Deathwatch
de Michael J. Bassett
Quoi de plus
terrifiant, finalement, que la guerre et la peur que chaque pas soit le dernier
? Rien. Et c'est le choix le plus judicieux de l'excellent film de Michael J.
Bassett : se concentrer sur le travail psychologique de la peur, qui a
elle-seule peut rendre fou le plus équilibré des hommes. Comme dans le Abîmes
de David Twohy, l'argument Fantastique n'est que le déclencheur des tempêtes
qui couvaient sous les crânes. Et jusqu'au bout on pourra se demander si toute
cette histoire n'est pas hallucinée par les soldats perdus dans la tranchée hantée.
Si, au final, le film trouve son fantôme, on préfèrera approfondir le
sous-texte d'une oeuvre particulièrement cruelle et éprouvante. Non seulement
on a droit à un terrible descriptif des conditions de guerre en 14-18, mais
Deathwatch offre aussi un suspens parmi les plus terrifiant de ces dernières
années. Je me plains souvent que l'on a de moins en moins peur au cinéma, et
bien avec un film comme celui-ci ou comme Maléfique, je m'incline : on flippe.
Et toujours grâce à la bonne vieille méthode : moins on en voit, plus on a la
trouille.
On ne verra donc
quasiment rien dans Deathwatch, à part deux ou trois scènes gores très
réussie. Mais on aura toujours l'impression que la mort rôde, ce qui est bien
le thème principal de l'œuvre. La mort au travail, qui guette et qui s'empare
des esprit et des corps, jusqu'à ce que l'on ne s'appartienne plus du tout. Je ne
peux bien sûr pas entrer dans les détails du film, car c'est bien là le genre
d'œuvres dont il faut dévoiler le minimum, sinon le risque de tout gâcher
devient immense. Sachez juste que vous allez vous prendre une belle claque pour peu que
vous parveniez à entrer dans les terreurs et les souffrances de ces soldats ; tous excellemment interprétés, notamment par Jamie Bell (le Billy Elliot, qui a
déjà bien grandi) et Andy Serkis (pré-Gollum, mais déjà génial dans le
rôle du soldat psychopathe). Un très grand moment de Fantastique à l'ancienne
avec de l'effroi et de l'humanité dans presque tous les plans. On espère une
sortie en salles en France en 2004, mais rien n'est moins sûr et c'est
extrêmement dommage, ce pourrait être la série B de l'année. |
Maléfique
de Eric Valette
La réussite
surprenante de Maléfique dans le domaine du cinéma
Fantastique français, fait sans doute échos à celle de Nid de Guêpes dans le
domaine du cinéma d'action hexagonal. Deux films qui visent à l'efficacité
pure et dure, dans le minimalisme et le sérieux le plus total, le tout emballé
dans un boulot d'artisan passionné et respectueux du cinéma "bis" et
surtout de son public. Bref, de la série B, oui, mais de la très bonne série
B. De celle que l'on adore et que l'on ne cesse de regretter dès que sort un
nanar made in Besson ou un effort réel mais irrémédiablement loupé à la
manière du trivial Brocéliande. Fort heureusement, le premier long-métrage d'Eric
Valette est bien loin de cela. C'est un huis-clos qui mise judicieusement sur
ses formidables acteurs et sa non moins formidable ambiance. Au début on se dit
: il ne se passe rien. Après on se dit : il ne se passe rien mais ça fait peur
dites-donc. Et enfin : oh putain il se passe quelque chose et je vais rallumer
toutes les lumières !
