Le Fabuleux Destin
d'Amélie Poulain
de Jean-Pierre Jeunet
C'est un peu
l'histoire d'un malentendu. Comment un film très personnel, d'un cinéaste au
demeurant très sympathique, est devenu un phénomène de société, un monstre
cinématographique embarrassant. C'est aussi l'histoire d'un succès inévitable,
d'un film fédérateur, d'une œuvre qui ne peut que provoquer l'adhésion, nuancée
ou non. Amélie Poulain est l'aboutissement de la carrière de Jean-Pierre Jeunet,
son film "rêvé", on y retrouve toutes ses obsessions, tout son style, des
fragments de ces films (notamment de l'un de ses courts-métrages, avec Dominique
Pinon, à base de "j'aime/j'aime pas"). On y retrouve son goût des détails, des
caractères outrés, des gros plans, des effets de mise en scène détournés de leur
utilisation habituelle. On y retrouve son goût pour le merveilleux, pour un
monde idéalisé jusqu'à l'excès. On y retrouve ce qui faisait le charme de
Delicatessen et de la Cité des Enfants Perdus. Mais sans la part d'ombre,
l'effroi lui aussi issu des contes, le malaise de Marc Caro (parti expérimenter,
encore et toujours, en solitaire discret et incontournable). Amélie Poulain est
donc un film mignon. Parfois adorable, parfois exaspérant. Une œuvre que l'on ne
peut que aimer, ce qui met forcément mal à l'aise. Tout est efficace, on rit
quand c'est drôle, on est ému quand c'est émouvant.
Mais cela
nous reste parfois en travers de la gorge. Même si Jeunet nous réserve des
séquences surprenantes de crudité (on y parle et on y voit beaucoup de sexe pour
une œuvre "familiale"), l'ensemble est un hymne écrasant au bonheur du
quotidien, à la joie de vivre, aux rêves et à toutes ces choses qui échappent
essentiellement à notre monde réel. Mais on ne peut pas adhérer totalement à
cette vision étouffante. Car le film montre trop, il nous "démontre" le bonheur,
il nous "démontre" la magie. Tout ici est surligné, repassé à l'encre rouge, au
feutre fluo, à la peinture brillante. Dès qu'un personnage est heureux, il se
met à littéralement clignoter, s'envoler, s'illuminer. Dès qu'un changement
d'humeur intervient, la mise en scène vient le souligner, le mettre en valeur au
point de l'écraser totalement. Paradoxalement, le Fabuleux Destin d'Amélie
Poulain est un film qui ne laisse que peu de place à l'imagination, qui, à force
de mettre en valeur la poésie, l'exclut de plus en plus de ses images. Amélie
Poulain est victime du syndrome du "trop lisible". On comprend tout, on nous dit
tout, on nous explique tout et avec beaucoup, beaucoup d'effets.
Alors on se
sent mis à part, tout en appréciant quand même grandement le film. Car il est
sympa au possible ce film. Les acteurs sont sympas (même si parfois Aurélie
Tautou est proche de l'horripilant), la voix off est sympa, les petits détails
sont sympas (après tout, c'est un hymne aux détails, aux petites choses, aux
petits riens). C'est amical, même si on se demande si tout cela va vieillir dans
les meilleures conditions. Car, voilà, Amélie Poulain est récupérée partout.
Dans les pubs (forcément, parfois le film ressemble à une pub), dans les
émissions de TV (avec notamment un machin consternant de la greluche Isabelle
Giordano), dans les livres, dans les musiques, dans les autres films. Amélie
Poulain envahit toutes les classes d'âge, tous les milieux sociaux. Elle est
partout. Alors, ça pourrait être pire (tant que ce n'est pas le syndrome Pink,
ça va), mais ça crée des problèmes (imaginez la fille qui se prend pour Amélie
Poulain, la tête à claques que ce serait). Oui, ça crée des problèmes (surtout
quand on habite pas loin de Montmartre, comme s'il y avez pas assez de
touristes, déjà, hein, bon sang !). On se prend à avoir peur des photomatons et
des petits cafés populaires.
