pédant (le principal
risque, lorsque l'on étale une telle culture et un tel talent). Cet album est
drôle, léger, touchant. Cet album veut divertir, cet album veut nous charmer.
Les Fiery Furnaces veulent nous faire plaisir et cela s'entend à chaque note.
Blueberry Boat est une révolution, une extase musicale, le best of de tout
ce que j'aime. Dans un monde idéal, ce
disque se vendrait par millions et redéfinirait la musique populaire pour les
30 prochaines années. Mais je vous ai déjà saoulé de superlatifs et je ne
vous ai même pas encore évoqué la voix de Eleanor Friedberger, élue chanteuse
de l'année par votre serviteur. Aussi à l'aise dans le n'importe quoi que dans
le lyrisme, elle vole la vedette à la musique à la moindre de ses apparitions.
Sur la chanson Blueberry Boat, elle occupe l'espace avec une ferveur et une
maestria désarmante. Et lorsque la voix de son frère intervient, moins souvent
mais toujours efficacement, on est d'autant plus bouche bée. On avait rarement
approché des chansons aussi idéales. Sur Birdie Brain, Eleanor rebondit sur
toutes les syllabes, toutes les assonances, sa voix sautille avec la musique et
nous donne le sourire sans que l'on puisse lui résister un seul instant.
Cet album peut changer le monde. Comme le premier Velvet Underground,
personne ne l'achètera au moment de sa sortie, mais tous ceux qui le feront
vont former un groupe, faire de la musique, se mettre à chanter en sautillant
entre les syllabes. Bien sûr je peux me tromper, je ne prétends à aucune
forme d'objectivité (ce n'est pas une révélation...), mais Blueberry Boat à
tout pour devenir culte. Extrêmement culte. Car derrière une forme fascinante
et des surprises à toutes les mesures, il y a surtout de formidables chansons,
de sublimes mélodies, une atmosphère qui rend l'ensemble cohérent. L'amour
ça ne se commande pas, dirait à peu près Brassens. Je suis amoureux de Blueberry Boat. Et je suis prêt à partager l'expérience avec tous les
lecteurs et toutes les lectrices de bonne volonté. Une proposition, qui sans
doute, ne peut pas se refuser... |
Les Savy Fav - Inches
Bruitage Casio
bondissant, breakbeats quasi funks, hurlements suraigus de guitare en fond. Et
puis soudain la voix, nerveuse, habitée, parfois dédoublée par les échos.
Des petites riffs de guitares torturés, sombres, angoissés. Et pourtant, Meet
Me In The Dollar Bin, l'ouverture de Inches de Les Savy Fav, est un morceau
dansant, entraînant, irrésistible, tout en étant sans concession. Et sur la
chanson suivante, avec cette basse post-punk à la Joy Division, référence
appuyée par le chant lointain perdu dans les échos et les riffs de guitare
pointus et minimaux, on se dit que l'on va se retrouver avec un énième ertzatz
de la musique que l'on adore. Pourtant, jamais l'imitation ne nous avait paru si
joliment emballé, si brillament interprété. Bref, jamais on n'avait entendu
pillage aussi efficace. Et donc, ce Hold On To Your Genre, entre Ian Curtis et
Robert Smith, qui se voit enrichi soudainement par un choeur féminin, juste
avant son final énervé, tape droit dans le mille. On pourrait croire que Les
Savy Fav sont d'opportunistes suiveurs de la mode, ce serait oublier que Inches
est une compilation de singles, et même s'ils se présentent dans l'ordre
chronologique inversé, ils prennent leur source en 1996. Et ce qui frappe dans
ce disque énorme (18 titres, 70 minutes), c'est à quel point Les Savy Fav
soignent toutes leurs compositions, même la moindre face B. Du titre pop-punk
imparable (comme l'affolant Fading Vibes qui renvoit les White Stripes chez leur
mère) à l'errance narrative arty (Reformat Dramatic Reading et Reformat en
live bootleg), la générosité d'un tel groupe et d'une telle compilation
laisse bouche bée. The Sweat Descends semble ainsi s'imposer comme la meilleure
chanson de Cure depuis au moins 1992, ou plutôt 1979...