Bref,
on commence par être méfiant. On craint que les acteurs cabotinent, il n'en
est rien. On craint que ce soit chiant, il n'en est absolument rien, au
contraire, le film est sans doute trop court. On craint que les effets spéciaux
ne suivent pas, et là, on s'incline bien bas, ils sont impressionnants. On se
dit que l'on ne comprend pas grand chose à l'histoire et c'est vrai que dans le
détail c'est un peu le bordel, mais on saisit très vite que le détail n'est
pas l'essentiel et que Maléfique vise avant tout à l'efficacité. Et à ce niveau,
le film n'est jamais pris une seule seconde en défaut. Grâce à une mise en
scène discrète, une photographie magnifique et une musique angoissante, on n'a
pas à attendre bien longtemps pour avoir peur, très peur. Une ambiance proche
de Lovecraft (dont l'un des Grands Anciens est cité dans les incantations
magiques), qui permet à Maléfique de devenir l'un des plus effrayants films
Fantastiques français. Certes ce n'était pas bien difficile au vu de la
concurrence, mais quand même ! |
Elephant
de Gus Van Sant
Plus proche de
l'installation vidéo pour musée d'art contemporain que d'un film
"traditionnel", Elephant impressionne tout d'abord par sa forme. On ne
cesse de s'extasier devant les plans séquences éthérés d'un Gus Van Sant
ensorcelé par son sujet. L'émotion naît ainsi de ce temps sans cesse
suspendu, de la première à la dernière séquence du film. Un drame atroce,
inexpliqué et inexplicable, qui a bien lieu, mais que la mise en scène
repousse, encore et toujours, comme pour le figer. On pourra reprocher le
suspens un peu douteux que Van Sant crée à partir de ces séquences
répétées, mises en boucles, qui retardent et rapprochent, en même temps,
l'événement tragique. On pourra aussi le féliciter d'avoir ainsi décuplé
l'impact d'une conclusion déjà connue à l'avance, mais qui fait
véritablement mal, très mal.
Intouchable sur sa
forme, Elephant l'est aussi sur son propos. Car Gus Van Sant choisit la forme la
plus artificielle pour illustrer le propos le plus documentaire. Pas de point de
vue, ou presque, ce qui renforce paradoxalement le discours du film. Un discours
qui tourne essentiellement autour d'une tristesse infinie, d'une mélancolie
tenace qui imprègne aussi bien les images que la bande son. Elephant est un
film désespéré, d'une tristesse cotonneuse. Une oeuvre qui n'ose rien
affirmer, tant elle s'avoue dépassée par l'humanité. Et la modestie du propos
de Van Sant excuse en tout point la prétention formelle de Elephant. On quitte
ainsi ce chef-d'œuvre l'âme en peine et c'est bien là sa plus grande
réussite. |
Il Etait Une Fois Au Mexique
de Roberto Rodriguez
Johnny Depp
commence à se faire une spécialité de sauver, ou du moins de
"voler", les films dans lesquels il est impliqué. Je pourrais par
exemple remarquer qu'il piratait déjà brillamment le Sleepy Hollow de Tim
Burton, film visuellement admirable mais qui aurait sans doute beaucoup manqué
d'épaisseur sans la performance incroyable de monsieur Depp. Plus récemment,
tout le monde est allé voir les Pirates des Caraïbes rien que pour lui (ou
presque, ou alors il fallait être très très amoureux de Legolas) et nous
sommes nombreux à avoir, plus ou moins, apprécié le film rien que pour sa
performance. Rebelote avec Desperado 2, film incroyablement médiocre, malgré
son ambition et ses bonnes intentions. Un film de "présentation", qui
ne cesse d'accumuler les personnages pendant 1h40, sans jamais prendre le temps
(ou si peu) d'en développer un seul. De cette galère surnage de justesse un
Antonio Banderas fantomatique et un Johnny Depp hilarant pendant les deux tiers
du film, puis vraiment touchant et bourré de classe dans la conclusion du
métrage. On rêve désormais d'un Desperado 3 uniquement dédié à son
personnage d'agent de la CIA frappé de la tête. Encore plus que dans les
Pirates des Caraïbes, Depp fait son film dans son coin, sans quasiment jamais
véritablement interagir avec le reste du casting. Il s'amuse beaucoup, mais
parvient encore plus que dans les Pirates à rendre son personnage
émouvant.
