La Maison des 1000 morts
The Devil's Rejects
de Rob Zombie
Vaste farce visant le
degré ultime de l’horreur référencée, La Maison des 1000 morts n’existe que comme prémisses à l’autocritique du genre, le sublime The Devil’s Rejects. S’il subsiste dans le premier film des
scènes qui valent pour elles-mêmes (la visite du musée des
serial-killers, le show d’Halloween chez les Firefly, le final
apocalyptique), c’est avant tout un best/worst of du cinéma d’épouvante
issu des années 70. Kitsch et toc, complaisant et pervers, le film
révèle aussi en partie les talents de Rob Zombie, plus doué pour le 7e art que pour la musique.
Il faut en passer par cette petite œuvre
sympathique pour accéder à ce chef-d’œuvre réflexif qu’est The
Devil’s Rejects. En cherchant au-delà du point limite, Rob
Zombie va plus loin que le simple hommage à la Tarantino. Il en garde le
ludisme trash, mais brutalise tous les repères. Son apologie des pires
et essentielles mythologies des USA dépasse toute forme de violence pour
culminer en des émotions aussi contradictoires que gorgées de malaise.
Le Mal le plus pur est le plus séduisant. A la fois révoltant et
touchant. The Devil’s Rejects se construit ainsi en miroir
de La Maison des 1000 morts, quand les tortionnaires
deviennent victimes et que l’on finit par prendre leur parti. Jusqu’au
rejet absolu. Œuvre extraordinaire de cinéma, le film est une épopée
américaine d’effroi et de légende, voisine des romans de Cormac
McCarthy. |
Teeth
de Mitchell Lichtenstein
Résumer le synopsis de Teeth c’est déjà révéler
la clef de l’œuvre : Dawn est une lycéenne membre d’un groupe prônant la
chasteté jusqu’au mariage, mais le désir est plus fort que les vœux
pieux et au moment où elle s’apprête à succomber, tourmentée par le
remord, elle découvre qu’elle possède le premier cas avéré de « vagina dentata ».
Même si vous n’avez pas
pratiqué le latin dans votre jeunesse (on vous pardonne si vous avez
pris l’option « drague à la cafét » à la place), vous avez déjà compris
tout ce qui fait l’originalité et le prix de cette nouvelle variation
sur le statut de la femme au sein de la société machiste. Très
justement, mais sans trop forcer sur la finesse, l’auteur mélange les
genres et fait dériver son étude de mœurs du sarcastique vers l’horreur.
Le résultat décontenancera certainement beaucoup de spectateurs, que
l’on espère cependant avertis, et ravira les autres par ses audaces et
son charme.
On nous répondra que le
terme de « charmant » ne semble pas le plus approprié lorsqu’il s’agit
de qualifier quelques pénis tranchés avec abondance de gore, sans parler
d’une visite chez le gynécologue proposant le suspens le plus
sexuellement déviant, mais aussi le plus drôle, depuis le cunnilingus
décapité de Re-Animator. Teeth en est-il pour autant un film d’horreur ? Pas le moins du monde et tout
ceci grâce à la performance de la jeune Jess Weixler. Superbe révélation
(primée à Sundance), l’actrice fait preuve d’une grâce, d’une intensité
et d’un humour qui transcendent les scènes scabreuses. Ce qui permet de
tracer un parallèle d’autant plus évident avec le May de Lucky McKee qui ne manquera pas de venir à l’esprit des cinéphiles.
Si Teeth manque de la maîtrise et de l’émotion offertes par May (au profit de la comédie), il use avec autant d’intelligence des règles
de l’épouvante mais aussi des films de monstres (ouvertement cités par
le réalisateur). Pimenter la chronique adolescente avec de grands coups
de mâchoires aussi vicieusement situées est un petit tour de force qui
échappe au ridicule pour mieux flirter avec le mythologique. Pour le
spectateur masculin Teeth est fréquemment
douloureux, tout en s’épanchant en un rire libérateur. Pour le public
féminin, Dawn devient une sorte de super-héroïne, versant serial-killer
(décidément très à la mode depuis Dexter).