Chez les Savy Fav
on ne lésine pas sur l'énergie, sur les ajouts d'échos dans les riffs de
guitares, sur les ruptures de rythme bien vicieuses. Les morceaux semblent alors
transportés par un souffle des plus rares. Donc, on accroche (ou on déteste,
bien sûr), on se laisse avoir comme des gamins. Le groupe ne cesse d'enchaîner
les tubes bizarres, aussi mal fichus que clinquants, tel Hello Halo, Goodbye
Glands et ses dissonances qui font office de refrain imparable. Pour mieux
enchaîner sur la brutalité totalement punk de Obsessed With the Excess. Ah !
N'allez par faire un pogo sur votre plancher, sinon votre voisin du dessous va
vous haïr. Mais bon, sur One Way Window, vous ne pouvez pas résister, vous
poussez le son à fond, ou peu s'en faut. Et là, c'est tout votre immeuble qui
sature à l'unisson le standard de la gendarmerie la plus proche. Mais voilà,
Les Savy Fav, ça cogne comme rarement, ça groove comme s'il devait y avoir un
meurtre sur le dancefloor. Et on réalise alors pleinement pourquoi on trouvait
Franz Ferdinand aussi immonde. Voilà, si vous voulez écouter ce que Franz
Ferdinand aurait pu (du ?) être, vous savez quel disque acquérir. Et en
"bonus", à partir de la piste 12, et plus on remonte dans le temps,
Les Savy Fav devient un groupe garage quasi expérimental qui pond du larsen
dans tous les coins. Sans rien perdre de sa classe pour autant, surtout
lorsqu'ils osent l'hymne punk heavy et groovy sur le fabuleux Our Costal Hymn
(de 1998, donc, ce qui laisse songeur).
Ah, il en faut de
la force et du talent pour ne pas emmerder l'auditeur au fil d'une telle
compilation. Et, miracle, oh, miracle ! Les Savy Fav y parviennent ! Alors, un
disque de post-punk-pop-funk-rock de 70 minutes qui vous massacre, vous ravi,
vous émerveille, vous épuise et vous relance sans cesse vers des sommets
insoupçonnés, que peut-on en dire ? Qu'il est le meilleur dans son genre, le
meilleur de l'année ? Oh, vous croyez ? |
Manitoba - Up In Flames
Dan Snaith, le
monsieur qui se cache derrière le patronyme imposant de Manitoba, est aussi un auteur sous hautes
influences. Au sein de Up In Flames on croisera fréquemment les échos de
grands anciens du rock psychédélique post-tout tels que Mercury Rev, les
Flaming Lips et bien sûr... My Bloody Valentine (je sais, je les vois partout,
mais ils sont partout !). La musique de Manitoba défie donc toute
classification au même titre qu'un Soft Bulletin ou qu'un Yerselft Is Steam.
Rythmes grandioses et complexes, bruitages électroniques foisonnants, voix
lointaine qui raconte on ne sait quoi, et des mélodies pop fantomatiques parmi
les plus entraînantes et les plus accrocheuses que l'on puisse concevoir. De
l'ouverture ravageuse de I've Lived on a Dirt Road All My Life au tube
bondissant Hendrix With Ko en passant par l'effrayant mais génial Bijoux (le
son de l'univers tout entier qui se casse la figure dans les escaliers), Up In
Flames est un album écrasant, inépuisable. A son écoute on ne cesse de se
demander : comment ? pourquoi ? où ? qui a laissé ce type en liberté ? Bref,
on s'extasie, on s'enthousiasme, on en prend plein la tête et on est heureux.
Pour sûr, bon nombres d'artistes sonnent comme Manitoba à notre époque, mais
le bonhomme à de la verve à revendre, de l'imagination et une audace qui
réjouit à chaque minute de ce Up In Flames ludique et motivant. Le plaisir que
l'on éprouve devant un Every Time She Turns Round It's Her Birthday ne peut pas
être décrit en quelques mots. Disons, un sourire de là à là, oui,
facilement, de là à là. Et l'envie de danser bêtement sur ces rythmes
apocalyptiques et s'enivrer encore une fois de cette musique libre et timbrée. |
The Shins - Chutes Too Narrow
Toi, oui, toi, le
lecteur, la lectrice, qui aime danser sur de la pop guillerette, toi qui aime le
printemps au son du revival 60's qui ne cessera jamais de revivre. Oui, c'est à
toi que s'adresse Chutes Too Narrow, le second album des efficaces The Shins.
