Leviathan
Scar Sighted
La musique de Leviathan incarne idéalement ce que j'aime dans le métal extrême et, à mon sens, ce qui justifie l'existence du métal en général. Certes je prends du plaisir avec des disques plus légers, mais quitte à plonger dans cette musique autant aller vers sa quintessence, là où l'effet cathartique est le plus intense. Scar Sighted atteint ce point, finalement assez rare, où à force de grotesque et d'horreur, le ridicule est transcendé pour ne laisser place qu'à l'effroi pur et à la sidération. C'est la même beauté que l'on retrouve dans certains films d'horreur ou dans certaines œuvres picturales particulièrement tourmentées (voir Bosch, par exemple). La musique de Leviathan est d'une densité incroyable, un mur du son opaque, grâce en partie à la production de Billy Anderson (Swans, Mr Bungle, Neurosis). On a l'impression d'être plongé dans un océan déchaîné aux eaux noires comme le néant ; et, partout, des éclairs, des déchirures sonores comme autant de flashes aveuglants. Difficile de décrire l'abomination de Scar Sighted, qui est une incarnation musicale des grands anciens évoqués par Lovecraft. L'esprit saisit des fragments mais peine à discerner un tout, cette musique surgit de l'inconscient de son auteur pour parler à celui de l'auditeur. Sachant que le démiurge de Leviathan, Wrest, qui fait presque tout seul, est une âme extrêmement tourmentée, ce n'est probablement pas bon signe d'être sensible à son travail. Et pourtant, pourtant, justement, dans sa puissance de transfert, cette musique fait du bien. Elle hypnotise, laisse un peu prostré, puis exalte. C'est la beauté du diable, la splendeur de la charogne.
Joanna Newsom
Divers
Le temps, l'amour, la mort et l'élan vital qui les transcende. Il n'y a pas besoin de savoir davantage pour être emporté par le nouvel album de Joanna Newsom. A vrai dire, on pourra me rétorquer qu'il n'y a pas besoin de connaître les thèmes des chansons pour être touché par la musique de l'artiste. Dans sa profusion d'arrangements, d'harmonies et de détails, Divers est déjà l'album le plus riche entendu depuis longtemps. On pourrait passer des jours sur un simple morceau, sans en épuiser les nuances. Rien d'étonnant de la part de Joanna Newsom : cinq ans plus tard, on n'a toujours pas fait le tour de Have One on Me qui, dans l'intervalle, s'est imposé comme le disque le plus réussi et essentiel de cette première moitié de décennie.
Divers se présente plus humblement en apparences. "Seulement" 51 minutes et 11 chansons, la plus longue ne durant "que" 7 minutes. Je précise que tout cela n'est que faux-semblant, car la musique de l'artiste n'a jamais été aussi dense, que ce soit au niveau des textes que du déferlement d'instruments et d'idées sonores. L'exégète devra étudier tout autant les mots que les notes. Cinq années de travail semblent alors être un minimum pour offrir une œuvre aussi méticuleuse. Mais au-delà de la simple technique, l'exigence et la force de Divers se situent dans son contenu et dans les émotions qui y sont abordés.
Anecdotes évoque le quotidien de soldats qui ne cessent de combattre au sein d'un flou temporel qui semble relier toutes les guerres (“When are you from?”said he"). Juste après, Sapokanikan cite le poème Ozymandias pour prophétiser la chute de New York en un crescendo musical bouleversant ("Look and despair"). Le passage du temps et l'approche inévitable de la fin hantent toutes les chansons de l'album. Petit à petit, Divers paraît étouffer sous l'angoisse, mais c'est pour mieux exploser dans sa conclusion, Time, as a Symptom. Joanna Newsom invoque la puissance de la vie et appelle l'univers tout entier vers la transcendance. C'est l'instant le plus fort et émouvant d'une discographie qui ne manque pourtant pas de moments impressionnants.
"A shore, a tide, unmoored–a sight, abroad:
A dawn, unmarked, undone, undarked (a god).
No time. No flock. No chime, no clock. No end.
White star, white ship–Nightjar, transmit: transcend!"
Lors de cette conclusion la densité sonore atteint son apogée, mêlant chants d'oiseau, rythmique rock, orchestration symphonique et bien davantage. On pensera, encore, à Kate Bush, habituée des alliances musicales inattendues et qui avait d'ailleurs convoqué les chants d'oiseau sur Aerial. L'ensemble de Divers est un vaste terrain d'expérimentation pour Joanna Newsom qui n'a jamais été aussi aventureuse. Outre la batterie rock fréquemment utilisée, elle n'hésite pas à relier des époques qui n'ont pas l'habitude de se côtoyer : une guitare électrique pourra soutenir un clavecin. Mais ces anachronismes ne sont jamais source de déconcentration, plutôt de surprise, de curiosité, d'émerveillement, de passion.
