La Secrétaire
de Steven Shainberg
Vous avez un coeur de midinette mais vous n'osez pas le montrer. Vous êtes
une fleur bleue mais vous ne savez pas comment l'exprimer. Vous aimez aimer,
mais pas comme dans les comédies à l'eau de rose que l'on vous propose
habituellement. Les Meg Ryan et autres Julia Roberts vous horripilent, vous ne
voulez plus que Hollywood et la collection Arlequin vous dictent leurs normes du
romantisme. Vous ne vous reconnaissez ni dans Titanic ni dans Sex in the City,
la niaiserie de ces oeuvres vous désole. Rassurez-vous, vous n'êtes pas les
seul(e)s et la Secrétaire est faite pour vous, car, enfin, on nous propose une
histoire d'amour différente, répondant souvent aux critères de la comédie
romantique, mais sans jamais verser dans la plus saccharinée des guimauves. Au
contraire, quand on pense que le sujet s'apprête à succomber à la morale, il
bifurque avec délectation vers les chemins de traverse.
La Secrétaire est un conte pour adultes pas sages, une douceur pour amateurs
de plaisirs dans la douleur. Nous découvrons donc une relation sado-masochiste
au sens le plus noble du terme, au fil de laquelle se construit un équilibre des
forces, les rôles de maître et d'esclave apprenant à s'échanger et
les vices à s'assumer pleinement, épanouissant ainsi l'histoire d'amour des deux
protagonistes. Présentés comme névrosés (et carrément psychiatrique dans le
cas de la demoiselle), ils trouvent dans les jeux d'humiliation, de provocation
et de punition la plus libératrice et la plus juste des manières d'exprimer
leurs désirs. Les conventions sont balayées tout naturellement, c'est un bonheur
de voir ladite secrétaire se métamorphoser et passer de victime de son existence
étouffante à maîtresse de ses fantasmes.
Mais ce qui bouleverse le plus dans ce
troublant
chef-d'oeuvre, c'est d'assister à un véritable récit de passions, parfois tendre,
parfois cruel, souvent drôle, sans doute dérangeant, décrivant les sacrifices,
les échanges, les affres et les délices de l'amour de manière inédite et
crédible. La conclusion prône l'acceptation de soi et célèbre les sentiments
sous toutes leurs formes, sans honte, sans crainte, sans souci de ce que
peuvent penser "les gens". La Secrétaire se révèle alors un hymne follement
érotique à l'affranchissement et à la jouissance d'être soi sans entraves (du
moins psychologiques...). Transcendé par deux acteurs habités, le film est un
trésor pour soirées intimes ou pour rêveries secrètes, une déclaration exquise
pour amants insatiables. |
Le Retour du Roi - version longue
de Peter Jackson
Le spectateur qui aime la trilogie de Seigneur des Anneaux se retrouve, à la fin
de la version longue du Retour du Roi, un peu dans la même situation que Peter
Jackson achevant le tournage de cette oeuvre monumentale : il ne veut plus que
l'expérience s'arrête. Le désir de voir l'aventure continuer, encore, et encore,
indéfiniment, est irrépressible. Le "point final" devrait être des points de
suspension...
Car une telle implication émotionnelle, lentement forgée sur plus de 10 heures
de pellicule, ne peut pas s'effacer en un clignement des paupières. Bien sûr, si
l'on n'est pas parvenu à entrer dans l'univers de Tolkien, revu par Peter
Jackson et Fran Walsh, tout ce que je vais écrire va paraître aberrant. Car le
Seigneur des Anneaux, comme je le disais à propos de la Communauté de l'Anneau,
est une oeuvre très fragile. Peter Jackson la présente comme "le plus coûteux
des films amateurs". Et c'est en grande partie ce qui fait son charme. Car
derrière la beauté, parfois sublime, de ces images, on devine aussi l'artisanat,
le bricolage, la débrouille, la force de la passion qui transcendent le moindre
petit bout de décor, le moindre costume rafistolé, le moindre effet spécial un
peu bancal, en un émerveillement. C'est cette sincérité évidente qui parvient à
éblouir et à toujours faire oublier les multiples défauts de ces films.