Quelque part entre Weezer et forcément les Pixies (en plus direct et moins
surprenant, bien sûr), le groupe égrène des petites évidences pops aussi
sympathiques que légères. Et s'ils parviennent à glisser un Saint Simon d'une
complexité qui rappellera bien sûr les meilleurs Beatles, l'essentiel de Chutes Too Narrow évoque un univers joyeusement nostalgique et rêveur. Une
musique bondissante, suffisamment étrange pour ne jamais ennuyer, assez voisine
des perles folles des Unicorns, mais sans en approcher l'audace, la richesse et
l'aspect absolument addictif. Sur le très ludique Turn a Square, les Shins
parviennent à sonner comme en 1964 avec une décomplexion renversante.
Malheureusement, il manque à Chutes Too Narrow un surcroît d'âme, la petite
flamme qui parvient à transcender une musique mille fois entendue un peu
partout. Le disque est joliment emballé, tout à fait accrocheur, mais très
vain, trop léger, manquant cruellement de personnalité. On passe un agréable
moment à écouter The Shins, mais on les oublie aussitôt le splendide Those To
Come achevé. |
M83 - Dead Cities, Red Seas & Lost Ghosts
Vangelis pas mort ?
On peut se poser fort justement la question à l'écoute, par exemple, de la
piste 6 du dernier album de M83. Si ce n'est pas du Vangelis, qu'est-ce donc ?
La référence est évidente, même si le reste du disque, à la force
d'explosion sonore grandiloquente, fait plus souvent appel au rock progressif et
psychédélique. Mais après tout, Vangelis a bien débuté, aux côtés de
Demis Roussos, au sein des Aphrodite's Childs, groupe qui possède encore de nos
jours une belle aura auprès des amateurs du genre "planant bizarre".
M83 opte donc pour les synthétiseurs obsolètes, les rythmes pachydermiques et
une production épique voire totalement lyrique qui emplit les oreilles d'échos
et de larsens. De grandes fresques musicales, parfois voisines des élans les
plus affolés d'un Godspeed You Black Emperor, comme sur ce Noise magistral. A
d'autres instants, plus calmes, M83 sonne comme une BO perdue d'un Final Fantasy
7 ou 8. Mais toujours pour mieux se relancer dans un déluge sonore écrasant.
Pour qui aime la musique électronique kitsch et sophistiquée, pleine
d'envolées fantastiques, contrebalancées par des mélodies enfantines d'une
naïveté confondante, quelque part entre KLF, My Bloody Valentine et certains
Aphex Twin, M83 est un petit paradis. Totalement premier degré, cet album est
d'une générosité sans pareille pour ce qui est de faire exploser les
mélodies grandioses et les arrangements électroniques surchargés. Pour sûr,
il faut aimer le genre et le côté Vangelis de la chose risque d'en laisser
plus d'un sur le carreau. Mais tout cela déborde littéralement de sincérité
et de bravoure élégiaque. Au fil des écoutes, la beauté troublante de Dead
Cities, Red Seas & Lost Ghosts finit par devenir évidente. Tout le
contraire d'une oeuvre discrète, mais derrière une forme aussi pompeuse
qu'impressionnante, se cache une émotion des plus marquantes. |
David Byrne
Lead Us Not Into Temptation
Grown
Backwards
C'est un lieu commun que d'affirmer que la carrière solo de l'ancien leader
des Talking Heads est des plus variées et passionnantes. Malheureusement,
on a beau répéter ce fait avéré, vous êtes encore trop peu nombreux à vous
pencher sur les dernières oeuvres du monsieur. C'est un tort ! Un tort
gigantesque ! Quasi impardonnable. Surtout à l'écoute de ses deux récentes
productions, la bande originale instrumentale, Lead Us Not Into Temptation et le
véritable nouvel album Grown Backwards. Deux trésors qui viennent rappeler à
quel point David Byrne n'a rien perdu de son inventivité, de sa classe et qu'il
n'a jamais baissé les armes depuis la grande époque des Talking Heads. Osons
même l'affirmer, ses deux dernières oeuvres sont supérieures aux Talking Heads
de la dernière période.
