Armés de leur réputation de pestiférés de la critique et de rigolos notoires, les survivants de Queen poursuivent depuis 1991 une pseudo carrière pathétique. Queen faisait déjà marrer du temps de Freddie Mercury, et l'acharnement avec lequel on persiste à sortir des best of à la con et de faux inédits infâmes réussirait presque à faire retourner la veste des fans de la première (ou seconde) heure. Mais non, contre vents et marées, je peux l'affirmer, on peut avoir aimé et toujours aimer Queen en l'an 2000. Aimer Queen pour ce que ce groupe fut : une formidable machine à tubes hard-pop-rock portée par un showman de génie à la voix inimitable. Certes, à cause de Queen on s'est bouffé Kiss, Bon Jovi, Guns & Roses et d'autres horreurs oubliées depuis. Mais l'important ici c'est la musique et le spectacle. Et c'est tant mieux parce qu'en y regardant de plus près, on en a pour son argent.
- Queen II (1974)
Après un premier album en forme de Led Zep du pauvre, à peine sauvé par quelques coups d'éclat annonçant les futurs délires baroques (Great King Rat, My Fairy King, Liar, que du Mercury, déjà...), le Queen II réserve son lot de pépites. Essentiellement connu pour avoir motivé Axl Rose dans son "oeuvre", cet album vaut bien mieux que sa réputation débile. Car dessus il y a le brouillon de Bohemian Rhapsody en la personne de The March Of The Black Queen, grandiose pièce de hard rock pas bien dans sa tête et point d'orgue de la fameuse deuxième face mercuryenne du disque. Car Brian May fait dans le classique avec une application qu'il ne perdra jamais pour le meilleur (Father To Son, dans le cas présent) ou pour le pire (on y viendra plus tard). Par contre Mercury perd déjà les pédales et fait copuler les Beatles et Led Zep en enchaînant Ogre Battle, Fairy Feller's Master-Stroke et autres Seven Seas Of Rhye. Queen II est aussi l'un des disques favoris de Billy Corgan et il y a de quoi, dans le style : on l'a snobé à l'époque, on vous l'a caché depuis, voici un cas d'école. Un indispensable.
- Sheer Heart Attack (1974)
C'est avec cet album, de plus en plus réhabilité, que Queen devint Queen. Répétition générale avant The Night At The Opera, Sheer Heart Attack a tout du chef-d'oeuvre. A une époque où triomphe le hard rock pataud et le prog rock indigeste, Queen mélange les genres et réussit à faire tout passer comme une lettre à la poste. Alors, bon, y en a pour tous les goûts. De l'ouverture hard de Brighton Rock (May à son top), en passant par la pop décadente de Killer Queen (Mercury aussi à son top), Roger Taylor qui s'en sort pas trop mal (le hargneux Tenement Funster), il n'y a que du très bon et du génial. Brian May excelle (Now I'm Here, She Makes Me), le groupe au complet signe une petite bombe (Stone Cold Crazy) et Mercury touche enfin les étoiles avec du Beatles mieux que les Beatles (Flick Of The Wrist, Lily Of The Valley, In The Lap Of The Gods, Bring Back That Leroy Brown, In The Lap Of The Gods Revisited). Certes il n'y a pas Bohemian Rhapsody, mais en réécoutant cela de près (remasterisé au rasoir, très impressionnant), on se dit que c'est peut-être celui-là le chef-d'oeuvre de Queen. Je ne sais pas, mais dans une discothèque idéale, il aurait sans doute sa place. Enfin, ce que j'en dis...
- A Night At The Opera (1975)
C'est le plus connu, c'est peut-être le meilleur, en tout cas, même les critiques finissent par lui reconnaître des qualités, c'est dire ! Alors quoi ? Les critiques aiment Queen ? C'est louche ça ! Ne vous inquiétez, ils aiment du bout des lèvres, encore un peu réticent à se rouler sans arrière pensée dans la folie collective qu'est ce disque mutant qui disjoncte en permanence (ce n'est pas pour rien qu'ils ont repris le titre d'un film des Marx Brothers), même quand May nous fait son Led Zep (Prophet's Song, c'est aussi du n'importe quoi...). On pourra nous faire croire qu'il y a du rock "sérieux" là-dedans (Death On Two Legs, '39, Sweet Lady), il est en permanence désamorcé par un humour ravageur totalement anglais (montypythonesque, quoi), qu'il soit volontaire (Seaside Rendez-Vous, Lazy On A Sunday Afternoon, un peu comme une version gay des Beatles) ou non (I'm In Love With My Car, Taylor à son top rigolo). Et il y a les chefs-d'oeuvre absolus que sont Bohemian Rhapsody (un morceau des années 70 qui n'a pas pris l'ombre d'une ride, étonnant, non ?) et Love Of My Life (qui ne cessera jamais d'émerveiller les personnes de très bon goût qui se rient bien des barbares et de leurs albums de Muse).