Mais
finalement, les choses finissent par se calmer. Amélie Poulain trouve sa place
dans les bons souvenirs populaires du cinéma et nul doute qu'elle fera le
bonheur des programmateurs TV en manque de films pour les grandes vacances des
prochaines décennies. On regardera Amélie Poulain en famille et ça nous
rappellera de bons souvenirs (ou pas). Les enfants trouveront cela ringard, mais
cela les fera rire quand même. Et il y aura toujours des petits garçons et des
petites filles pour se reconnaître dans ces images, car Amélie Poulain nous
parle à tous. Après tout, on voudrait bien être heureux aussi, on voudrait bien
rendre tout le monde heureux, on a été petit aussi, on a été ado aussi, on a été
jeune aussi, on a été vieux aussi, on a été seul aussi, on a été amoureux aussi,
fédérateur, je vous le dis ! Amélie Poulain est un conte. Amélie Poulain n'est
qu'un conte. Alors finalement, ça nous rend triste, aussi. Par ailleurs, c'est
un chouette film, joli, désuet, étouffant, touchant, efficace, un bon moment de
cinéma. C'est rare et c'est agréable. Mais je crois que vous le saviez déjà.
En résumé : Amélie Poulain souffre de vouloir
"trop" montrer, mais le film demeure tout à fait réussi, immédiatement
sympathique, souvent très drôle, parfois émouvant, parfois surprenant.
Jean-Pierre Jeunet y a mis tout son cœur et tout son talent. Et comme le
monsieur a énormément de cœur et énormément de talent, son film appelle les
compliments. De toute façon vous l'avez déjà tous vu plusieurs fois. Mais n'en
abusez pas ! Et revoyez l'intégrale Jacques Tati. C'est quand même une
différente classe. |
Below
de David Twohy
Doucement
mais sûrement David Twohy devient un metteur en scène sur lequel on peut
compter. Un auteur de séries B qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et qui
offre des variations efficaces, et parfois étonnantes, autour de thèmes chers au
cinéma Fantastique. Après l'invasion extra-terrestre de The Arrival et l'un des
meilleurs clones d'Alien qui soient avec le formidable Pitch Black, Twohy nous
propose à la fois un film de sous-marin (un genre à lui tout seul) et une
histoire de fantômes. Mais, comme avec ses films précédents, tout n'est pas si
simple. On a droit à notre dose de suspens sous-marin et de problèmes
techniques, mais rien d'aussi génial que dans K-19 ou dans l'intouchable A La
Poursuite d'Octobre Rouge (et oui je n'oublie pas Le Bateau). On a droit à notre
film de fantômes, mais très en retrait, presque secondaire. Et ce qui frappe le
plus dans Below, c'est le thriller psychologique. Soudain, on comprend, c'est à
The Thing que Twohy s'attaque cette fois. Ah bah il lui en faut du courage ! Ou
de l'inconscience. Car dans le domaine des films intouchables, The Thing de
Carpenter, se pose un peu là.
Mais voilà,
Twohy s'en sort. Car, comme dans Pitch Black, l'une des grands forces du film
est son rythme jamais pris en défaut. Il se passe toujours quelque chose, même
quand il ne se passe rien. Et à aucun moment la tension ne baisse. Même si
l'histoire est finalement assez classique, elle attend la toute fin du métrage
pour révéler son véritable visage. Non, je ne vous en dirais pas plus. Mais les
rebondissements de Below viennent parfois offrir un peu d'air frais à un genre
plus que balisé. De plus, le film fait peur et provoque un malaise des plus
persistants. Si le scénario montre parfois ses limites (personnages
caricaturaux, effets faciles), il n'en demeure pas moins d'une classe
impressionnante.
Le casting,
majoritairement inconnu (à part Bruce Greenwood), fait plaisir à voir. En
particulier la jolie et talentueuse Olivia Williams, que l'on avait déjà aperçue
en quasi figurante dans Sixième Sens de Shyamalan. Pour le reste on sera surpris
de constater que le scénario a été co-écrit par Darren Aronofsky, ça ne se voit
pas, tant Below n'est jamais ni prétentieux, ni bêtement tarabiscoté. Tout reste
clair, direct, efficace. La mise en scène est moins audacieuse que celle de
Pitch Black et dans l'ensemble le film est moins inoubliable, mais c'est une
petite œuvre tellement sympathique, bien fichue et prenante que l'on ne peut
qu'applaudir.
