C’est le gros coup de cœur. Là, voilà. C'est relativement indescriptible, relativement irrationnel. Vous êtes obligés de me croire sur parole et d’écouter cet album. Soit vous succomberez aussi, soit pfuiiit, ça va vous effleurer sans laisser de trace. Ce sera dommage, mais que voulez-vous ? L’amour c’est comme ça. Surtout qu’il n’a, en apparences, rien de spécial ce disque : c’est du pop-rock féminin, très bien exécuté, attention, rien à dire sur la forme. C’est juste les chansons, bon sang, ces chansons, ces mélodies de dingue, là, que tu aimerais ne pouvoir te nourrir que de ça, ne pas avoir besoin de quoi que ce soit d’autre pour assurer tes fonctions vitales. Tu n’aurais même plus besoin de dormir, tiens, tu pourrais passer tes nuits à écouter Haley Bonar, sa voix, ses mots, et tu vivrais éternellement. Il y a eu d’autres disques cette année sur la même ligne du « l’air que je respire c'est ça » : case/lang/veirs, Emmy The Great, Emma Pollock, Laura Gibson, Angel Olsen (on en parle le mois prochain), pour sûr, en 2016 on est gâté. Haley Bonar, ne la sous-estimez pas, elle peut imprégner votre existence, comme ça, mine de rien. Ses chansons sont de celles qui font vivre les souvenirs.
A écouter absolument
Frank Ocean – Blonde / Endless
Il faut des articles interminables pour décrire l’attente et la sortie du/des successeur(s) de Channel Orange. Je ne vais pas trop y revenir, d’autres l’ont fait bien mieux ailleurs. Et il faudra sans doute y revenir pour faire le point, en fin d’année ou plus tard, bien plus tard. Le plus simple, le mieux, comme toujours, c’est de juger la musique telle qu’elle se présente à nous. Elle est magnifique. Avec des silences immenses, des murmures intimes, des étrangetés sensorielles, une sophistication de tous les instants. Blonde, qui est l’album « officiel » ne s'avance pas comme une œuvre définitive. C’est plutôt un témoignage discret des états d’âme et des recherches de l’artiste. Endless, l’album « visuel », en est le complément, comme le carnet de croquis à côté de l’œuvre achevée. Les recherches et les fragments ne mènent pas toujours à l’émerveillement, c’est normal. Mais le paysage esquissé est fascinant. Dans les deux cas, difficiles d’avoir un avis tranché en quelques semaines d’écoute. On plaint les critiques qui ont du se précipiter pour écrire (et noter) ces deux disques. Laissez-les respirer et vous accompagner, la sensibilité de Frank Ocean est une des plus émouvantes de notre époque.
Sophie Ellis-Bextor - Familia
Il m'est toujours difficile de faire preuve d'objectivité lorsqu'il s'agit de Sophie Ellis-Bextor. Que voulez-vous ? Quand on aime une voix, c'est comme ça. Et en amour comme en musique, la fidélité c'est important. Même lorsqu'il ne reste plus que les fans pour célébrer un nouvel album de la chanteuse, faisons-le. C'est émouvant que, 15 ans après Murder on the Dancefloor, Sophie Ellis-Bextor soit encore là, malgré la traversée du désert, malgré les moments dans l'ombre et les albums moyens. En plus, celui-là, Familia, c'est une bonne cuvée. Son meilleur aux côtés de Trip The Light Fantastic, même si le disque définitif de l'artiste est encore à venir. Ce sera probablement son Greatest Hits qui se révèlera, je vous le dis, totalement démentiel, à ranger entre ceux d'Abba, de Goldfrapp et des Carpenters. Comme toujours dans le cas d'un bon album de Sophie, il y a une moitié de chansons agréables mais pas inoubliables et une moitié de chefs-d'œuvre (ou quasi). Ici on notera Wild Forever, Hust Little Voices, Here Comes the Rapture, le tube à l'ancienne Come With Us et la magnifique ballade Unrequited. Cinq morceaux sur onze, ça ne suffit pas à faire de Familia un incontournable que je peux conseiller à tout le monde. Mais en même temps, si vous aimez la pop avec de la personnalité, vous ne pouvez pas passer à côté.
Autres sorties notables
65daysofstatic -No Man's Sky : Music for an Infinite Universe
Le jeu n’est apparemment à la hauteur des attentes, mais peu importe, ici on va parler de la musique qui l’accompagne. Confiée à un excellent, même si un peu méconnu, groupe de post-rock instrumental (forcément instrumental), l’univers sonore de No Man’s Sky donne à 65daysofstatic l’occasion de briller de mille feux. C’est de l’ambient, oui, rock et électro, qui navigue entre abrasion et vastes paysages oniriques. C’est beau, ah ça, et pas qu’un peu. Que ce soit la partie « album » ou le second disque purement « ambiance », tout cela s’écoute sans avoir besoin d’aucune image. D’ailleurs, à voir les vidéos du jeu, ce qu’évoque cette bande originale s’avère beaucoup plus fastueux et majestueux. A prendre donc comme le nouvel album de 65daysofstatic, en faisant abstraction de tout le reste.
Russian Circles - Guidance
En tant que groupe de rock/métal instrumental, Russian Circles peut sembler ne s’adresser qu’à une niche d’auditeurs. Mais non, point du tout, au contraire, c’est une musique très accessible, pleine de punch et de mélodies. C’est surtout une porte d’entrée idéale vers le métal. Lorsque je parle d’albums du genre, je préviens souvent que le chant peut être l'aspect le plus difficile d’accès. Ici, pas de problème, la voix n’est ni trop belle, ni trop horrible, il n’y en a pas. Ce sont juste des instrumentaux qui amènent généralement l’auditeur en douceur vers les moments les plus violents des compositions. Ce nouvel album, tout aussi bon que les précédents, est donc fortement conseillé aussi bien aux amateurs, qui l’ont de toute façon déjà écouté, mais aussi aux curieux.
Stranger Things - Original Soundtrack
La bande-originale de la série événement de l'été 2016 et probablement de l'année entière. Je reviendrai ailleurs sur la série en elle-même, attachante, ultra référencée et probablement symptomatique du triomphe de la culture rétro-geek. La musique est à l'image de la série : déjà entendue mille fois ailleurs, en mieux, mais parfaite dans son imitation et efficace dans ses ambitions. Par rapport à ce que faisait John Carpenter, Tangerine Dream ou Brad Fiedel dans les années 80, c'est quand même très limité, en particulier au niveau mélodique. Sans les images, ça n'a pas beaucoup d'intérêt, à part si vous aimez l'ambient synthétique très rustique. A noter que les chansons entendues dans la série ne sont pas proposées ici et c'est bien dommage. Mais on vous fera repasser à la caisse à cette occasion, probablement.
Juillet 2016
Disque du mois
Ian William Craig – Centres
Oui, oui, moi aussi je commence à saturer du R’n’B alternatif qui surcharge les classements de fin d’année de Pitchfork et assimilés. Quand c’est bien fait, je suis le premier à en chanter les louanges, mais le genre a atteint un tel degré d’omniprésence que je peux comprendre qu’une nouvelle attaque d’Autotune sur fond de synthés éthérées et de rythmes déconstruits soit la goutte d’eau qui fera déborder vos esgourdes. Et bien non, ce n’est pas le cas ici, il ne faut pas se fier à la première partie de Contain (Astoria Version), avec son Autotune bien baveux. Peu à peu le morceau s’effondre dans un maelstrom électrique, dans un nuage de larsens vaporeux qui transforment la vrai-fausse ballade en rejeton codéiné de My Bloody Valentine. Au final, ce n’est pas du tout un disque de R’n’B alternatif mais bien un voyage bruitiste, de l’ambient grésillante. Ce n’est donc pas très original (cela fait penser à Fennesz ou à William Basinski en particulier), mais Ian William Craig réussit un (long) album quasi parfait. L’océan sonore, avec ses vagues, ses flux et ses reflux, ses courants, ses tempêtes et ses accalmies, est absolument superbe. Telles des embarcations navigant dans la tourmente, surgissent des bribes vocales ou des bruits blancs, on passe ainsi de la douceur éthérée au déchirement brutal. Cette tension offre à Centres une palette immense de sensations sonores, de la plus belle à la plus hideuse. Une expérience musicale totale en quelque sorte et une manière de rappeler que le sublime en art n’a pas dit son dernier mot.
A écouter absolument
Roisin Murphy – Take Her Up To Monto
Depuis toutes ces années, je le répète, Roisin Murphy est la classe incarnée. Son nouvel album, issu des mêmes sessions d’enregistrement que Hairless Toys, est une nouvelle merveille d’électro disco sophistiquée à l’extrême où chaque son, chaque mélodie, chaque ligne vocale est pensée et agencée avec un soin absolu. Dans le genre, à mes oreilles, Roisin est sans égale. Parce que si sa musique reste très agréable à écouter, elle est aussi exigeante, pleine de personnalité et de surprises. C’est la fameuse « danse intelligente », qui fait bouger les pieds et les neurones à l’unisson. Cet album est moins pop que Overpowered, moins rock que la période Moloko, mais il allie merveilleusement bien l’immédiateté et la subtilité. Sans égale, je vous le dis.
Elysia Crampton – Demon City
La musique d’Elysia Crampton est éminemment intellectuelle. A l’instar de nombreuses œuvres d’art contemporain, on peut se plonger dans de véritables manifestes liés à chaque morceau d’American Drift (son premier album) et de Demon City. On y parle politique, histoire, genre, religion, il y a tant de choses qui sous-tendent ces œuvres. Et je ne vais pas m’embarquer à vous conter et expliquer tout cela, l’artiste le fait bien mieux par elle-même. Non, ce que je tenais à souligner, et ce qui fait que j’adore le travail d’Elysia Crampton, c’est qu’il n’y a pas besoin de connaître le contexte pour apprécier directement et intimement sa musique. Ses collages sonores, d’une densité absolue, éveillent les sens et l’intellect, fascinent et enivrent. Les oreilles novices pourront être un peu décontenancées, il va sans dire. Demon City ayant le Diable en ligne de mire (son rire rythme certaines pistes), l’approche pourra sembler ardue. Commencez donc par le tout aussi génial American Drift, même si ce deuxième opus est encore plus abouti et passionnant.
