Annie - Anniemal
Elle nous vient du nord, vous savez, la
Norvège, l'autre pays de la musique couverte de sucre glacé. Elle est un peu
bizarre et adore créer sa propre légende. Elle n'a pourtant pas froid aux yeux,
n'hésite jamais à laisse aller son ego et à sampler Madonna avec désinvolture.
Elle, c'est Annie, la nouvelle égérie des esthètes. L'objet du délit, c'est Anniemal, hold-up musical
doux-amer.
Un véritable coffre aux trésors, où
brillent une dizaine de joyaux, jonglant entre l'évidence mélodique la plus
charmante (le single Chewing Gum, Me Plus One, Greatest Hit), des méandres plus
nuancés et inattendus (Always Too Late, Happy Without You) et surtout la fusion
idéale entre cette pop la plus vivifiante et des tonalités résolument matures
(l'euphorisant Anniemal, Come Together qui rendrait Kylie Minogue verte de
jalousie). Et bien sûr il y a Heartbeat, entièrement orchestré sans usage de
synthétiseurs, qui se ressent plus qu'il ne s'écoute véritablement. En prenant
le titre au pied de la lettre, la comptine devient un rythme cardiaque
qui s'affole,rendant au mieux les émotions décrites par Annie. Et
nous de revivre l'excitation de danser avec un/une inconnu(e), le trouble de tomber
amoureux, la douce culpabilité de s'abandonner au plaisir et à la
musique. Sensuel, exaltant, étrangement mystérieux et terriblement
entêtant.
Avec ce premier album, Annie donne un
terrible coup de vieux à toutes les bimbos des dancefloors. Même notre chère
Britney obtient un aller simple pour la maison de retraite. La musique pop, en
particulier cette "bubble pop" dont la Annie de Chewing Gum se revendique
explicitement, est un univers où l'on ne peut pas espérer rester longtemps au
sommet. Une saison, parfois deux... Puis on tente des come-backs plus ou moins
réussis, avec un succès généralement décroissant. Le seul espoir étant de se
faire une petite place culte dans le coeur de certains auditeurs. Avec Anniemal,
Annie a déjà accompli admirablement cette tâche si délicate. On ne l'oubliera
pas.
L’année
dernière, j’écrivais en ces pages à peu près ceci : « un groupe de rock actuel
sur deux sonne comme un rejeton de My Bloody Valentine ». Dès les 17 secondes
d’introduction de Citrus, cette affirmation est une nouvelle fois de mise : mur
de guitares qui font des vagues, production grandiloquente, maelstrom sonore à
l’horizon, tout est là. La chanson d’ouverture, Strawberries, confirme largement
l’impression première, la chanteuse japonaise a une petite voix qui convient
très bien à une imitation du groupe de Kevin Shields. Certes, Asobi Seksu ne va
pas se placer sur le terrain de l’originalité, mais plutôt sur celui de
l’efficacité en faisant dériver de manière fort bienvenue la déprime du genre
vers une pop bondissante et souvent purement réjouissante. Le final de
Strawberries avec ces « na na na na » l’annonce, et c’est le très décomplexé New
Years qui le confirme, Asobi Seksu adapte les sucreries japonaises aux codes du
gros rock planant. On est déjà charmé, mais le juste merveilleux Thursday nous
achève, il y a de la mélodie, du panache, un lyrisme rêveur, tout ce qui
transforme une chanson aux oripeaux traditionnels en un petit trésor. Les
arrangements ont beau être surchargé, le batteur cogner comme un damné, le
groupe trouve toujours le petit détail qui vient faire respirer, qui fait
s’envoler.
Sur
Strings la chanteuse Yuki Chikudate s’élance dans les aigus, flirtant avec la
rupture de ton et le crime lèse-tympans, elle s’en approche sans jamais tomber
dans le désagréable. Pink Cloud Tracer ressemble sans doute trop à ses modèles
avoués (My Bloody Valentine, donc, mais aussi Jesus & Mary Chain) et c’est la
longue progression hardcore de Red Sea qui vient donner un coup de fouet à
l’album. Après cette errance bruitiste, le groupe enchaîne avec la plus évidente
gâterie pop de l’album, le fantastique Goodbye, et nous voilà alors plus proche
de Blondie que de l’assaut sonore. Le très posé Lions and Tigers, le bondissant
Nefi+Girly et la jolie ballade Exotic Animals (qui s’épanche elle aussi dans un
final criard) concluent l’album. La dernière chanson, le très court Mizu Asobi
est à nouveau un miracle de légèreté énergique et primesautier. Asobi Seksu
réinvente avec Citrus le plaisir du désordre, la grâce du bruit et redonne de la
mélodie dans l’univers du discordant.