En résumé : Une série B de luxe qui confirme que
David Twohy fait partie de ceux qui peuvent prétendre à la succession d'un
Carpenter ou d'un McTiernan. A la fois effrayant, intelligent, beau et
palpitant, Below possède presque tout pour ravir. On aurait souhaité sans doute
un peu plus d'ambition et être cloué sur place comme devant Pitch Black, mais
franchement, c'est déjà du bon film, ça, oui. Du bon cinéma. |
Le Règne du
Feu
de Rob Bowman
J'aurais aimé
adorer ce film. Il y avait tout pour me plaire. L'idée de départ (résurrection
des dragons à notre époque, apocalypse, tentative de survie de quelques humains
revenus au stade médiéval) était enthousiasmante au-delà du raisonnable. Il y
avait matière au chef-d'œuvre, au renouveau du genre. Il suffisait d'allier la
force visuelle avec une histoire sombre et prenante. Malheureusement, Rob Bowman
(très bon réalisateur de quelques épisodes de X-Files et de Star Trek Next Generation) ne fait que la moitié du
travail. En effet, l'aspect visuel du Règne du Feu est incroyable. Il nous
présente un monde gris, brûlé, détruit, terne, d'une tristesse abyssale.
Rarement un futur post-apocalyptique aura été aussi crédible. Tout n'est que
ruines et cendres. Le brouillard et la fumée envahissent l'horizon. Et de cet
horizon absent surgit parfois la silhouette crédible, terrifiante, vraiment
sublime, d'un dragon. Les dragons, oui, d'une beauté renversante, sans doute les
plus plus admirables depuis l'inégalé Dragon du Lac de Feu. Les effets spéciaux
touchent au génie. Certes, les apparitions des dragons sont rares, et la méthode
est plus proche de celle d'Alien que de celle de Starship Troopers. On peut être
déçu, mais en contre-partie, jusqu'au final, les créatures gardent leur mystère,
leur force, leur pouvoir de terreur. Dans le Règne du Feu on ne rigole pas
beaucoup. C'est sûr. A part dans une scène hilarante où les problèmes œdipiens
de Star Wars deviennent une chanson de gestes d'une nouvelle ère (séquence
formidable, il faut le dire).
Non, on ne
plaisante pas dans le Règne du Feu. Les protagonistes ont tous l'air aussi
abîmés et désespérés que le décor. La fin de l'humanité, en direct. Le retour
aux temps obscurs. Tout respire l'angoisse, le malheur, l'effondrement d'un
univers. En cela la vision d'un Londres ravagé, brûlé jusqu'aux fondations, ne
cesse d'impressionner. Ces visions sont filmées sans grandiloquence, avec
discrétion, simplement. On est alors immédiatement happé par le film, qui se
consacre plus à la psychologie de ses héros qu'aux scènes spectaculaires. Le
résultat offre ainsi un investissement plus grand au spectateur. On s'attache
plus aux personnages et on est d'autant plus cloué sur place à chaque apparition
des dragons. Mais voilà, le film ne va pas jusqu'au bout de ses intentions. Dans
une dernière partie expéditive et maladroite, les humains trouvent une solution
totale face aux monstres. Ah bah ça alors ! Comme ça, soudainement, ou presque !
Et dans le final, heureusement très impressionnant malgré tout, c'est carrément
un remake des Dents de la Mer qui surgit. Bon, on peut faire pire comme source
d'inspiration, mais là c'est tellement flagrant. Bref, d'un point de vue
dramatique, le film baisse les bras en cours de route. Et c'est plus que
désolant.
On pourra
ainsi regretter le manque d'ambitions d'une œuvre qui pourtant se veut très
impressionnante. Le film est trop court et ne va pas suffisamment loin dans
l'aventure épique. Quand on tient des effets spéciaux supérieurs à ceux du
Seigneur des Anneaux, on ne doit pas se laisser aller aussi facilement, voyons !
Manque de moyens, sans doute. Manque de courage, peut-être. Et c'est bien
dommage, on tenait là une pierre angulaire de cinéma Fantastique actuel. Malgré
tout, le Règne du Feu reste visuellement très convaincant, permet d'apprécier le
conflit rude et humain entre deux héros charismatiques, n'ennuie pas une seule
seconde, et surtout offre de contempler les dragons les plus magnifiques de
l'histoire du cinéma. Ah mais si ! C'est dire s'il faut le voir, ce film.