Shura – Nothing’s Real
La mode rétro-nostalgique des années 80 semble atteindre son paroxysme ces derniers mois. Des œuvres presque identiques, mais pas tout à fait, peuplent l’environnement culturel. Ghostbusters revient, mais au féminin. Presque tous les classiques de la SF des 80s se trouvent résumés magiquement dans Stranger Things, avec une modernité thématique très actuelle. Et Shura nous offre l’album de synthpop archétypal, presque parfait. La jeune britannique met à l’amende les tentatives précédentes de la fadasse Carly Rae Jepsen ou de la trop distanciée Sky Ferreira. Ici il y a tout ce qu’il faut : le son, les chansons et l’âme. En fait, on a souvent l’impression que Shura reprend les choses là où Chairlift les avait laissées après Something et avant le faux-pas de Moth. Il y a les tubes qui vont à 100 à l’heure (Nothing’s Real), les ballades craquantes (Touch) et même deux morceaux épiques de dix minutes chacun en conclusion (White Light et The Space Tapes). Et tout cela avec des paroles très personnelles qui évitent la sensation d’écouter une musique trop interchangeable. Nothing’s Real appartient à Shura et rien qu’à elle, sa personnalité surplombe l’abondance de références et réussit à rendre unique ce qui pourrait ne ressembler qu’à un « best of ». On sent, de surcroît, qu’il y a ici encore une importante marge de progression et que la suite de sa carrière pourrait réserver davantage de surprises.
The Julie Ruin – Hit Reset
Si vous ne connaissez pas Katherine Hannah, une des personnalités les plus remarquables et attachantes de la scène rock américaine, je ne peux que vous conseiller de regarder l’excellent documentaire The Punk Singer. Je ne vais pas me lancer dans une biographie détaillée de l’artiste en quelques lignes, ce serait réducteur et dommage. Tout ce que vous avez besoin de savoir c’est que si vous aimez votre punk-rock au féminin avec du cœur et de l’énergie, vous ne pouvez pas trouver mieux que The Julie Ruin. Hit Reset est peut-être un peu moins immédiatement génial que l’album précédent, Run Fast, mais la nuance qualitative est très faible. C’est aussi un grand disque.
Autres sorties notables
Astronoid – Air
Le groupe se présente sous l’étiquette « Dream Thrash », ce qui, comme souvent, ne veut pas dire grand-chose. Au niveau sonore Astronoid pourrait être décrit par une accumulation de références : Alcest, My Bloody Valentine, Deafheaven, Slowdive, Van Halen (si, si, le Van Halen des débuts)… Il y a de tout et le mélange ne plaira pas à ceux qui aiment leur métal bien rangé dans des petites cases. Certains diront que c’est un nouvel avatar du « hipster metal » dont on parle beaucoup depuis Sunbather de Deafheaven. Ici, la voix très planante compense les élans les plus hardcore de la musique. La guitare est virtuose et n’hésite pas à partir dans des solos rapides et techniques qui raviront les amateurs. La batterie cogne dur, en mode généralement black métal. Le résultat est franchement plaisant. Même si j’aime souvent mon métal extrême avec plus de punch ou d’étrangeté (cf. Panopticon ou Leviathan), ce que propose Astronoid avec ce premier album est très prometteur et déjà remarquable.
Aphex Twin – Cheetah Ep
On va pouvoir compter sur lui, depuis son grand retour avec l’excellent Syro, Richard D. James a repris ses habitudes des années 90 : une frénésie de musique plus ou moins indispensable. Bref, il y en a un peu partout, essentiellement gratuitement sur le web, mais aussi des Ep aux thématiques diverses et toujours intéressantes. Ce Cheetah Ep est proche des Selected Ambient Works Vol. 1. Les rythmes sont assez directs, beaucoup moins déconstruits et frénétiques qu’à l’habitude, et les mélodies sont simples et à l’ancienne. Bref, à l’image de sa pochette, ce petit disque joue la carte de la nostalgie et présente un Richard D. James sous son jour le plus affable. Etant très fan du travail « ambient » d’Aphex Twin, je ne peux que vous recommander chaudement l’écoute.
Moonsorrow – Jumalten Aika
Septième album, sorti en début d’année, des vétérans finlandais de Moonsorrow. C’est du black métal à tendance folk et progressive avec un petit charme vintage. On a l’impression de se replonger dans les années 90, avec les claviers et les chœurs liturgiques un peu kitsch. Avec 5 morceaux de presque tous un quart d’heure, Jumalten Aika assure parfaitement l’aspect épique. Dans le genre c’est très accessible et très agréable (la voix est bien black, mais pas stridente), avec un vrai souffle.
Bat For Lashes – The Bride
Après l’expérience Sexwitch, Natasha Khan revient vers Bat For Lashes en ayant retenu une envie d’atmosphère au détriment d’un format pop classique. Bref, si vous aimez Bat For Lashes pour les « tubes », ce n’est pas vraiment l’album pour vous. C’est l’histoire d’une mariée dont le promis se tue en voiture le jour des noces. Elle nous raconte toutes les phases de son deuil, et c’est très sombre, pas franchement amusant, et assez fort si on est sensible aux images proposées par Khan. Sur l’ensemble de 13 morceaux sans beaucoup de mélodies, The Bride se révèle une écoute qui demande de l’attention et de la patience. Si c’est l’album le moins accessible de Bat For Lashes, ce n’est pas pour autant un échec, loin de là, on tient ici un probable disque culte.
C'est vieux et c'est génial
The Cure – Disintegration
Je me suis rendu compte récemment que j’ai finalement peu écrit sur The Cure sur ce site. Il me semble toujours si évident que tout le monde sait que j’adore le groupe de Robert Smith que je ne l’ai que très rarement rappelé. Au début de l’histoire de The Web’s Worst Page, j’avais mis en ligne une simple discographie avec des notes. Face à sa sobriété spartiate et à sa présentation forcément rustique, j’ai fini par la supprimer. En général je préfère du texte à quelques chiffres qui ne signifient rien. Donc, en bon militant contre les systèmes de notations en tout genre, je ne vais pas vous dire que Disintegration vaut 20/20, ou 10/10, ou 5/5, ou 100%, tout le monde le sait. Il me semble que cet album a toujours fait l’unanimité, même à sa sortie. Et c’est un rare, très rare cas, où un disque parvient à faire le grand écart entre le succès grand public et le succès critiques sans rien renier de sa singularité et de son exigence artistiques.
En 1989, The Cure avait depuis déjà longtemps trouvé les faveurs du public, les singles de Japanese Whispers, de The Head on the Door et de Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me étaient des triomphes planétaires. Le premier point à noter est que Disintegration est finalement moins pop et moins charmeur que le Cure de The Caterpillar, The Love Cats ou Just Like Heaven. Non, c’est ici que Robert Smith réussit la plus belle synthèse entre les débuts oppressants (Faith, Pornography…) et les élans de légèreté plus récents. A l’image des singles sublimes que sont Pictures of You, Love Song et Lullaby, Disintegration sait rendre les ténèbres lumineuses. Disintegration est le plus positif des disques dépressifs, la plus gracieuse des lettres de rupture, le plus joyeux des requiems. Sa noirceur, indéniable, y est souvent tranchante comme un rasoir, mais toujours compensée par une douceur idéalement incarnée par la voix mélancolique de Robert Smith, qui donne souvent l’impression de sourire en ayant les larmes aux yeux.
Malgré des sonorités froides et des moments rocks assez durs (Fascination Street, la chanson Disintegration), l’album ressemble à la fourrure qui finit par engloutir le chanteur dans le clip de Lullaby : confortable et étouffant, rassurant et inquiétant, doux et irritant, tout en contradictions apparentes. Parvenir à un tel équilibre sur plus d’une heure (dans sa version désormais canonique avec 12 chansons) est un tour de force unique. Le mal-aimé Wish, qui est avant tout un « Disintegration 2 la revanche », y est presque parvenu, mais il triomphe sans gloire en étant un décalque plus ou moins assumé du chef-d’œuvre précédent. Disintegration sait passer du grandiose (Plainsong, Last Dance) à l’intime (Homesick, Love Song), souvent au sein du même morceau (le fameux Plainsong). L’album assume clairement son âge, on reconnaît sans mal les tics sonores de son époque, mais l’usage des claviers et de la production de la fin des années 80 est aussi un cas d’école. L’aspect intemporel repose sur la cohérence jamais prise en défaut, l’atmosphère est posée dès l’explosion en forme de tempête de neige de Plainsong et ne s’achève même pas sur les dernières notes de Untitled, car le silence après Disintegration est, bien sûr, encore signé Robert Smith.
Ce disque est toujours le point d’orgue de la vague gothique « grand public », son sommet artistique et sociologique. Il aura changé (et changera encore probablement) la vie de plus d’un auditeur, moi le premier. Du haut de mes 10 ans, j’ai évidemment été absorbé par cette musique et ses images à la puissance évocatrice inoubliable. Presque 30 ans plus tard, je redécouvre régulièrement toute la discographie de The Cure et Disintegration en particulier. Avec toujours le sentiment de plonger dans un monde parallèle, qu’il pleuve ou que le soleil rayonne, au cœur de l’hiver ou par une après-midi d’été, le pouvoir de fascination de cet album semble sans limite.
Juin 2016
Disques du mois
case/lang/veirs – case/lang/veirs
Ohlala, trop de classe, trop de talent, trop de tout avec ce supergroupe country-folk-rock. Neko Case, K.D. Lang et Laura Veirs joignent leur voix pour mettre Crosby, Stills & Nash à l’amende. Un peu comme si les Joni Mitchell, Laura Nyro et Emmylou Harris de la grande époque avaient fait équipe. C’est un rêve éveillé. Chaque chanteuse brille sur ses chansons respectives, mais tout du long c’est avant tout la collaboration cohérente de trois génies musicaux. La symbiose est parfaite. Même si ça ne doit être qu’une seule et unique œuvre, le temps d’un album ce trio idéal aura redéfinit la perfection folk-rock. Comme je dois avoir fait à peu près le tour de mon dico de superlatifs, je ne vais pas m’étendre davantage ; vous l’avez bien compris, si vous aimez la musique, vous ne pouvez pas passer à côté de ce disque.
Cat’s Eyes – Treasure House
Cat’s Eyes est apparu sur mon radar grâce à la magnifique bande originale du non moins sublime The Duke of Burgundy, le meilleur film de 2015 que (presque) personne n’a vu en France. Leur deuxième album (hors musique de film, donc), Treasure House porte fort bien son nom : c’est un coffre au trésor. La chamber pop du duo est toujours aussi référencée, on a l’impression d’avoir déjà entendu toutes ces chansons ailleurs, à une autre époque. Cat’s Eyes fait un peu de tout, mais le fait bien. C’est une question d’équilibre, d’ambiance, de qualité d’écriture. Tout est là dans Treasure House. Des tubes étranges (Drag, Standoff), des murmures oniriques (Everything Moves Towards the Sun), un hommage aux 60s yéyés (Be Careful Where You Park Your Car)… Et, sur le plus beau morceau du disque, Names on the Mountains, les rythmes de Stereolab croisent la mélancolie de Broadcast. Un album court (pour une fois) et taillé sur-mesure pour les crépuscules estivaux.