Car des défauts, il y en a. Certainement. Évidemment. Même si, à nouveau, la
version longue du Retour du Roi transforme la merveille découverte en salle en
véritable chef-d'oeuvre, elle ne gomme pas certains problèmes. Problèmes dont
les créateurs du film sont souvent tout à fait conscients, comme l'expliquent
les passionnants commentaires audio présents sur le DVD (celui de Jackson, Walsh
et Boyens est aussi instructif, drôle et touchant que parfaitement
indispensable). Oui, le réalisateur avoue qu'il n'a jamais bien su comment
intégrer l'armée des morts au sein de l'histoire, et même au sein du visuel du
Retour du Roi. Oui, Sauron n'est pas assez menaçant et l'Oeil n'est pas un
"mirador" très crédible. Oui, des scènes géniales ont du être évincées de la
version courte, rendant parfois le film incompréhensible pour ceux qui n'ont pas
lu les livres. Mais ces remarques n'ont que très peu d'impact face aux réussites
uniques qui composent l'essence du métrage.
Rien n'égale en effet la majesté dantesque de la charge des Rohirims sur les
champs de Pelennor. Rien n'est plus touchant que le dernier échange entre
Theoden et Eowyn. Que Sam devenant enfin le héros de l'histoire en prenant
Frodon sur ses épaules. Que Gandalf évoquant les Havres Gris et cette vision
aussi naïve qu'émouvante de l'Au-Delà. Le Retour du Roi parvient, encore plus
que les deux précédents volets, à ménager scènes intimistes délicates et visions
épiques délirantes. Avec comme excellent exemple, la charge suicidaire des
cavaliers du Gondor menés par Faramir au son de la chanson que Pippin interprète
à Denethor ravagé par sa folie.
Le Seigneur des Anneaux dans son ensemble, et d'autant plus grâce aux versions
longues, déborde d'une intensité phénoménale, vibrante. Peter Jackson est
toujours à la limite d'en faire trop (pour certains spectateurs, c'est le cas),
mais il maintient l'équilibre. Il va jusqu'au bout de son rêve, en n'hésitant
pas à offrir plus d'une demi-heure de conclusion, dans un crescendo lacrymal qui
s'épanouit sur un tout simple plan de porte qui se referme. Une pureté étonnante
pour le plus humble des blockbusters. Et la fin idéale pour l'ensemble de la
trilogie, qui s'affirme, vision après vision, comme l'une des plus grandes et
des plus belles oeuvres de l'histoire du cinéma.
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Hedwig and the Angry Inch
de John Cameron Mitchell
Très souvent les chefs-d'oeuvre flirtent avec le ridicule. Le génie se
situant dans l'exagération qui voisine avec le grotesque pour mieux toucher
au sublime. A priori tout pouvait transformer Hedwig and the angry inch en un
monument kitsch pour amateurs de plaisirs cinématographiques très déviants.
L'histoire d'un transsexuel tout droit venu de Berlin Est, qui tente d'exprimer
ses tourments en devenant une diva rock'n'roll. Il faut avouer que sur le papier
on se situe plus du côté du Rocky Horror Picture Show que de Amadeus.
Et
pourtant, pourtant on se souvient avoir été bouleversé par les tribulations de
travestis australiens ou par les peines et les rêves d'une fan complexée de Abba.
Alors on se plonge avec candeur dans ce conte moderne. Car Hedwig, derrière son
apparence de grande oeuvre rock, voire punk, est avant tout le bouleversant
récit d'une quête identitaire douloureuse. Et le personnage principal de me
toucher immédiatement, dans sa fragilité provocante, avec ses poses entre Bowie
et Lou Reed. Cette théâtralité baroque qui ne parvient jamais à apaiser
totalement la souffrance d'être un "misfit", un "freak". Et peu à peu, passé les
premiers abords entre comique et pathétique, Hedwig révèle des blessures
attendrissantes, en se sentant trahi par le monde entier, en cherchant une unité
physique, psychologique et amoureuse à jamais perdue. Ce personnage, incarné par
l'incroyable John Cameron Mitchell,
épidermique, à vif, aussi électrique que la musique qu'il déclame ou murmure,
toujours dans la grande veine du hard-rock le plus glam, est une véritable
icône. Et pas seulement dans le sens spectaculaire de l'expression, non, c'est
une icône existentielle. Dont les questions, aussi uniques, aussi particulières
soient-elles, font instantanément échos à nos propres expériences, nos propres
croyances, nos propres doutes.