Lead Us Not Into
Temptation crée une atmosphère fascinante, entre l'Angelo Badalamenti de Twin
Peaks et Tom Waits. Passant du ludique le plus décomplexé à des ambiances
angoissantes et sophistiquées à l'image du génial Sex On The Docks ou de
l'éthéré et poétique The Lodger. Avant de culminer sur la seule véritable
chanson du disque, le sublime The Great Western Road, qui, à elle seule, vaut
l'achat de Lead Us Not Into Temptation. Qui s'affirme déjà comme l'une des
meilleures bande originales qui soient (et puis ça vous changera du Seigneur
des Anneaux et de Gladiator...). Tant de beauté rien que pour nous, c'est trop
monsieur Byrne, c'est trop.
Grown Backwards est
par contre un disque plus "classique", un recueil de chansons
parfaites (ou peu s'en faut), qui dans sa première moitié évoque, souvent
avec ironie, la jeunesse, son insouciance et ses rêves, avant d'errer dans les
désillusions et les échecs de l'âge adulte, toujours avec la même verve. La
majorité des morceaux ici proposés est digne du Talking Heads le plus
inspiré. Par exemple la gracieuse ouverture de Glass Concrete & Stone qui
semble sortie de Remain In Light. Le magnifique duo (en français) avec Rufus
Wainwright, sur un thème de Bizet, Au Fond du Temple Saint. Le luxueux et
cynique Empire. Le joyeusement désenchanté Tiny Apocalypse. Le virevoltant et
toujours surprenant The Other Side Of This Life. Un Civilization à la manière
des Heads période Little Creatures. La conclusion déchirante de Un Di Felice Eterea. Et un étonnant
morceau dance kitschissime en bonus, Lazy. Grown Backwards est pour le moins un
album magistral et qui ne peut être en aucun cas considéré comme une oeuvre
mineure dans la discographie de David Byrne (en y incluant les Talking Heads !).
Il serait incroyablement dommage de passer à côté de ces deux disques
formidables, qui confirme que le monsieur, au même titre qu'un Tom Waits ou
qu'un Neil Young, ne perd rien de son talent au fil du temps, bien au contraire.
Très impressionnant. |
Tortoise - It's All Around You
De la part du
groupe qui a révolutionné ce que l'on aime à appeler le
"post-rock", avec des albums aussi indispensables que le sublime Millions Living Now Will Never Die ou le non moins réussi TNT, on ne peut que
demander ce qu'il y a de mieux. Et en ces temps où le post-rock se mord la
queue dans les interminables errances plus 'prog' que 'post' de Godspeed You
Black Emperor ou Silver Mount Zion (qui ont leurs qualités par ailleurs, ne me
faites pas dire ce que je n'ai pas dit), on ne peut qu'être très déçu par la
stagnation que représente It's All Around You. Certes, Tortoise qui fait du
Tortoise, étrangement prévisible et routinier, c'est toujours très beau. Et
le début de l'album est absolument magnifique à l'image de The Lithium Shifts et Crest. Malheureusement, petit à petit, on se retrouve en territoire plus que
connu. Et les surprises se font rares, ainsi que les grands moments de grâce
qui transcendaient les 20 minutes mythiques de Djed. Il n'en demeure pas moins
que It's All Around You est un bon disque, même un très bon disque. Mais à
l'échelle de Tortoise, on ne peut pas nier la déception. Millions Living Now semble plus novateur et contemporain que cet album là. Ce qui est fort dommage,
mais n'enlève rien au prestige d'un groupe immense. Les fans, et ils sont
nombreux, se précipiteront sur It's All Around You. Pour ceux qui ne
connaissent pas encore Tortoise, il est grand temps de réparer cette lacune,
essentiellement avec les deux chefs-d'œuvre cités plus haut. Et pourquoi pas,
donc, après, par l'intermédiaire de ce It's All Around You plus classique...
