Le Dragon du Lac de Feu
de Matthew Robbins
Les plus grandes (et les
meilleures) surprises de la grande vague de rééditions de films en
DVD, ne sont pas forcément les plus médiatisées. On parle beaucoup,
ici et là, d'éditions collectors, de remasterisations, de
suppléments fabuleux et d'un peu tout et n'importe quoi, souvent
juste pour vendre de la galette digitale à prix honteux. Mais voilà,
les plus belles surprises se doivent d'en êtres de véritables
(surprises). Jamais je n'aurais pensé que dans les rayons d'un
Auchan où je ne mets les pieds qu'une fois par an, j'allais tomber
sur l'un des films que je cherche depuis des décennies (oui, j'ai
bien dit : des décennies). Non, on me l'aurait dit, je ne l'aurais
pas cru. J'en aurais ri, même. Tous les ans, depuis fort, fort, fort
longtemps, je m'attelais à la quête désespérée mais compulsive de ce
film. Chaque fois, je revenais bredouille. Et là, au détour d'un
bac, entre le dernier Harry Potter et l'épisode pilote de la série
Hulk, oui, là, près des DVD Warner avec leurs prix à devenir
"dvdvore", dans une assez consternante collection de "films live" de
Walt Disney, je me retrouvais nez à nez avec le saint Graal, avec la
perle d'une existence de nerd, avec le trésor du cinéphile transis,
avec le rêve d'enfance. Je défaillais, je frôlais l'évanouissement,
j'étais à deux doigts de taper de mains et des pieds, je ne pouvais
retenir l'expression de stupeur absolue qui traversait mon visage.
Là, dans un petit coin, entre Quatre Bassets Pour Un Danois et l'Ile
Aux Trésors. Là, en DVD, à moins de 15 euros. Là, me narguant sans
retenue, resplendissait Le Dragon du Lac de Feu.
Dragonslayer (en VO), est
un film mythique, un "cult classic", un OVNI, un mystère, un traumatisme
générationnel. Pour bien comprendre cet engouement qui dépasse l'entendement, il
faut revenir longtemps, oui, bien longtemps en arrière. Nous sommes en 1981, et
c'est vraiment une époque formidable. Le cinéma hollywoodien est encore en train
de découvrir le concept de "blockbuster" et quelques grands noms ne cessent
d'enchaîner les chefs-d'oeuvre. 1981, c'est l'année de l'Empire Contre-attaque,
du premier Indiana Jones, de Mad Max 2 (pas vraiment un blockbuster, mais un
énorme spectacle de toute façon), de Time Bandits, d'Excalibur (nous y
reviendrons), du Choc des Titans. L'année suivante, la non moins mythique 1982,
viendront E.T., Blade Runner, The Dark Crystal, Poltergeist, Conan Le Barbare,
The Thing... Période délicieuse, période folle, période où tout était permis
dans le domaine du divertissement.
Pour ne pas rester en rade
derrière la déferlante Lucas/Spielberg, la maison Disney, dont la branche
animation était alors en chute libre, se devait de montrer les dents. Et elle le
fit, au-delà de toute attente, se permettant des productions uniques dans son
histoire, où du moins se rapprochant de l'âge d'or de 20 000 Lieues Sous Les
Mers. Ce qui nous donna en particulier le finalement bien gentil Les Yeux de la
Forêts et ce terrifiant Dragon du Lac de Feu. Mais tout cela n'explique toujours
pas pourquoi ce film vaut de l'or. Alors, je ne vais plus faire durer le suspens
et y aller directement. Ce film vaut tout l'or du monde à cause... du dragon !