Ultra célébré, cet album n'a pas
besoin de mes louanges pour entrer de plein droit dans la discothèque idéale. Pour tout
avouer, Pet Sounds est un tantinet surestimé, ou du moins il a tendance à faire oublier
le reste de l'uvre des Beach Boys, parfois largement aussi bonne, voire supérieure.
Alors, il faut avoir Pet Sounds dans sa discothèque, mais cela ne doit surtout pas être
votre seule acquisition Brian Wilsonesque. Pour les quelques égarés qui ne
connaîtraient pas encore ce disque (classé par nombre de professionnel comme étant
"le plus grand album pop-rock du 20e siècle"), et bien... hum... on peut leur
dire qu'il n'y a que des bijoux mélodieux comme les petits zoizeaux du matin, mais sans
tomber dans la mièvrerie glauque. Car Brian Wilson (celui qui fait tout), est un génie
torturé (pléonasme), il y a toujours un petit quelque chose d'imparfait, de
"fêlé" dans les trésors des Beach Boys. Bon, quoi d'autre ? Des titres ?
Toutes les chansons sont mythiques. De Wouldn't It Be Nice à That's Not Me en passant par
Sloop John B, I Know There's An Answer, I Just Wasn't Made For These Times ou les
traumatismes de plusieurs générations que sont God Only Knows et Caroline No, tout n'est
qu'or et diamants.
Officiellement ce disque est perdu,
inachevé, oublié, mythique. Officieusement, on le trouve en quasi intégralité dans
tous les coins du web (ou sur certaines compilations). Et c'est certainement grâce au web
que Smile connaît aujourd'hui un engouement mondial. Album conceptuel, expérimental,
essayant difficilement de marier avant-garde et pop, Smile fait peur, certains morceaux
étant garantis pour mettre mal à l'aise les auditeurs (Do You Like Worms, Heroes And
Villiains part Two, Mrs. O'Leary's Cow). En fait, tout est à l'image du tube orphelin,
Good Vibrations, enfin replacé dans la cohérence de l'album, en charnière entre les
deux parties du disque (une première partie retraçant plus ou moins l'histoire des USA
et une deuxième partie mystique basées sur les éléments d'Aristote). Le moindre
morceau contient 10 chansons. Brian Wilson "zappe" à toute vitesse, ce qui
donne l'impression d'un vaste brouillon ou d'un voyage mouvementé au sein d'un esprit
génial mais définitivement "hors du monde". Smile est fractionné par de
multiples petits interludes, souvent drôles, incroyablement inventifs, toujours
surprenants, car on ne peut jamais prévoir ce qui nous attend à la mesure suivante. Il
faut un temps d'adaptation, après le désarroi des premières écoutes (l'album est de
surcroît très long), on finit par reconnaître des thèmes récurrents (dont une petite
mélodie assez effrayante, celle de Do You Like Worms, qu'on imagine conçue comme un
sortilège vaudou), et les chansons apparaissent au grand jour. Et elles sont sublimes,
tout "simplement" sublimes, largement autant que Good Vibrations. Il y a
l'hallucinant Child Is Father of the Man, mais aussi Heroes And Villians en version
intégrale, Cabinessence, Wind Chimes, Wonderful... Certaines de ces merveilles furent
éparpillées et mutilées dans les uvres postérieures du groupe. Comme un
héritage géré avec maladresse et avidité. Pour preuve, le final de l'album,
l'une des 10 plus belles chansons du monde, et sans doute la plus belle chanson du groupe,
le bouleversant Surf's Up (sur lequel repose quasi intégralement l'album du même nom),
ici dans sa version fidèle à la vision de Brian Wilson (avec l'intro séparée et le
final tout simple, pour ceux qui connaissent l'autre version (sublime aussi par ailleurs,
mais moins sobre et sombre). Disque littéralement fou, en avance de plusieurs décennies,
synthèse de mille et une émotions et de mille et une mélodies, aisément comparable au
Requiem de Mozart, Smile mérite logiquement cette appellation : le plus grand disque
inachevé du 20e siècle.
Peut-être l'un
des meilleurs albums de pop de tous les temps. Ce disque est incroyable ! Tout y est parfait, aucune chanson n'est
ratée, tout est au niveau chef-d'oeuvre. Et surtout il est IMPOSSIBLE de se lasser de ce
Parallel Lines délicieux. Les mélodies sont d'une richesse rarement égalée (cf
l'hallucinant Pretty Baby), Debbie Harry n'a jamais aussi chanté (cf le sublime Picture
This ou tout simplement tout l'album), l'énergie est incroyable, les harmonies superbes,
etc.... Du clouant Hanging On The Telephone jusqu'à l'épique Just Go Away en passant par
le parfait Heart Of Glass, le fascinant Fade Away And Radiate, l'irrésistible One Way Or
Another ou le génial I Know But I Don't Know, Parallel Lines est un exemple d'album
parfait. Sans problème le meilleur et le plus indispensable des disques sortis par
Blondie. Vital.