Let’s Eat Grandma – I Gemini
Deux anglaises de 17 ans font ce que toutes les musiciennes de 17 ans devraient faire : leur truc à elles. Bref, elles n’ont que faire des étiquettes, de la bienséance, de ce qu’on a le droit de bidouiller ou pas. Leur pop débridée, drôle, effrayante, déjantée, est le bain de jouvence de ce début d’été. Cela risque de ne pas plaire à tout le monde, rien que les voix enfantines, qui rappellent la pop japonaise, pourront gêner certains auditeurs. De mon côté, j’adore. Parce que ça part dans tous les sens, à un instant c’est hyper joli et soudain elles se mettent à pousser des cris atroces de film d’horreur (Sleep Song). C’est super accrocheur et difficile d’accès, trop mignon et trop glauque, mais ce n’est jamais, au grand jamais, ce n’est jamais tiède, prévisible, formaté, ennuyeux. Le duo ne tient pas en place, essaie tout en riant, que cela fonctionne ou pas, peu importe. Et quand les chansons s’avèrent réussies, ce sont des merveilles de pop gothique étrange et inquiétante, follement attachante. Une des grandes révélations de 2016.
A écouter absolument
Swans – The Glowing Man
Dernier volet d’une trilogie débutée par The Seer et continuée par To Be Kind, The Glowing Man en est la conclusion et le parfait accomplissement. Après la violence et la noirceur de The Seer, après la tentative d’évasion de To Be Kind, The Glowing Man achève l’élévation avec la force qu’on pouvait espérer. Certes, la formule est plus ou moins similaire sur le papier, on retrouve les morceaux répétitifs, extrêmement longs (trois font plus de 20 minutes), qui testent la résistance nerveuse de l’auditeur. Mais cette fois la sensation de récompense se fait plus intense. Même les morceaux les plus aliénants, comme Clouds of Unknowing, mènent vers une transcendance exaltante. Encore plus liturgique, encore plus tribale, encore plus cathartique, la musique de The Glowing Man est le final idéal. Le dernier morceau, fort bien nommé Finally, Peace, est ce que Swans a fait de plus pop et confirme que The Glowing Man est le disque le plus accessible de la trilogie, même s’il serait bien dommage de commencer par celui-ci.
Laura Mvula – The Dreaming Room
Superbe deuxième album de la chanteuse de Soul/R’nB britannique Laura Mvula. Sa musique gagne ici en ampleur et en personnalité. Dans le genre, on peut faire sans doute plus expérimental (cf. FKA Twigs), mais en tant qu’œuvre à mi-chemin entre exigence artistique et accessibilité, The Dreaming Room est exemplaire.
Paul Simon – Stranger to Stranger
Parmi les grands anciens des années 60 toujours actifs, Paul Simon est à la fois un des moins mis en avant et un des plus célébrés, du moins par la critique. Sa production n’est pas pléthorique et il y a bien eu un grand passage à vide dans les années 90, mais à chaque décennie on retrouve au moins un chef-d’œuvre : les albums avec Garfunkel dans les 60s, l’album Paul Simon et Still Crazy After All These Years dans les 70s, Graceland dans les 80s, Surprise dans les 00s, So Beautiful or So What et désormais Stranger to Stranger dans les 10s. La liste des classiques n’est bien sûr pas définitive, on peut en enlever et surtout en ajouter autant qu’on le souhaite. Il y a peu de ratages dans la discographie de Simon, auteur toujours intéressant, et même parfois génial (je reviendrai sur le cas Graceland un de ces jours). Stranger to Stranger n’est pas une révélation, encore moins une révolution, c’est « juste » un excellent album. De la part d’un artiste de 75 ans qui n’a plus rien à prouver depuis très longtemps, c’est exceptionnel. Découvrez ou redécouvrez l’œuvre de Paul Simon, il est probable que vous soyez très loin d’en avoir fait le tour.
Death Grips – Bottomless Pit
Au top de leur forme, Death Grips revient au sommet avec ce qui est probablement leur meilleur album depuis No Love Deep Web. Leur electro-rap-punk-hardcore n’a toujours pas d’équivalent et prend avec Bottomless Pit une nouvelle longueur d’avance. Les morceaux, plus courts que d’habitude, sont en constante mutation, ça va vite, ça part dans tous les sens, c’est d’une violence totale. C’est du hardcore, pur et dur, l’impression d’un groupe qui tombe les quatre fers en l’air. Niveau intensité, tous les potentiomètres sont à 11, ça en épuisera plus d’un. Si on adhère à la formule, c’est peut-être leur chef-d’œuvre.
Mitski – Puberty 2
Pour comprendre l’engouement critique autour de Puberty 2, il faut se pencher sur les textes de Mitski. Si on s’arrête à la musique, il n’y a rien là de très original ni de très palpitant. C’est du rock au féminin correct, avec quelques petites touches d’étrangeté ici et là. On est loin de la Liz Phair de Exile in Guyville ou de la PJ Harvey de Rid of Me. Bref, musicalement c’est charmant, mais c’est plutôt dans les émotions véhiculées par les paroles, le malaise et la mélancolie qui y sont décrits, que l’on pourra davantage adhérer à cet album. Bref, il faut y venir sans rien attendre et se laisser emporter peu à peu.
Gojira - Magma
Une sélection métal très francophone ce mois-ci, avec un des meilleurs groupes du genre. Le nouvel opus de Gojira est parfait, si, si. Il ressemble à un best of de ce qu’on peut faire de mieux dans le métal, quel que soit le sous-genre. Morceaux lents, morceaux rapides, brutalité ou atmosphère, chacun y trouvera son compte. Après, il faut aimer le métal très varié et plutôt accessible. A mon sens ce ne sont pas des défauts, bien au contraire, et Magma a tout du nouveau classique.
Autres sorties notables
Blut Aus Nord and Ævangelist – Codex Obscura Nomina
La qualité Blut Aus Nord ne fait jamais faux bond. Les amateurs de Black Métal le savent bien et je n’aurais rien à leur apprendre. Les autres iront peut-être tenter une nouvelle fois leur chance avec cet album « partagé » avec le groupe Ævangelist. Quatre morceaux de courte durée pour Blut Aus Nord et un morceau de 20 minutes pour Ævangelist, c’est une répartition en apparence déséquilibrée. C’est en partie vrai, tant la première moitié signée par le groupe français, s’avère la plus intéressante car la plus expérimentale. Le morceau d’Ævangelist semble plus classique en comparaison, même s’il réserve des instants assez étonnants. Il testera aussi la résistance des oreilles les moins averties, mais bon, depuis le temps, les oreilles fragiles savent qu’il faut souvent faire l’impasse sur ma sélection métal.
William Tyler – Modern Country
Le fait que William Tyler ait été membre des Silver Jews et de Lambchop devrait suffire à convaincre ceux qui connaissent ces deux groupes. Vous savez que son travail solo va être de bon goût, pas besoin de lire plus loin. Enfin, si, quand même, précisons qu’il s’agit d’un album instrumental de country folk rock rêveuse, riche en grands espaces, conçu pour se déployer dans l’autoradio au fil de routes interminables. Mais Modern Country s’apprécie aussi fort bien chez soi, en musique d’ambiance ou en accompagnement pour une quelconque méditation.
Jarvis Cocker - Music From Likely Stories Ep
Quatre nouveaux morceaux par Jarvis Cocker, c'est trois fois rien, mais c'est immense. Quatre miniatures, quatre chansons parlées, quatre déclinaisons du même thème musical, quatre extraits de la bande originale d'une mini-série adaptée de l'œuvre de Neil Gaiman. C'est brumeux, mystérieux, sophistiqué, vaguement inquiétant et décadent. C'est peu et déjà tellement.
Plaid – The Digging Remedy
Back to basics. Dans la lignée du très bon Reachy Prints, le nouvel album de Plaid essaie d’imiter les chefs-d’œuvre des années 90. Alors, OK, ce n’est pas Not For Threes, ça ne sera jamais Not For Threes, mais ça joue vraiment bien sur la corde nostalgique. Les morceaux apparaissent souvent comme des variations sur d’autres plus anciens, des petits remixes des grands classiques. Cela donne fréquemment de petites perles qui plairont en priorité aux fans. Mais bon, c’est Plaid, et chez moi ils auront toujours leur place de choix.
Tegan and Sara – Love You to Death
Le duo persiste et signe dans sa veine ultra mega pop. Faut aimer, hein, c’est très froid et prévisible comme musique, malgré le côté bondissant et les mélodies un peu toutes sur la même tonalité. Autant quand il s’agit de signer une chanson prise de tête pour le film Lego, pas de problème, autant sur la durée d’un album, ça peut tenir du parcours du combattant.
C'est vieux et c'est génial
Manic Street Preachers – Everything Must Go
J’ai déjà parlé de cet album au tout début de l’existence de The Web’s Worst Page et il n’avait que deux ans. Aujourd’hui, on célèbre les 20 ans de Everything Must Go, et pourtant cela ne me donne pas un coup de vieux. C’est un disque qui représente tellement pour moi qu’il ne m’a jamais ni quitté, ni déçu. Il peut s’écouler de longues périodes sans que je l’écoute, mais quand je le retrouve, dès les premières secondes, tout me revient en mémoire. Les bons moments et les moments tristes, c’est la bande son de beaucoup trop de choses dont je ne peux pas vous parler ici. Le disque en lui-même, sans y attacher sa propre existence, est de toute façon tellement chargé en émotions qu’il se suffit. Enregistré juste après la disparition de Richey Edwards, Everything Must Go est un album de lutte, de colère, de transcendance. Avec des refrains immenses, qui emplissent tout l’espace sonore, qui exaltent l’âme. Certains trouveront ça kitsch, un peu grotesque dans sa grandiloquence, ce n’est pas à eux que ce disque s’adresse. Pour les autres, qui aiment quand la musique sait se faire épique, élégiaque, sans retenue, Everything Must Go demeure indispensable.
Cluster – 1971 - 1981
A l’occasion de la sortie de l’intégrale de la première période du groupe allemand Cluster, voilà une bonne occasion de rappeler l’importance de leur œuvre dans la fondation de la musique électronique que l’on aime ici. Sans surprise, ils font partie des nombreux groupes à avoir collaboré pour le meilleur avec Brian Eno. L’album Cluster & Eno est un des sommets de cette intégrale, même si le vrai chef-d’œuvre est le fameux Zuckerzeit, dont on entend l’influence dans à peu près tous les albums d’electronica depuis les années 90. Certains albums, en particulier le premier, pourront paraître un peu austère aux néophytes, mais on ne peut que recommander d’y revenir. La capacité de Cluster à créer de la beauté et des univers sonores uniques, à partir du bruit électrique, est toujours un sujet d’émerveillement. En bonus ici, deux concerts datant respectivement de 1972 et de 1977 et qui documentent fort bien ce que pouvait être l’aura de Cluster dans les années 70. Un achat onéreux mais qui récompensera éternellement les amateurs.