Là, voilà ! Tout simplement. J'affirmais ailleurs dans cette section que le
Règne du Feu est le meilleur film de dragons du 7e Art. Taratata ! C'est
toujours Dragonslayer le numéro 1 ! Même s'il n'y a qu'un seul dragon
(finalement il n'y en a pas beaucoup plus dans le Règne du Feu), même s'il a un
nom ridicule (Vermithrax, non, ça ne s'invente pas), même si certains écrans
bleus sont assez mal fichus (mais il y a les mêmes problèmes dans les Deux
Tours...), même si le film est parfois un peu fauché, rien ne résiste au plus
beau dragon que l'on ait pu voir. Oui, même celui qui sommeille sous le château
de la Belle au Bois Dormant à Disneyland Paris ne fait pas le poids
(quoique...). Ce dragon est incroyable et surtout, oui, surtout, il est filmé
avec génie. Chacune de ses apparitions préservent son mystère, sa puissance, sa
férocité, sa beauté. Que l'on soit un petit enfant ou un vieux blasé, ce dragon
fait peur, mais vraiment peur. On venait voir un Disney, on se retrouve dans
AlienS (avant l'heure), dans Predator (bien avant l'heure !). Et une preuve
quasi vivante que le tout "numérique" n'a décidément pas que du bon.
En cela, les dernières 20
minutes n'ont pas pris une seule ride. L'entrée du héros dans l'antre de la bête
est toujours aussi angoissante. Et la bête est d'une beauté, mazette ! D'une
beauté ! A aucun moment elle ne paraît ridicule ou tout simplement fausse (à
part en vol, et encore). Non, quand il s'agit de montrer sa tête en gros plan,
on se fait pipi dans la culotte, sans le moindre problème. Il se dégage une
telle sensation de force, de sauvagerie, de monstruosité, qu'on ne fait pas les
malins, même quand on en a vu bien d'autres. On pourrait comprendre, juste pour
ces quelques scènes avec la sublime créature, que le film soit un classique.
Mais ce n'est pas suffisant, loin de là. Car Dragonslayer s'offre aussi une
excellente histoire, pleine de magie (au sens propre, comme au figuré), avec un
Ralph Richardson parfait en Merlin de circonstances. Quant au héros, c'est Peter
MacNicol qui s'y prête fort bien, et le fait qu'on le connaisse aujourd'hui
surtout pour son rôle de John Cage dans Ally McBeal rajoute encore au charme du
film et offre un peu de légèreté à une oeuvre par ailleurs très dure.
Pour tenir tête à son
monstre terrible, le reste du film se devait aussi d'être éprouvant. Et c'est le
cas. Les morts cruelles sont légions, les vierges sont brûlées et dévorées (avec
notamment quelques plans gores hallucinants pour une production Disney, ou
simplement pour un film de cette époque), la religion est bafouée, l'aspect
médiéval est crédible et l'ambiance est étouffante du début à la fin (ou
presque). De surcroît, Dragonslayer s'offre deux personnages féminins très
réussis et très éloignés des potiches habituelles. L'histoire est vraiment très
prenante et plus d'une fois on pense à Excalibur (sortit la même année, donc),
notamment lors de quelques répliques étrangement similaires (en particulier sur
la disparition des magiciens, des dragons et des anciennes croyances au profit
du Dieu unique). Au final, le film trouve une profondeur inattendu et une
maturité qui ne cesse de surprendre. Précisons enfin que ce n'est vraiment pas
un film pour les enfants (sauf si vous voulez les traumatiser). J'ai
personnellement fait les frais, à l'époque, d'un simple extrait de la première
partie du combat final, et voyez-vous, je ne m'en suis jamais remis.
Pour finir, la qualité
générale du film, son visuel admirable, ses personnages intéressants, son
intelligence et son Vermithrax à mourir sur place (oui je sais, le nom craint),
ne suffisaient pas à en faire une oeuvre mythique. Non. Il faut ajouter à cela
un succès critique certain, les hurlements des ligues de protection des enfants
face à la violence étonnante du métrage et les catastrophiques résultats au box
office (13 millions de dollars de l'époque, ce qui n'est pas si mal quand on y
repense). Puis la disparition quasi totale du film. Je me souviens qu'il y avait
eu une brève édition VHS à une époque où personne ne possédait de magnétoscope
(si je vous dis 1985, vous me croyez ? Et bien vous pouvez me croire, j'ai des
preuves !). Puis, plus rien. Une vague cassette quasi introuvable aux USA. Et
une légende en marche. Une légende colportée par une génération traumatisée.