Ma page Parallel Lines
Je crois que vous n'allez pas y couper, je fais bien finir par
caser TOUS les albums de Blondie sur cette page. Et une fois que j'aurais fait cela je
créerais enfin la section Blondie que j'ai en tête depuis la création de mon site.
Enfin bon bref, voici venir l'avant-dernier album de Blondie (avant séparation) qui est
en fait son dernier chef-d'oeuvre, The Hunter n'étant pas vraiment à la hauteur de ce
qui a précédé. La magie Blondie est aussi brillante que sur Parallel Lines ou sur Eat
To The Beat, et Autoamerican est une nouvelle fois un disque indispensable à toutes les
discothèques. Après une ouverture surprenante avec l'instrumentale grandiloquent de
Europa, c'est, comme à l'habitude, un enchaînement de hits non stop. Tout est sublime.
The Tide Is High, bien sûr, mais aussi le divin Angels On The Balcony, sans parler de Do
The Dark, de l'irrésistible T-Birds et du magnifique Follow Me, de l'impeccable Walk Like
Me... Et bien sûr il y a Rapture, morceau historiquement primordial, car c'est (en 1980)
le premier rap interprété par un blanc, qui plus est, par une femme ! Et des femmes
blanches qui font du rap, ma foi, il n'y en a pas des masses. En plus Rapture est une
chanson anthologique. Enfin bon bref, toujours et encore vital.
Dans le cas d'un groupe comme Blondie
l'intégrale se justifie (enfin, d'après moi) et il est de toute façon absolument
impossible de posséder une discothèque sans Parallel Lines, album aussi primordial que
Sergent Pepper, Beggar's Banquet ou Doolittle. Mais pour ceux qui aiment les (bons)
raccourcis, le Very Best Of sorti en 1991 me paraît être un bon consensus, surtout qu'il
inclut quelques hits de la période solo de Debbie Harry (oui mais alors où est Rockbird
?). Certes, je me répète mais je m'en fous, rien ne remplacera les albums, mais les
principaux tubes monstres sont là, donc ce n'est déjà pas si mal. Il y a le merveilleux
Heart Of Glass en ouverture, pas loin après il y a le formidable Call Me, et puis Sunday
Girl, Denis, Rapture, Brite Side, The Tide Is High, Hanging On The Telephone, Pictures
This, Dreaming, Union City Blue et le tant galvaudé, le tant martyrisé sur l'autel du
pognon, mais génial à jamais, Atomic. Bon, difficile d'être vraiment enthousiaste
devant un disque duquel sont absents des chansons aussi vitales que Pretty Baby ou In The
Flesh, mais bon, tant qu'à posséder le minimum autant posséder le strict essentiel. Et
comme de toute façon c'est tout un parcours du combattant pour réussir à acquérir les
albums originaux du groupe, bon nombre de gentils amateurs de musique s'arrêteront à une
compilation. M'enfin, bon, bref, arrêtons la langue de bois, démerdez vous mais achetez
TOUS les albums de Blondie, et puis mêmes les compilations, tiens, oui, voilà,
finalement ce Very Best Of est indispensable, en plus des albums, car on n'a jamais assez
de Blondie chez soi.
The Books - The Lemon of Pink
Le deuxième album de The Books se présente exactement de la
même manière que leur premier opus, le fantastique Thought For Food, des
séries de collage sonores, de bruitages, de petites mélodies, de samples ici
et là, qui fusent d'un peu partout pour créer, petit à petit, de véritables
merveilles musicales pleine de poésie et de délicatesse. La plus grand
innovation de The Lemon of Pink est sans doute la présence de parties
chantées, souvent très brèves, mais d'une grande force, comme sur la chanson
éponyme qui ouvre l'album. Pour le reste, on retrouve les sonorités folk qui
font tout le charme de The Books, guitares acoustiques, violons, banjos et
autres distorsions électroniques lointaines suffisent à créer des ambiances
captivantes. Les bribes de conversations forment parfois des échos formidables
comme sur Tokyo, Bonanza ou sur l'amusante conclusion de PS. Etrangement, on
pensera parfois à Mike Oldfield post-moderne, retrouvant la verve des Tubular
Bells premières du nom. Ou si Enya ruait dans les brancards de ces arrangements
formatés, comme sur le ravissant Take Time. La musique de The Books se fait
parfois plus sombre, plus songeuse, comme sur le magnifique Don't Even Sing
About It, qui est avant tout un instrumental folk d'une grâce rare. Sur The
Future, Wouldn't That Be Nice, la déstructuration fait tourner la tête de
l'auditeur, mais malgré tout, The Books parviennent toujours à préserver la
cohérence de leurs morceaux. On pourrait parler de petit miracle en évoquant
la musique de The Books, tant leur univers est toujours au bord de l'abstraction, du chaos, de l'abscons et reste pourtant immédiatement
accessible et adorable. Et d'une richesse de sentiments incroyables. The Lemon
of Pink, quasiment sans paroles intelligibles parvient ainsi à être drôle,
émouvant, inquiétant, doux, dynamique, rêveur, étonnant et rapidement
indispensable.