Mai 2016
Disques du mois
Julianna Barwick - Will
C’est une musique à la fois très simple à décrire et très compliquée à expliquer. Julianna Barwick utilise sa voix avant tout et surtout, qu’elle enrichit peu à peu d’échos et de boucles. Elle ajoute quelques nappes synthétiques, parfois un embryon de rythme. Elle joue beaucoup des silences et d’une sorte de hors-champ sonore qui enveloppe chaque morceau. Si on y est sensible, il n’y a rien de plus beau, de plus évocateur. Si on passe à côté, ça semble vide et ennuyeux. Bref, on est plus proche de l’ambient que de la pop. Si les morceaux ont des durées classiques, ils ne suivent pas de structures particulières, à part cette succession simple de crescendos et de decrescendos. Souvent, la musique s’arrête de manière abrupte, sans ménagement, donnant un côté un peu lo-fi. Sur le dernier morceau de Will, See Know, un son électronique assez déplaisant se glisse au premier plan, semble dévorer l’espace sonore, avant d’être à son tour vaincu par la beauté absolue qui l’entoure. Cet album fait le lien entre The Magic Place et Nepenthe, pour en tirer le meilleur des deux.
Kate Jackson – British Road Movies
Bonheur absolu. 8 ans après la séparation brutale des Long Blondes, le groupe pop-rock le plus doué de sa génération, Kate Jackson offre enfin son premier album en solo. Pour qui, comme moi, ne l’a jamais perdu de vue, l’a soutenue dans ses diverses activités, l’a suivie fidèlement, British Road Movies tient déjà du projet inespéré, dont l’existence même est déjà une victoire. Que ce soit, en prime, un excellent album, c’est la récompense suprême. Moins punk et torturé que les deux opus des Long Blondes, British Road Movies tient les promesses de son titre : une musique cinématographique en diable, qui évoque à la fois l’excitation du voyage et le mal du pays, l’exaltation de l’aventure et les déchirures de l’incertitude. C’est du rock total, classique et magnifique ; avec, comme principal point fort, la voix et la personnalité de Kate Jackson.
Car Seat Headrest – Teens of Denial
C’est un album de références qui pourrait bien devenir un album de référence. Teens of Denial n’invente rien, mais il s’inspire bien. Suivant notre génération on reconnaîtra ceci ou cela : les Kinks, Sonic Youth, Pavement, les Strokes… A vous de voir ce qui vous parle. Au fil de compositions relativement longues (souvent plus de cinq minutes), Teens of Denial égrène tous les meilleurs aspects du rock indépendant : son énergie, sa colère, son humour, sa mélancolie. Meilleur exemple ? Drunk Drivers / Killer Whales, déjà une des plus belles chansons de 2016. Encore une fois, c’est un disque long, qui s’apprivoise petit à petit, mais qui semble nous appartenir dès la première écoute. Dans son genre, c’est pour l’instant la plus grande réussite de l’année, et cela pourrait bien le rester.
A écouter absolument
Islands – Taste / Should I Remain Here at Sea?
Misère d’un groupe qui enchaîne les très bons disques dans l’indifférence quasi générale. Et puis, tant qu’à faire que de passer inaperçu et de ne réjouir que ses fans, autant sortir deux albums en même temps. Hop ! En plus ils sont tous les deux excellents. Taste est le plus pop, plein de grooves qu’on connaît bien depuis l’époque bénie des Unicorns. Should I Remain Here at Sea? est plus atmosphérique, se noyant peu à peu entre rêve et mélancolie, parfaitement à la hauteur de son titre. Les deux disques ne doivent absolument pas être méprisés ou ignorés. Il y a ici quelques unes des compositions les plus réussies de 2016 (Its Heaven, Snowflake, The Weekend, Back To It, Fiction, At Sea…).
Marissa Nadler - Strangers
Avec Marissa Nadler, quelque part, il n’y a pas de surprise : chaque nouvel album est au moins aussi bon que le précédent. Sa discographie est un cas d’école de constance. Son style évolue tout doucement, presque imperceptiblement. July, l’album précédent et premier pour le label Sacred Bones, marquait un changement assez notable dans le son, avec une production ciselée par un spécialiste du métal atmosphérique. Les compositions de la chanteuse y avaient gagné en ampleur gothique, c’est à nouveau le cas sur Strangers. En ce sens, l’album est moins surprenant et peut-être un peu moins puissant que July. Néanmoins, certaines compositions font partie du haut du panier des œuvres de l’artiste (Katie I Know, Janie in Love...) et cet opus est évidemment un indispensable. Comme tous les précédents.
Kristin Kontrol – X-Communicate
Kristin Welchez (alias Dee Dee des Dum Dum Girls) change de patronyme et se lance en solo en tant que Kristin Kontrol. Elle achève ici une métamorphose déjà à l’œuvre dans le génial Too True et s’abandonne totalement à la synthpop la plus décomplexée. Fini le garage rock, place aux années 80 et 90 qui dansent. Mais toujours avec une sensibilité rock, bien sûr, qui fait parfois penser à New Order (comme sur la chanson qui donne son titre au disque). C’est un festival de mélodies et de charme, un peu moins efficace sur sa deuxième moitié, mais une écoute incontournable quoi qu’il en soit.
Anhoni - Hopelessness
Anhoni est le nouveau nom de scène d’Antony Hegarty après son changement de sexe. L’artiste revient avec un album militant, très engagé, politique et polémique. Pas de fioritures au niveau des textes, c’est du rentre-dedans. Tous les sujets bouillants sont évoqués : l’écologie, l’égalité des droits, l’économie, la guerre, la violence sous toutes ses formes, etc. L’idée intéressante étant d’emballer le discours dans une approche musicale résolument dancefloor. C’est de l’électro-disco, très datée par moments, et cela pourra, suivant les sensibilités, desservir le propos. Il faut dire que c’est un album peut-être plus facile à admirer en tant que concept qu’à aimer écouter au quotidien. De l’électro pamphlétaire, pour danser tout en cassant des banques.
Autres sorties notables
Braids – Companion EP
Quelques morceaux qui n’avaient pas trouvé leur place sur Deep in the Iris, le superbe dernier album en date de Braids. Et pourtant, ils sont tout aussi réussis. Tant qu’il y aura encore des gens qui n’écouteront pas Braids, de toute façon je vais chanter leurs louanges. Et même après, bien sûr.
Woods – City Sun Eater in the River of Light
Belle surprise que ce neuvième album d’un groupe de psych-folk américain sans génie particulier. Sans crier gare, Woods abandonne sa routine et ses ronronnements sylvestres pour plonger sa musique dans l’angoisse urbaine. On ne s’attendait pas à les entendre s’ébattre avec des sonorités reggae ou jazz, leur folk y gagne follement en personnalité et en intérêt. Très bon disque, leur meilleur.
Brodka – Clashes
Superstar en Pologne, gagnante d’un télé-crochet local, Monika Brodka sort son premier album en anglais et part à la conquête du reste de la planète. Y a pas à dire, c’est vraiment bien. On pourrait juste reprocher un mélange des genres qui peut décontenancer et qui donne l’impression d’écouter au moins trois albums différents et souvent antagonistes. Quand il s’agit de faire de la pop atmosphérique ou des balades menaçantes, Brodka n’a pas de leçon à recevoir. Franchement, ça vaut le coup d’oreille, on est bien au-delà de la curiosité.
Autechre – Elseq 1-5
Ha ha ha, les pionniers de l’electronica qui te pilonne la tête déboulent avec 5 disques et plus de 4 heures de musique ultra exigeante. J’ai beau avoir plus de 20 ans d’entraînement avec Autechre (dont deux concerts qui ont repoussé mes limites de résistance face à l'aliénation sonore), je ne vais pas prétendre avoir digéré cela en quelques semaines. Mon conseil : non seulement attaquer disque par disque, un par jour maximum, mais peut-être même morceau par morceau (une moyenne autour de 10 minutes par bestiau). Sauf si vous avez l’habitude de vous endormir en écoutant Metal Machine Music de Lou Reed, dans ce cas-là, ça vous paraîtra de l’easy listening. Ceci dit, c’est toujours aussi bien, Autechre c’est un genre un soi, un gage de qualité à toute épreuve.
Radiohead – A Moon Shaped Pool
Bon. Bien, bien, bien. Voilà, voilà. C’est là qu’on se fâche, non ? Un nouveau Radiohead. Ahlala. Et puis il paraît qu’il est génial, un de leurs meilleurs, tout le monde est d’accord. L’unanimité, la vraie. Alors je me suis donné du mal. Je l’ai écouté, je l’ai réécouté. J’ai lutté, j’ai fractionné. Un ou deux morceaux à la fois. Et puis davantage. J’ai tenté l’habituation. C'est un bon disque, y a pas à dire, c’est joliment fait, hein, avec les cordes qui vont bien, comme sur le dernier Bjork. Plus subtil ici. Et puis Thom Yorke me semble geindre un peu moins que d’habitude. Reste que ce serait tellement mieux si c’était un groupe uniquement instrumental. Donc, voilà, encore une fois Radiohead tombe dans un entre-deux un peu embêtant à mon goût : ni assez expérimental, ni assez pop. Donc, très accessible, forcément très fédérateur, pour ceux qui veulent une musique plus exigeante que le tout-venant, mais néanmoins facile et agréable à écouter. Sauf que ça manque à la fois d’aspérités et de mélodies, pas assez de l’un, pas assez de l’autre. C’est intense, mais pas trop. C’est atmosphérique, mais pas trop. C’est déprimant, mais pas trop. Parfaitement dosé, parfaitement exécuté, rien ne dépasse. Tout le monde adore, c’est que ça doit être bien, vous n’avez pas besoin de mon avis sur ce sujet après tout.
James Blake – The Colour in Anything
Nouvelle victime du syndrome de l’album interminable, James Blake offre près de 80 minutes de son R’n’B fantomatique, dans la lignée de son opus précédent, Overgrown. Disons-le tout de suite, je préfère le Blake des débuts, des premiers EPs et du premier album. Plus bizarre, plus audacieux, plus libre, ce James Blake inventait des univers. Ici, c’est très beau, très bien fait, mais un peu trop engoncé dans une formule désormais familière. Certaines chansons s’avèrent toujours remarquables ; mais s’il y a bien là 40 ou 45 minutes qui formeraient un disque fantastique, une bonne moitié semble un peu superflue. Il faut accepter ce trop-plein, ou bien découper, scinder, bidouiller sa playlist idéal à partir de tout cela. Après tout, on ne cesse de nous répéter que la notion d’album n’a plus aucun sens à l’époque de Spotify. C’est faux. Mais pour certains artistes cela semble être le cas. C’est de la playlist en kit, donc, à déchiffrer et à défricher petit à petit. Dans le cas de James Blake, ça en vaut bien sûr la peine.