Hantée par la prestance, inégalée depuis, de ce dragon qui ne pouvait que nous
poursuivre au plus profond de nos cauchemars d'enfance.
Aujourd'hui, on peut enfin
voir Le Dragon du Lac de Feu. Pendant un instant, on en venait à hésiter. Ne
risquait-on pas de briser le charme ? D'abîmer les souvenirs en découvrant que
ce monstre génial n'était en fait qu'une marionnette mal fichue ? On prenait le
risque, on ne pouvait pas résister. Et pour une fois, oui, les souvenirs
d'enfance en ressortaient grandis. Le Dragon avait si bien survécu à l'épreuve
du temps, on était si enthousiasmé par cette histoire simple et pourtant
essentielle, on adorait tellement les personnages de ce film, que l'on balayait
les quelques faiblesses et l'on se rendait enfin compte, oui, vraiment compte,
que Le Dragon du Lac de Feu est supérieur au Seigneur des Anneaux de Peter
Jackson (pardon Peter, mais le coup de la flamme olympique, là, fallait pas
abuser...). L'Heroic Fantasy à son sommet.
En résumé : Un film mythique, quasi disparu, qui ressurgit comme par magie. 20 ans plus
tard, le dragon est toujours le plus beau, le plus crédible et le plus effrayant
de l'histoire du cinéma. Dragonslayer n'a pas pris une ride, au contraire, il a
gagné son statut de classique, quelque part entre les productions Hammer ou les
films animés par Ray Harryhausen. Objectivement : un grand divertissement. Et
subjectivement : un vrai chef-d'oeuvre. |
Pierre Desproges : En
Images
J'entends dire un peu partout que Pierre Desproges n'était pas un grand
comédien, encore moins un "homme de scène". Ce coffret de 4 DVD, dont seulement
deux sont vraiment indispensables, vient remettre les pendules à l'heure.
Certes, lors de ses spectacles, Desproges paraît assez mal à l'aise, mais il
joue de cette maladresse. Et c'est surtout avec les Minutes Nécessaires de
Monsieur Cyclopède, qu'il transcende son jeu faussement limité. Cela devient un
style, une marque de fabrique, que bon nombre de comiques ne cessent de copier
depuis. Le ton de Desproges participe à l'humour de l'ensemble. Lorsqu'il se met
à insulter les téléspectateurs, lorsqu'il en vient à des conclusions affolantes
(surtout pour l'époque), c'est avec ce recul étrange, véritablement décalé qui
culmine sur ce fameux "étonnant, non ?".
De
tout le coffret, c'est la Minute Nécessaire de Monsieur Cyclopède qui est le
sommet. Rarement la télévision aura été le théâtre d'un tel débordement de
surréalisme, de provocation, de révolution polie, de phrases chocs et de
situations poilantes. On me dira que la concision de ces petites remarques
quotidiennes déjantées est la grande force du programme. Oui, mais non. Car on
pourra donner à n'importe quel comique la tâche de remplir 2 minutes par jour,
il le fera, mais ce ne sera que fort rarement drôle et encore moins créatif. Et
bien chez Desproges, c'est l'inverse, c'est toujours créatif et très rarement
peu drôle. Cela arrive, bien sûr, mais sur le nombre, on reste bouche bée. Ce
type a du génie, mais ça, on le savait déjà. Les anglais eurent les Monty
Python, nous nous avons Desproges, et c'est pas si mal, bon sang !