Non, le Big Georges n'est pas un intrus
après le Kult ou Emperor, le Big Georges doit avoir une place d'honneur dans toute
discothèque qui se respecte. Dans son cas il est d'ailleurs bien difficile de conseiller
un disque en particulier. Je conseillerais surtout les rééditions des albums originaux
chez Philips. Ce ne sont pas les remasterisations à la mode et c'est tant mieux. D'une
part parce que c'est moins cher, d'autre part parce le son y est pas trop propre et ça
c'est chouette. Et en plus ce sont les reproductions fidèles des disques de l'époque.
Bien sûr c'est toujours assez court. Mais les premiers volumes sont purement et
simplement vitaux. Sur le premier on trouvera des perles comme La Mauvaise Réputation, Le
Petit Cheval, le sublime Le Parapluie ou le magique... non.. le Magique : Comme Hier. Sur
le deuxième ce sont des Pauvre Martin, des J'ai Rendez-vous Avec Vous, des Il n'y a Pas
d'Amour Heureux (traumatisant), des P... de Toi qui resplendissent de mille feux. Sur le
troisième outre l'Auvergnat ou Auprès de Mon Arbre, il y a peut-être la plus belle
chanson interprétée par Brassens, Le Testament. Et ainsi de suite jusqu'au volume 15.
Que du 20/20.
- Jacques Brel : Infiniment
Énième compilation de l'œuvre du "grand
Jacques", oui mais celle-ci est double, très complète (40 titres, que des
classiques), dotée d'un son exceptionnel et elle contient les fameux 5 inédits
inachevés par l'artiste (mais peut-être y en a-t-il d'autres qui dorment
quelque part ?). Avouons-le, ces inédits, placés dès l'ouverture du premier
disque, ne sont pas à la hauteur des grands chefs-d'œuvre du chanteur. Ils
donnent surtout dans la redite et sont avant tout des documents, parfaits pour
les complétistes. Sinon, par ailleurs, les monuments sont là. Toujours avec
leurs qualités bouleversantes (l'interprétation et les textes de Brel) et
leurs défauts parfois bien gênants (essentiellement des arrangements pompeux
et inutiles). En fait, le problème est simple, face à l'intensité de
l'interprétation, pourquoi ajouter et rajouter tant de cordes, de cuivres et
d'explosions orchestrales qui noient les morceaux jusqu'à la défiguration ? On
ne sait pas. Il y en a à qui ça plaît. C'est la démarche exactement opposée
à celle d'un Brassens (résolument contre les arrangements orchestraux, à
part, une fois, pour une film, et pour le magnifique Heureux Qui Comme Ulysse,
avec des cordes très discrètes). Alors, non, finalement, l'émotion est encore
plus présente chez Brassens, sa guitare et son violoncelle. Mais à part cette
petite remarque, les qualités des chansons de Brel emportent presque à tous
les coups le cœur de l'auditeur. Certaines chansons font verser toutes les
larmes du corps (Jojo, J'arrive, Les Vieux, La Chanson des Vieux Amants, Ne Me
Quitte Pas, Le Moribond...) et d'autres ne cessent d'amuser, d'enthousiasmer,
d'impressionner par leur prestance, leur maestria (La Chanson de Jacky,
Amsterdam, Bruxelles, Ces Gens-là, Mathilde, Vesoul, Au Suivant, etc...).
Aller, il n'y a pas grand chose à ajouter, aucune discothèque ne peut se
passer d'un minimum de Brel, et le minimum est ici.