- A Day At The Races (1976)
Resucée plus ou moins explicite de A Night At The Opera (le titre dit tout, c'est un vrai-faux double album). A Day At The Races est effectivement directement dans l'esprit du disque précédent. Et au lieu de nous l'avoir servi en double indigeste, la séparation permet à A Day de ne pas trop souffrir de la comparaison forcément à son désavantage. Pourtant, même si c'est assez nettement la même chose, il reste des pépites d'une taille peu commune. Que ce soit le lyrique Take My Breath Away, l'énergique et crétin Tie Your Mother Down (décidément, May ne se refait pas), l'épique Somebody To Love (Mercury savait tout faire pareil et mieux que les autres, on ne va pas se plaindre), Good Old Fashioned Lover Boy et même le pesant Teo Torriatte dédié aux fans japonais (bah oui, Queen était et reste "big in japan"). Oui, alors, bon, celui-là on vous pardonnera de ne pas vous ruer dessus. Mais quand même...
- News Of The World (1977)
L'autre grand classique du groupe, écrasé sous le poids de ses deux hymnes. Un bien lourdaud (bien May, quoi), We Will Rock You et un autre très aérien mais servi depuis à toutes les sauces, We Are The Champions. Ne vous y trompez pas, le reste de l'album est largement aussi bien, si ce n'est meilleur. Il y a une punkitude marrante (Sheer Heart Attack), du hard rock déjà obsolète (It's Late), une ballade guimauve (Spread Your Wings, le clip "Queen à la neige dans le jardin" est une splendeur kitsch), et du Mercury qui perd les pédales et fait n'importe quoi avec un génie sans faille (Get Down Make Love qui permettra 15 ans plus tard à Trent Reznor d'inventer le "son" Nine Inch Nails et My Melancholy Blues). Bon, y a à jeter, mais dans l'ensemble, c'est très correct.
- Jazz (1978)
C'est l'album de transition. Pour la dernière fois Queen se vante de se passer de synthés. A partir de The Game, ça sera la débauche inverse. Sur Jazz, il y a encore des restes du hard rock d'origine (le grotesquement grandiose Fat Bottomed Girls et Dead On Time), mais c'est enfin l'esprit Rocky Horror Picture Show qui prend le dessus. C'est franchement n'importe quoi, c'est du cartoon du début à la fin (Mustapha jusqu'au débile More Of That Jazz). Il y a un hymne génial dédié au vélo (Bicycle Race, inimitable), de la ballade décalée (In Only Seven Days), du disco-rock (Fun It), de la profession de foi version poids lourd (Let Me Entertain You) et un chef-d'oeuvre absolu sous la forme de l'une des plus belles chansons pop du 20e siècle, Don't Stop Me Now. Et ceux qui ne veulent jamais acheter de compil, sont donc obligés d'acquérir Jazz, juste pour cette apothéose 100% Mercury.
- The Game (1980)
Après un live diablement électrique et fort intéressant, Queen cède et remplit ses albums de synthés couinants. Ca devient encore plus n'importe quoi et beaucoup resteront sur le bord de la route. On a droit à de l'opéra-pop-disco (Dragon Attack, Save Me), à de la pop qui fait des bulles (Crazy Little Thing Called Love, Play The Game) et du bordel néo-post-pré-moderne (Don't Try Suicide, Rock It, Coming Soon) avec au milieu une gâterie de Deacon qui fit grand bruit et qui reste pour l'éternité un hymne fédérateur aussi bien musicalement que socialement : Another One Bites The Dust. Si vous avez de l'humour, du courage et un amour pour la pop, vous ne pouvez que craquer.
- Hot Space (1982)
J'évince consciemment la BO de Flash Gordon, très exigeante au niveau du sens de l'humour de l'auditeur (des dialogues de ce monstrueux et jouissif nanar mixés avec des hurlements de Drag Queen en chaleur, fichtre !). Et on arrive à l'album le plus méconnu et le plus mal aimé de Queen. Bah c'est du funk et du disco. Alors ceux qui ont un jour pris Queen au sérieux (là est l'erreur) ont hurlé au scandale, les autres s'en sont foutus, et ceux qui restaient (dont je fais partie), ont bien remarqué qu'au niveau mélodie, y avait encore de beaux restes et que dans le style dance-funk, ma foi, c'est un grand disque. Alors ? Alors, un groupe qui change de style à l'intérieur même de ses chansons à bien le droit de tout essayer (certes Queen a toujours essayé de s'accrocher au wagon qui marchait le mieux, bah oui, mais après je te dis pas le bordel qu'ils mettaient dans le wagon). Pour le funk, ce fut le grand ménage. Tout y passe. En particulier le côté sexy avec un Body Language qui parodie avec un plaisir communicatif toute la charge sexuel du disco-funk. Alors bien sûr, on peut très mal le prendre (n'allez pas chercher des sous-entendus à la con dans ce que je dis... quoique...). Mais ça fait du bien par où ça passe (bah tiens !). Hot Space c'est vraiment de la folie en branche avec en bonus le duo avec Bowie (lui aussi il est ridicule mais il ne fait pas exprès), Under Pressure, très bien même si un peu chiant quand on le connaît par cœur. Queen sans Bowie c'est mieux et Bowie sans Queen c'est moins drôle et pas forcément aussi bien....