Un des choix les plus classiques de l'album se situe au sein de la chanson qui lui donne son titre, le cœur du disque. En effet, la harpe de Joanna évoque les fonds sous-marins telle un cliché sonore. On a entendu mille fois ces notes sur des images de plongées, au cinéma, dans les documentaires, dans la musique classique. Mais leur puissance évocatrice s'avère si grande que l'auditeur est entraîné avec la chanteuse d'autant plus rapidement. Divers est un lent maelstrom, qui réclame de se concentrer sur la voix et les paroles de Joanna. Se dévoile alors une chanson d'amour déchirante, où s'enchaînent les assertions, parfois évidentes ("I can't claim that I knew you best,but did you know me at all?"), parfois d'une obscurité qui défiera peut-être toujours une interprétation sûre et certaine.
Sur le point de l'interprétation des textes de Joanna Newsom, je ne souhaite pas m'y risquer en si peu de lignes, ce serait d'une part bien trop prématuré, d'autre part probablement trop superficiel pour rendre justice à l'une des poètes les plus talentueuses de notre époque. Ce n'est pas pour rien que dans les derniers instants de l'album, l'artiste emprunte une figure de style à James Joyce (le disque est bouclé sur lui-même), tout en citant les derniers mots de Finnegans Wake ("a way a lone a last a loved a long"). Longtemps on reviendra vers ces mots, longtemps on se laissera emporter par le désespoir de Pin-Light Bent ("My life came and went. Short flight; free descent. Poor flight attendant.") pour mieux renaître et s'élancer avec Time, as a Symptom.
Divers est une œuvre qui doute, se questionne. Joanna Newsom contemple le monde et désespère avant de mieux le reconstruire à chaque nouvelle chanson. En affrontant ses peurs, en les transcendant par l'art, la chanteuse poursuit une discographie d'un niveau sans équivalent à l'heure actuelle. Car la manière dont elle exprime sa vision est unique, à la frontière entre le classique et la pop, entre l'élitisme et l'accessible, entre le mystère et l'évidence, entre l'ombre et la lumière. C'est un clair-obscur pour les sens et la raison. Pénétrer dans ce nouveau disque, c'est voyager entre le familier et l'étonnement permanent, être rassuré et perturbé. L'œuvre est immense, totale, gigantesque en tous ses aspects. Encore une fois, on y reviendra pendant des années, souvent, toujours. Pour triompher de la mort et du temps en se réconciliant avec eux.
Lana Del Rey
Honeymoon
Un an après le triomphe artistique d'Ultraviolence, la Reine de l'Ennui est déjà de retour avec un nouveau recueil de ballades dépressives. Lana Del Rey a trouvé son style et elle s'y tient. Il pleut des cordes lancinantes et la chanteuse semble toujours flotter au détour d'un songe perturbé par l'abus de somnifères et d'alcool. Les morceaux sont globalement plus courts que sur Ultraviolence et c'est la seule véritable différence, à quelques rythmiques un peu plus appuyées ici et là. On pourra donc préférer le côté monumental de l'album précédent, mais Honeymoon ne déçoit pas pour peu qu'on soit sensible à la mélancolie expressionniste de LDR. A force d'enfoncer le clou à coups de paroles déchirantes, la chanteuse finit par convaincre. Son personnage s'impose peu à peu, fantôme des stars d'antan, tremblotant sur une musique intemporelle. Certes, il y a bien deux ou trois effets de production contemporains (High by the Beach) ou quelques gros mots toujours aussi incongrus, mais sinon Honeymoon aurait très bien pu sortir en 1967. A tel point que les chansons les plus réussies évoquent les meilleurs génériques de James Bond. Aucune surprise, donc, quand on découvre que 24 est en fait l'excellente proposition, non retenue, de LDR pour Spectre, le nouvel opus de 007.
A la première écoute, les morceaux d'Honeymoon défilent en se fondant en un nuage indistinct, l'auditeur peu attentif rejettera l'ensemble comme insipide et ennuyeux. C'est bien évidemment faux, car dès les écoutes suivantes chaque chanson se dévoile peu à peu. Certes, il faut accepter de consacrer du temps à cette musique, d'en noter les nuances et les variations. Et Lana Del Rey en a bien conscience, elle qui débute son disque en murmurant "We both know that it's not fashionable to love me" et le conclut sur une reprise de Don't Let Me Be Misunderstood. Tout chez LDR est façonné avec un soin maniaque et on restera prudent sur la sincérité de l'artiste. Ceci dit le travail accompli est d'une telle qualité, dans son imagerie, dans ses émotions, dans son emballage sonore si délicieusement grandiloquent, qu'on finit par craquer. Cela ressemble souvent à une variation sonore sur les Antonioni des 60's, une bande son fantasmée de La Notte. D'accord, si déteste Lana Del Rey, on ne changera probablement pas d'avis à présent. Le mal est fait, ce n'est pas de sa faute, elle a été dessinée ainsi. Mais pour peu qu'on veuille bien s'abandonner à cette tristesse rêveuse et à cette étrangeté définitivement à part, Honeymoon se révèle incontournable.