Les
spectacles sont très (trop) célèbres. Et certaines répliques sont passées pour
le meilleur et pour le pire dans le langage courant. Avouons-le, dans le cadre
d'une longue durée, Desproges est avant tout un homme de l'écrit. Car rien ne
peut remplacer l'excellence folle de ses livres (on conseillera en particulier
son Dictionnaire Superflu, son Manuel de Savoir Vivre, son Vivons Heureux en
Attendant la Mort et la retranscription des Chroniques de la Haine Ordinaire).
Oui, Desproges n'était pas à l'aise avec les médias contemporains, même si son
oeuvre radiophonique et donc ses Minutes Nécessaires, demeurent de très grands
moments. Mais il est vrai que pour comprendre pourquoi Desproges dépasse
largement le cadre du "comique" et qu'il entre de plein droit dans le domaine de
la littérature, il faut lire ses oeuvres. Ses textes de scène sont ainsi souvent
plus appréciables sur papier que sur écran. Néanmoins, regarder aujourd'hui les
spectacles de Desproges est tout à fait réjouissant.
Les
deux autres DVD du coffret sont nettement plus superflus. Un portrait assez bien
fait mais trop "comme il faut", heureusement complété par des apparitions plus
ou moins rares du monsieur et l'intégralité d'une interview qu'il donna au début
des années 80. Pas si mal, finalement. Quant au quatrième disque, c'est un
gadget qui reprend de manière "thématique" certaines séquences des trois autres
DVD. Oui, bof... Comme l'ensemble coûte fort cher, on pourra douter de
l'intégrité d'une telle démarche. Mais l'objet est fort beau, et comme je le
disais plus haut, au moins deux des disques sont totalement indispensables. On
ne peut pas ne pas avoir l'intégrale de Monsieur Cyclopède chez soi, sinon on
passera pour un rustre.
En résumé : le
prix de ce coffret en fera reculer plus d'un, c'est bien dommage. On pourra
toujours essayer de retrouver l'édition simple des Minutes Nécessaire. Mais bon,
les spectacles et l'interview valent la peine, quand même, il faut le dire.
L'objet est assez joli et s'intègre parfaitement à toute collection
Desprogiennes qui est, doit-on le rappeler, essentiellement composée de livres. |
The Wicker Man
de Robin Hardy
De nos jours
la dénomination "film culte" surgit partout et n'importe où. Tous les films sont
cultes ou presque. Mais voilà, le vrai "film culte" ne ressemble à aucun autre.
C'est bien peu que de dire que The Wicker Man de Robin Hardy et Anthony Shaffer
est une œuvre mythique. Créée dans la passion, incomprise, mutilée, exilée,
oubliée, disparue corps et biens dans les limbes de l'histoire du cinéma, on ne
savait que peu de choses sûres et certaines à son propos. Dans le petit monde du
Fantastique, tout le monde connaissait la réputation de l'œuvre, mais personne
ne l'avait vu, en particulier dans sa version intégrale de 102 minutes. On
clamait bien haut que c'était le "Citizen Kane du cinéma d'horreur". Que rien ne
pouvait lui être comparé. Christopher Lee lui-même, qui tient ici un quasi
second rôle mais d'une force incroyable, affirmait très récemment que The Wicker
Man était toujours son rôle favori. Fort logiquement, on s'étonnait, on
s'interrogeait, on rêvait, on s'émerveillait par avance. Aujourd'hui, grâce à
une exemplaire édition DVD chez Studio Canal et son "Cinéma de Quartier", on
peut enfin découvrir le monstre sous son vrai visage et savoir s'il peut encore
survivre à son écrasante réputation.
