La Vie est Belle
de Roberto Begnigni
Non je n'évoque pas la perle humaine et véritable drogue contre la dépression de
Frank Capra, mais le blockbuster lacrymal de Roberto Begnigni. Ce film pose un
véritable problème philosophique (évoqué aussi bien par Kant que par Mills, non
là je ramène juste ma science) : doit-on juger une action sur son intention ou
sur son résultat ? Au niveau des intentions, Begnigni est irréprochable. C'est
un clown à l'ancienne, d'une candeur et d'une naïveté confondante. C'est un peu
comme si Forrest Gump nous contait l'Holocauste. Cet homme veut nous dire
combien nous sommes tous des juifs italiens et combien il est important de
garder le mouvement de la vie et de l'humour même au cœur de la plus grande des
Horreurs. Begnigni se prend pour Chaplin et part à la recherche de l'innocence
perdue. Une innocence justement morte avec la Shoah. Begnigni aime son public,
il aime le cinéma, il aime tout le monde (et il le hurle assez fort à la moindre
occasion).
Le résultat ? Un fiasco quasi intégral. Mis en scène comme un téléfilm, moche
comme un épisode de Derrick (pas un plan réussi, tout est terne et toc), La Vie
Est Belle est déjà un échec esthétique cuisant. La Vie Est Belle, en particulier
dans sa première partie, c'est Au Théâtre Ce Soir. Et je n'évoque même pas une
insupportable musique d'une redondance malheureuse (le thème "dramatique" pour
les scènes tristes est presque drôle, et après on critique John Williams...).
Dans sa seconde partie, le film cache encore moins ses fausses notes. Le camp de
concentration est une résidence italienne certainement pas désagréable une fois
les beaux jours venus. On saisit alors bien pourquoi filmer l'Holocauste (et en
particulier en couleurs) peut sembler une aberration pour beaucoup de gens. On
rit peu, on est peu ému. En fait on aimerait être touché par cette histoire qui
ne demande qu'à tirer des larmes au spectateur consentant. Je suis consentant
bon sang ! Mais non, non, rien n'y fait. L'enfant joue comme un enfant, avec un
manque de naturel incroyable. Begnigni en fait des tonnes et réussit à sauver à
la force de sa conviction quelques scènes. Le reste du casting ne semble pas du
tout concerné par ce qui se passe. Pire, le final du film plonge soudainement
dans les tréfonds de la bêtise. Je suis désolé, je sais que vous êtes très
nombreux à adorer ce film, mais il faut dire les choses comme je les ressens. La
fin de la Vie est Belle est consternante. Le plus attristant dans ce film est
son échec même. En fait, tout cela aurait fait un téléfilm intéressant, mais en
tant qu'œuvre pour le grand écran, bardée de prix et de louanges, la Vie est
Belle est l'une des plus grandes déceptions de ces dernières années. Si vous
voulez rire, être ému, réfléchir sur des sujets sérieux, autant retourner au
Sens de la Vie des Monty Python, au Brazil de Gilliam ou bien, et oui, au
Dictateur de Chaplin.
En résumé : La Vie est Belle
est malheureusement la confirmation que
d'excellentes intentions et l'enthousiasme d'un auteur passionné ne suffisent
pas à donner naissance à un bon film. Très peu à
sauver au fil de cette comédie pas drôle et de ce drame sans émotion où tout
sonne faux. Je conçois parfaitement que l'on puisse être touché, je ne le suis
pas, je l'avoue. Pas la peine de m'envoyer des tonnes de mails d'insultes.
Passons à autre chose. |
de Jonathan Demme
Jonathan Demme est un metteur en scène étonnant. Un peu comme un Ridley Scott ou
comme un Alan Parker, il navigue tant bien que mal à Hollywood, au fil d'une
carrière inégale mais franchement singulière. Parker nous avait donné The Wall,
Scott vient du monde de la pub, Demme lui se fait tout d'abord remarquer en
filmant l'un des meilleurs groupes de la fin des années 70 et du début des
années 80, les Talking Heads. Son Stop Making Sense fait date et le réalisateur
entame une lente montée vers la gloire. L'explosion Demme se produit bien
évidemment avec son mythique Silence des Agneaux (bientôt en DVD collector,
d'ailleurs). Amusant de noter que c'est Ridley Scott qui mettra en scène la
suite (très Z) de ce chef-d'œuvre, Hannibal. L'élève a dépassé le maître. Puis
vient Philadelphia, un mélodrame très très mélo, qui navigue entre une
crédibilité sans failles (par exemple : une BO de Howard Shore avec des chansons
de génies tel que Springsteen et Neil Young) et des concessions lacrymales
hallucinantes. Beloved est encore plus étonnant.