Il faut dire que
niveau émotion, les Pirates des Caraïbes c'est un peu le désert. Desperado 3
ne fait pas beaucoup mieux, surtout si on pense au potentiel d'une telle
histoire de vengeance. Mais non, rien du tout, on est bien loin de Kill Bill. On
passe le temps en cherchant à reconnaître tous les seconds rôles du film
(Mickey Rourke superbe, Willem Dafoe inexistant, Enrique Iglesias (!!!), Salma
Hayek toujours aussi belle mais en "guest star", etc...). Il Était
Une Fois Au Mexique a l'ambition d'une oeuvre de 3h, une fresque à la Sergio
Leone, mais à aucun moment Roberto Rodriguez ne se donne les moyens de parvenir
à son but. Sa mise en scène roupille, son histoire ne décolle jamais, tout
cela piétine et la fin arrive quand tout devrait commencer. Et surtout, malheur
à Rodriguez, tous les duels de conclusion sont bâclés au-delà du tolérable,
voire même du ridicule. Il Était Une Fois Au Mexique s'affirme donc comme une
très jolie bande annonce d'un excellent film qu'il reste encore à tourner... |
Cannibal Holocaust
de Ruggero Deodato
De nos jours, il
semblerait que Cannibal Holocaust continue essentiellement à choquer, voire à
dégoûter, par ses scènes de meurtres et de tortures d'animaux non simulées.
C'est bien compréhensible de prime abord, mais à cela j'ai envie de répondre :
il faut tout replacer dans son contexte. Dans le contexte du film, le moment où
arrive la mort de la tortue est tout à fait logique, extrêmement symbolique et
parfaitement dans l'intensité progressive du métrage.
Ce qui est finalement "amusant", c'est que dans la version américaine
du film, la scène de la tortue est coupée mais pas la scène du viol, ni les
boucheries finales.
On va me répondre que les horreurs sur les êtres humains sont "fausses".
D'une part, on ne dirait pas, car c'est suffisamment hystérique et filmé avec
un tel réalisme que l'on veut bien y croire. Et d'autre part, un viol collectif
simulé peut avoir encore plus d'impact que le découpage bien réel d'une
tortue (personne ne semble avoir mis les pieds dans une poissonnerie, par
exemple, où l'on voit des choses bien pires que Cannibal Holocaust).
Enfin, tout cela a un sens et n'est
pas aussi gratuit qu'on a bien voulu le dire. La scène de sexe sur les cendres
du village semble flatter le côté voyeur/cul du spectateur, mais c'est pour
mieux le mettre extrêmement mal à l'aise. En tout cas j'ai été très réceptif
à ce mélange gore/sexe/outrage qui au final peut très bien être extrapolé
à l'ensemble des colonisations barbares (les espagnols en Amérique du sud, les
européens en Amérique du nord, etc...). Si on prend la peine de réfléchir 30
secondes devant les images, on se rend compte que Cannibal Holocaust n'est pas
qu'une horreur qui veut choquer à tout prix. Le discours sur la diffusion des
images du reportage tient quand même une place essentielle dans l'histoire
(c'est même le pivot de tout le film). Le voyeurisme jusqu'au bout, la barbarie
des "civilisés", cela fait déjà deux thèmes fort bien traités par
le film. Bref, ça secoue, pour le meilleur. En fait le vrai problème par
rapport à ce film, ce sont les dérivés, copies, suites qui l'ont suivi. Tous
les Cannibal Ferox et autres Anthropophagous, qui ne gardaient que l'aspect
ignoble en oubliant le discours et la mise en scène (que je trouve pour ma part
très intéressante, même le décalage entre la musique et les horreurs est très
réussi).