Deafheaven
New Bermuda
C'est un concept qui traîne dans les cartons de la critique musicale depuis quelques années : le monogenre. Ce n'est ni une maladie, ni une référence à un épisode des Simpsons. C'est plutôt un fantasme imaginant un genre qui engloberait tous les autres, de préférence en les aplatissant pour le plus grand nombre. On en parle essentiellement dans le monde de la pop et on a souvent cité des gens comme Beyoncé, Taylor Swift, Kanye West ou encore Lorde en tant que prophètes du "monogenre". Pop, hip-hop, r'n'b, dance, funk, etc., tout en un, c'est pratique, c'est comme du fast-food. En fait, c'est plutôt du côté de Deafheaven qu'il faut chercher la tentative de monogenre la plus réussie de ces dernières années, en tout cas pour ce qui est de relier toute l'histoire du rock. Et c'est du monogenre roboratif, attention, qui prend le temps de soigner chaque aspect. C'est de la nourriture saine pour les oreilles, garantie sans OGM.
Dès le morceau d'ouverture de New Bermuda, Brought to the Water, Deafheaven reprend les choses là où ils les avaient laissé à la fin de l'excellent Sunbather. Du black métal, certes, mais qui ne reste jamais longtemps à la même place. Sur New Bermuda, c'est encore plus flagrant, les chansons ne cessent d'évoluer, de se métamorphoser, de changer de styles, de rythmes, d'atmosphères. A mon goût, c'est encore plus plaisant que Sunbather dont les différents mouvements s'enchaînaient moins alertement. Ici, les ambitions sont démultipliées. Le nombre de références qui ont été entendues par certains est presque égal au nombre d'auditeurs. J'ai vu citer The Cure, Yo La Tengo, Joy Division, Oasis, les Smashing Pumpkins et j'en passe. On peut reconnaître chez Deafheaven une grande partie de l'histoire du rock, bien au-delà des frontières du métal. Pour l'oreille non habituée, le principal écueil viendra toujours du chant, ou plutôt du cri. Personnellement cela fait longtemps que j'y suis habitué et cela ne me gêne guère, après tout j'écoute aussi Pharmakon. Même sur les passages calmes, où le hurlement pourrait sembler le plus décalé, le mixage fait en sorte que la voix prenne sa place en tant qu'instrument parmi les autres, apportant une touche étrange et originale.
Après la profession de foi de Brought to the Water, la première moitié de Luna est peut-être ce que Deafheaven a enregistré de plus "métal" et le groupe recrée ici le pouvoir hypnotique de Sunbather. De ce mur du son se dégage une beauté indicible, difficile à décrire, telle une mer déchaînée qui se jette contre les falaises alors que résonne l'orage. Lorsque le rythme se calme sur la dernière partie du morceau, le style de Deafheaven atteint son plein accomplissement. Après tout, ce n'est que du lyrisme grandiloquent, un déferlement sonore qui n'est pas sans rappeler l'opéra et certaines symphonies fantastiques.
L'intro de Baby Blue est du pur "classic rock" qui n'effarouchera personne. Il faut attendre la troisième minute et l'arrivée du chant pour concéder du terrain au métal. Mais le rythme ne s'accélère même pas, en particulier lorsque survient un solo de guitare plein de wah-wah, qui n'aurait pas dépareillé sur un disque de hard rock de la fin des années 70. Et c'est à la septième minute que Baby Blue rejoint brièvement les sonorités du métal extrême, au terme d'un voyage à travers les époques et les genres qui résume à lui seul tout le travail de Deafheaven.
Après son intro acoustique, Come Back plonge sans coup férir dans le black métal, mais toujours avec les pointes mélodiques qui guident l'auditeur. Le morceau ne reste bien évidemment pas en place très longtemps et change sans cesse de rythme et d'ambiance, avant de s'achever sur un interlude dream pop simple et délicat. Le métal n'est plus là, il ne reviendra quasiment pas. Gifts for Earth revêt des atours de rock indépendant dès ses premières secondes. Si ce n'est le chant et quelques riffs de guitares un peu puissants, la musique semblera familière à tous les amateurs de Pavement, Yo La Tengo, Sonic Youth ou même, par instants, Stereolab. Et lorsque dans sa seconde moitié, Gifts for Earth dégaine une mélodie à la guitare acoustique qu'on jurerait issue d'un disque de britpop (allez, beaucoup ont entendu Champagne Supernova d'Oasis), Deafheaven a réussi son pari : plonger 60 ans de rock dans leur grand chaudron, faire bouillir, touiller très fort et en tirer la potion magique qui requinque les oreilles les plus blasées.
Sufjan Stevens
Carrie & Lowell
Si les œuvres d'art devaient être jugées uniquement sur la sincérité de leur auteur, Carrie & Lowell n'admettrait aucune critique. On a rarement entendu un chanteur se dévoiler autant que Sufjan Stevens. Il évoque ici son enfance, ses multiples abandons par sa mère, sa propre lutte avec la dépression, le beau-père qui a brièvement accompagner ses meilleurs souvenirs... Tout cela entouré d'assertions frappantes sur la mort, la vie, l'amour, la famille, la foi et l'univers tout entier. La musique est faussement dépouillée, plongée dans un écho permanent qui semble surgir de l'au-delà. Sufjan chante ici depuis la tombe, redonnant tout son sens à l'appellation "folk spectrale". L'intimité ressentie crée tout autant le malaise que la fascination. Au final, on est bouleversé.