Hedwig and the angry inch est une fable, où les
histoires d'amour transcendent les genres pour acquérir une pureté surprenante.
Une délicatesse infinie se dessine derrière la trivialité apparente des thèmes
abordés, et cette délicatesse nous affecte d'autant plus qu'elle surgit de
manière totalement inattendue. Et quand on pensait ne trouver qu'un
divertissement plaisant, c'est un récit extrêmement personnel qui nous
accueille. Une oeuvre introspective, follement pudique dans son exhibitionnisme,
un mélodrame musical dans la grande lignée des Chaussons Rouges ou de Phantom of
the Paradise. Et les errances d'Hedwig de résonner avec les nôtres. Ses
colères, ses peines, sa tendresse, sa personnalité brisée, d'atteindre une
universalité qui noue la gorge. Un crescendo émotionnel qui culmine sur un final
qui laisse entre larmes et émerveillement, empli d'une joie inexplicable,
heureux jusqu'à l'enthousiasme, transporté par l'intelligence, la justesse, la puissance
vitale de ce chef-d'oeuvre inestimable.
Et d'avoir soudainement envie de faire
partager ce bonheur singulier, de parler, de rire, de charmer, de fonder un
groupe de rock, de faire du cinéma, de chanter en choeur "I put on some make
up, and turn on the tape deck and pull the wig down on my head...". De
s'accomplir en se retrouvant, d'une manière ou d'une autre.
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American Beauty
de Sam Mendes
Les
plus belles tragédies savent prendre leur source dans le plus intime pour mieux
évoquer le plus universel. American Beauty est une tragédie qui ne cache jamais
ses ambitions et sa conclusion. Dès les premières minutes presque tous les
enjeux sont posés. On y évoquera l'amour et la mort, le désir et la haine. Mais
surtout Sam Mendès veut nous parler d'identité, touchant ainsi au thème le plus
sensible et le plus essentiel de la civilisation américaine. Tous les
protagonistes cherchent à être. Simplement à être. D'une manière ou d'une autre,
par le travail ou par le sexe, par la violence ou par la drogue, par la révolte
ou par la discipline, par le corps ou par l'esprit. Chacun empile des masques et
des mensonges. Et le quotidien le mieux rodé semble être le plus sûr moyen
d'exister. Le plus sûr moyen ? Oui, sans doute. Mais aussi le plus frustrant. Un
désespoir lancinant qui va pousser l'anti-héros magnifiquement interprété par
Kevin Spacey à tout chambouler, jusqu'à n'avoir plus rien à perdre. Et trouver
la paix. Être heureux. A la fin.
Car
American Beauty est tout autant une oeuvre cruelle que d'une rare douceur. Pour
compenser la crudité des situations, le metteur en scène offre une humanité
touchante à presque tous ses personnages. Jamais il ne se moque, jamais il ne
tombe dans le cynisme. Et il met en évidence la fragilité et l'âme des
stéréotypes les plus rebattus. Même la petite bimbo blonde parviendra à nous
émouvoir. On pouvait craindre d'un tel film qu'il ne cherche qu'à choquer les
gentils spectateurs et à jouer sur le terrain des provocations les plus faciles.
C'est loin d'être le cas et on est surpris par les nuances du propos, la
sobriété de la mise en scène, la puissance retenue de la musique. Le titre
lui-même, American Beauty, passe de l'ironie à une certaine vérité. Car Mendès
dévoile la beauté au coeur de la trivialité. Et la dignité, reconquise au prix
le plus fort par Kevin Spacey, irradie le final de l'oeuvre.
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