The Flaming Lips - Embryonic
Est-ce
donc vraiment dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ?
C’est ce qu’on peut logiquement se demander lorsqu’un artiste dont on
n’attendait plus grand-chose, à part une certaine constance, sort un
monument. L’événement est d’autant plus inattendu qu’on entre dans une
telle œuvre comme dans une paire de chaussons. Prenez Embryonic des Flaming Lips. Les ingrédients on les connaît, ils ont le goût des
madeleines de M. Proust. La voix de Wayne Coyne, les éléments
psychédéliques, le mur du son qui se bâtit soudain avec ses énormes
percussions électriques, les comptines vicieuses, les échos et les
effets. Finalement, on sait tout cela, on y mange régulièrement et avec
plaisir depuis notre adolescence. On y a même festoyé comme rarement, à
l’écoute des vrais chefs-d’œuvre que sont Zaireeka ou The Soft
Bulletin.
Mais
depuis une décennie tout juste, on faisait de la roue libre avec les
Flaming Lips. Sans jamais leur jeter la pierre tant leurs efforts
demeuraient honorables et même parfois très plaisants (Yoshimi et
ses robots roses). Mais de là à imaginer que le groupe pourrait trouver
de nouvelles recettes à partir de formules si familières, on n’y croyait
pas vraiment. Bref, on s’en moquait légèrement, très poliment, du nouvel
album des Flaming Lips.
C’était à
la fois une erreur et une bonne chose. Si on l’avait attendu avec
impatience, sans doute qu’on l’aurait adoré. Mais moins. Mais moins
bien. Retomber amoureux d’artistes qu’on avait perdu de vue, c’est comme
un bain de jouvence. Comme si le temps avait passé, mais pour le
meilleur. On est plus vieux, eux aussi. Et on est heureux ainsi, prêt
pour les amours profonds et intenses. Embryonic dure 70 minutes,
c’est un pavé sonore, d’une richesse délirante. Embryonic se veut
best of des Flaming Lips, mais en repeint à neuf. Les bases sont
toujours les mêmes, l’identité du groupe est intacte, mais les chansons,
oh, fichtre, quelles chansons !
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morceaux d’anthologie, à la fois acerbes et accrocheurs. Des tubes
imparfaits, des hits dégénérés, des trucs expérimentaux qu’on peut
fredonner sous la douche. Bref, du rock des années 2000, du vrai, du
comme on l’aime. Le tour de force est du niveau de The Soft Bulletin,
rien de moins. En plus barbare, sans doute, en moins aimable, avec une
joliesse plus tristounette, plus sombre. Mais cette beauté n’en est que
plus éclatante, noire et brillante. Il suffit pour cela d’écouter le
rouleau-compresseur qu’est Watching the Planets, mutant pop qui
semble accoucher à chaque mesure de la prochaine décennie. Un truc pour
danser, pour chantonner bêtement, et en même temps une construction
virtuose dans son chaos.
Du bruit,
il y en a à revendre dans Embryonic. Certains morceaux cognent
comme des sourds damnés (Worm Mountain en tête). Mais il y a
aussi la comptine la plus fragilement déglinguée depuis Birdie Brain des Fiery Furnaces (I can be a frog). Litanies (Powerless),
violence (See the leaves), poésie électrocutée (Evil), Embryonic se veut ouvrage total. Mais toujours cohérent. Follement
ambitieux, l’album s’offre généreusement dès la première écoute mais ne
se dévoile qu’après de longues journées passionnées. Un coup de foudre
et un amour pour la vie ? Trop beau pour être vrai. Et pourtant on y
croit, innocent, comme au premier jour du monde. |
Jarvis Cocker - Further Complications
Le côté
pop électronique de Pulp émanait des tensions entre les
différents membres du groupe. Non, le groupe culte de
Sheffield n’était pas que la chose de Jarvis Cocker. Leader
charismatique à outrance, il a parfois fait oublier que
l’originalité de Pulp ne reposait pas que sur ses textes.
Bien sûr, si on adore la discographie du groupe c’est aussi
parce que les histoires de Jarvis nous amusent, nous
provoquent, nous émeuvent. Mais il y avait dans Pulp bien
davantage que la mégalomanie ordinaire d’un binoclard
génial.