Mais tout a déjà été écrit sur cet album qui devrait finir en tête de nombreux classements de fin d'année. Que reste-t-il à dire ? Probablement oser aller chercher dans notre propre expérience et essayer de l'exprimer. Chaque famille a ses petites et grandes tragédies, chacun d'entre nous a ses souvenirs malheureux et lumineux, chacun ses regrets et ses remords. Il n'y a pas de comparaison possible des événements, mais les ressentis se rejoignent. Sorti moins de six mois après le décès de ma mère, avec laquelle j'étais loin d'avoir la relation conflictuelle décrite par Sufjan Stevens, Carrie & Lowell m'a néanmoins dévasté. Au point qu'il m'est toujours difficile de l'écouter. Et c'est probablement aussi bien ainsi, ce n'est pas un disque qui demande à être épuisé, mais plutôt à être écouté avec précautions et délicatesse. J'ai souvent parlé de cette idée : que de la plus grande intimité surgit souvent la plus grande universalité. Avec ce cadeau terrible et inestimable, Sufjan Stevens le prouve une nouvelle fois.
Marina and the Diamonds
Froot
C'est une nouvelle fois l'histoire de la chenille qui devient papillon. Après deux albums à se chercher, Marina and the Diamonds (alias la britannique Marina Diamandis) a finalement trouvé sa voie et sa voix. Dans la foulée d'un premier album fort prometteur, la chanteuse s'était fourvoyée en quête de succès international avec l'horrible Electra Heart qui piochait dans les pires tendances musicales de la pop grand public. La réussite de Froot est d'autant plus inattendue et admirable. Pour la première fois, Marina Diamandis a tenu les rênes de son oeuvre du début à la fin, délivrant un album qui lui ressemble, à la fois sucrée et profond, léger et sophistiquée.
En tant que triomphe du genre, c'est, pour l'instant, le seul disque de 2015 à approcher l'intouchable Ten Love Songs de Susanne Sundfor. D'ailleurs, si on ne se fie qu'aux quatre premiers morceaux de Froot, on pourrait sans rougir crier au chef-d'œuvre. On a rarement entendu une entame aussi parfaite. Tout y est immense sans jamais paraître vulgaire. Marina and the Diamonds y apparaît dans toute sa complexité, à la fois glamour et intime, forte et fragile, drôle et émouvante. L'alternance entre ballades crève-cœurs (Happy et I'm a Ruin) et hymne pop irrésistible (Froot et Blue) laisse bouche-bée. Chaque chanson bénéficiant des prouesses vocales de Diamandis, aussi à l'aise dans les graves que dans les aigus.
Il est finalement tout à fait normal que la suite de l'album ne soit pas du même niveau, un tel degré d'écriture est assez hors du commun. Alors, entendons-nous bien, ça ne signifie pas que Froot s'effondre après son apothéose précoce, non, loin de là. Il reste de très belles chansons, de Forget à Can't Pin Me Down en passant par Savages. Diamandis trouve même la conclusion idéale avec Immortal qui revient aux mêmes hauteurs que les prémisses du disque. Avec Froot, Marina and the Diamonds n'est pas passé loin du chef-d'œuvre. L'artiste semble progresser à grands pas et le meilleur est, on l'espère, encore à venir. En attendant, Froot est une perle au milieu des tombereaux de pop insignifiante qui se déverse dans les classements mondiaux.
Babymetal
Babymetal
Lorsque je chante les louanges du métal, c’est en général dans ses incarnations les plus extrêmes et les plus sinistres. Ces dernières années, en choisissant Thou, Yob, Deafheaven, Woods of Desolation et les œuvres voisines de Swans et Pharmakon (ainsi que le nouveau Chelsea Wolfe sur lequel je reviendrai bientôt), je n’ai pas fait preuve d’allégeance aux artistes les plus rigolos du genre. Pourtant, le métal est aussi associé à mes oreilles à des choses très amusantes ; car, après tout, de ce décorum aisément grotesque et de ces choix musicaux facilement comiques, il y a de quoi tirer pas mal d’humour. Malheureusement, les groupes plus légers ne sont généralement pas à la hauteur, tout autant au niveau technique que celui des compositions.
La solution nous arrive, mais est-ce vraiment surprenant ?, du Japon. Babymetal est un pur concept et un groupe soigneusement sélectionné et fabriqué de toute pièce par des producteurs maniaques. C’est généralement le cas dans l’archipel et ça ne choque pas particulièrement à partir du moment où le travail est bien fait. Ce qui est totalement le cas ici, avec un véritable amour pour le genre. Sur le papier, c’est assez simple : des musiciens très doués accompagnent un trio de lolitas (deux choristes/danseuses et une chanteuse de grand talent). Le paradoxe c’est que ça semble la pire idée qui soit, tout en étant, à la réflexion, la meilleure possible. L’énergie, pour ne pas dire la frénésie, du métal le plus rapide, convient parfaitement aux refrains excités de la J-pop. Le résultat est une vraie réussite.