pour du Tortoise, il va sans dire... |
The Walkmen - Bows & Arrows
En voilà un de
groupe bien dans son époque. The Walkmen, plus encore que les White Stripes,
les Strokes ou The Rapture, incarne le "son" rock actuel. Mais,
contrairement à la plupart des groupes en "The" (comme les "The"
Franz Ferdinand, sans doute...), The Walkmen font preuve d'une belle
originalité, d'une énergie rare et surtout d'une qualité de composition
surprenante. L'ouverture calme et rêveuse de What's In It For Me est un piège,
mais déjà, dans la voix de Hamilton Leithauser plane une sourde menace, des
nerfs à vif. Sentiment immédiatement confirmé avec le morceau suivant,
l'énorme The Rat, tube puissance 1000, dopé par des nappes d'orgue lointaines
admirables, une rythmique dévastatrice, des riffs de guitares irrésistibles et
un chant pour le moins habité. Ce pourrait être un rock carré de plus, mais
cet orgue ("le" truc des Walkmen), cette énergie et surtout cette
production lyrique transforme The Rat en un hymne intégral, une tornade
généreuse et évidente, comme on n'en avait pas entendu depuis déjà pas mal
de temps. No Christmas While I'm Talking est une déclamation grandiose toute en
roulements de cymbales et en échos d'orgues électroniques. Mais The Walkmen
redémarre sur les chapeaux de roue avec le brutal Little House of Savages et
sur l'intensité de My Old Man. Le temps d'une errance ivre entre Tom Waits, les
Bad Seeds et les Pogues, 138th Street, qu'à nouveau le groupe emballe un rock
aussi classique que grandiose avec The North Pole. Mais c'est la ballade toute
simple, Hang On Siobhan qui est peut-être le sommet de l'album. Une petite
valse lointaine, presque éteinte, qui au sein d'un tel disque est un réel
bonheur. Un peu comme les magiques In The Cold Cold Night et You've Got Her In
Your Pocket sur l'Elephant des Whites Stripes. New Year's Eve étend un peu plus
la palette des Walkmen, avec à nouveau des accents déjantés à la Tom Waits
ou à la Nick Cave. Mais c'est le totalement enthousiasmant Thinking of a Dream
I Have qui achève de nous convaincre du talent des Walkmen. Une cavalcade
électrique époustouflante, qui ose le break lyrique et l'orgue qui s'envole.
Et l'album s'achève calmement sur Bows & Arrows. Un disque imparfait, plein
de petites fautes de rythme, sans doute, mais d'une beauté discrète, d'une
force évidente et bourré d'instants palpitants. Au final, se délivrant peu à
peu de toutes leurs influences, The Walkmen parviennent à s'imposer comme un
groupe majeur. |
Franz Ferdinand - Franz Ferdinand
Il fallait bien que
cela arrive. Après The Cure au Casio (The Rapture) ou Joy Division light
(Interpol), le recyclage de la new wave post punk allait bien retrouver le corps
joyeusement décomposé de... Adam & The Ants. A l'écoute du guignolesque
premier album de Franz Ferdinand, la référence saute aux oreilles (même si
j'avoue que ce n'est pas moi qui l'ai remarqué en premier). Sur l'horripilant The Dark of the Matinée (que l'on m'a qualifié aussi "d'immonde"),
on saisit directement le poids que peuvent avoir les immortels auteurs de Stand
and Deliver. Espérons que les Franz Ferdinand adopteront aussi le look inénarrable
de Adam Ant, cela donnera à leurs concerts le visuel cartoonesque qui
conviendra au mieux à leur musique. Une musique souvent digne d'un générique
de dessin animé de notre enfance (Tell Her Tonight (Cure, encore), The Dark of
the Matinee (qui fait plus qu'emprunter à... Primus ...). Pourtant, sur les
premiers instants de Jacqueline, on peut y croire. Mais dès que le riff le plus
basique de l'histoire de la pop surgit, on reste bouche bée. Et après on se
fout de moi quand j'écoute Britney... Et puis vient l'infâme tube, le prise de
tête Take Me Out. On dirait une musique de publicité. D'ailleurs c'en est une.