La
preuve avec ce second album solo de Jarvis Cocker, où la
musique est devenue plus aisément identifiable (une grosse
pop à guitares) et les textes encore plus essentiels. Les
thèmes sont connus, mais ils ont vieillis comme l’artiste.
L’ensemble gagne en puissance immédiate, en plénitude. Further Complications possède l’agressivité des vieux
rockeurs un peu louches, mais aussi toute la tendresse qui
perce derrière les arrangements un tantinet gras du bide.
C’est beau comme du Frank Black, la verve en plus.
Ceux qui
aimaient le Jarvis des discothèques en seront pour leurs
frais. Ici le compositeur se branche sur une ligne à haute
tension qui lie les Stooges, les Stones période Exile et le
Bowie des Spiders From Mars. Une sorte d’accomplissement
pour le chanteur qui a toujours penché vers cette généalogie
de l’immoral.
Qu’on ne
s’y trompe pas, Further Complications est une
réussite totale. Lorsqu’un dandy décide de sortir les futs
en cuir et de mettre les amplis à 11, cela donne un rock
faussement bourrin et vraiment sophistiqué. Les perles du
niveau de Leftovers ou Slush n’ont rien à
envier aux meilleures heures de Pulp. Même le funk un peu
mécanique de You’re in my eyes vient nous conquérir à
l’usure. Le seul drame de cet album est qu’il passera
probablement un peu inaperçu. Comme si Jarvis faisait partie
du décor, alors qu’il est justement celui qui détonnera
toujours le plus parmi les autres vieux tableaux. |
St. Vincent - Actor
Pas facile
de porter la couronne de la reine Kate (Bush), mais Annie Clark
n’est pas tombée de la dernière pluie. Après un premier album
remarquable, elle revient avec la même recette, mais en forçant
sur les aspérités pour mieux ébrécher la belle façade. Chez St
Vincent les chansons se présentent toujours charmeuses,
parfaitement aidées en cela par la douce voix de la miss Clark.
Mais c’est pour mieux prendre l’auditeur au dépourvu, le piéger
et le dévorer.
Ici la
brutalité est encore plus exacerbée, comme l’annonce les
méchantes guitares qui viennent violenter The Strangers en ouverture de l’album. Pourtant les jolies litanies sont aussi
de retour, telles que Save Me From What I Want et le
superbe The Party. Si à la première écoute on retiendra
surtout les coups de boutoir de chansons comme Black Rainbow (et son final qui cloue au mur) et Marrow (qui cogne
comme un sourd), c’est au fil des écoutes que la vraie richesse
de Actor se révèle. Une nouvelle réussite pour Annie
Clark, originale et séduisante, vicieuse et délicieuse. |
Lily Allen - It's
not me it's you
La pop
britannique a-t-elle quelque chose à dire pour sa défense ?
Qu’a-t-elle à répondre au triomphe de la vulgarité américaine ?
Peut-elle encore résister au triomphe des immondices telles que Lady
Caca et Katy Pénible ? Faudra-t-il tomber dans les jeux de mots
faciles pour la réveiller ? Non, car voici que se dresse fièrement
cette chère Lily Allen, pas la dernière en matière de grossièretés
diverses et variées. Entre deux photos topless au sortir de soirées
éméchées, la demoiselle prend encore le temps d’emballer ses
chansons revanchardes et paillardes. On aurait vite fait de se
moquer. Après tout c’est encore un succédané des comptines enfantines
pour les adultes, des rengaines de cours de récrée qui se blindent
de fric et de gros mots pour faire croire qu’elles parlent aux grandes
personnes. Non, Lily Allen, comme Mika, comme les Spice Girls, comme
Rihanna, cause aux gosses qui traînent encore leurs baskets dans nos
esprits. Alors, on la jette par la fenêtre avec les autres ?