Il est bien
difficile d'exposer en quelques mots l'histoire de The Wicker Man. Surtout si
l'on veut préserver l'effet de surprise auprès de ceux qui ne savent rien ou
presque. Il y est question d'un commissaire de police d'une foi chrétienne
exemplaire, parti à la recherche d'une adolescente disparue au sein d'une île
écossaise, où vit une communauté coupée du reste du monde et fermement attachée
à des rites païens ancestraux. Et n'allez pas imaginer quelques monstruosités à
la manière des hommes préhistoriques du 13e Guerrier. Ces gens sont, de prime
abord, tout ce qu'il y a de plus normaux. Comme le style documentaire domine, on
a parfois plus l'impression d'avoir à faire à une pittoresque description
ethnique des joies de la campagne. Certes, bien vite, on se rend compte que tout
ce petit monde n'a pas les mêmes valeurs que nous autres, judéo-chrétiens
millénaires. Le metteur en scène filme alors l'errance du policier, outré
au-delà des mots par le comportement des habitants de l'île. Pas de croix dans
le cimetière, l'amour libre pour tous, des vierges nues qui accomplissent la
danse de la fertilité, des symboles phalliques célébrés par des enfants... C'en
est trop pour le pauvre homme qui réalise bien vite qu'un gigantesque complot
lie tous les habitants et que l'adolescente va sans doute être sacrifiée pour le
bon plaisir d'un Dieu païen.
Et c'est
ainsi que progresse l'histoire, entre description documentaire de rites parfois
drôles, parfois inquiétants, et enquête souvent troublante. Les scènes
frappantes s'enchaînent. De la visite du cimetière en ruines à la rencontre avec
Lord Summerisle (Christopher Lee, donc, sublime), en passant par une formidable
scène de "tentation" lors de laquelle Britt Ekland danse nue au son du
magnifique Willow's Song (qui servira de base 25 ans plus tard au Wicker Man de
Pulp). Mais le plus formidable réside dans le dernier quart d'heure. Où le
folklorique laisse peu à peu place à l'effroi, avant de culminer sur un final
ambigu, terrifiant et pour ainsi dire traumatisant. Le film trouve alors son
plein accomplissement en laissant le spectateur assommé, choqué, fasciné.
Alors oui,
sans la moindre hésitation, The Wicker Man, 30 ans après, n'a rien perdu de sa
force, bien au contraire. Le film est toujours aussi unique. Il est bien
réducteur de le qualifier de "thriller surnaturel", tant cela ne rend pas
justice aux mille nuances d'un récit qui échappe à toutes les classifications.
Souvent vraiment drôle et léger, parfois terriblement angoissant, The Wicker Man
ne se laisse jamais apprivoiser. Par instants, on jurerait un épisode perdu du
Monty Python's Flying Circus, à d'autres c'est un documentaire de la BBC sur les
vertes provinces de l'Ecosse, parfois c'est une enquête digne d'un
bon vieux Sherlock Holmes et enfin au final c'est une fresque païenne d'une
intelligence rare. Précisons aussi que la forme est d'une rare beauté, même dans
ses aspects les plus réalistes. Certains plans sont inoubliables. Quant à la
musique, elle est réputée pour être l'une des plus originales et réussies de
l'histoire du cinéma, tous les genres confondu. C'est absolument vrai.
En résumé : Tout ce
que l'on a pu dire sur The Wicker Man est juste. Vous pouvez avoir Citizen Kane,
La Nuit du Chasseur et 2001 dans votre DVDthèque, mais vous devez ranger à leur
côté cet incroyable chef-d'œuvre qui n'appartient à aucun genre et qui ne
cessera plus de vous hanter. Achat vital de l'année. |
The Clash -
The Essential
Quoi ? Encore
un DVD des Clash ? Oui mais ne vous inquiétez pas, celui-ci vient compléter les
autres. Westway To The World, c'était le documentaire sur l'histoire du groupe.
Et le DVD du chef-d'œuvre Rude Boy est indispensable en lui-même, en tant
qu'écrin de ce qui est peut-être le plus grand film "rock" de l'histoire du
cinéma. Alors il y a quoi sur ce DVD qui accompagne la sortie de la très
estimable double compilation du même nom ? Et bien déjà il y a les clips. Vous
allez me dire que les clips des Clash, ce n'est pas forcément d'un intérêt
fondamental. Alors là, vous avez tellement tort que c'en est indécent. En effet,
au moins pour les premiers d'entre eux, ces clips sont en fait des performances
live. Et croyez-moi, The Clash c'est le plus grand groupe live de l'histoire du
rock. Contemplez les versions live de White Riot, Complete Control ou I Fought
The Law (issue de Rude Boy celle-la), et découvrez la Lumière.