Avril 2016
Disque du mois
Wire - Nocturnal Koreans
Ce mois d'avril est riche en très bons albums mais il fut néanmoins difficile de dégager un disque en particulier. Cela s'est joué entre les vétérans de Wire et Cate Le Bon ; pour une fois, honneur aux vieux, donc. Et puis cela me donne l'occasion de parler d'un groupe que j'ai rarement évoqué. Bien sûr, si vous devez découvrir leur discographie, il faut commencer par les trois chefs-d'œuvre des années 70 : Pink Flag, Chairs Missing et 154. Depuis leur retour dans les années 2000, la production du groupe s'avère d'un niveau presque équivalent à leurs débuts. C'est dire si ce sont là des disques incontournables. La preuve avec ce mini-album qui n'atteint même pas la demie heure d'écoute. Et au sein d'une année où les albums atteignent des durées aberrantes et rarement justifiées, on sera heureux de souligner qu'il se passe plus de choses intenses et intéressantes dans 26 minutes de Wire que dans 55 minutes de Parquet Courts ou dans 145 minutes (du moins au niveau ressenti) de DIIV. Bref, c'est du rock mélodique et étrange, une musique pleine de tension et d'éclats de splendeur, avec des harmonies vicieuses et une voix inimitable. Et puis quelle ambiance, quelle atmosphère ! Ne passez pas à côté, juste parce que c'est une œuvre qui semble discrète, presque anodine, une note de bas de page. Nocturnal Koreans est tellement, tellement davantage.
A écouter absolument
Cate Le Bon - Crab Day
Bon, on va finir par croire que ce site a choisi comme spécialité les chanteuses (et chanteurs) aux voix qui divisent. Oui, probablement, peu importe, c'est comme ça. Donc, ce mois-ci on retrouve Cate Le Bon, dont j'ai discrètement parlé par le passé, mais clairement pas assez. Niveau musique qui risque de faire fuir la majorité d'entre vous, c'est bon, on a les critères. Chez Cate Le Bon, tout sonne faux, voilà, c'est dit. La voix, les instruments, les mélodies, tout est brinquebalant, dégingandé, au bord de la perdition. C'est son style. Et c'est génial. Par endroit, on pense à Broadcast (I Was Born on the Wrong Day), ailleurs, grâce au chant, on pense à Nico (qui aurait troqué l'héroïne pour les amphétamines). Mais cela demeure unique en son genre, c'est du Cate Le Bon, avec une ribambelle de chansons ultra personnelles, ludiques, ciselées sans effort apparent. Pour ma part je trouve cela terriblement attachant et d'une singulière beauté.
Andrew Bird - Are You Serious
La qualité Andrew Bird qui, malgré une production abondante (jusqu'à deux disques, plus ou moins essentiels, par an) ne déçoit jamais. Oui, même lorsqu'il ne fait que de l'improvisation dans un canyon (si, si) ou qu'il ne sort qu'une chanson magnifique entourée de fioritures (le EP Pulaski At Night), Andrew Bird ravit les sens. Are You Serious fait partie de sa gamme "albums classiques avec de vraies chansons", dont le précédent opus, Break It Yourself, était un sommet. On est à peu près au même niveau ici, c'est-à-dire très très haut dans le genre accrocheur. Il y a même un duo avec Fiona Apple, et vue la rareté des apparitions de la chanteuse, rien que pour ces trois minutes là, Are You Serious est incontournable.
Laura Gibson - Empire Builder
Quatrième album pour la chanteuse américaine Laura Gibson et nouveau recueil de chansons classiques mais parfaites. C'est difficile à décrire car finalement c'est tout simple : des mélodies, des refrains, de la personnalité, un peu à l'image du sublime disque d'Emmy The Great le mois dernier.
Andy Stott - Too Many Voices
La qualité Andy Stott, des chansons aériennes et inquiétantes, un peu oniriques, un peu embrumées, qui picorent les années 90 de l'electronica pour implanter des ajouts cybernétiques de notre époque. Le meilleur des deux mondes, donc, et un disque qui prend son temps pour distiller son opium. On le retrouvera probablement à la fin de l'année.
PJ Harvey - The Hope Six Demolition Project
L'accueil mitigé du nouvel album de PJ Harvey, le premier depuis son chef-d'œuvre Let England Shake sorti en 2011, s'explique en partie par un malentendu. En adoptant le regard "innocent" d'une touriste de la misère, l'artiste s'est exposée à toutes les critiques. C'est assez perturbant, car il y a un équilibre précaire entre fausse naïveté des constats et risque d'exploitation. Beaucoup ont rejeté le disque sur ce point, tout en passant à côté de compositions brillantes et de grands instants de force dont Polly Jean Harvey a le secret. A mon goût, le vrai reproche que je peux faire est que, musicalement, il s'agit d'un Let England Shake 2. La majorité des chansons pourraient figurer sur l'album précédent sans problème, il y a une continuité sonore qui donne l'impression d'une coda un peu moins inspirée. Après 5 ans d'absence on pouvait espérer davantage, mais cela reste une écoute indispensable.
Sturgill Simpson - A Sailor's Guide To Earth
En mélangeant country rock et rock 70s, Sturgill Simpson offre un album grandiose qui ravira les fans de The Band et de Van Morrison. Il y a même une reprise de In Bloom de Nirvana, version blues rock. N'ayez crainte, c'est le bon versant de Nashville qui est à l'œuvre ici, pas de poussière, pas de kitsch, c'est réussi sur toute la ligne.
Autres sorties notables
Black Mountain - IV
Amour et arcs-en-ciel pour Black Mountain, dont chaque album est un événement pour mon ptit cœur de rockeur. C'est du vintage, droit dans ses bottes, avec la rythmique imparable et les épopées qui déjouent les attentes. Donc, à la fois familier dans les sonorités et souvent imprévisibles dans les structures, Black Mountain fait son rock à part. Grandiose.
Susanna - Triangle
Ouhla, il est beaucoup, mais alors beaucoup trop tôt pour oser un avis sur les 79 minutes du nouvel opus radical de Susanna. Son précédent disque, le duo sublime avec Jenny Hval, Meshes of Voices, semble presque accessible en comparaison. A mon sens, on sent le monument, viscéral, effrayant, mystique... Mais je ne vais pas m'avancer trop, ça me semble magnifique et on en reparlera peut-être en fin d'année.
Mogwai - Atomic
Grande figure du post-rock, le groupe Mogwaï est plus ou moins inspiré suivant les albums, mais il est important de noter qu'il brille souvent dans son travail pour les bandes originales (Les Revenants, Zidane). Dans ces deux cas, d'ailleurs, c'est la musique qui volait la vedette aux images. Je n'ai pas encore vu le documentaire Atomic et je ne vais pas m'avancer, mais ça pourrait être encore le cas ici tant les instrumentaux sont encore de haute volée, entre nuance et puissance, constructions d'ambiance et explosions dans le ciel (ha ha). Là encore, un disque à ne pas sous-estimer.
Future of the Left - The Peace and Truce of Future of the Left
Le hardcore bien vintage de Future of the Left dans sa version la plus pesante et puissante. L'album précédent était un chef-d'œuvre, celui-ci souffre un peu de la comparaison, mais ça dégage quand même bien les oreilles. En plus c'est politique, à l'ancienne, façon Black Flag ou Dead Kennedys, et ça, c'est important.
Brian Eno - The Ship
Le nouveau disque de Brian Eno fait partie de sa veine ambient "sombre", songez davantage à On Land qu'à Music for Airports ou à Discreet Music. C'est donc moins propice à la détente ou à la méditation. On est plus dans la création d'atmosphères oppressantes, tourmentées, inquiétantes. Par moment, ça ressemble fortement à du Dead Can Dance. C'est très beau quoique austère et donc pas facile à apprivoiser dès les premières écoutes.
M83 - Junk
Un album plus facile à admirer pour son concept qu'à aimer écouter. Anthony Gonzalez part dans l'expérimentation pure et dure en prenant à leur propre piège les nostalgiques des années 80. En résulte un disque tellement kitsch qu'il pourrait être la BO d'un film de Michael Mann. Vu l'accueil public et critique mitigé, on sait désormais jusqu'où on peut aller dans les sonorités datées. Ceci dit, si on se retrouve parfois avec des interludes de sitcoms, le sens mélodique et dynamique de Gonzalez reste intact, les quelques superbes singles (Do It, Try It, Go!, le génial Laser Gun) évitent largement le naufrage de Junk.
John Carpenter - Lost Themes II
Depuis que Carpenter s'est recyclé à plein temps en musicien porte-étendard de la nostalgie des synthétiseurs menaçants du cinéma des 80s, on ne lui demande finalement pas grand-chose. C'est probablement qu'il ne s'est pas forcé sur ce Lost Themes II, en reprenant exactement les mêmes recettes que pour le premier opus, en roue libre. Si vous avez aimé le disque précédent, vous allez probablement aimer celui-ci, nettement moins inspiré, mais avec quelques beaux restes.
Vous pouvez faire l'impasse
Babymetal - Metal Resistance
Les anglo-saxons ont un adjectif parfait pour qualifier la production musicale de Babymetal : "novelty". Pas dans le sens de nouveauté ou d'innovation, mais bien dans le sens de "novelty record", un disque rigolo, au bord de la parodie, qui joue sur un effet d'incongruité. Cela ne veut pas dire que c'est forcément de la mauvaise musique, mal fichue, non, ça peut être très bien fait. Si Babymetal se veut probablement un peu plus sérieux qu'un projet parodique, il faut avouer que des chansons comme Chocolate sur le premier album, parfait mélange de métal FM et de j-pop, n'incitaient pas à rester imperturbable. Bref, après un premier disque ludique, bien conçu, accrocheur, difficile de revenir avec la même recette sans que cela sente la redite facile. Le pari n'est pas vraiment relevé avec Metal Resistance où tout est pareil en moins bien (du chewing-gum cette fois au lieu du chocolat). Musicalement, ça se tient, c'est de la j-pop métal, un genre en soi. Mais l'effet de "nouveauté rigolote" est éventé.
Parquet Courts - Human Performance
Bon, de l'indie rock à la Pavement, sympa mais auquel il manque une certaine étincelle, selon moi bien sûr. Le principal problème est peut-être celui du timing de sortie, à peine un mois avant l'arrivée de Teens of Denial de Car Seat Headrest qui explose et ventile l'opus de Parquet Courts sur exactement le même terrain. La comparaison est dévastatrice pour cet album trop long, mais pas non plus indigne, et que je vous conseille d'écouter à l'occasion, quand même, y a plein de gens qui adorent, donc bon.
Explosions in the Sky - The Wilderness
La tapisserie sonore d'Explosions in the Sky se porte bien. D'ailleurs c'est là une de leur plus décorative. Vous allez me dire que la différence entre cet album, que je trouve légèrement insipide, et certains travaux de Mogwaï, dont je chante les louanges, est faible. Taratata. Écoutez à la suite The Wilderness puis Atomic, la différence devrait vous sauter aux oreilles. Ou pas. Hein, là encore, y a plein de gens qui adorent, donc bon...