On aimerait détester ce disque. On
aimerait étaler ses défauts à la face du monde. On aimerait briser le charme. On
aimerait exploser le mythe, déboulonner la statue, raser la cathédrale de verre. Tout le
monde aime cet album, récemment élu par les lecteurs des Inrocks meilleur disque des 25
dernières années (ce qui est totalement délirant, il faut l'avouer). Délirant, oui,
mais compréhensible. Grace n'est-il pas le disque parfait par le gars parfait ? On
aimerait haïr Jeff Buckley, ce fils de son père, à la voix sublime. Ce type tellement
parfait qu'il a même réussi à tirer si injustement sa révérence avant même de
commencer à rouiller. Un album, pas plus, moins encore que Nick Drake ou que My Bloody
Valentine. Un album que la jeunesse post-moderne écoute avec la même béatitude qu'un
groupe de mystiques en extase. Sur la reprise d'Hallelujah ou sur Corpus Christi Carol, on
frissonne, tout cela est trop beau pour être honnête. Car Grace n'est pas un disque
lisse et propret, ni un brûlot punk produit à la machette, merveilleusement il est au
"milieu". On aimerait faire preuve de mauvaise foi et affirmer que ce disque ne
nous fait rien, que finalement c'est un bon truc mais sans plus, alors que l'on sait
pertinemment que c'est un "dark crystal", une clef de voûte qui n'est pas le
plus beau disque de la planète, loin de là, mais dont l'aura n'est pas prête de
s'affaiblir. Héros romantique d'une époque qui croyait se tamponner des héros
romantiques, Jeff Buckley ne nous a laissé aucune alternative. On s'agenouille devant sa
Grace et on se tait.
- Kate Bush :
Hounds Of Love (1985)
1985. Le cur du Trou Noir des
années 80. Cure atteint la notoriété en baissant sa culotte, Madonna cumule les places
dans les charts, les Clash sont morts et enterrés dans la fosse commune, la musique
électronique ne se remet pas de l'endormissement de Kraftwerk, les tops sont dominés par
la pop à base de boîte à rythme et de synthés à bretelles et par le hard rock
lourdaud, une génération entière de petits étudiants s'apprête à noyer son
désespoir légitime dans les bras des Smiths et de New Order, mais il reste encore de
beaux jours aux imitateurs de Frankie Goes To Hollywood, de Queen et de la Ciccone. Au
milieu de ce marasme va se glisser, avec un succès commercial imprévisible, l'une des
perles les plus sous-estimées et les plus oubliées des 80's. Cette perle c'est Kate
Bush, déjà connue pour un sublime premier album (The Kick Inside) et une poignée de
jolies choses ayant reçues un bon accueil public et critique. 1985 est l'année Kate
Bush. Au moment où les tops croulent sous les horreurs et que commence la dictature de la
Madonne, Kate Bush impose au sommet des charts le grandiose Running Up That Hill,
profession de foi d'une chanteuse passionnante. Running Up That Hill utilise tous les
affreux instruments de son temps (batterie bourrée d'écho, synthés fauchés...) mais de
façon totalement inattendue. La batterie résonne avec menace comme sur Pornography de
Cure, les synthés deviennent effrayants et au-dessus du chaos règne la voix passionnée
de Kate Bush et ses paroles poétiques. Secondé par un clip de toute beauté, Running Up
That Hill est l'une des plus belles chansons des années 80. Elle ouvre l'album Hounds Of
Love et la suite ne déçoit pas, bien au contraire, au fil d'un disque concept ambitieux
et délicat. Imprévisible, parfois effrayant (Under Ice, Waking The Witch), mystérieux
(Hello Earth), romantique, intelligent, enthousiasmant, original, et la liste des
adjectifs pourrait s'allonger à l'infini. En particulier pour qualifier la seconde
moitié du disque, où s'entremêlent folklore, production démente, churs
liturgiques, murmures et silences, violence et émotion. Cet album, on vous l'a caché,
c'est l'un des plus grands trésors des années 80. On vous a menti au sujet de cette
décennie "pestiférée", entre London Calling et Surfer Rosa, il s'est passé
plein de choses et pas que des choses vaguement underground ou gentiment cultes, non, au
sommet des ventes, il y avait aussi des diamants noirs. Kate Bush, dont on peut aussi
conseiller haut et fort le Sensual World, mérite sans l'ombre d'un doute sa place dans la
discothèque idéale. A noter que dans les remerciements de Hounds Of Love, Kate cite
Terry Gilliam. Et oui, car en 1985, c'est bien la même Kate Bush qui nous chantait
"Brazil" dans le chef-d'oeuvre du même nom. Je ne sais pas quoi ajouter pour
convaincre les plus réticents, dont je me tais et je le remets dans la platine.
PS : Achetez aussi impérativement The Kick Inside (pour Moving, The Man With The
Child In His Eyes, Wuthering Heights et la chanson titre) ainsi que The Dreaming (pour
l'ensemble de l'album, expérimental et indescriptible). Merci de votre attention.