Ce film est très délicat à aborder, car il ne ressemble à rien de connu dans
l'univers du cinéma hollywoodien. Adaptation d'une histoire hautement
métaphorique et donc parfaitement inadaptable de Toni Morrison (Prix Pullitzer
et Prix Nobel), Beloved est une œuvre austère, souvent antipathique, toujours
dérangeante. Et voilà un film qu'il faut voir, revoir et revoir encore. Car
c'est lentement, très lentement, mais aussi très sûrement, qu'il se fait une
place en nous. Beloved est porté par une équipe débordante de talent. Les
acteurs tout d'abord. Oprah Winfrey, aussi émouvante (si ce n'est plus) que dans
La Couleur Pourpre, c'est grâce à elle que le film a vu le jour. Danny Glover,
humain et touchant. Et deux jeunes actrices inconnues (du moins à l'époque), qui
volent la vedette au "couple vedette". Kimberly Elise, dans le rôle de la fille
soumise à la folie de sa mère qui gagne peu à peu sa liberté dans l'excellente
seconde partie du métrage. Et bien sûr Thandie Newton, qui est une Beloved aussi
terrifiante qu'émouvante. Une performance extrême qui marque le spectateur pour
le meilleur et pour le pire. Impossible de ne pas mentionner Beah Richards,
bouleversante en Baby Suggs pleine de sagesse et de force. Enfin Il faut aussi
évoquer la splendide photo de Tak Fujimoto et une musique magique de Rachel
Portman.
Beloved est une œuvre formidablement touchante ,qui réserve des scènes d'une
rare puissance. C'est très bête à dire, mais il est bien difficile d'évoquer
Beloved. Depuis que j'ai découvert ce film, je me retrouve souvent dans la même
situation. J'ai envie de faire partager mon expérience quasi traumatique, mais
c'est impossible. Mon conseil : louez, achetez, regardez ce film. Et après, et
bien non, nous n'en reparlerons pas, mais nous aurons partagé un instant de
cinéma qui ne ressemble à aucun autre. Fantastique, horreur, drame
psychologique, chronique historique, mélo, tous les genres se mélangent devant
la caméra fascinante et fascinée de Jonathan Demme, qui signe là son meilleur
film.
En résumé : Beloved est une véritable réussite, un OVNI
hollywoodien malheureusement passé inaperçu car trop en marge de ce que l'on a
l'habitude de voir. De la graine de film culte,
ma foi. Car on ressort de ces 3 heures marqué au plus profond par ces images
terribles, cette ambiance étonnante, ces drames insoutenables, mais aussi par ce
message d'espoir délicat et exaltant. Ce film éveille aussi bien l'imagination
que l'intelligence, la raison et les sentiments. Le DVD ? J'ai oublié d'en
parler et finalement ce n'est pas bien grave, voilà un film qui vole la vedette
à toutes autres considérations, juste pour préciser qu'il est l'un des moins
chers du marché, tout est dit... A conserver
précieusement. |
de John McTiernan
J'étais jeune, pour sûr, une dizaine d'années, pas plus. Et j'avais enregistré
Predator lors de l'un de ses premiers passages T.V. (le premier ? Sans doute).
Je regardais donc la chose en plein mercredi après-midi, seul dans la demeure
familiale. Je n'ai pas eu la trouille de ma vie de cinéphile, mais presque. Lors
du si fameux affrontement final, j'ai dû enchaîner les pauses, impossible de
survivre à ce choc d'une seule traite. Depuis, chaque vision de Predator est
toujours une expérience unique. J'effleure les sentiments qui m'habitaient lors
de la première rencontre et j'en découvre à chaque fois de nouveau. Avec le
temps, Predator est devenu l'un de mes films les plus cultes. Oui, il en a fallu
du temps pour que je reconnaisse au grand jour ma passion pour le chef-d'œuvre
de McTiernan (à égalité avec le 13e Guerrier). Aujourd'hui tout le monde aime
McTiernan, c'est presque banal d'adorer Predator. Mais cela n'a pas toujours été
ainsi, croyez-moi. Finalement ma génération traumatisée a pris le pouvoir et
Predator est enfin considéré comme un monument du 7e art. Parce que cette
confrontation finale, hein, on a bien du mal à ne pas y croire dur comme fer.
Comme j'y croyais en ce mercredi si lointain.