Avec ce film
Ruggero Deodato a poussé à son paroxysme le cinéma d'exploitation. Et à tous
les niveaux, les instincts les plus refoulés du spectateur sont
"exploités". Bien sûr, c'est très glauque (mais nous ne sommes pas
jolis à voir à "l'intérieur"). Et c'est bien ainsi que Cannibal
Holocaust s'impose comme un chef-d'œuvre. En exploitant et en exposant tout
notre "intérieur", aussi bien physique que psychique. Des tripes, du
sexe, du sang, de la violence... Faut-il montrer tout cela ou non ? Et même si
le film nous le présente bel et bien, c'est avec le but de nous faire
comprendre que l'on ne peut effectivement pas tout montrer. Et que si Cannibal
Holocaust avait été un vrai documentaire il aurait été impossible à
"exploiter". Et comme avec Orange Mécanique, que l'on peut comparer
au film sur de nombreux points, la question se pose de savoir si mettre en
scène la violence pour dénoncer la violence est la plus sage des solutions. Vu
le dégoût absolu que provoque la vision de Cannibal Holocaust, on peut juger
que le message de Deodato est parfaitement passé. Il sa su jouer avec les
règles d'un cinéma du plaisir abject, pour mieux nous mettre face à ce qu'il
y a de plus abject en nous. Immense. |
A.I., Intelligence Artificielle
de Steven Spielberg
Pour comprendre,
sans doute, le malentendu qui poursuit ce film depuis sa sortie, voire depuis
l'annonce de son tournage, il faudrait accomplir toute une généalogie. Je n'ai
pas le courage d'entrer dans les détails, mais je vais essayer de résumer,
dans le but, certainement très vain, de faire le vide autour d'A.I. pour ne
pouvoir garder que le film et rien que le film. A la base, comme tout le monde
le sait, A.I. était un projet de Stanley Kubrick, qui a travaillé de longues
années autour de son adaptation. Il a d'abord attendu que les effets spéciaux
soient assez performants pour envisager de le tourner, ce qui fut le cas à
partir de Jurassic Park. Il paraît ensuite que la vision de Ghost In The Shell
l'a un peu découragé, tant il fut impressionné par le chef-d'oeuvre d'Oshii.
Enfin, il a considéré que l'histoire était par trop sentimentale pour son
goût. Et c'est donc bien avant sa mort que Kubrick avait remis A.I. entre les
mains de son camarade Steven Spielberg. Bien que deux metteurs en scène en
apparences très éloignés l'un de l'autre, Spielberg et Kubrick s'estimaient
énormément l'un et l'autre. Le premier et l'un des plus grands problèmes
autour de A.I., c'est donc le nom de Stanley Kubrick. Le film étant sorti peu
après la mort du maître, tout le monde attendait Spielberg au tournant. Et
beaucoup de personnes étaient prêtes à tailler dans le vif avant même
d'avoir vu la première image. Le film s'est retrouvé être très attendu, mais
sans véritable bienveillance. Car même si Spielberg avait offert le nouveau
2001, on aurait trouvé à redire. Ce qui fut bien évidemment largement le cas,
A.I. ayant été mal, voire très mal accueillit, par un peu tout le monde. Les
uns le trouvait trop long, d'autres trop niais, certains y voyaient du kitsch,
d'autres de la prétention, tout le monde était consterné ou du moins déçu
par la dernière demie-heure. Bref, A.I. fut une douche froide pour la majorité
des spectateurs et fut assez rapidement oublié. Notamment au profit d'un
Minority Report qui, au contraire, remporta presque l'unanimité.
Je ne peux que
hurler à l'injustice ! A l'erreur flagrante ! Je ne peux que réclamer à toute
force la réévaluation ! Tout le monde est passé à côté de A.I.. Car ce qui
a été tellement apprécié dans Minority Report est déjà présent dans ce
film, et avec encore plus de puissance. Que ce soit au niveau des percées
visuelles ou des thèmes, tout Minority Report est là. Et tout le cinéma de
Spielberg est aussi présent en résumé. Et si l'on doit penser à un film
précédent dans sa filmographie, ce ne serait pas à Rencontres du 3e Type, ni
à E.T., non, mais bien à Empire du Soleil. Et dans mon coeur, c'est ainsi, au
fil du temps, A.I. est venu rejoindre Empire du Soleil au titre de mon Spielberg
favori. Oh ! Ce n'est pas de la mauvaise foi ! Ce n'est pas de l'esprit de
contradiction ! J'aime ces deux films avec passion et ce, depuis le tout début,
ou peu s'en faut. Je parle d'Empire du Soleil ailleurs sur ce site, donc je ne
vais pas y revenir.