- John Cale : Paris
1919 (1973)
On oublie un peu trop souvent que le
plus beau disque jamais délivré par un ex-Velvet Underground, c'est celui-ci. On oublie
aussi assez souvent que John Cale, s'il n'a que co-écrit Sunday Morning, a par contre
été le plus sympathiquement actif une fois le cirque largué. Producteur inspiré
pour/par plein de monde (de Nico à Siouxsie, tiens, donc...) et artiste solo prêt à
faire tout et n'importe quoi. S'il peut se vanter d'avoir largement participé à l'une
des poignées de disques les plus importants du siècle (le Velvet du début jusqu'à
White Light White Heat), John Cale a aussi composé, chanté (mais pas produit... hé hé
hé, j'y reviendrais) l'un des 10 plus beaux albums des années 70 (une broutille, quoi),
contenant l'une des 10 plus belles chansons des années 70 (Paris 1919, trois fois rien,
quoi). Dans ce disque : 9 chansons courtes, magiques, sublimes, dans tous les styles (dont
un rock violent avec Macbeth...). La bande son d'un univers "décadent",
délicieux, poétique, unique, intemporel. Derrière les manettes, il y a le fameux Chris
Thomas, toujours sur les bons coups, c'est bien connu. Paris 1919 est une certaine idée
de l'album parfait et il est toujours aussi troublant de le réécouter aujourd'hui car il
n'a pas pris l'ombre d'une ride (à l'inverse des uvres d'un certain Lou Reed, ah
zut, ça y est, on l'a dit...). Ah oui, mais attention, chez Lou Reed, y a des
chef-d'uvres aussi. De Berlin (dont la fameuse super-production a plutôt joué en
sa défaveur avec le temps) à... hum... Songs For Drella (celui de la réconciliation
avec John Cale...). Mais, il n'y a rien d'aussi délicat, d'aussi "musical" que
Paris 1919. Lou Reed se complaît dans son personnage trash qui raconte des histoires
trash, John Cale a depuis longtemps dépassé ce stade. Paris 1919 est un Chef-d'Oeuvre et
l'un des quelques vrais indispensables de cette discothèque idéale (fichtre ! j'ai
vendu le morceau !)
On se méfie souvent (et à juste raison) de la pop music qui
vient du Nord. Ces gens ont définitivement été traumatisés par le succès monstrueux
de Abba. Depuis la disparition du rouleau compresseur suédois, bon nombre de groupes pop
ont essayé de reprendre le flambeau avec plus (Aqua) ou moins (Ace Of Base, Steps) de
bonheur. Les premiers albums des gentils suédois des Cardigans tentaient un panaché
entre la sucrerie d'Abba et la pop anglaise 60's. Avec une réussite des plus aléatoires.
Pour un album vraiment sympathique comme Life (avec au programme les merveilleux Carnival
et Rise and Shine) directement issu d'un épisode des Avengers, on devait subir la
séquelle inutile, First Band On The Moon, dans lequel la voix de Nina Persson, toujours
à la limite de l'horripilant, n'arrivait pas à nous faire digérer l'affreux Lovefool.
Mais il ne fallait pas désespérer. Les réelles qualités mélodiques découvertes dans
les premiers essais du groupe, n'était pas de simples coups de chance. Avec ce Gran
Turismo dont on n'attendait pas grand chose, la bande à Nina transporte ses influences
60's du côté obscur de la pop. L'effet est surprenant et vient à la fois donner une
âme à leur musique et aérer les fonds de placard où dort le trip-hop. Pour preuve, le
divin Paralyzed qui ouvre l'album. On a la fois les brumes des forêts du cercle arctique
et la voix enfin sublime de Nina Persson. Entre légèreté à la Hooverphonic et ruptures
brutales héritées de Massive Attack, les Cardigans plonge la plus pop des pops dans le
bain d'acide. Le résultat est carrément fabuleux, dopé par une production qui n'est pas
sans rappeler le travail de Badalamenti pour Julee Cruise et Marianne Faithful. Et ce
n'est pas tout, car aux "love me, love me" du précédent album, répondent des
textes de toute beauté, démonstration : "This is where your sanity gives in and
love begins Never lose your grip don't trip don't fall you'll lose it all The sweetest way
to die". C'est tout simple, dans Gran Turismo ce sont toujours des chansons
d'amour, comme au bon vieux temps, mais des chansons d'amour "adultes". Après
l'excellent single Erase/Rewind, l'étonnant Explode offre une bonne claque à la déprime
adolescente (nouvel exemple : "It's a shame what they do to
us all, can we do anything for you now ?"). A l'image de la superbe pochette, le
disque joue sur les clairs-obscurs, entre le blanc le plus pur et les ombres. Aube ou
crépuscule, le disque avance effectivement au cur des nuages avec une grâce qui ne
cesse jamais de surprendre. Et il n'y a vraiment rien à jeter. Pas une seule chanson ne
serait-ce que "faible". D'autres preuves ? L'hallucinant Hanging Around, dont
l'alchimie tient du miracle, rarement on a vu ténèbres aussi lumineuses. Comme je n'ai
pas la place de faire un sort digne à toutes les chansons, je prends encore la peine de
dire que My Favourite Game était le meilleur single de l'année 98 (à la droite du This
Is Hardcore de Pulp), que l'on se demande encore comment un groupe, qui se prenait encore
pour Abba il n'y a pas si longtemps, a pu délivrer une chanson comme Do You Believe. Et
on atterrit en douceur sur Junk Of The Hearts (aller, un dernier tour de lyrics pour la
route : "I've given all of me and you crave for more Weird how this makes us feel
insecure that's what friends are for"). Et tout cela dans une débauche
mélodique jamais prise en défaut. Encore un disque que j'avais un peu trop vite écouté
au moment de sa sortie et qui a gagné lentement mais surement une place d'honneur dans la
discothèque idéale. C'est très bête à dire, mais il le faut : achetez cet album !