Le premier morceau de l’album, Babymetal Death est un leurre. C’est le plus traditionnel du disque, dans sa structure et dans ses voix, essentiellement des borborygmes masculins. Les chanteuses adolescentes ne surgissent que sur une poignée de répliques. Mais ça permet de rassurer le fan de métal en faisant démonstration d’un grand soin sonore, qui ne faiblira pas au fil de l’album. C’est sur la seconde chanson, le tube Megitsune, que le projet Babymetal se dévoile : ça va vite, ça fait du bruit, les riffs de guitares explosent dans tous les coins, et au milieu les mélodies sucrées s’épanouissent. C’est accrocheur en diable, à un point quasi effrayant. Le morceau suivant, le bien nommé Gimme Chocolate!!, pourra vous hanter pendant des jours tant il est imparable.
Sur l’ensemble de 13 pistes et 55 minutes, Babymetal en épuisera beaucoup, mais les chansons possèdent suffisamment d’idées et de personnalités pour se distinguer les unes des autres (outre le métal et la J-pop, on a droit à des incartades vers le hip-hop, le reggae, la dance, le symphonique, etc.). C’est un vaste fourre-tout qui ne sera évidemment pas au goût de tous, très loin de là. Vous risquez de trouver cela abominable pour mille et une raisons. Mais c’est tellement bien fait, tellement drôle, tellement entraînant, qu’il est difficile de faire longtemps preuve d’esprit critique. D’une part parce que ça fait toujours beaucoup de bien d’écouter quelque chose qu’on a l’impression de n’avoir jamais entendu, qui vous prend de court par son originalité et son côté hallucinatoire. D’autre part parce que reprendre le métal d’assaut par le biais du fun pur et dur est un coup de génie. De cette alliance improbable nait l’album le plus divertissant du moment, sans rien négliger de la qualité musicale : le meilleur de la pop et le meilleur du métal, unis en un superbe monstre rose bonbon et noir de jais.
Natalie Prass
Natalie Prass
Natalie Prass est une artiste conceptuelle. Son truc à elle, c’est d’aller gambader sur les platebandes des chanteuses « à voix », celles qui font des vocalises outrancières et qui n’hésitent pas à élever le ton de manière bien peu raisonnable. Natalie Prass se promène sur ces terres dévastées, avec son brin de voix fluet et son registre limité. Elle ne chante pas, elle murmure, ou plutôt, elle chantonne. Elle flâne au milieu d’arrangements massifs, plein de cordes et de cuivres, avec pour soutien une rythmique un peu rock, généralement plus proche du jazz vocal. Tout cela rappelle les grands albums de Dusty Springfield et de Dionne Warwick ; musicalement, c’est donc assez familier.
Mais il y a la voix de Natalie Prass, sa manière de raconter les tourments amoureux à demi-mots. Elle invite à tendre l’oreille et à faire attention à ses images souvent remarquables (« Our love is a long goodbye », « I’ll always be your fool », « I just want to know you violently »). Quand elle rebondit sur les syllabes au début de Bird of Prey, on pense à Eleanor Friedberger faisant de même sur Birdie Brain. Autant le texte est souvent âcre, autant l’emballage est un joli paquet cadeau, tout de soie et de velours. A tel point qu’on a pu comparer le morceau final, It is You, à une ritournelle entonnée par une princesse de Disney. C’est vrai, si on se réfère aux classiques, mais ce n’est plus le cas si on pense aux Disney récents, où les princesses donnent de la voix tout autant que les autres.
Pas moins de trois douzaines de musiciens ont travaillé aux arrangements luxueux de ce premier album. Natalie Prass se présente à nous avec déjà la parure d’une grande. Cependant, de cette sophistication et de cette richesse découlent une musique intime et subtile. L’air de rien, il s’agit d’un disque important en son genre, qui redonne un peu de jeunesse à certains clichés. Et puis, mais est-il besoin de le préciser ?, les chansons sont excellentes, c’est bien l’essentiel.
Holly Herndon
Platform
Avec son premier album, Movement, sorti en 2012, Holly Herndon était à la pointe de la musique actuelle. Mélange d'électronique et d'organique, réflexion sur la place de l'humain dans les sociétés technologiques, son œuvre semblait à la fois musicale et philosophique. Annoncé par deux singles très inspirés (Chorus et Home), ce deuxième opus, Platform, va plus loin à tous les niveaux. Les expérimentations sonores sont plus nombreuses, plus folles et plus intrigantes. Quant au propos, il gagne aussi en profondeur, avec pour sommet le fameux Home, une sorte de déclaration d'amour dédié à l'espion de la NSA sensé surveiller la chanteuse ("You know me better than I know me").