En résumé : Un bon petit film qui
malheureusement n'est pas parvenu à aller jusqu'au bout de ses très nobles
intentions. Il reste néanmoins quelques images splendides, des performances
d'acteurs appréciables et des dragons beaux à mourir sur place. |
Rollerball
de John McTiernan
Accueilli
plus que fraîchement par la critique et le public, le remake de Rollerball par
John McTiernan n'est pas seulement très supérieur à l'original (extrêmement
daté) mais s'affirme aussi comme l'un des pamphlets Hollywoodiens les plus
acerbes de ces dernières années, pas très loin du Fight Club de Fincher et des
Showgirls et Starship Troopers de Verhoeven (films plus qu'incompris en leur
temps aussi). Le Rollerball de McTiernan est une vision délirante, monstrueuse,
outrée et en même temps tout à fait adéquate de ce que la majorité des jeunes
d'aujourd'hui désire le plus. Le Rollerball de McTiernan est un mélange de
Jackass, de catch, de jeu vidéo, de pornographie et de MTV. Tout est là. Dans un
déluge de vulgarité clinquante et de musiques indigestes (on passe de Pink à
Slipknot dans un tournis visuel brillantissime). Bien loin de servir la soupe
aux djeunz, le Rollerball de McTiernan leur retourne leur mauvais goût à grand
coups de mise en scène folle.
Faux
raccords, caméra infrarouge (lors d'une scène admirable d'audaces), acteurs
théâtraux, visuels outrés, situations convenues et assénées avec les mêmes
libertés narratives qu'un Tsui Hark (en gros, les ellipses sont monstrueuses,
mais on comprend parfaitement quand même). Les choix sont affolants. Durant les
matchs on n'a pas droit à un seul panneau indiquant le score, McTiernan nous
faisant ainsi comprendre, comme Verhoeven, que si on est là pour mater du
Rollerball, on est aussi fascistes que les fascistes du film. Flirtant en
permanence avec le ridicule, le percutant parfois, le Rollerball de McTiernan
fait soudain penser à un délire du grand Fellini. On reste troublé par la
justesse de cette comparaison. Toutes proportions gardées, quand même. Mais le
mauvais goût de ce que l'on voit dans Rollerball sert parfaitement le propos du
film. Dénoncer les dérives les plus extrêmes de la société du spectacle. Et à
part la violence excessive du final, l'ensemble du film est parfaitement
crédible et n'est pas très éloigné de nos sports, émissions et autres machins de
"real TV" actuels.
Si le propos
de McTiernan est assez inattaquable (même si, reconnaissons-le, pas d'une
originalité, ni d'une finesse transcendantes), le visuel de son film ne cesse de
laisser admiratif. Comme pour le 13e Guerrier, un grand film charcuté par les
producteurs, reste, contre vents et marées, un grand film. On imagine que le
chef-d'oeuvre aurait pu être encore plus définitif sous le contrôle total de
McTiernan, mais les restes laissent rêveur. Montage brutal mais toujours
compréhensible (on se croirait parfois dans Fear and Loathing in Las Vegas de
Gilliam), choix de mise en scène enthousiasmants (la fameuse séquence en caméra
infrarouge, de faux faux-raccords, des envolées d'appareils qui mettent le cul
par terre), etc...
Sans être un
chef-d'oeuvre comme le 13e Guerrier, ce remake rassure (s'il en était besoin) de
la forme de McTiernan. Le monsieur n'a pas perdu les pédales et on en vient
rapidement à se demander pourquoi tout le monde a crié au nanar devant ce
Rollerball (on va me dire que beaucoup de gens ont crié au nanar devant le 13e
Guerrier, oui, et aussi devant Phantom Of The Paradise, à l'époque, donc, bon).
Certes, ce que McTiernan montre est excessif, baroque, d'un mauvais goût
hallucinant (les déguisements des joueurs, la musique parfaitement à sa place de
Eric Serra (l'Antéchrist, quand même), Jean Reno...), mais cela sert le film.
Pour dénoncer le culte de la violence et la cruauté humaine, Verhoeven
repoussait les limites de la barbarie dans Starship Troopers. Pour dénoncer les
dérives du spectacle actuel, McTiernan le montre dans toute sa "splendeur". Le
résultat est totalement convaincant. Rollerball est un film moins prétentieux
que l'original (ses inénarables interventions de l'oeuvre de Bach, les
dissertations new-age, les décors invonlontairement ridicules), plus physique,
plus cynique, plus grandiose.
En résumé : excellent film, le Rollerball de
McTiernan sera sans doute réévalué dans quelques temps. Formellement au-delà du
brillant, parfaitement maître de son propos, Rollerball est une excroissance
beurk de notre monde spectaculaire. Synthèse de tout ce qui fait vibrer la
jeunesse actuelle, il nous renvoie un portrait à peine déformé de ce que vous
pouvez contempler dès que vous allumez votre télévision. |
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