Améliorant la potion magique de notre ami
Beck, le collectif Bran Van 3000 explose les étiquettes et délivre ce qui restera comme
l'album le plus réjouissant de l'année 98. Boosté par un tube hénaurme et sublime,
Drinking In L.A., Glee est un disque qui déborde d'idées, de mélodies, d'humour, de
petits refrains irrésistibles, de perles hip-hop post-moderne et surtout d'une énergie
qui ne faiblit pas une seule seconde au fil des 19 morceaux. Pas de problème, on en
aurait bien pris pour un double album roseu. Voilà un disque qui ne payait pas de mine,
qui m'a impressionné lors des premières écoutes mais qui m'a littéralement achevé sur
la durée ; plus d'un an plus tard, Glee revient encore souvent sur la platine. Et je ne
suis pas près de me lasser de Problems (in tha face), de Forest (brillant), de Rainshine
(incroyable), de Cum On Feel The Noise (enthousiasmant), de Exactly Like Me (délicieux),
de Everywhere (adorable), de Old School (formidable), de Willard (merveilleux), de
Supermodel (superbe), de Mama Don't Smoke (divin)... Voilà, rien à jeter, Glee est LA
bande son, fourre-tout et incroyablement digeste, d'une fin de millénaire optimiste. Un
anti-dépresseur miraculeux pour tous et toutes.
- Leonard Cohen : Songs of
Leonard Cohen (1968)
De la carrière
musicale inégale de Leonard Cohen, le premier album se dégage avec une force
qui surprend toujours autant. Contrairement à ses oeuvres plus récents telles
que The Future ou I'm Your Man, la musique ne dessert pas du tout les textes, au
contraire, elle renforce leur poésie, leur mélancolie, leur intelligence, leur
vérité coupante comme un rasoir. Les dix chansons du disque sont des
classiques. Et au moins la moitié d'entre elles sont des chefs-d'oeuvre
absolus. La délicatesse de Suzanne, la puissance de Master Song, la grâce de
Winter Lady, la perfection du sublime The Stranger Song, la tristesse nuancée
de Hey, That's No Way To Say Goodbye, la conclusion bouleversante de One Of Us
Cannot Be Wrong, chaque instant de cet album flirte avec le génie. Bien sûr,
la plus grande force de Leonard Cohen, ce sont les textes, d'une qualité
littéraire unique. Mais sur cet album, l'adéquation entre la voix grave,
parfois dure, souvent mélancolique de Cohen et les arrangements complexes mais
discrets, qui feront penser par exemple à Nick Drake ; cette adéquation n'est
jamais prise en défaut. Et surtout, ce que nous raconte Leonard Cohen ne peut
que nous toucher en plein coeur. Ce premier album est un disque de changements,
de choix, de remises en question. C'est un album errant, incertain, tourmenté
et pourtant très abordable, follement délicat. Un classique totalement
indispensable.
Musique d'Angelo Badalamenti, textes de
David Lynch, la plupart des chansons de Twin Peaks sont présentes.
Un album unique et magique, qui semble flotter en apesanteur comme la voix hallucinante de
Julee Cruise. Le disque parfait lorsque la nuit tombe, le bruissement du crépuscule
résonne sur des Merveilles telles que Mysteries of Love (de Blue Velvet) ou Into The
Night. Et les lumineux Falling et The Nightingale ne sont que les derniers feux du soleil
couchant. Et le Divin The World Spins conclut ce disque parfait sur une ultime note de
douceur ténèbreuse. Tétanisant de beauté et de riche délicatesse.