A mes yeux, les
qualités de A.I. sont innombrables. Esthétiques, tout d'abord. Avec une mise
en scène audacieuse et un travail sur la lumière absolument sublime (qui
trouve pour l'instant son apogée avec le nom moins magnifique Arrête-Moi Si Tu
Peux). Avec une musique très touchante et relativement discrète (pour du John
Williams). Avec des effets spéciaux très impressionnants (et largement repris
pour la plupart dans Minority Report). Les acteurs sont irréprochables. En
particulier, bien sûr, Haley Joel Osment, totalement génial. Et l'histoire,
ah, l'histoire est bouleversante. Et c'est vraiment dans cette ultime partie,
tellement critiquée, que tout le film prend sens, trouve son accomplissement,
sa justification. Et c'est aussi l'apothéose du cinéma de Steven Spielberg.
Tout est là (attention révélations/spoilers !). Aussi bien les contes de
fée, que les extra-terrestres (qui sont des méchas très évolués et non pas
de vrais E.T., doit-on le rappeler ?), l'amour familial que cette mélancolie
omniprésente. Ce final, tellement audacieux, tellement surprenant, que l'on ne
peut guère s'étonner qu'il ait décontenancer plus d'un spectateur. Pourquoi,
comment, aimer la fin de A.I. ? Déjà pour sa poésie. Imaginer un petit
garçon (et son ours en peluche) priant la Fée Bleue pendant 2000 ans sous les
océans, il y a déjà de quoi s'extasier. Mais l'apparition des méchas ajoute
à la grâce du final. Sans parler bien sûr, de la "journée" de
conclusion, lorsque le pantin devient enfin un vrai petit garçon quand son
rêve devient réalité. C'est non seulement follement beau mais cela vise droit
au coeur.
Mais on ne peut
bien sûr pas réduire A.I. à son seul final. A peu près toutes les scènes
sont inoubliables. La première partie du film, en huis-clos, est une lente
progression émotionnelle qui culmine sur la très éprouvante scène d'abandon.
Si le film perd un peu de son ambiance avec le personnage de Gigolo Joe, il
retrouve toute sa puissance avec les scènes dans la forêt et la Flesh Fair
(séquence pour le moins inattendue dans un film de Spielberg, qui retrouve là
des accents de la cruauté de Indiana Jones et le Temple Maudit). Enfin, la
vision de New York sous les eaux est incroyablement évocatrice et ouvre ainsi
cette demie-heure entièrement bouleversante qui achève le film. Beaucoup ont
reproché à A.I. de trop surligner son parallèle avec Pinocchio. Mais se
focaliser sur ce parallèle, c'est manquer tous les autres thèmes qui habitent
le métrage. Cette quête d'amour dépassé largement les cadres du conte de
Collodi. De plus, son adaptation à l'univers de la robotique est
particulièrement juste et brillante. Et soudain, la vérité sur A.I. nous
saute aux yeux, ce film est un conte, avant tout et surtout. Ce n'est ni un film
de SF, ni un mélodrame, c'est un conte, à la manière d'un Edward Aux Mains
d'Argent. Alors, peu importe le réalisme à tout prix, peu importe les règles
de la dramaturgie, Spielberg réussit ici ce qu'il avait partiellement raté
avec E.T. et Hook : trouver le ton juste pour relire un conte classique dans un
univers contemporain. Et c'est ainsi qu'il faut revoir A.I., comme un conte que
l'on pourrait lire au coin du feu. Comme une oeuvre à la fois très ambitieuse
dans ses thèmes mais si humble dans son déroulement. Ce faisant, on découvre
alors l'une des oeuvres les plus touchantes de Steven Spielberg. Derrière
Kubrick, derrière l'intelligence artificielle, derrière les effets spéciaux,
derrière la performance de Haley Joel Osment, il y a une histoire murmurée,
une oeuvre fragile, terriblement personnelle et dont l'émotion s'avère au
final tout à fait universelle. A.I. se concluant sur l'espoir que la mort est
en fait le rêve éternel des meilleurs instants de notre existence. Impossible
alors de retenir ses larmes. |
Blue Steel
de Kathryn Bigelow
Un jour, peut-être, il faut l'espérer, l'oeuvre de Kathryn Bigelow sera
redécouverte et réévaluée. Quand on voit le culte qui peut entourer des
cinéastes tels que Michael Mann ou John McTiernan, on se demande pourquoi la
belle Kathryn se retrouve si souvent enfermé dans un second rôle de luxe. La
plupart du temps on vous parlera d'elle en la comparant à James Cameron, son
mari durant quelques années, et bien voilà. C'est tout. Certes, certains
aspects des films de Bigelow rappellent le style de James Cameron. Mais
finalement, par exemple, ce Blue Steel est tout aussi proche d'un Michael Mann
(et son Manhunter) que d'un Terminator. Et puis, n'évoquer que Cameron pour
qualifier Kathryn Bigelow, c'est oublier quasiment toute sa filmographie de ces
dernières années. En particulier le très sous-estimé K-19, film de
sous-marin très digne, très prenant et d'une folle virtuosité. Mais ce qui
surprend le plus en survolant consciencieusement la filmographie de la
cinéaste, c'est à quel point on peut lui offrir sans se tromper le
qualificatif : auteur. Les films de Bigelow sont immédiatement reconnaissable.