Non. Pas tout de
suite. Parce que derrière le clinquant de la production et la
facilité des mélodies, il y a une personnalité attachante (tout
autant qu’énervante). Serait-ce grâce à cet accent
british qui claque si bien dans les tympans ? Ou alors ces mélodies
seraient-elles vraiment réussies ? Il y a même des balades bien
déchirantes comme on n’osera jamais avouer en écouter (Who’d have
known et le repas gastronomique de Chinese). Ou bien
est-ce la terrible rengaine de Fuck You qui restera gravée
dans nos têtes, arme de destruction massive des neurones dédiée à
George W. Bush. Faut-il alors brûler Lily Allen ? Non, mille fois
non. Face à l’invasion du pire, nous ferons une barricade de son
corps. Ce sera toujours ça de pris. |
Sunn o))) -
Monoliths & Dimensions
Branchez les
tronçonneuses ! Sunn o))) revient sans rien changer de son
principe : les assauts de « drones ». En gros, pour l’oreille pas
avertie, ce sont d’énormes arpèges de larsens qui s’enchaînent
jusqu’à l’hypnose. Et au milieu de tout cela on jette en sacrifice
tout ce qui passe (des chœurs féminins par exemple). A vrai dire,
lorsque la musique se limite à cela, c’est toujours aussi intense.
Un peu dans la veine de la sublime laideur électrique des Fuck
Buttons. Le problème surgit lorsque le chant débarque, incantatoire
et ridicule, hérité du black métal le plus trivial. Maltraitées, les
ambiances plongent dans le grand guignol, alors que leur
magnificence n’a rien perdu de son aura.
Allez
directement à la dixième minute du morceau d’ouverture, Aghartha,
et constatez. En fond, une maison hantée gémit (on entend grincer le
plancher du grenier maudit), en avant, un quelconque sataniste
déblatère (qui s’est une fois enfermé dans un cercueil pour
enregistrer ses borborygmes). Si on n’est pas dans l’ambiance, si on
est en plein été et que le soleil brille, il y a de quoi bien
rigoler. Et c’est dommage. La musique de Sunn o))), dans ses plus
beaux moments (le formidable Big Church) n’a aucun
équivalent. Il n’y a que chez Scott Walker ou chez John Zorn que
l’on ressente cette même folie grotesque si proche du sublime.
Définitivement pas pour tous les publics, mais en écoutant Monoliths & Dimensions, on a le sentiment de vivre quelque chose
(quoi que ce soit). Voilà qui n’est pas rien. |
Woods - Songs of
Shame
Toi qui avais
bien décelé que derrière l’engouement délirant lié aux Fleet Foxes ne se situait qu’un effet de mode bien factice,
réjouis-toi ! Tu vas pouvoir changer de cheval de bataille car voici
que s’avance Woods et leur Songs of Shame, un énième effort
psychédélico-baba qui sent bon les toges en poils de chèvres et les
chewing-gums au quinoa.
Tu trouvais que
Pink Floyd et Animal Collective c’était quand même un poil
complaisant ? Attends de t’enfiler les 9 minutes de September with Pete. Et quand ça ne déroule pas de l’improvisation
kaléidoscopique, ça brame. Avec des petites voix aigües qui nous ne
veulent pas de bien. Dans l’absolu, c’est mignon. Du petit folk camé
qui meugle en grinçant, y a des fans. |
Bat For Lashes - Two Suns
Aujourd’hui les gothiques
s’habillent en couleurs et prétendent être de jeunes babas
idéalistes. Ils ne trompent personne. Prenons Bat For Lashes,
pseudonyme de Natasha Khan (accompagnée de quelques sbires), on sent
qu’elle veut jouer la bienveillance. Elle aimerait faire passer la
pilule en évoquant Bjork (rien à voir) ou Radiohead (quand bien
même). Taratata. Dès les premières mesures du magnifique Glass,
c’est One Hundred Years de Cure que l’on entend. Boum
badaboum boum, cette rythmique, elle sort de Pornography. Les
vocalises ? Siouxsie ! Kate Bush, à la limite. On voit même le vol
de corbeaux qui passe.