Car oui, tout
cela a été remasterisé, et croyez-moi, ça décape. On se prend une tornade en
plein cœur. Presque, et oui, presque, comme à l'époque. Pour parodier Nietzsche,
The Clash ce n'est pas un groupe, c'est de la dynamite. Si le groupe semble
essoufflé sur la fin de sa carrière (Career Opportunities ne supporte pas le
passage en stade), on s'en fout. Les chansons présentes sont toutes excellentes,
voire carrément tétanisantes (Complete Control à reprendre en chœur, Tommy Gun à
reprendre aussi en hurlant pour faire peur aux voisins, Clampdown, Train In
Vain, London Calling, The Call Up...). Bref, tout n'est pas compilé, bien loin
de là. Mais les documents d'époque se font tellement rares que l'on ne peut
qu'applaudir à cette remasterisation impressionnante. Il manque bien sûr la
sortie d'un live des Clash, mais ce sera sans doute pour plus tard.
Et puis il y
a les bonus, qui font presque figure d'essentiel du programme et qui rendent le
DVD indispensable. La véritable merveille de cette compilation, c'est le film
muet en n&b de Joe Strummer, Hell W10. Une histoire de gangsters minables et de
jeunes paumés dans le Londres du début des années 80. L'hommage au cinéma muet
est incroyablement crédible et amusant, l'importance documentaire du film est
estimable et la bande son est formidable (plein de versions dub extrêmement
rares de grands classiques du groupe). Bref, c'est sublime. Ensuite il y a pas
mal de petits bonus promo et des interviews antédiluviennes et étonnantes (de
1976 ! On ne peut pas remonter plus loin dans les archives). L'emballage de la
galette n'est rien moins que classe et le tout est évidemment dédié à l'immense
Joe Strummer.
En résumé : achat
vital pour tous les fans de rock, de punk, de l'Angleterre, de personnes
bourrées de talent et de musique gorgée jusqu'à la gueule de pulsion de vie. |
Les Parapluies
de Cherbourg
de Jacques Demy
Le premier
film entièrement en couleur, en mélo et "en chanté" du cinéma français est, quoi
que l'on en pense, une date. Et c'est aussi une expérience étonnante de
spectateur. Découvrir le chef-d'œuvre (avec Lola) de Jacques Demy, c'est passer
de la surprise au ravissement tout en percutant l'exaspération. En effet,
impossible de tenir toute la durée du métrage sans manquer de devenir fou. Ces
gens chantent tout le temps. Même pour dire "bonjour monsieur le facteur" ou "il
pleut aujourd'hui, madame Françoise". Avouons-le, c'est intolérable. Et le
retour à la "vie normale" est assez difficile. On est tenté de chanter (faux)
pour demander son pain à la boulangerie. C'est assez perturbant, il faut
l'avouer. Mis à part cet intense problème, qui est aussi le grand parti-pris
esthétique du film, les Parapluies de Cherbourg est une œuvre qui n'a rien perdu
de sa force.
Visuellement,
c'est très coloré et même s'il n'y a aucune chorégraphie (à part sur le
générique d'ouverture), tout sonne juste et tout semble couler de source. La
maturité des thèmes abordés (de la guerre d'Algérie aux bordels en passant par
les séparations) surprend toujours. Quant à la puissance mélodramatique et
lacrymale de l'histoire (et du thème musical grandiose de Michel Legrand), elle
ne faiblit pas avec le temps. Certes, il faut bien le reconnaître, Les
Parapluies de Cherbourg serait un film encore plus sympathique sans la présence
de l'intolérable Catherine Deneuve, peu crédible en petite fille du peuple
timide, et plus à l'aise en vieille bourgeoise antipathique. Heureusement, Demy
choisit de suivre, dans la dernière partie, le destin du héros. Destin nettement
plus intéressant et émouvant. Impossible de toute façon de ne pas verser sa
petite larme lors du très joli final agréablement nuancé (heureux/triste,
drôle/tragique). Et c'est aussi un bel hymne à la vie et au temps qui passe. Les
promesses se brisent mais l'histoire continue...