Le DVD pourrait être mieux, oh que oui ! Si la copie est la meilleure que l'on
puisse croiser, tout support confondu (sauf cinéma, bien sûr), on veut plus ! On
veut percevoir tout le génie des images et du son de McTiernan jusqu'au plus
profond de nos sens. Et puis zut, enfin, quoi ! Où sont les bonus ? Il n'y a
rien sur ce DVD (à part le film, mais j'en ai marre de justifier des éditions
toutes nues avec le sempiternel : "le film est un chef-d'œuvre, donc on ne
demande rien de plus"). Oui, mais merde à la fin (et au début aussi). Ca va être
comme pour Seven, Terminator et les autres, ça. On nous balance une édition
miteuse pour mieux nous repomper un an plus tard avec une Ultimate Special
Edition Definitive Collector. Et mon cul sur la commode ?? Bon, pour Predator,
rien de prévu pour l'instant, donc j'ai craqué et je ne le regrette pas. Par
contre, il fallait vraiment se méfier pour les titres précités (sans oublier
Titanic, Princess Bride, Blade Runner et autres Piège de Cristal et Last Action
Hero). La règle : n'achetez jamais des éditions "simples" de films cultes. Il
est certain qu'une meilleure version n'attend que le feu vert des requins du
studio pour envahir les boutiques virtuelles ou non. Donc, hum... si j'étais
vous j'attendrais encore un peu avant de faiblir pour Poltergeist, Gremlins, Les
Sorcières d'Eastwick, Impitoyable (que du Warner !), Roger Rabbit en Zone 1 et
d'autres merveilles vitales mais malheureusement maltraitées par des éditeurs
sans scrupules.
En résumé : une édition bien banale pour un chef-d'œuvre du cinéma. Cela sent la réédition collector à plein nez, mais rien de
prévu pour l'instant. Alors, on vous pardonnera de faire l'emplette de l'objet
(pas onéreux du tout, par ailleurs, ce qui est fort bien). Car, quand même, zut,
enfin, quoi, vous en connaissez beaucoup des films de divertissement qui vous
enthousiasment toujours autant après 150 visions (au bas mot) ??
L'effet McTiernan est décidément inaltérable. Amen. |
de M. Night Shyamalan
Pour beaucoup ce film n'existe que pour sa révélation finale (que tout le monde
connaît maintenant). Révélation finale malheureusement assez prévisible et
surtout plombée par une ultime scène issue directement de Ghost. Mais ne
crachons pas dans la soupe et attardons-nous sur les points positifs du 6e Sens.
Et ils sont nombreux. D'abord la (reco)naissance d'un cinéaste prometteur, M.
Night Shyamalan, qui nous offre ici un film fantastique à l'ancienne, doté d'une
jolie mise en scène (malheureusement trop voyante par moments). Ensuite, un
scénario classique, mais qui permet de créer une ambiance prenante. Des acteurs
excellents, je vous assure ! Certes Bruce Willis a souvent l'air à côté de la
plaque, mais ça va, rien de bien grave. Bon alors il est bien ce film, non ? Bah
oui, il est bien. Mais pas très bien. Il ne laisse malheureusement pas assez de
place à l'imagination du spectateur et s'enferme très rapidement sur quelques
idées qui meurent (littéralement) dès le générique de fin arrivé. Il voit des
gens morts, OK, voilà une réplique mythique, mais après ? Et bien cela ne va pas
bien loin. Quelques scènes d'effroi vaporeux et un petit "miracle" touchant vers
la fin et puis voilà. Attention, voilà la révélation que tout le monde connaît !
Bruce est mort, OK, ça ne nous avance pas à grand chose, même si cela permet de
revoir le film avec plaisir (mais pas plus de deux fois, malheureusement (air
connu)). Bref, une forme impeccable et un fond intéressant ne suffisent pas à
faire tenir 6e Sens debout. Le film reste à voir, assurément, mais il ne sera
pas impérissable dans nos mémoires, du moins dans la mienne, of course. 6e Sens
en vient à ressembler à un jeu d'aventure trop court, que l'on meurt d'envie de
terminer, mais qui perd tout intérêt une fois les énigmes découvertes.
Le DVD est exemplaire. Le film est parfaitement rendu, aussi bien au niveau des
belles images de Shyamalan que de l'ambiance sonore envoûtante. Les bonus sont
nombreux et intéressants. Bref, une charmante édition, pas prétentieuse pour un
sou mais qui ne se moque pas de son public, c'est à dire parfaitement à l'image
du film. Car une fois l'effet de mode passé et le succès phénoménal étouffé, on
peut replacer 6e Sens dans l'ordre des choses. Ce film n'était qu'un escalier
pour Shyamalan. En effet, son triomphe public et critique lui a permis de gagner
la confiance des studios et l'amitié de Bruce Willis. Le résultat ? Incassable.