Dès les premiers instants d'Interference, la musique déploie ses ambitions. Déstructurée jusqu'aux limites de l'abstraction, elle semble s'éparpiller et s'épanouir comme les atomes d'Héraclite. Les sons tombent dans l'infini et forment parfois des fragments de mélodies, des embryons de rythme et surtout d'incroyables instants de beauté pure. On peut prendre pour exemple le moment où Chorus s'élance vers les étoiles au bout de deux minutes de murmures et de syncopes, renforçant ainsi l'impact du refrain fantomatique. Plus loin, c'est An Exit qui s'approche le plus d'une chanson classique. Pourtant les premières secondes, avec leur rythmique éclopée, laissent entrevoir le minimalisme le plus radical. Mais, fragments par fragments, le morceau empile les indices avant d'exploser soudain, au bout d'une minute, en une supernova lumineuse. Ceci dit, même lorsque Platform se fait plus familier, c'est souvent sur les bases de sonorités extraterrestres et de bribes vocales tourmentées.
On décrypte des mots, des phrases, quasiment des slogans ("There's nothing to gain, there's nothing to lose" sur An Exit). Ce petit jeu culmine avec Locker Leak et son "Who lasts? Glass lasts. Who lasts longest? Grass lasts longest." Improbable gimmick dont la prononciation, la déclinaison et le caractère incongru en font l'accroche pop la plus excentrique du moment. Pop ? Non, probablement pas, on est assez loin de ce qu'on peut conseiller à son entourage sans passer pour le pire des snobs. Platform ne se donne pas à la première écoute, ni aux suivantes. Par contre, chaque nouvelle approche révèle davantage, comme un chef-d'œuvre pictural qu'on ne verrait tout d'abord qu'à un centimètre d'une toile de plusieurs mètres de haut.
En effet, Holly Herndon compose entre le pointillisme et l'art abstrait avant que tout finisse par faire sens. Une écoute superficielle classera donc Platform comme trop abscons, voire inécoutable. On ne met pas cette musique en fond sonore pour tapisser les soirées qui sentent le tabac froid et la bière bon marchée. Holly Herndon fait de l'art jusqu'à ce qu'extase s'en suive. Et il en faut, il en faut des œuvres de cette dimension, qui réclament, qui exigent toute notre attention. On a rarement entendu aussi ambitieux et inventif dans le domaine de l'électronique grand public, pas depuis la mort de The Knife en tout cas. Certes, on ne sera pas près de danser sur ces morceaux, à quelques exceptions près. Mais on y reviendra, encore, et encore, et encore, et encore, probablement un peu hypnotisé.
Les vocalises néo-classiques passés dans les processeurs d'un laptop de Unequal ouvrent la porte à la ballade floue de Morning Sun. Plus loin c'est l'interlude parlé de Lonely at the Top, avec son massage (et message) de réconfort mystérieux qui nous conduit vers Dao. Cette expérimentation, mélange de sons organiques, de bribes vocales et de fragments électroniques, peut effrayer en théorie. Le résultat, pour aussi intimidant qu'il paraisse, donne une idée d'une évolution possible de la musique populaire. Ne vous affolez pas, nous sommes encore loin d'entendre Dao à la radio. Mais Holly Herndon est l'héritière d'une tradition qui relie aussi bien Aphex Twin, Broadcast et Bjork. Un jour, son minutieux travail obtiendra la gloire qu'il mérite.
Résumons : faut-il écouter Platform ? Oui, mille fois oui, évidemment. Sans trop s'avancer et sans céder aux sirènes de l'enthousiasme excessif qui nous sortent pourtant le grand jeu, il s'agit certainement d'un des disques les plus incontournables et les plus emblématiques de 2015. Une nouvelle fois, je le répète, d'un point de vue musical, Holly Herndon est l'une des artistes les plus passionnantes de l'époque. D'un point de vue plus, comment dire ?, métaphysique, osons le terme, Platform poursuit les interrogations sur le rapport entre l'humanité et ses techniques, entre le corps et les machines, entre le sensuel et l'artificiel. C'est de l'usage que nous en faisons que nos outils prennent leur sens. A l'écoute de cette musique on sait déjà que l'art n'a toujours rien à craindre du progrès. Il semblerait aussi que nos âmes puissent fusionner sans mal avec nos amis ordinateurs. Internet peut réconforter les gens, Holly Herndon le dit en interview. Point de froideur ici, derrière les inquiétudes légitimes, se dessinent un avenir radieux (New Ways To Love). Platform est aussi un disque aérien et optimiste, c'est peut-être sa plus grande force.