Alors, bien sûr, il y a les
gimmicks d’aujourd’hui. Avec les poum-tchak qui vont en boîte de
nuit (Sleep Alone, Daniel). Pourtant tout ici rappelle les
heures les plus agréablement sombres du début des années 80. De
l’électro-pop qui a écouté le premier New Order en boucle. Mais
malgré le souffle qui habite certaines chansons (Siren Song,
par exemple), Natasha Khan ne tient pas la distance. Un peu
répétitive, sa musique s’épuise tranquillement, sans pour autant
devenir désagréable ou anodine. Surtout que Two Suns s’achève
sur un duo avec Scott Walker. Manière de bien rappeler que nous
sommes ici dans les territoires du cauchemar. |
Animal Collective -
Merriweather Post Pavilion
Peut-on dire que Merriweather Post Pavilion marque un progrès au sein de
la lénifiante discographie d’Animal Collective ? Oui et non. Oui parce que c’est
un peu moins complaisant et que l’on arrive à accrocher un tout petit peu plus
longtemps aux morceaux. On tient 2 minutes et 30 secondes, là où l’on craquait
d’habitude au bout de 1 minute et 45 secondes. A peu près. Juste pour rappeler à
quel point l’aspect pop et jouissif, post-Beach Boys, de cette musique, est
taillée pour la légèreté et la jouissance. Une magie pas donnée à tout le monde
que le groupe sabote généralement sur 5 minutes (au minimum). La litanie
accrocheuse, batie le plus souvent sur une ou deux bonnes idées, tourne à vide
en quelques instants. D’album en album, on cherche les nuances, sans vraiment
les trouver. La créativité est aux abonnés absents, le plaisir s’est enfui
depuis longtemps. Seul surnage les doux soupirs de l’auditeur endormi, vraie
ligne mélodique d’une œuvre encensée partout et qui demeure une des plus grandes
illusions auditives collectives de notre époque. |
Fever Ray - Fever Ray
La beauté du cœur de la nuit, en plein jour. Sensualité de l’air du crépuscule,
filant dans les rues des villes endormies. Silence et échos, vastes paysages en
miniatures. Fêtes qui s’effondrent avec le petit jour, la brume monte du fleuve,
elle emporte les dernières silhouettes qui dansent. La musique de Fever
Ray se construit en ombres déchirées par les éclats de néons mourants.
Du David Lynch squelettique, en symphonie macabre et joyeuse.
Derrière ce patronyme, on retrouve Karin Dreijer Andersson, la voix de The
Knife, le groupe qu’elle forme avec son frère, dont le Silent Shout a été célébré partout dans le monde et accessoirement disque de l’année sur ce
site en 2006. En voguant en solo, Karin Andersson ne s’éloigne pas de la musique
de The Knife, mais elle en creuse la veine la plus douce, mélancolique et
nocturne. On est donc ici dans les ambiances de Forrest Families, From
Off to On ou The Captain. Il n’y a pas la folie jouissive de We
Share Our Mother’s Health et de One Hit. Fever Ray est
moins aventureux et riche, mais il n’en est pas moins un album sublime.
Si les chansons charment immédiatement, par leurs sonorités et leurs mélodies,
elles mettent plus longtemps à se dévoiler vraiment. On est d’abord surpris de
reconnaître dès les premières mesures de If I Had a Heart, la « touche »
The Knife. Et dès que la voix déformée de Karin Andersson monte, on est d’autant
plus frappé qu’elle nous soit si familière et évocatrice. Ce n’est plus le choc,
la révélation, de Silent Shout, l’heure n’est plus à la révolution
esthétique. A présent l’artiste déroule sa partition pour la nuancer et
l’approfondir. En découle un recueil délicat d’ambiances complexes, épidermiques
et fascinantes.
Fever Ray travaille l’esprit au niveau corps, dans
un idéal fusionnel. Plaisir intellectuel qui donne le frisson, l’envie de danser
ou de s’enfoncer lentement dans les méandres cotonneux des rêves et des
cauchemars. Dans le tortueux électrique se dessine la musique populaire de notre
temps. Cela paraît ainsi évident d’apprendre que le premier single a été remixé
par les Fuck Buttons, d’autres explorateurs des territoires où viennent
s’amouracher les plus horribles déchirements électroniques et les plus sucrées
des harmonies synthétiques.
Par-delà le néo-disco dérisoire et le retour des hippies extasiés, Karin
Andersson poursuit ses expériences le long de routes mentales qui s’enfoncent
toujours plus loin dans les ténèbres. La suivre est à la fois effrayant et
irrésistible. Peu importe la destination finale, il n’y en a sans doute aucune,
c’est le voyage qui importe. A l’horizon, une nuit éternelle, peuplée d’étoiles
qui murmurent… |
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