The Last Shadow Puppets - Everything You've Come To Expect
Étant totalement passé à côté des Arctic Monkeys, il faut avouer que j'ai écouté ce "projet parallèle" sans savoir trop à quoi m'attendre. Tant mieux, comme ça je n'ai pas été déçu : c'est de la bonne grosse soupe qui groove comme un yaourt. Ceci dit, en fond sonore ça ne doit pas déranger grand monde.
C'est vieux et c'est génial
The Egyptian Lover - 1983-1988
Du rap d'avant le rap, à l'époque où le genre se cherchait encore et naviguait, au moins dans sa version new-yorkaise, dans les eaux de l'électronique minimaliste. Croyez-moi, ça dépayse et c'est un grand bol d'air frais pour qui en a un peu marre des codes plus ou moins identiques depuis le début des années 90. The Egyptian Lover mixe donc des sonorités squelettiques héritées de Tran-Europe Express avec des textes libidineux pour obtenir une fusion contre-nature entre glace et volcan. Quand l'alchimie prend, et c'est le plus souvent le cas, c'est irrésistible, assez génial. Grande orgie entre Prince, Kraftwerk et Grandmaster Flash, c'est la réédition immanquable par excellence.
Mars 2016
Disques du mois
Anna Meredith - Varmints
Le premier album d'Anna Meredith est excellent, bien que totalement indescriptible en quelques lignes, chaque morceau étant plus ou moins radicalement différent du précédent. Varmints n'est pas d'approche facile, la première moitié du disque étant la plus expérimentale, certains auditeurs pourraient s'y décourager. Il ne faut pas. On est récompensé davantage à chaque nouvelle minute d'écoute. Du bidouillage expérimental, électrostatique, néo-tout, post-tout ; avec de jolies chansons cachées au détour de la forêt de câbles, à côté de comptines qui batifolent au pied de l'orchestre symphonique.
Emmy the Great - Second Love
C'est juste un recueil de chansons géniales, voilà. Rien de plus, et je peux vous garantir que ça suffira pour retrouver Emmy très haut dans le top de fin d'année. Que dire ? Ce sont des chansons de cœur brisé, délicates, hypersensibles, qui ne cherchent pas à réinventer la musique. Mais c'est déjà tellement. Que demande le peuple ? De l'âme et des mélodies, de la personnalité et des petites touches d'élégance, comme autant de couleurs sur la toile blanche. C'est de la musique comme de l'estampe, c'est du grand art.
A écouter absolument
Cobalt - Slow Forever
Totalement à l'opposé d'Emmy The Great, il y a le nouvel album de Cobalt. 85 minutes de métal dans ta gueule, avec des morceaux de 10 minutes qui te rabotent les oreilles pour faire plein de petits copeaux, c'est rigolo. A vrai dire, niveau métal extrême, on est plutôt dans la veine accessible, ce n'est pas Leviathan. Il y a des mélodies et la voix n'est pas franchement désagréable. Pour ceux qui trouvent ça important, on comprend souvent les paroles, mais franchement qui s'intéresse aux paroles dans le métal extrême ? Je dirais même que plus on comprend, plus c'est embarrassant (cf Tribulation, l'année dernière). Il y a un côté à l'ancienne chez Cobalt, c'est très varié, pas vraiment accolé à une chapelle, et ça dégage un parfum vintage. Surtout, les compositions possèdent une énergie et une ampleur qui ne peuvent que convaincre.
The Range - Potential
La musique de The Range secoue avec tellement d'habilité l'ectoplasme de Burial que je ne peux que fondre. C'est bien, c'est bien, c'est très bien. Un mélange de plein de hop (hip, tri, pop, hula) et de la poésie à base de samples. Quand les planètes musicales s'alignent, c'en est même magique. Et, comme chez Burial, il y a une ombre de mélancolie et beaucoup de courage. C'est une musique positive et jamais niaise, facile d'approche et encore plus facile à aimer.
Thao & the Get Down Stay Down - A Man Alive
Le nouvel album de Thao est produit par Merrill Garbus de tUnE-yArDs et c'est peu dire que cela s'entend. Si ce n'est l'absence de la voix inimitable de Garbus, le premier morceau (et single imparable) de l'album pourrait être une chute de whokill sans qu'on trouve à y redire. Il y a de la personnalité chez Thao, un sens mélodique bien à elle, une voix aussi, mais on n'est pas loin de qualifier ce disque "d'album perdu de tUnE-yArDs". Ce qui est un compliment venant de votre serviteur. C'est en effet de l'excellente musique brinquebalante, bricolée, subversive et ludique.
Mothers - When You Walk A Long Distance You Are Tired
Ode à la voix, voilà. On a comparé la voix de la chanteuse de Mothers, Kristine Leschper, à celle de Joanna Newsom, vous savez déjà pourquoi je recommande ce disque. Musicalement, c'est bien, pas de problème, rien de révolutionnaire, les chansons sont plaisantes, des sortes de longues méditations pop-folk-rock, un peu électrocutées sur les bords. Mais la voix, ahlala, elle me parle cette voix. On le sait, ici on est plus Jessica Pratt qu'Adele : il faut de la personnalité et des nuances, et si on peut éviter de s'époumoner pour pas grand-chose, ça me va aussi. Et Kristine Leschper répond à tous ces critères.
Autres sorties notables
Gazelle Twin - Out of Body
Grande chouchoute de votre serviteur depuis l'incroyable/indispensable/vital/génial (ne rayez aucune mention, toutes utiles) Unflesh, Gazelle Twin capitalise sur cet album en offrant la BO d'un court-métrage d'animation expérimental. C'est donc une extension musicale de l'univers d'Unflesh, essentiellement à base de drones et d'ambient, de rythmes minimaux et de murmures inquiétants, de larsens et de crépitements menaçants. Ici et là des ébauches de chansons surgissent et disparaissent. Bien sûr, ça fout la trouille. C'est perturbant. Très organique aussi, toujours dans l'approche du corps malade et de l'esprit qui somatise. En guise de générique de fin, on retrouve Anti Body, le single phare d'Unflesh, qu'on ne se lasse jamais d'entendre. C'est du bonus, une sorte de disque "add-on", vous pouvez faire l'impasse si vous n'êtes pas fan. Mais comment peut-on ne pas l'être ?
M. Ward - More Rain
Un peu éclipsée par le succès de son génial (si, si, j'insiste) tandem avec Zooey Deschanel sous le nom de She & Him, la carrière solo de M. Ward mérite qu'on s'y attarde. S'il s'agit de découvrir l'artiste, on conseillera en priorité Transistor Radio et Post-War, deux albums qui prouvent sans problème l'excellence et l'éclectisme musical de M. Ward. Plus classique, More Rain n'en est pas moins un bien beau recueil de chansons biscornues, faussement aimables et néanmoins attachantes.
Lust for Youth - Compassion
Au lieu de parler du nouvel album de Lust for Youth je devrais plutôt vous raconter comment je suis passé d'une aversion farouche pour The Human League à un amour inconsidéré pour Dare!, leur chef-d'œuvre et seul album indispensable. Dare! est essentiel pour savoir d'où vient une bonne partie de la musique qu'on nous propose ces dernières années. En tant qu'étalon-maître de l'album d'electo-pop, il ne cesse d'être imité, copié et même photocopié. Dans le cas du dernier Lust for Youth, c'est presque parfait, on s'y croirait. Je ne le cache pas, si on aime ce genre, c'est vraiment très agréable à écouter, les chansons sont globalement réussies et accrocheuses. On peut demander bien davantage, ou non. A vous de voir.
Prince Rama - Xtreme Now
La pop bordélique de Prince Rama ne déçoit jamais. A partir du moment où on en accepte les règles, leur production est d'une constance absolue. Bref, c'est finalement un peu prévisible dans l'excentricité mais c'est toujours aussi amusant. Ici, on recommandera au minimum l'écoute du single Bahia, déjà un des meilleures chansons de l'année (oui, la pochette de l'album fait très fort aussi).
Poliça - United Crushers
Encore de la synthpop amoureuse des années 80 mais dans sa face obscure. L'invitation à la danse est bien présente, mais c'est de la danse menaçante, toute tristoune. On a déjà entendu tout ça mille fois, mais c'est joliment exécuté, avec beaucoup de classe.
Kendrick Lamar - untitled unmastered
Kendrick Lamar sort un album de "chutes" de studio et c'est déjà un des meilleurs disques de rap de 2016. Soit ça en dit long sur le talent du bonhomme, soit ça en dit long sur la médiocrité du reste. En fait cela tient probablement des deux.
Underworld - Barbara Barbara, We Face a Shining Future
De la bonne pop electro tendance ballades à rallonge comme Underworld sait si bien en composer depuis les années 90. C'est bien sûr plus posé et moins énergique qu'il y a 20 ans, mais pour l'amateur c'est très agréable. Les autres risquent de s'ennuyer un peu.
Venetian Snares - Traditional Synthesizer Music
De l'electronica ultra rustique, directement issue des productions Warp des années 90. Entièrement enregistré live avec pour principal instrument un synthétiseur modulaire, le projet force le respect. Pour le nostalgique, c'est de la sucrerie. Pour celui qui n'a pas trop l'oreille à cela, ça pourra se révéler un peu austère. Ou du moins, cela ressemble quand même à beaucoup de choses que l'on a déjà entendu ces 25 dernières années, ailleurs, en mieux. C'est vraiment un disque pour le passionné, l'amoureux des rythmes déstructurés à la Aphex Twin et des jolies mélodies synthétiques à la Plaid.
La Sera - Music For Listening To Music To
La Sera cisèle toujours tranquillement son petit pop-rock tout mignon, en donnant l'impression de ne plus jamais souhaiter sortir de sa zone de confort. Bref, c'est toujours tout à fait recommandable, mais difficile de vraiment faire la différence entre ce nouvel album et le précédent. Le titre du disque est génial, ceci dit.
Vous pouvez faire l'impasse
Lucius - Good Grief
Duo de synthpop qui semble, encore, surgir directement de 1985 ; plutôt prometteur après un premier album pas si synthétique que cela. Avec cette suite, Lucius essaie un peu de tout sans vraiment rien réussir de mémorable. Les chansons ne sont probablement pas assez bonnes, voilà, c'est toujours là que ça se joue. On a beau bien chanter, avoir un gros son surproduit, si les chansons manquent de personnalité, si on a la sensation d'avoir entendu cela déjà au moins une dizaine de fois depuis le début de l'année, c'est qu'il y a un problème.