Cela ressemble à tout, et cela peut très bien concourir dans la catégorie des
chansons les moins originales de tous les temps. On m'a aussi dit que Take Me
Out pompait carrément Relax de Frankie Goes To Hollywood et c'est
incroyablement vrai.
On
voit donc où nous en sommes, cernés par Adam Ant, Trevor Horn, les
décidément incontournables Gang of Four, la pub, le Cure de Kiss Me, Kiss Me,
Kiss Me, George Michael (si, si) et j'en passe). Et que ça rebondit de manière
discoïde sur un Auf Achse qui se voudrait Abbaesque. Et que ça sonne White
Stripes petit bras sur Cheating on You. Et qu'on refait un tour de Adam Ant sur
l'insupportable This Fire. A la limite, on peut tout à fait sauver l'excellent Darts of Pleasure, parfaitement dans l'air du temps et bien agréable. Mais
déjà le pseudo homo-érotisme de Michael nous embarrasse. Et ces gens nous
parlent des Buzzcocks ? Non... Alors bien sûr, c'est efficace. Ca n'arrête pas
de surfer sur des basses discoïdes et des rythmiques guillerettes, mais c'est
de la pop de bas étages, vulgaire, de la ritournelle mille fois entendue, sans
imagination et sans cœur. Bien sûr, cela peut paraître plaisant de prime
abord, mais c'est indigeste dès la troisième écoute. Pour la peine, je ne
vais même pas prendre la peine de dire qu'il vaut mieux écouter les originaux,
il y a de nos jours d'autres groupes du même genre beaucoup plus efficaces et
intéressants que Franz Ferdinand. Par contre, il est certain que cet album va
faire un carton effroyable. Comme toutes les musiques de pubs... |
The Books - The Lemon of Pink
Le deuxième album de The Books se présente exactement de la
même manière que leur premier opus, le fantastique Thought For Food, des
séries de collage sonores, de bruitages, de bribes de mélodies, de samples ici
et là, qui fusent d'un peu partout pour créer, petit à petit, de véritables
merveilles musicales pleines de poésie et de délicatesse. La plus importante
innovation de The Lemon of Pink, par rapport au premier album, est sans doute la
présence de parties chantées, souvent très brèves, mais d'une grande force,
comme sur la chanson éponyme qui ouvre The Lemon of Pink. Pour le reste, on
retrouve les sonorités folk qui font tout le charme de The Books. Guitares
acoustiques, violons, banjos et autres distorsions électroniques lointaines
suffisent à créer des ambiances captivantes. Les bribes de conversations
forment parfois des échos formidables comme sur Tokyo, Bonanza ou sur
l'amusante conclusion de PS. Étrangement, on pensera parfois à un Mike
Oldfield post-moderne, retrouvant la verve des Tubular Bells premières du nom.
Ou si Enya ruait dans les brancards de ses arrangements formatés, comme sur le
ravissant Take Time. La musique de The Books se fait parfois plus sombre, plus
songeuse, comme sur le magnifique Don't Even Sing About It, qui est avant tout
un instrumental folk d'une grâce rare. Sur The Future, Wouldn't That Be Nice, la déstructuration fait tourner la tête de l'auditeur, mais malgré tout, The
Books parviennent toujours à préserver la cohérence de leurs compositions. On
pourrait parler de petit miracle en évoquant la musique de The Books, tant leur
univers est toujours au bord de l'abstraction, du chaos, de l'abscons et reste
pourtant immédiatement accessible et adorable. Et d'une richesse de sentiments
incroyables. The Lemon of Pink, quasiment sans paroles intelligibles parvient
ainsi à être drôle, émouvant, inquiétant, doux, dynamique, rêveur,
étonnant et rapidement indispensable. Un album que j'avais raté en 2003, mais
qui mérite, ah oui, encore, mais franchement, là, sincèrement, c'est
obligatoire, c'est inévitable, un album qui mérite à la fois le titre de chef-d'œuvre,
mais aussi la discothèque idéale. Oui, la discothèque idéale. De ce pas ! |
Mu - Afro
Finger and Gel
Marre de Peaches ?