Par leur esthétique, bien sûr, par la présence de scènes récurrentes, par
les thèmes abordés. Et surtout par cette violence extrêmement éprouvante,
furieuse et glacée qui culmine au sein de l'étonnant Strange Days dont je
parle ailleurs sur ce même site.
La violence du cinéma de Kathryn Bigelow ne cesse de surprendre. Elle ne
s'embarrasse d'aucune fioritures et n'hésite pas à verser dans le sadisme le
plus effroyable. Dans Blue Steel, en particulier, il n'y a pas de place pour le
romantisme qui sauvait Near Dark et Strange Days de la noirceur absolue, non, le
film se veut éprouvant de la première à la dernière séquence. Comme
toujours, malheureusement, il y a de grosses maladresses et on ne peut pas crier
au chef-d'oeuvre, désolé que nous sommes devant certaines baisses de rythme et
ces interminables face à face qu'affectionne tant la réalisatrice. Dans Blue
Steel, on peut s'ennuyer quelque peu, pendant quasiment une moitié de film. Et
s'enthousiasmer au-delà du raisonnable sur l'autre moitié. C'est toujours
ainsi avec Kathryn Bigelow, sauf avec Near Dark (dont je parle aussi ailleurs),
qui est intégralement réussi. Le coup de génie voisine avec la séquence
ridicule, la violence insoutenable avec la niaiserie, la virtuosité avec le
téléfilm. C'est sans doute pour cela qu'on ne lui reconnaît généralement qu'une place
d'honneur et peu de compliments sans retenue. Nous sommes toujours en présence
de demie-réussites. Mais ce qui est réussit l'est tellement et sort tellement
de l'ordinaire, qu'il faut chanter les louanges de cette cinéaste, dès que
l'occasion se présente.
Ce qui est réussit
dans Blue Steel ? Et bien, déjà, la performance de Jamie Lee Curtis,
peut-être dans son meilleur rôle. Elle porte quasiment tout le film sur ses
épaules et tous les autres acteurs, bien moins convaincants, sont rapidement
éclipsés. La mise en scène de Kathryn Bigelow est toujours aussi
impressionnante. Elle essaie toujours d'innover, de chercher à construire
différemment des scènes et des plans mille fois vus et revus. Et elle y
parvient très souvent. On peut même pardonner l'utilisation des terribles
filtres bleus des années 80, car cela correspond au titre et au thème
principal du film. Le thème principal ? Mais la violence extrême, comme
toujours ou presque chez la cinéaste. La jouissance de la violence extrême.
Celle des vampires de Near Dark ou celle des drogués de Strange Days. Ici cette
violence navigue entre le cerveau dérangé d'un serial killer particulièrement
sadique et la violence au bord de la légalité d'une femme flic trop sensible
pour son travail.
On retiendra donc,
entre deux regrettables chutes de rythme : des scènes de violence affolantes et
un portrait de femme complexe et marquant. Par contre on essaiera très fort
d'oublier l'effroyable coupe de cheveux de Clancy Brown (le Kurgan de
Highlander), presque aussi ridicule que la moumoute de Tom Sizemore dans Strange
Days. Comme tous les films de Kathryn Bigelow, Blue Steel est à redécouvrir. |
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