Primal Scream - Chaosmosis
Avec toutes ces légendes des années 90 qui sortent d'excellents albums (Manic Street Preachers, Underworld, Suede, Mogwai et j'en passe), on est un peu surpris que Primal Scream rate le coche avec ce nouvel opus pas complètement indigne mais manquant étrangement de punch et d'inspiration. A réserver aux fans (et encore, ils risquent d'être déçus).
The 1975 - I Like it when you sleep, etc.
Derrière le titre à rallonge (que je vous épargne) du deuxième album du groupe sensation The 1975, se déploie un interminable opus qui cherche à provoquer des flashbacks horrifiques des années 80. C'est le retour de Duran Duran, le revival INXS, et même les heures obscures où George Michael était partout. Y en a qui aime, je le sais bien, y a de la nostalgie envers cette musque-là. Et on m'expliquera qu'il y avait des bonnes chansons planquées au sein d'albums effroyables. Mais là, non, je n'ai aucune envie de voir une bande de minets aux coupes de cheveux improbables me seriner des remakes de Wild Boys et de Suicide Blonde. Non.
Gwen Stefani - This is what the truth feels like
Pour Gwen, c'est l'heure de la maturité, de l'album posé qui évoque les affres de l'amour, du mariage et surtout du divorce. C'est peut-être sincère, ça ne le semble pas du tout. Ça sent le produit pas bien frais, taillé pour les radios, juste bon pour faire tapisserie en attendant le douze millionième passage du dernier tube d'Adele. La voix geignarde de Gwen propose une alternative intéressante à celle d'Adele, mais en fait, non, elle n'est pas faite pour ça, Gwen. D'ailleurs, on ne sait plus trop pourquoi elle est faite. En attendant que de nouvelles pistes soient explorées par sa batterie de compositeurs et de producteurs, on s'épargnera cet album.
C'est vieux et c'est génial
The Twilight Sad - Fourteen Autumns and Fifteen Winters
L'album se trouve à la 10e place de mon classement de fin d'année 2007, mais je me rends compte que je n'ai jamais rien écrit sur Fourteen Autumns and Fifteen Winters. En plein règne d'Arcade Fire et de Broken Social Scene, The Twilight Sad en était l'alternative écossaise de même calibre. Du rock inventif et lyrique, extrêmement accrocheur, qui semble enchaîner les hymnes aussi facilement que d'autres alignent les rimes. Ce premier album est un tourbillon, aussi turbulent que tendre, aussi épique que poétique. C'est du rock dopé aux échos, aux grosses guitares, à la batterie qui percute, à la voix déchirante. Bien sûr on pense aux Manic Street Preachers, autre comparaison inévitable. Mais il y a un "son" qui n'appartient qu'à The Twilight Sad, rien que pour l'accent de James Graham, bien sûr. Un peu tombé dans l'oubli, Fourteen Autumns and Fifteen Winters n'en est pas moins un vrai classique des années 2000.
Février 2016
Disque du mois
Oranssi Pazuzu - Värähtelijä
Du métal finlandais, qui picore dans tous les genres pour un résultat expérimental et passionnant. Il y a du Swans chez Oranssi Pazuzu, dans cette volonté de creuser les idées, les ambiances, les phrases musicales, pour leur offrir leur plein épanouissement. Cela peut être un test de patience, mais on est loin de la brutalité sensorielle de The Seer. Ici, le plus difficile demeure la voix, très black métal, qui peut vriller les tympans sensibles. Dommage, parce que la musique se promène à un niveau stratosphérique. Les riffs sont costauds et les rythmes possèdent un groove inattendu. En plus, l'utilisation des synthétiseurs se fait sans complexe pour obtenir des hybrides remarquables. Bon nombre de morceaux ne ressemblent presque plus à du métal, préférant la création d'ambiances entre psychédélisme et progressif. Pour le néophyte cela demeure une écoute difficile, mais je ne peux, encore une fois, qu'encourager à tenter l'expérience, peu à peu, pas à pas, lorsque le déclic se fait, on ne peut plus s'en passer.
A écouter absolument
Emma Pollock - In Search of Harperfield
La chanteuse de feu The Delgados offre avec son deuxième album solo une œuvre sophistiquée difficile à catégoriser. Rock indépendant, "chamber pop", on ne sait pas trop, tant chaque chanson bondit d'un style à un autre, d'une ambiance à une autre. C'est une grande réussite qui risque fort de faire sa place très haut dans le classement de fin d'année, tant chaque morceau possède suffisament de personnalité pour devenir bien vite entêtant. Ne passez surtout pas à côté de cet album si, tout simplement, vous aimez les chansons classiques mais bourrées de personnalité.
The Jezabels - Synthia
En manque de M83 ? Ca tombe bien, le nouvel album arrive prochainement. En attendant, The Jezabels représente un substitut de choix. C'est de la pop synthétique grandiose, avec l'impression de se faire décoiffer par un mur du son en forme de fusée au décollage. Accrochez-vous, c'est spectaculaire, avec le sens de la progression juste comme il faut. Ca monte, ça monte, ça monte, et boum, ça explose aux oreilles, avec un lyrisme fort bien véhiculé par la chanteuse, Hayley Marie. Mais la vraie star, c'est Heather Shannon derrière les synthés.
Lucinda Williams - The Ghosts Of Highway 20
Douzième album d'une légende du folk-rock américain. Lucinda Williams est une institution de "l'Americana" est offre avec ce disque funèbre et élégant une collection fleuve de récits mémorables. L'album est très long mais ne demande pas une attention soutenue, car il peut aussi très bien faire office d'accompagnement sonore très plaisant. Bien sûr, on ne pourra que recommander une écoute attentive qui risque de révéler de vrais trésors.
KING - We Are King
Trois sœurs offrent un premier album de Soul/R'n'B qui fait du bien au genre. D'une part, parce que c'est une reprise des meilleurs aspects des années 90 et on se rend compte qu'il y avait là de bien bonnes choses. D'autre part, parce que les compositions sont souvent magnifiques, portées par des voix qui flattent les oreilles. Superbe.
Steve Mason - Meet The Humans
Vous vous souvenez du temps où The Beta Band était le plus grand groupe de la planète ? Ou du moins le plus prometteur et le plus promu par la presse spécialisée ? Si vous avez plus de 30 ans, c'est quasi certain. Bref. The Beta Band n'a jamais dominé la monde et le groupe n'existe plus. Néanmoins, son ancien leader (et inimitable voix) poursuit une carrière en solo que vient désormais jalonner un disque remarquable. On y retrouve tout ce qui faisait la saveur de The Beta Band : les rythmes, les bizarreries, le chant, les arrangements variés, les mélodies. Vraiment attachant et immanquable.
Autres sorties notables
De Rosa - Weem
Miam, du rock indépendant écossais, extrêmement soigné, délicat et mélancolique, avec plein d'idées pour accompagner des chansons classiques mais jamais prises en défaut.
Junior Boys - Big Black Coat
Le duo d'electro-pop n'a plus grand-chose à prouver mais refuse de se reposer sur ses lauriers avec un cinquième album très appliqué et varié. Ce n'est pas franchement une révolution, mais bien une évolution soigneusement pensée et composée. Même si vous êtes passés à côté de leurs classiques (So This Is Goodbye, en particulier), il y a ici matière à vous faire découvrir et aimer leur musique.
Field Music - Commontime
Solide ouvrage d'indie pop parsemé de mélodies fort réussies. Field Music, avec ce sixième opus, fait preuve d'une constance qui fait plaisir. Si on adhère à leur style, c'est un incontournable de ce début d'année et il peut gagner en ampleur au fil des mois. A écouter, certes, et surtout à réécouter, il semble y avoir ici davantage qu'il n'y paraît.
Matmos - Ultimate Care II
On peut toujours compter sur Matmos pour trouver les concepts qui intriguent. Après la musique par télépathie du génial The Marriage of True Minds, voici l'album composé à partir de sons de machine à laver. Ne pensez pas que c'est un piège de musique expérimentale inécoutable, pour soutenir le gimmick il y a un duo d'artisans merveilleux de l'électronique. Résultat : c'est un chef-d'œuvre d'industriel, au sens premier du terme. Des "clics" et des "clangs" naissent des instants magiques.
Kanye West - The Life Of Pablo
Peut-on vraiment juger cet album qui ressemble à une mixtape et même à un "work in progress" dont on ne sait pas s'il sera achevé un jour ? En l'état, ce qu'on peut écouter sur internet du nouveau disque de Kanye West est un grand écart artistique. D'un côté, musicalement, il y a beaucoup de choses intéressantes, comme ces trous béants qui manquent d'engloutir certains morceaux. Le disque paraît ébauché, brinquebalant, il y a un côté punk dans tout cela, c'est expérimental en diable. L'esprit malade de Kanye West fonctionne à plein régime, c'est une sorte de cauchemar musical sous acide (ou bourré de cocaïne). Au niveau des textes, c'est un grand n'importe quoi qui navigue du ridicule au révoltant (la misogynie abjecte du rappeur est à son paroxysme). L'artiste se peint ainsi en génie musical et en être humain réactionnaire et abruti par la gloire et les excès. C'est fascinant, dérangeant et pas très agréable à écouter, malgré la profusion délirante d'invités venus essayer de sauver le disque du naufrage.
TEEN - Love Yes
Un quatuor féminin, plein de bonnes intentions et de jolies inspirations dont l'oeuvre s'affine de disque en disque. Comme la pochette le souligne, l'influence des 80s est omniprésente. Il est parfois difficile d'imaginer que ces chansons datent de 2016, elles passeraient sans retouches dans les radios de 1986. A ce niveau de mimétisme, c'est un peu perturbant, et c'est dommage, parce qu'il y a vraiment de quoi s'arrêter chez TEEN, ne serait-ce que pour les thèmes abordés, féministes, personnels, intrigants.
Wild Nothing - Life Of Pause
Troisième album de dream-pop charmante par Wild Nothing. Difficile d'en dire du mal, c'est une musique vraiment très jolie mais manquant peut-être un peu de surprises et d'aspérités pour rester durablement dans la mémoire. Tout cela s'écoute néanmoins agréablement, si ce n'est d'une oreille distraite.
Animal Collective - Painting With
Les anciens lecteurs le savent peut-être, après Sung Tongs et Feels, je n'apprécie pas particulièrement le travail d'Animal Collective. Même leurs grands classiques précités, je ne les écoute plus du tout. Alors j'accueille chaque nouvel opus avec une certaine neutralité, plutôt bienveillante depuis que les publications qui les ont portés aux nues s'empressent de les brûler. Painting With n'est pas pire que Merriweather Post Pavilion, par exemple, pas globalement meilleur non plus. C'est du Animal Collective, ceux qui aiment, vont aimer, pour les autres, ça se laisse écouter.