C'est bien normal. Amateurs d'électronique-electroclash-dancefloors pervers, Mu
est là pour vous emmener au 7e Ciel. Dans des méandres synthétiques bourrins,
Mutsumi Kanamori délivre une série de performances vocales aussi comiques que
brutales, parfois charmantes, souvent hilarantes, toujours entraînantes, qui
font passer Peaches pour une rombière frigide. Mais il n'y a pas que la dame
pour assurer le spectacle, son producteur/mari Maurice Fulton se taille la part
du lion, comme sur l'instrumental carré et vicieux Let's Get Sick. De
l'ouverture martiale, façon electro allemande, de Jealous Kids, en passant par
une étrange réminiscence du Digital Hardcore d'Alec Empire sur Afro Finger,
l'album est un monument ludique pour les amateurs de fracassage de tête
indus-pop. Parfois la musique se fait plus charmeuse, mais juste pour la forme,
tant les élans bossa d'un Hello Bored Biz Man ne sont qu'une façade. Mais il y
a des moments de franche poilade, comme sur l'historiette grandiose de My Name
Is Tommi et le "tube" Chair Girl qui paraît finalement un peu
classique et mou du genou par rapport au reste de l'album. On trouve aussi le
pseudo disco idiot de Tell You Something et la house non moins débile et
barbare de Why I Left. L'album se conclue sur une jolie petite pièce d'electronica,
qui débute disco pour finir ambient, Destroying Human Nature. Peut-être un peu
fatigant sur la longueur, Afro Finger and Gel n'en demeure pas moins très
divertissant, pour danser vicieusement, embêter les voisins et avoir le sourire
dans le métro. |
Broadcast - Haha
Sound
Claudine Longet
ressuscitée ! Comme c'est Pâques à l'instant où je rédige ces lignes,
j'avoue que la perspective est d'autant plus réjouissante. Mais, oui, oui, oui,
Trish Keenan retrouve souvent des accents dignes de l'érotisme soupirant de
Claudine Longet ou, bien sûr, des échos lointains de My Bloody Valentine. Rien
que pour cela, on ne peut qu'adorer Broadcast. Même si leur premier album, The
Noise Made By People m'avait laissé sur ma faim, j'ai tendu une oreille
bienveillante vers Haha Sound. Et Dieu sait que je ne le regrette point ! Cet
album regorge de chansons pop sublimes, tendues entre des mélodies fantastiques
et des ruptures sonores étonnantes, qui ne cessent de surprendre, voire
d'égarer. Et rien n'est plus ravissant que la pop la plus tendre, la plus
douce, la plus fantaisiste, qui coupe à travers champs, qui ose briser les
codes les plus établis, la pop à la manière des Beach Boys, de Love ou de
Kate Bush, à la fois parfaite mais pleine de pièges, d'extravagances, de
détours charmants et effrayants. Broadcast, au fil de Haha Sound, ne cesse
d'errer, de rêvasser, de dissoner, de ravir et de griffer au sein des chansons
les plus délicieuses, telles ces The Little Bell (comptine qui s'effondre
doucement dans le chaos) ou Winter Now (une mélodie sublime sur des harmonies
fausses). Sans évoquer l'ouverture magnifique de Colour Me In ou le
"tube" que je ne peux qualifier sous peine de me faire encore
reprocher de ne parler qu'en superlatifs, Before We Begin. Mais de superlatifs,
j'ai besoin, énormément besoin, inévitablement besoin, si je veux vous
convaincre d'acheter immédiatement Haha Sound. L'album est sorti il y a presque
un an, mais il est loin d'être trop tard. Idéal comme bande son du printemps.