Un vrai chef-d'œuvre, qui prend le meilleur de 6e Sens et va bien plus loin, oh
que oui, mille fois plus loin. Je parle d'Incassable dans mes chroniques cinéma
de l'an 2000, donc je ne vais pas m'étendre ici.
En résumé : Un beau DVD pour un film charmant. A voir une première
fois (ce que tout le monde a déjà fait) et à revoir juste par curiosité. Un
estimable moment de fantastique apaisé, calme, lent, tellement rare dans le
monde hollywoodien bourrin actuel. Le principal intérêt de 6e Sens ?
Incassable ! |
Il était le plus grand, il l'est toujours. La chanson française du 20e siècle,
la poésie du 20e siècle, la philosophie du 20e siècle, lui doivent tout ou
presque. Avec une simplicité, une générosité, un humour, un amour infinis,
Brassens a créé une œuvre qui résume la vie comme bien peu d'autres (quel que
soit l'art où l'on s'exprime). Aimer Brassens c'est un peu comme être croyant au
sens le plus noble du terme, c'est garder ses sentiments pour soi, en soi, avec
pudeur et passion. Au cinéma, autre exemple, on pourra aimer un Tarkovski ou un
Tati ainsi, silencieusement, religieusement (le mot est lâché). Non, ce n'est
pas paradoxal de parler de religion et de croyance en évoquant Brassens, lui qui
haïssait les bigots et les fanatiques de tout poil, mais qui a chanté quelques
uns des plus beaux textes sur la foi et l'espoir. Pour beaucoup, Brassens est
cet ours chaleureux et timide que l'on voit dans les rétrospectives lourdingues
à la télé. On est toujours fan de son Gorille et de son Auvergnat. Mais on
oublie souvent d'entrer réellement au cœur de l'œuvre, de vivre avec et grâce
aux chansons de Brassens. C'est une fois cette démarche accomplie, quand Comme
Hier, le Testament, Il Suffit de Passer le Pont, le Parapluie ou J'ai
Rendez-Vous Avec Vous deviennent vos petits hymnes du quotidien, que votre monde
sera définitivement changé. J'aime Brassens avec une tendresse infinie. Et, mais
je cite presque le grand Pierre Desproges là, la simple évocation de l'auteur de
La Non-Demande En Mariage m'émeut. Et oui, ces choses là arrivent.
Ce DVD est tout simple, malgré (ou finalement grâce) à la politique du "très
peu" typiquement Universal (vous pouvez les huer très fort, juste pour la
forme). Un disque très sobre, très digne, pas de documentaire larmoyant, juste
des images d'époque, parfois drôles, souvent émouvantes, parfois vraiment
tristes. Il suffit de voir pour cela un Brassens fatigué, qui fera immédiatement
penser à Jacques Tati à la fin de sa vie, chanter, avec toujours la même
conviction, au cœur d'un monde du spectacle qui le méprise (Souchon et Lama qui
s'en foutent en arrière-plan, scandaleux). 15 chansons mythiques, certes, elles
le sont toutes de toute façon, mais ceux qui recherchent les "tubes" seront
déçus. Par contre les vrais fans de Big Georges, ainsi que les curieux ouverts
d'esprit et de cœur, trouveront mille fois leur bonheur. Il y a La Femme
d'Hector, les Sabots d'Hélène, Une Jolie Fleur, la Non-Demande, Au Bois de Mon
Cœur, la Supplique, Mourir Pour des Idées (pas la plus grande chanson du siècle,
mais presque...), la Mauvaise Herbe, Le Roi (avec la participation de Coluche,
Cavana, Moustaki... bah voyons...), etc... On en voudrait bien plus. On voudrait
voir Brassens encore plus longtemps (mais comme il le mentionne lui-même fort
justement, il n'est pas un homme public et ses textes disent tout). Mais
l'essentiel est là, il suffit d'un petit rien de Brassens pour que le grand tout
s'offre à nous.
En résumé : un DVD à l'image du
plus grand monsieur de la chanson française, sobre, émouvant, discret, qui donne
avant tout la parole aux chansons et qui offre suffisamment de témoignages
visuels pour ne jamais oublier quel formidable personnage Brassens fut. Celui
qui parle le mieux de la vie, mais aussi de la mort, a chanté François Villon,
il est désormais le Villon du 20e siècle. Allez
directement au chapitre 11 (à Sète, bien sûr), et vous découvrirez
l'essence du mot "émotion". |
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