Vous pouvez faire l'impasse
Bloc Party - Hymns
Alors, c'est un peu paradoxal, mais autant le nouvel album de Bloc Party n'est clairement pas très intéressant, ni très réussi, autant il n'est pas aussi nul qu'on a pu l'écrire copieusement ici et là. C'est un disque de synthpop pépère, plutôt dépouillé, presque aride, franchement dévitalisé, mais avec de jolis sons, quelques bonnes mélodies. Bref, c'est du superflu au milieu de tous les excellents disques de ce début 2016, mais ce n'est pas si horrible que ça.
Rihanna - ANTI
Rihanna a donc sorti un disque plus personnel et on se rend compte qu'elle n'en a pas beaucoup, de personnalité. La majeure partie d'ANTI se compose de ballades interchangeables qui font ressembler l'ensemble au dernier Adele. Bref, c'est insipide au possible.
Foxes - All I Need
De la pop formatée, sans grande imagination, sans grand intérêt. Mais bon, comme Carly Rae Jespen avait provoqué une petite folie critique avec un disque tout aussi anodin l'année dernière, on n'est jamais à l'abri que la clique journalistique choisisse Foxes, plus ou moins au hasard, pour être leur chouchou de 2016.
C'est vieux et c'est génial
Brian Eno - Another Green World
Cela fait tant et tant d'années que je me promets de vous parler longuement de Brian Eno qui est un artiste d'une importance largement aussi immense que bien d'autres auxquels j'ai déjà consacré de nombreuses pages. C'est même, à mon sens, un des créateurs clefs de la musique populaire que j'aime et que je défends sur ce site depuis... presque 20 ans (fichtre !). Alors, à force de reporter, cela finit par faire un trou béant dans les archives. Donc, je pose cette petite première pierre à l'édifice en évoquant, pour le principe, pour que vous le sachiez, ce qui est probablement l'album le plus essentiel de Brian Eno, jalon d'une discographie surpeuplée d'incontournables. Je ne vais donc pas me lancer à énumérer tous les autres chefs-d'œuvre, nous y reviendrons (enfin, peut-être).
Là, c'est juste Another Green World, sorti en 1975, et dont la modernité frappe comme au premier jour. Eno y développe une vision unique de la pop en lui ajoutant des tonnes d'idées très novatrices. Pour exemple, il y a autant d'instrumentaux que de chansons, les morceaux ne répondent presque jamais aux structures classiques, on est, déjà, proche du style ambient que l'artiste popularisera quelques années plus tard. Ce qui fait le génie d'Another Green World se retrouvera quasi trait pour trait sur le meilleur album de David Bowie, Low. Mais, j'ose le dire, le plus grand des deux, c'est Another Green World. Si, si. Non mais jetez-moi des pierres, ne vous privez pas, surtout que je viens vous écrire cela pile poil quand il est encore plus strictement impossible de nuancer Bowie. Alors, que, notez-bien, je n'ai rien contre Low, qui est, je le répète un disque magnifique et le plus réussi de son auteur.
Mais voilà, Another Green World, c'est une autre dimension, ne serait-ce qu'au niveau des compositions, toutes uniques et inoubliables, même le plus petit des interludes. Les chansons explosent de mille étincelles de créativité, révélant à chaque écoute de nouveaux détails. Ici la guitare folle de Robert Fripp (St Elmo's Fire), là un refrain amusant (I'll Come Running), partout une poésie absolue, mystérieuse et magique (Everything Merges With The Night). Another Green World est un disque univers qu'on redécouvre inlassablement. Tous les ingrédients sont utilisés à la perfection, aussi bien l'abrasion (Sky Saw) que la douceur extrême (Spirits Drifting). C'est un voyage, une promesse d'ailleurs (The Big Ship), un autre monde (vert). Indispensable à rigoureusement toutes les discothèques, quels que soient vos affinités et vos genres de prédilection.
Janvier 2016
Disque du mois
Daughter - Not to Disappear
La bonne influence de The Cure, elle est ici, dans le deuxième album de Daughter. C'est clairement la même chose que le premier opus, mais en mieux, à tous les niveaux. Les mélodies sont plus mémorables, le son est immense et la mélancolie est palpable à chaque instant. Le premier grand disque de 2016, qui fera probablement ricaner quelques cyniques. Ils ont tort, des chansons de si haute volée ne sont pas monnaie courante. Grandiloquent, intime et magnifique.
A écouter absolument
Eleanor Friedberger - New View
Nouvelle merveille de la part d'Eleanor Friedberger, cela ne surprend que ceux qui ne suivent pas sa carrière avec toute l'attention qu'elle mérite. Moins de diversité que sur son chef-d'œuvre Personal Record et peut-être une petite baisse d'inspiration (les oreilles inattentives auront donc l'impression d'entendre dix fois la même chanson). Mais c'est du chipotage, c'est encore une perle de rock intemporel et de petites histoires inoubliables doublées de mélodies incroyables.
Suede - Night Thoughts
Très en forme depuis leur retour avec le brillant Bloodsports, le groupe de Brett Anderson monte encore d'un cran avec ce Night Thoughts. Conçu comme la bande originale d'un moyen-métrage, l'album enchaîne, sans pause, l'ensemble de ses chansons avec un panache qui rappelle Dog Man Star. En tant qu'œuvre cohérente, forcément très lyrique et sans point faible, Suede a peut-être signé là son plus bel album.
David Bowie - ★
Difficile à présent d'écrire sur l'œuvre testamentaire de David Bowie (même si celui-ci avait prévu plusieurs autres disques). Sortir une vidéo très évocatrice pour la chanson Lazarus à peine quelques jours avant sa mort, c'est savoir se mettre en scène jusqu'au bout. En lui-même, Blackstar est un très bon album, le plus aventureux de l'artiste depuis Outside. On pourra penser à du Scott Walker light, mais c'est surtout du Bowie, à mi-chemin entre le jazz et la pop. La chanson qui donne son titre au disque est la meilleure et sa présence en ouverture écrase un peu la suite. Mais au fil des écoutes on apprécie davantage ce dernier travail ciselé dans ses moindres détails. Un cas d'école de fin de carrière digne et mémorable.
Krallice - Hyperion Ep
Le choix métal du mois sera donc un Ep, seulement trois titres (mais pour plus de 20 minutes de musique). On va essayer d'éviter les étiquettes qui ne veulent plus dire grand-chose, c'est du métal en tout genre (black, death & cie). Ca va vite, c'est extrêmement varié, d'un instant à l'autre le groupe est déjà loin, ailleurs. La production navigue entre clarté et âpreté, pour un résultat assez passionnant.
Autres sorties notables
Hinds - Leave Me Alone
Quatre espagnoles qui font du rock lo-fi rigolo. Au début on se dit que ça risque d'être vite insupportable, mais en fait c'est plutôt du bon boulot, grâce, en particulier, à des harmonies vocales pas désagréables. Ca ne révolutionne rien, mais c'est fort sympathique.
Tortoise - The Catastrophist
A l'heure actuelle, un nouveau Tortoise ne motive plus que les fans nostalgiques. Et c'est bien dommage. Car le groupe continue à toucher à différents styles, essayer un peu de tout avec plus ou moins de bonheur. Ici c'est souvent très réussi, en particulier quand, pour la première fois, Tortoise fait appel à un chanteur (Will Oldham) et à une chanteuse (Georgia Hubley de Yo La Tengo). C'est toujours à part et toujours aussi bien.
Lycus - Chasms
Doom métal incantatoire. Avec le son bien propre et le mélange guttural/liturgique, on se croirait parfois à la messe (noire, hein). Pas de grande révélation, mais c'est franchement bien foutu et très agréable (dans le genre, évidemment).
Savages - Adore Life
La même chose que le premier album, en moins intense. Quelques chansons sortent du lot (en particulier l'ouverture du disque, The Answer), mais le reste sent la redite en moins percutant. Cela reste un bon disque de post-punk tendu, mais on pouvait espérer davantage.
Vous pouvez faire l'impasse
Chairlift - Moth
Aïe, aïe, dire que j'en attendais monts et merveilles tient de l'euphémisme. A l'exception des singles Romeo et Ch-Ching, Moth s'étiole dans un son plus "propre" et plus R'n'B. Certes c'est taillé pour les radios, mais ça manque des mélodies, de l'énergie et de l'étrangeté qui portaient Something (l'album précédent) vers les sommets de la pop actuelle. Il y a même quelques chansons plutôt déplaisantes à écouter (le vrillant Unfinished Business), un comble.
DIIV - Is the Is Are
Plus d'une heure et pas moins de 17 morceaux à ressasser les mêmes lignes mélodiques piquées à The Cure. Zéro personnalité, zéro originalité et pour un ou deux morceaux à peu près plaisants, on traverse des déserts musicaux interminables. Insipide au possible.
C'est sorti l'année dernière
Panopticon - Autumn Eternal
Découvert trop tard (merci Stereogum) pour pouvoir l'ajouter à mon classement de fin d'année, le dernier album de Darius Kohanim sous le nom de Panopticon mérite tous les éloges. C'est du black métal, mais du black métal américain dans la veine folk. Bref, ça sent le terroir du Kentucky, avec des ambiances de grandes forêts automnales balayées par le vent. Son chef-d'œuvre, le précédent album Roads to the North, était encore plus évocateur et spectaculaire. C'est du black métal dépouillé des oripeaux de la tradition norvégienne, on n'est plus dans le maquillage, le satanisme et la haine de tout, mais dans une évocation de la nature, de sa rudesse et de la souffrance des hommes dans toutes ses nuances (Kentucky, autre album de Panopticon, parlait de la condition et des luttes des mineurs de la région avec une rare justesse). Bref, c'est une musique qui semblera extrême aux oreilles non habituées, mais, sachez-le, même quand on n'est pas tombé dedans quand on était ado, on peut découvrir, redécouvrir, et apprécier ce métal-là, si riche en nuances, en idées, en tours de force. Et Kohanim joue (presque) tous les instruments du disque, ce qui impose, au minimum, le respect.
C'est vieux et c'est génial
Slowdive - Pygmalion (1995)
L'histoire, fort brève, de Slowdive se trouve généralement résumée à leur deuxième album, certes un chef-d'œuvre, Souvlaki. Mais le troisième et dernier opus, Pygmalion, déjà presque un projet solo du leader Neil Halstead, est un jalon en son genre. Quel genre ? Bah le shoegaze, paraît-il. Ou le post-rock. Ou une forme assez unique d'ambient rock, très personnelle. Il faut ici moins penser à My Bloody Valentine (il n'y a plus de structures classiques aux "chansons") et davantage au Talk Talk de Laughing Stock, ou à Brian Eno. C'est de "l'ambient shoegaze", voilà. Avec les larsens, le mur du son, mais extrêmement aérien, d'une poésie absolue. Pygmalion est une œuvre sublime, pas très bien accueillie en son temps, peu à peu redécouverte et, à mon sens, toute aussi indispensable que Souvlaki ; plus originale, encore plus belle et envoutante.