Si certains
moments du film prêtent à sourire par leur naïveté ou leur kitsch démesuré, les
Parapluies de Cherbourg fait toujours office de chef-d'œuvre du genre. A
l'époque, la Palme d'Or lui était revenu assez justement. Plus tard, Demy
tombera totalement dans le kitsch plutôt de mauvais goût comme avec les
Demoiselles de Rochefort ou dans la comédie pure avec l'hallucinant Peau d'Ane.
Mais ces Parapluies de Cherbourg ne finissent pas d'étonner et de fasciner.
Comment une œuvre flirtant aussi follement avec le ridicule parvient elle à nous
toucher malgré tout ? La réponse est simple. Demy croyait dur comme fer en son
projet, il s'y est investi sans réserves, n'hésitant pas à transformer la
comédie musicale que le film aurait pu être en un drame poignant. La postérité
de cette pierre angulaire du cinéma français est par contre nettement plus
discutable. Elle va du consternant Jeanne et le Garçon Formidable au poseur
Dancer In The Dark, tout un programme...
En résumé : Certes,
les Parapluies de Cherbourg, c'est moins bien que West Side Story ou que
Chantons Sous La Pluie, mais finalement, c'est une œuvre qui se démarque aussi
grandement de ces très lourdes comparaisons. Pour l'apprécier il faut parvenir à
surmonter le kitsch de certaines scènes, l'insupportable Catherine Deneuve et
l'éprouvant "tout chanté". Mais la force du mélodrame et de sa musique qui fend
le cœur, parvient à noyer tous les écueils. Toujours un classique. |
Signes
de M. Night Shyamalan
La grande
faiblesse de Sixième Sens était sans doute de difficilement passer le cap de la
seconde vision. La grande force de Incassable, qui confirme années après années
son statut de chef-d'œuvre, était de se bonifier au fil des visions. Qu'en
est-il donc de Signes, film qui laissait un mélange d'enthousiasme et de
(légère) déception lors de sa sortie en salles ? C'est avec une véritable
impatience que j'avais envie de revoir Signes, en DVD, dans mon petit chez moi.
L'œuvre, grandement basée sur un suspens éprouvant, pouvait-elle survivre à la
mort de l'effet de surprise ? Chaque scène clef du film possédant un tel impact
qu'elle est immédiatement inoubliable. Donc, non, le plaisir de la découverte
n'est plus là. Mais on a envie de retrouver la force de cette première fois,
donc on met en route le DVD sans états d'âme. Et dès le générique d'ouverture,
on comprend. La musique de James Newton Howard suffit à faire renaître
l'ambiance de Signes. Immédiatement, on reconnaît quelque chose de familier,
quelque chose de marquant. L'atmosphère générale du film, alchimie
impressionnante, recrée le suspens et la fascination avec la même puissance que
la première fois.