Musique d'Angelo Badalamenti, textes de
David Lynch. Si Floating Into The Night était la voix des ténèbres, cette voix de
l'amour est celle de l'incendie et de ses conséquences. Les quatre premiers morceaux de
l'album ne sont pas au niveau de l'album précédent, la sur-production de Badalamenti les
uniformisant dans une étrange alégresse éthérée. Mais le fabuleux Up In Flames
annonce la seconde moitié du disque qui, elle, est imprévisible et magique. Le Sublime
Until The End Of The World est sans aucun doute l'une des plus belles chansons du monde et
justifie à lui seul l'achat de cet album fascinant. Sans parler des versions chantées de
deux des thèmes principaux de Fire Walk With Me, le
chef-d'oeuvre de David Lynch. Et la présence de Questions In The World Of Blue qui
tirerait des larmes à une statue.
Deutsch Amerikanishe Freundschaft, dit
DAF, est un boys band de l'enfer. Les deux allemands, Gabi Delgado Lopez et Robert Görl
se dirent, au début des années 80, que le succès de Kraftwerk était bien intéressant
et qu'il y avait un filon à exploiter avec ces merveilleux synthétiseurs et autres
boites à rythmes. DAF voulait, sans doute, comme Suicide, faire du disco. Ils ont juste
réussi à populariser l'electro, le côté obscure de la dance. Résultat : un disque
effrayant, assez proche du premier Suicide mais avec le son froid de Kraftwerk. Certes la
voix de Gabi rappelle très souvent celle d'Alan Vega mais DAF a quelque chose d'unique.
Pas uniquement la langue allemande, dure et coupante, pas seulement l'attirance pour les
dancefloors malsains, non, DAF possède un sens de l'envoûtement qui marque, qui choque,
qui enthousiasme. Sur Alles Ist Gut, il n'y a que des tubes. Le génial Der Mussolini,
bien sûr, mais aussi Sato-Sato, Der Räuber Und Der Prinz, Alle Gegen Alle, Alles Ist
Gut. Des tubes d'un autre monde, perdus au milieu de trucs vraiment effroyables à l'image
de Rote Lippen et Ich Und Die Wirklichkeit. DAF avec ses sons antédiluviens et ses airs
de Suicide germanique, fait encore aujourd'hui passer Rammstein pour la Bande à Basile.
Grand groupe, grand disque (récemment remasterisé, pour vraiment avoir l'impression
d'être aux portes de l'Enfer). La preuve, pour la tournée 99 des Creatures, c'est cet
album qui est diffusé pour faire patienter le public.
Il paraîtrait
très bête de vous dire que c'est le plus beau disque du monde (hors musique
classique, bien sûr). Oui, cela semblerait bien bête. Pourtant c'est ce que je
crois. Depuis la toute première écoute, Five Leaves Left est l'album qui m'a
le plus touché dès le début, dès les premières minutes. Tout chez Nick
Drake fait frissonner le coeur et l'âme. Sa voix, grave et douce en même
temps, toujours un peu triste. Ses paroles, mélancoliques, poétiques au sens
le plus noble du terme, errantes, émouvantes. Sa musique, d'une maturité
folle, d'une grâce déchirante que pas même un Jeff Buckley n'a pu approcher.
Et il y a la tragédie qui couve sous la surface faussement calme de ses perles
mélodiques. La mort précoce, cruelle, injuste, après un dernier Pink Moon
sublime. Mais ce Five Leaves Left demeure très certainement le plus abouti, le
plus bouleversant des premiers albums. On ne cesse de se questionner. Quel
magicien, quel être fantastique avait pu donner à cet homme l'inspiration
nécessaire pour écrire une chanson comme Day Is Done ?
- Ian Dury & The Blockheads : New Boots and Panties
Du regretté
Ian Dury, il est un peu outrageant de conseiller une compilation, mais en même
temps, c'est bien là le minimum vital pour découvrir et adorer ce génial
compositeur de perles pop comiques et déjantées. Entre l'immortel hymne Sex
& Drugs & Rock'n'Roll qui rebondit dans tous les coins comme une
superballe et des délires aussi irrésistibles que I Want To Be Straight, Hit
Me With Your Rythm Stick ou Dance of the Crackpots, tout est génial, tout est
à reprendre en chœur. Chaque chanson de Ian Dury commence de manière fort
classique, on a même un peu peur, à l'écoute des instruments fort datés bien
souvent, de tomber sur une vilaine rengaine des années 80. Mais nous sommes là
à des années lumières de Sting ou de Phil Collins. Il suffit de croiser une
seule fois dans son existence le monstrueux Fucking Ada ou le pas bien dans sa
caboche There Ain't Half Been Some Clever Bastards, pour réaliser que le génie
de Ian Dury ne ressemblait à aucun autre. Entre gags, mélodies parfaites,
gimmicks affolants et percées sonores étonnantes, la musique de Ian Dury est
l'une des plus adorables, dingues et indispensables qui soient. Une bande son du
bonheur absolu. Tout ceci en complément de l'album phare, New Boots and Panties, cela va de soi. |