Sleater-Kinney
No Cities to Love
Elles nous avaient quitté, il y a dix ans de cela, au milieu The Woods. La séparation du trio de Sleater-Kinney c'était un peu le 11 septembre du rock, pour reprendre une métaphore à la mode. Certes, on ne pouvait pas concevoir départ plus mémorable, avec leur meilleur album, qui demeure le plus grand disque de rock de la décennie 2000. Leur absence n'aura pas été complète, car les deux albums solo de Corin Tucker et l'album de Carrie Brownstein et Janet Weiss sous le nom de Wild Flag se sont avérés excellents. Par ailleurs, Brownstein en a profité pour se faire un petit nom en tant que comédienne à la télévision, star de Portlandia ou second rôle dans Transparent. Mais rien ne vaut Sleater-Kinney, comme le prouve No Cities to Love.
Il s'agit d'un rare cas de reformation qui ne déçoit pas. Le groupe culte, l'emblème du féminisme rock, offre un album du même niveau que ceux de son âge d'or. On regrettera juste de ne pas retrouver la production et les audaces de The Woods. Avec le producteur de leurs classiques (Dig Me Out en tête), le trio revient au son qui a fait leur gloire. Pour les réfractaires cela fera beaucoup de guitares qui cisaillent et de hurlements de Corin. Que ceux-là retournent au fin fond de leur grotte, No Cities to Love est un album bien trop génial pour eux. On y retrouve tout ce qui fait la puissance de Sleater-Kinney, dans les textes comme dans la musique.
Bref, c'est du rock, du vrai, du pur, du dur, avec des riffs monumentaux et des refrains qui prennent par surprise. Un des sommets du disque se nomme No Anthems et c'est, bien évidemment, un hymne en puissance. Si les points d'orgue semblent évidents (Price Tag, Surface Envy, No Cities to Love, Bury our Friends, No Anthems, Fade, diantre c'est déjà plus de la moitié du disque...), chaque auditeur aura un morceau préféré différent. Pour chaque jour de la semaine. Tant d'éclat est un peu épuisant, mais ça ne dure que 30 minutes. On en sort électrisé et heureux. On réalise aussi à quel point Sleater-Kinney est au-dessus de la mêlée : huit albums, huit indispensables, rien à jeter. Le titre de plus grand groupe de rock de la planète est déjà revenu entre leurs mains.
Susanne Sundfør
Ten Love Songs
Dans la rubrique Edwood Vs La Musique, j'aime à moquer de manière grandiloquente la médiocrité de la musique populaire. Une lecture superficielle pourrait faire croire que je n'aime pas la pop. C'est tout le contraire, j'aime tellement la pop que je ne supporte pas son nivellement vers le bas et le fait qu'elle soit essentiellement traitée comme un produit de consommation jetable qui ne suit que des méthodes marketing. Ma pop je l'aime avec de l'âme, des nuances, des idées, des mélodies, des surprises. Et cela tombe bien, cette musique que j'adore se trouve parfaitement résumée en ce début d'année 2015 avec le nouvel album de Susanne Sundfør, Ten Love Songs.
Comme souvent, c'est l'œuvre d'une artiste scandinave, une norvégienne pour être exact, superstar en son pays. Déjà auteur de quatre disques fort intéressants, Sundfør a été transcendée par sa collaboration avec M83 pour la bande originale du film Oblivion. Sa musique s'en trouve épanouie, les mélodies imparables étant magnifiée par des arrangements baroques et une production "cathédrale". La moindre chanson devient un monument épique et une bonne moitié de l'album n'est constituée que de tubes évidents.
Ten Love Songs est aussi un triomphe de timing et de construction. Si certaines chansons sont des singles en or, c'est leur enchaînement au fil du disque qui renforce leur impact. C'est bien simple, la succession des sept premiers morceaux fait partie de ce que j'ai entendu de plus remarquable ces dernières années. L'ouverture lente et majestueuse de Darlings laisse place à la montée en puissance d'Accelerate, qui semble n'exister que comme un immense climax de plus de cinq minutes. Et la chanson suivante, Fade Away, se construit sur les restes d'Accelerate avant de se métamorphoser en une délicatesse bondissante à l'ambiance totalement opposée. Silencer apaise quelque peu le propos avant que l'album ne reparte dans la stratosphère avec Kamikaze. Les dix minutes de Memorial enfoncent le clou, avec une première partie élégiaque et une seconde moitié symphonique qui ne craint ni le kitsch ni l'émotion. Cet enchaînement parfait se conclut avec l'immense Delirious et ses synthétiseurs mitraillettes. Les trois derniers morceaux possèdent encore beaucoup de charmes, mais s'avèrent moins inoubliables aux premières écoutes. Le final sur le morceau le plus acide, Insects, intrigue néanmoins.
Une chose est sûre, Ten Love Songs fait partie de ces disques qu'on a l'impression de connaître depuis toujours. Les refrains restent en tête pendant des heures, des nuits, des jours entiers. A vous de voir s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise chose, en tout cas ce n'est pas une, mais bien cinq ou six chansons minimum qui vont vous pirater l'esprit. Dans tous les cas, je ne peux pas tarir d'éloges sur le travail de Susanne Sundfør. Elle a trouvé le moyen de concilier les influences actuelles de la pop, des années 80 aux élans symphoniques, des ténèbres à la légèreté, pour en tirer le meilleur ; avec en prime des textes simples mais évocateurs et touchants, assez proches de ce que Abba pouvait écrire de plus mémorable. C'est un peu l'aboutissement du processus entamé par M83 avec Hurry Up We're Dreaming. Anthony Gonzalez contribue justement à la chanson la plus lyrique, ce Memorial qui restera un des points d'orgue de 2015. A l'image de tout Ten Love Songs, qui s'avère, je l'écris avec suffisamment de recul pour l'assumer sans mal, être un pur chef-d'œuvre. Et probablement le disque de musique pop, au sens le plus noble du terme, qu'il faut absolument écouter cette année.