La métaphore n’est
peut-être pas subtile : la nouvelle Eve s’émancipant et se vengeant par
là où on l’accuse d’avoir originellement péché. Pourtant l’efficacité de Teeth réside dans cette confrontation sans
œillères avec ses thèmes triviaux. Et il faut bien vous avouer que Jess
Weixler est le piège le plus mortel et irrésistible que l’on ait aperçu
depuis longtemps sur un écran. Plaisir et souffrance portés à ce niveau
font de Teeth une sucrerie dévergondée qui
secoue agréablement le cinéma indépendant américain. |
Forbidden zone
de Richard Elfman
Forbidden zone incarne l’objet cinématographique non
identifié dans toute sa splendeur. Exploité une poignée de semaines en
France lors de sa sortie en 1980, il était devenu depuis lors quasi
introuvable. On emploie rarement le terme de « culte » à bon escient, et
il s’applique avec une justesse rare pour qualifier le premier film de
Richard Elfman. Connue d’un très petit nombre de fanatiques, l’œuvre
survivait essentiellement grâce à la réputation du compositeur Danny
Elfman, frère du réalisateur et starifié par sa prolifique collaboration
avec Tim Burton. En creusant dans la discographie du créateur des
partitions d’Edward et de M. Jack,
l’amateur éclairé pouvait remonter à son début de carrière au sein du
groupe Oingo Boingo. En remontant encore plus loin, on
aboutissait sûrement à la BO de Forbidden zone,
qui assure une grande part de charme au film du même nom.
Car Forbidden zone est une comédie surréaliste et musicale. Avec un budget dérisoire, dans
un noir et blanc fort pratique, Richard Elfman filme n’importe quoi.
Mais vraiment n’importe quoi. En un vague hommage aux Marx Brothers, aux
Monty Python mais aussi à tout le cinéma d’exploitation des années 70
(blaxploitation, nudies, films gores, etc…). L’histoire ne raconte rien,
ou du moins pas grand-chose, mais survit à la force d’une accumulation
délirante de gags et d’images folles sur à peine 70 minutes.
Mené à un rythme de dessin animé, Forbidden zone est transcendé à la fois par la
BO de Danny Elfman (et des Mystic Knights of Oingo Boingo) et
par l’implication burlesque de ses interprètes. Hervé Villechaize (le
nain de l’Ile fantastique), Susan Tyrell
(gigantesque), Marie-Pascale Elfman (femme du réalisateur, à l’accent
français à couper au couteau) ou bien encore la craquante Gisele Lindley
(qui passe tout le métrage topless) assurent un spectacle incroyable.
Forbidden zone pourra épuiser bien des spectateurs cartésiens. La déferlante ne fait
pas toujours mouche, allant de la poésie pure au graveleux consternant.
Mais pour peu que l’on soit réceptif aux films définitivement
« autres », vraiment originaux et débordants d’une énergie
enthousiasmante, Forbidden zone est ni plus ni
moins qu’une perle. |
Orange mécanique
de Stanley Kubrick
Violence innée contre violence acquise, nature et société sont
renvoyées dos à dos avec l’Orange mécanique de
Stanley Kubrick. La symphonie en deux actes, et une multitude de scènes
inoubliables, dépeint une satire sociale sans véritable équivalent dans
l’histoire du cinéma. Le scandale est toujours bien présent, même si le
film est désormais accessible à tous, et diffusé, tard, à la télévision.
Chose inimaginable il y a encore 15 ans.
L’esthétique, qui a
bouleversé les années 70, vire au kitsch magnifique. La musique
s’épanche dans sa folie et ses percées électroniques révolutionnaires.
Malcom McDowell ne peut plus s’échapper du rôle d’Alex. Et surtout il
s’agit de la comédie noire (très noire) la plus réussie de Kubrick (qui
avait pourtant posé de sublimes jalons du genre avec Lolita et Dr. Folamour).
Orange
mécanique fait mal par où il passe, mais aussi beaucoup de
bien. Sa violence est belle, souvent ludique, sûrement dangereuse. Le
grotesque surgit de toute part, dans un bonheur de caricaturiste armé de
sa caméra. On y rit donc énormément, surtout jaune. On se dit que le
film est plus d’actualité que 2001 (encore
trop avance). Il y a de l’Orange mécanique dans notre quotidien, dans les pages des faits
divers et dans les discours politiques. Et chacun y verra de quoi s’en
amuser ou d’en frémir davantage. |
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