Peut-être
même avec encore plus d'impact. Car finalement, en connaissant fort bien les
"grandes scènes", on les appréhende d'autant plus. Et leur mise en scène est si
efficace, que les émotions resurgissent sans que l'on y prenne garde. Comme
meilleur exemple, bien sûr, l'effroyable et désormais fameuse séquence de la
"vidéo d'anniversaire". On a beau se dire qu'on ne va plus se laisser prendre au
piège. On y tombe à pieds-joints. On a peur, on a même franchement peur. Une
peur à la fois instinctive (musique flippante, plus mise en scène maligne, plus
ambiance lourde) et complexe (on titille notre inconscient et nos phobies
quotidiennes avec dextérité). Car voilà, en le revoyant, Signes se montre sous
un nouveau jour, tout comme Incassable. Le film évoque, dans un mélange de
réalisme et de mise en scène très apprêtée, l'effondrement du quotidien et des
croyances. Pendant 95% du métrage, Shyamalan conte l'histoire d'un héros
désabusé, un prêtre qui a perdu la foi (n'est-ce pas finalement la plus
déprimante des situations ?). Ce personnage ne croie plus en rien, a perdu toute
innocence, toute spiritualité, tout émerveillement. Représentant ainsi fort bien
le déclin de nos civilisations blasées. Pendant 95% du métrage, Signes nous
montre la fin du monde en direct, l'explosion d'un univers vu de l'intérieur, du
plus proche, voire du plus confiné (avec le retour au néant primitif dans la
cave). La lumière vacille, disparaît, nous sommes seuls, à jamais.
Beaucoup ce
sont plains de la dernière partie du métrage. Pour ceux qui n'ont encore pas vu
le film, vous pouvez sauter ce paragraphe, merci, vous serez gentils. Donc,
cette dernière partie, qui met le héros face à face avec son doute et son
traumatisme, nous dit qu'il ne faut jamais perdre la foi, qu'il faut y croire et
qu'il faut savoir "lire" les signes qui nous entourent. Avouons-le, on pourrait
faire une très douteuse interprétation de cette morale, en justifiant ainsi pas
mal de débordements et d'extrémismes. Mais dans le cadre du film, cela devient
tout à fait compréhensible, justifiable et même totalement indispensable.
Effectivement, imaginez Signes sans cette conclusion. Le film serait resté en
suspend, bloqué dans sa lourde dépression, enfermé à jamais dans cette cave
régressive. Signes n'est complet qu'avec cette étonnante "remontée" vers la
lumière du matin, Signes n'est complet que dans son ouverture finale. Le film
reste en suspend, après tout, laissant libre de croire que ce qui compte ce
n'est pas le signe, mais bien l'interprétation que l'on en fait. L'important,
c'est de parvenir à s'en sortir, de ne pas baisser les bras. Et l'on a rarement
vu un film "grand public" repousser aussi loin, à la fin du métrage, la
Rédemption de son héros. Et puis, il faut le reconnaître, cette dernière partie
est d'une efficacité dramatique splendide. Et c'est là l'essentiel.
Car après
tout, que sommes-nous venus chercher ici ? On demandait à Signes d'être un
divertissement intelligent et surprenant. Ne sommes-nous pas gâtés ? Ne
tenons-nous pas là un film hors du commun ? Que l'on aime ou non le style de
Shyamalan, reconnaissons que pour un quatrième long-métrage, le type a du
talent, le type est prometteur, le type a définitivement un style. Qu'il
emprunte à Hitchcock, à Spielberg, à De Palma ou à je ne sais pas qui, sans
doute, mais l'important c'est que maintenant on peut reconnaître un film de
Shyamalan en quelques instants, et que plus le temps passe, plus son œuvre gagne
en qualité. Sans doute, Incassable était encore plus réussi et nuancé, mais
Signes, en tant que thriller surnaturel, balaye la concurrence. Car on ressent
beaucoup devant ce film, on sait que l'on est en train de vivre une expérience
cinématographique, qu'il se passe quelque chose. Et c'est inestimable. Enfin, et
ce n'est pas la moindre qualité, on se fait terriblement peur, même à la seconde
vision, même à la troisième. Et cette peur ne disparaît pas facilement après la
fin du film. Alors ? Alors de la graine de classique, voire, mais il est encore
trop tôt, de la veine de chef-d'œuvre.
En résumé : Admirable d'un bout à l'autre,
navigant entre le terrifiant, l'émouvant et le tout simplement prenant, Signes
est un indispensable. Du cinéma hollywoodien intelligent, audacieux, bizarre,
incroyablement bien conçu, généreux et respectueux de son public. Grand
film. |
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