- The Works (1984)
Du mutant ! Du mutant ! Partout du mutant ! Queen met tout dans le chaudron (rock, métal, pop, dance, disco, pop), fait chauffer à blanc et attend que ça lui pète à la gueule. Et ça loupe pas. Ca explose et ça fait un joli feu d'artifices. The Works est l'un des grands monuments baroques des années 80, décennie qui faisait n'importe quoi au niveau zique et cet album en est presque l'apothéose. Ca commence avec Radio Ga Ga et on comprend que le Ga Ga n'est pas usurpé. Ca continue avec du gros hard rock (Tear It Up) et une ballade baroque grandiose (It's A Hard Life). On se retrouve avec du pop-rock dézingué (Man On The Prowl), et de la techno-pop malade (Machines). Un hymne gay, libre, poilant et indispensable (I Want To Break Free), de la pop qui a des ailes (Keep Passing Through The Open Windows), du hard à l'ancienne (Hammer To Fall) et une ballade humanitaire aussi belle que dérangée du cerveau (Is This The World We Created ?). The Works est une folie, et ma foi, c'est un album dont je ne me lasse pas.
- A Kind Of Magic (1985)
La bande originale de Highlander (film symbole des années 80, s'il en est) est une apothéose. Une superproduction percutée de la cafetière, totalement au 36e degré qui fait copuler une musique souvent splendide avec un humour surréaliste plus ou moins involontaire. On a droit à du heavy métal FM (One Vision, le formidable Gimme The Prize), de la ballade funk perverse (One Year Of Love et l'impensable Pain Is So Close To Pleasure), de la rengaine pour les stades (Friends Will Be Friends), de la pop parfaite (A Kind Of Magic), de la ballade élégiaque et prophétique (Who Wants To Live Forever) et du pop-rock qui fait encore rêver (Princes Of The Universe). Bah, oui, c'est un grand disque, c'est du Queen.
- The Miracle (1989)
Toujours plus FM, mais déjà proche de la fin, Queen prépare le final avec cet album parfois lourdaud et souvent délicieux. Après une ouverture en costaud qui tente de reproduire les grands moments des années 70 avec le son des années 80, l'album enchaîne les tubes. Le bien mignon The Miracle, l'irrésistible I Want It All, le dansant The Invisible Man, et l'entraînant Breakthru. Le funk de Rain Must Fall et de My Baby Does Me est assez redondant. Mais il reste l'excellent Scandal et le chef-d'oeuvre Was It All Worth It. Queen avait déjà gardé le meilleur pour la fin et cela allait se confirmer avec l'ultime album.
- Innuendo (1991)
Grand disque douloureux, formidable tour de force créatif, à la fois bouleversant et toujours aussi drôle, Innuendo est peut-être le plus grand disque de Queen, toutes périodes confondues. Que des perles et des diamants. Et une sorte de grand best of d'une carrière aussi jouissive qu'attachante. Mercury nous dit adieu et ce n'est pas pathétique c'est juste enragé, émouvant et grandiose. On lui demandait du Graham Chapman, il nous fait du Ken Russell, ou du moins il nous fait un mix entre les deux. Rien à jeter sur cet album purement indispensable, en particulier si vous devez n'en prendre qu'un. Il y a le morceau titre, épique, lyrique et étrangement délicat. Il y a la folie douce de I'm Going Slightly Mad, le rock référentiel de Headlong, la perfection de I Can't Live With You, la tristesse de Don't Try So Hard, la fougue touchante de Ride The Wild Wind, les chœurs de All God's People, la magie de These Are The Days Of Our Lives, la poésie décalée de Delilah, la violence de Hitman, le cristal de Bijou et enfin, et oui, il y a The Show Must Go On et on ne rigole plus, on conclut, en mourant sur scène, forcément, en clown ou en rockeur, peu importe, le spectacle continue. Malheureusement, le spectacle continua et même si je peux fortement conseiller, soit le double live à Wembley 86 pour les fans en devenir, soit les deux Greatest Hits qui sont le minimum vital pour les gens pressés, je préfère me taire sur ce qui se déroula après 1991. En particulier l'affreux Made In Heaven, machin bidouillé avec des faces B, d'anciens morceaux écartés à l'époque et même des extraits de l'album solo de Mercury (!!???!!!). Du n'importe quoi gravissime, présenté sous un emballage ignoble et des clips hideux. Comme Superman, Queen n'aurait jamais dû se prendre au sérieux. Sans Mercury, forcément, c'était cuit, les autres allaient se prendre pour des Artistes et ça allait devenir pathétique. Cela ne loupa pas. Et il vaut mieux écouter Barcelona que Made In Heaven.