Belle and Sebastian
Girls in Peacetime Want to Dance
En sortant un de leurs meilleurs albums après 20 ans de carrière, Belle and Sebastian nous font la même divine surprise que les Manic Street Preachers l'année dernière. Comme ces derniers, le groupe écossais se renouvelle sans rien perdre de son identité et cisèle avant tout un disque grandiose, bourré d'hymnes, d'émotions et d'instants magiques. Girls in Peacetime Want to Dance est leur album le plus varié depuis Dear Catastrophe Waitress et probablement le plus éclectique. C'est aussi un résumé de leur discographie, depuis les débuts électroniques peu connus, en passant par les chansons intimistes jusqu'aux superproductions plus rock des années 2000. L'album va au-delà de la simple virtuosité ou de la démonstration technique, chaque composition étant dotée d'au moins une mélodie inoubliable ou d'une idée surprenante.
Le premier morceau, Nobody's Empire, nous accueille de la plus belle des manières, avec son texte qui navigue entre angoisse et espoir ("If we live by books and we live by hope Does that make us targets for gunfire?"). On est en terrain familier, mais lorsque les chœurs viennent souligner les montées d'intensité, on comprend que l'album promet bien davantage. Allie est peut-être ce qui se rapproche le plus du Belle and Sebastian "classique" et présente le personnage qui sera le fil rouge de Girls in Peacetime. Ces deux premiers morceaux servent d'introduction en douceur avant les aventures musicales plus risquées. C'est le cas de The Party Line qui reprend les choses là où Your Cover's Blown les avait laissées. C'est du disco, c'est de la "house", c'est un retour aux années 90 psychédéliques, quand la pop et le rock faisaient des œillades à la techno triomphante.
Comme pour ne pas trop effaroucher l'auditeur habituel du groupe, Girls in Peacetime alterne les moments d'audace avec les chansons plus douces. Par exemple The Power of Three où la jolie voix de Sarah Martin nous apaise. Cela semble aussi être le rôle de The Cat With the Cream, mais c'est un leurre. Produite de façon spectaculaire, rappelant Spiritualized avec ses échos et ses cordes discrètes, il s'agit d'une des œuvres les plus délicatement déchirante du groupe. Sa splendeur, en particulier celle du texte, se révèle au fil des écoutes pour ne jamais s'oublier. Après ce sommet, Enter Sylvia Plath est un nouveau zénith doublé d'un pur morceau "house" qui évoque les grandes heures des Pet Shop Boys. La chanson est un hommage à la poète Sylvia Plath, icône du féminisme, et ne tombe jamais dans le mauvais goût ou le pathos, trouvant au contraire l'énergie adéquate. The Everlasting Muse s'avance sur un rythme bien connu des amateurs de Belle and Sebastian, avant de s'épancher soudainement en un sirtaki endiablé. Fichtre. Avec Perfect Couples, Stevie Jackson compose une de ses meilleures chansons, plus nuancée qu'à l'habitude, et parfaitement dans le ton de l'album.
Ouvrant un final en trois mouvements, Play for Today se présente comme un hymne subtil dont la progression et la mélancolie désarment tout esprit critique. On pense au monument de Paul Simon, Graceland, en particulier dans cette faculté à mêler ambiance world et balade pop. Stuart Murdoch chante ici en duo avec Dee Dee des Dum Dum Girls (qu'il a rencontré lors du casting de God Help the Girl) et l'union de leurs voix s'avère angélique. Murdoch a déjà affirmé que, de tout ce qu'il a écrit pour Belle and Sebastian, il s'agit de son morceau préféré. Il sera, en effet, difficile de détrôner Play for Today au titre de plus belle chanson de 2015. Je m'emballe, je m'emballe, et l'album n'est pas encore fini !
Il reste le primesautier The Book of You, entonné par Sarah Martin, qui fait rebondir l'ambiance, en particulier grâce à son solo de guitare bien punk. La conclusion du disque se nomme Today (This Army's for Peace), remplacée par le tout aussi adéquat The Cat With The Cream sur la version deluxe. C'est une chanson vaporeuse, éthérée, qui semble descendre des cieux, ou plutôt y monter lentement, telle un nuage. On pense encore à Spiritualized, mais c'est bien du Belle and Sebastian, au sommet de leur art. Le groupe de Stuart Murdoch nous offre avec Girls in Peacetime Want to Dance une œuvre sublime, qui fait du bien au cœur et à l'âme.