Un disque aussi rassurant qu'aventureux, complexe, étrange, gracieux jusqu'à
l'extase, qui unie électronique, cordes, rythmes quasi industriels, voix
féerique dans une perfection pop qui enchante jusqu'aux larmes. |
Xiu Xiu - Fabulous
Muscles
L'année musicale
2004 a eu bien du mal à démarrer pour moi. Certes, il y avait de bonnes choses
qui tombaient sous mes oreilles de temps à autres. Voire même d'excellents
disques, mais la majorité d'entre eux datait encore de 2003. Qui donc pouvait
me faire entrer dans une nouvelle ère et me faire oublier les chocs des
Grandaddy, Unicorns et autres The Books de 2003 ? J'attendais un coup de cœur,
j'attendais de tomber fou amoureux d'un album avant de commencer ma saison de
chroniques. J'espérais donc beaucoup, car on ne doit jamais abaisser ses
exigences. Mais je ne pensais vraiment pas croiser une musique aussi sublime que
celle contenue sur le troisième album des américains de Xiu Xiu. Fabulous
Muscles est pour moi une révélation du niveau d'un Electro-Shock Blues ou d'un Sophtware Slump. Et croyez-moi, en écoutant des morceaux aussi beaux,
étranges, touchants que Little Panda McElroy, Support Our Troops ou Mike, vous
comprendrez que mes comparaisons sont loin d'être excessives. En fait, elles ne
rendent pas du tout justice à la puissance étonnante de Fabulous
Muscles.
Expérimental,
brassant toutes les sonorités actuelles, entre électronique primitive,
industriel coupant, ambient murmurante, post-rock nerveux ou rêveur, musiques
de jeux vidéos, le tout dominé par une voix passionné et bouleversante, Fabulous Muscles est un choc de tous les instants. En quelques minutes, l'album
s'impose comme la bande son idéale de l'époque. Tout est là. En particulier
tout ce que j'attendais. L'album m'est devenu si brutalement indispensable,
vital, familier, que je ne sais même plus comment en parler. J'ai même
hésité assez longtemps à le présenter sur ce site.
Toutes les
"chansons" de Fabulous Muscles sont des chefs-d'œuvre. Et pas des
petits ! Non, des grands ! Des immenses ! Du genre qui peuvent tout changer en
quelques instants. Écoutez, par exemple, Support Our Troops, récit effroyable
d'un soldat américain réduit à tuer une jeune fille, et bien oui, c'est
traumatisant. Et sur un morceau musicalement plus agressif comme Brian The
Vampire, on se dit qu'on l'a déjà entendu cela ailleurs. Mais en fait, non, on
réalise très rapidement que l'on n'a JAMAIS entendu cela ailleurs.
L'originalité, l'audace, l'émotion de Xiu Xiu ne sont jamais prises en
défaut. Et sur la chanson titre, post-folk-post-rock-post-tout, monument de
noirceur ludique et horrifiante ("Cremate me after you come on my lips"),
on s'abandonne totalement, ces gens sont mes nouveaux Prophètes. Alors, oui, on
pourra me répondre que ce disque est "difficile" et que son
atmosphère en rebutera beaucoup. Une atmosphère située quelque part entre un Closer de Joy Division, un Pretty Hate Machine de NIN, un Ambient Works Vol. 2 d'Aphex Twin ou même, et oui, un Tilt de Scott Walker. Ce sont de très lourdes
références, et pourtant c'est vraiment aussi bien que cela, Xiu Xiu ! Car au
sein des pires ténèbres, le groupe se permet des pointes d'humour salvatrices.
Non seulement on est prêt à verser des larmes, mais en plus, Xiu Xiu nous fait
rire et sait passer du sérieux déchirant à l'amusement.
Fabulous Muscles est bien tout ce que j'attendais de la musique de 2004. Synthétisant toutes les
tendances, toutes les percées sonores, toutes les préoccupations de ces
derniers mois, Xiu Xiu offre une oeuvre novatrice, bouillonnante, sans
concessions, ardue, exigeante, tout en étant très abordable dans la cohérence
de son univers impressionnant. Devant un morceau aussi génial que
"Mike", on ne sait vraiment plus quoi dire, on est cloué sur place,
on n'osait plus rêver d'un disque à la fois si en phase (voire en avance) avec
son époque et d'une apparence si intemporelle, si sincère. Alors, bien sûr,
là, je peux vous clamer que c'est pour l'instant mon disque de l'année, mais
croyez-moi, il faudra exploser de nouvelles limites dans l'émotion, la
puissance et la beauté pour atteindre la cheville de Fabulous Muscles. Chef-d'œuvre,
douloureux, direct, cash et sans appel. |
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