En tant que fan absolu de la légende du Roi Arthur et de tout ce qui s'en rapproche de près ou de loin, je ne peux qu'avouer ma passion pour le chef-d'oeuvre de John Boorman. Ce film est certainement l'une des plus belles œuvres du 7e Art, l'une des plus parfaites aussi. Et c'est l'une des meilleures adaptations du mythe, tout support confondu. En une symbiose mirifique d'images hallucinantes, de musiques fabuleuses, d'acteurs magnifiques et d'intelligence, les légendes des chevaliers de la table ronde, trouvent leur plus splendide incarnation. Il n'y a pas grand chose à dire sur Excalibur, le film parle de lui-même sans nécessiter de grandes dissertations.

        Une œuvre qui raconte la fin d'une époque, au moment où les anciennes croyances, les anciennes magies sont remplacées par le Dieu unique. Cette période fantastique où se cotoient mille et une légendes est décrite avec beaucoup de finesse par Boorman. Et c'est l'aspect le plus intéressant du film, cette transition entre deux mondes, quand le Dragon se tait, que les magiciens s'endorment, que se perdent les mythes des premiers âges et que vient le temps des Hommes. Excalibur, et c'est là tout le génie de cette adaptation, n'a rien d'un film Chrétien, au contraire. C'est une grande œuvre Nietzschéenne où triomphe la volonté des hommes. Le Graal sert le Roi, celui dont la volonté et la Terre ne font qu'un. Certes il y a l'idée d'un sacrifice propre à ouvrir la voie pour une humanité nouvelle, un sacrifice et une résurrection (comme le dit la légende : Rex Quondam Rexque Futurus). Excalibur et 2001 seraient-ils étroitement liés ? Sans doute. En tout cas, le film de Boorman, sans être rébarbatif, se permet quelques moments de philosophies délicats entre deux scènes de barbarie. En cela il est parfaitement secondé par un Nicol Williamson tout simplement génial dans chacune de ses apparitions et qui restera à jamais comme l'incarnation parfaite du magicien/philosophe/ prophète/comique/protecteur Merlin. Le film ne serait sans doute pas aussi réussi sans cet acteur fabuleux.

        Si Excalibur touche à ce point l'imaginaire du spectateur, c'est sans doute parce qu'il prend son inspiration dans des mythes fondamentaux de la civilisation occidentale et finalement aussi du monde entier. Car lorsque l'on découvre des œuvres comme Zu et The Blade de Tsui Hark, The Bride With White Hair de Ronny Yu ou Les Sept Samouraïs de Kurosawa, on retrouve les mêmes sensations que devant le film de Boorman. Il y a une mythologie très puissante du guerrier, de la magie, des monstres et des merveilles. C'est cette imagerie collective qui a assuré le succès culte du Seigneur des Anneaux de Tolkien (grand architecte de légendes s'il en est) et qui assurera sans l'ombre d'un doute le succès tout aussi culte de l'adaptation cinématographique de cet ouvrage fondamental par Peter Jackson. Excalibur est une splendide illustration de ces références qui hantent bon nombre d'esprits. Et si Boorman flirte souvent avec la faute de goût, il s'en sort toujours à la force de l'image sublime et du symbole primordial. Et comme je le disais plus haut, sa plus grande réussite thématique dans ce film est de revenir le plus possible au source, en écorchant la surface chrétienne pour découvrir les inspirations profondes des mythes arthuriens qui eux-mêmes s'inspirent de légendes plus anciennes, aussi bien celtes que greco-romaines et donc asiatiques. Excalibur en utilisant un médium populaire, semble nous réapprendre à considérer le Mythe pour ce qu'il est : une indispensable nourriture spirituelle.

        Mais Excalibur est aussi un grand spectacle, très riche, très impressionnant, en particulier grâce à une photographie de toute beauté, digne des meilleurs Kubrick. Kubrick encore, auquel on pense beaucoup dans cette recherche de l'adéquation entre les images et une musique déjà existante. Boorman réussie avec un brio incroyable cette symbiose, en particulier lors d'un final hallucinant où l'action et le montage du film sont dictés par des extraits de la Mort de Siegfried de Wagner. Boorman a utilisé ce passage magistral du Crépuscule des Dieux (référence toujours) dans son intégralité, sans coupes ni accélération et l'extrait lie toute la séquence finale ainsi que le générique de fin en une durée parfaite. Extrêmement impressionnant. Tout aussi formidable et beaucoup plus connues sont les chevauchées au son des Carmina Burana d'Orff, plus emphatiques que les discrets échos du Prélude de Parsifal (encore de Wagner) qui viennent pourtant soutenir certains des plus beaux instants du film. En clair, la bande son participe grandement à la perfection de l'oeuvre.

        Et donc, ce final, dont la beauté plastique, la richesse symbolique et la force émotionnelle ne peuvent que transporter le spectateur ; ce final est l'accomplissement du Crépuscule des Dieux/Mythes, et l'Aube du Temps des Hommes. Merlin, endormi, lien entre le Dragon (lui aussi endormi, cette force vive et animiste de la Nature) et les Hommes, incarne la promesse que la Magie sera toujours présente dans les rêves des Hommes... ou dans leur cauchemars... Lancelot, l'Homme déchu par son péché, mais repenti par son honneur, en devenant l'idéal chevaleresque, signe paradoxalement la fin du Moyen-Age et de valeurs vouées à l'extinction. Perceval, l'Homme tel que Merlin l'annonçait, perdu entre le réel et le mystique, impuissant face à la Nature et donc obligé de faire retour sur lui-même pour ouvrir des temps nouveaux, c'est en lui-même que Perceval trouve le Graal. Et Arthur, le lien entre les deux ères, invitant par son immortalité supposée à poursuivre indéfiniment les quêtes humaines, à trouver la sagesse/la force dans l'intériorité et à l'exprimer ainsi pleinement dans l'extériorité ; ainsi Arthur triomphe de la superstition, de l'illusion, de l'orgueil, etc... toutes les chimères de l'Homme incarnées par Mordred. Triomphe discret, victoire solitaire, conclusion mélancolique car toujours à recommencer...

        Si on ajoute à cela des acteurs fabuleux (et pas seulement Williamson, Nigel Terry, Helen Mirren, ou Gabriel Byrne s'avèrent presque aussi excellents), le découpage du film qui lui assure un rythme soutenu sans pour autant virer au fouillis, des idées de mise en scène vraiment géniales (que ce soit dans les plans ou dans les éclairages), une histoire connue mais retravaillée dans le but d'en tirer la plus pure essence (quitte à parfois ne miser que sur le symbolique), un nombre phénoménal de moments forts, etc... on obtient un chef-d'oeuvre, indémodable, à la fois figé dans sa perfection et extrêmement vivant. Excalibur est le point d'orgue de la carrière très inégale de John Boorman, qui est capable du meilleur (Délivrance) comme du pire de chez pire (Zardoz) et qui semble avoir été exalté, voire dépassé par son projet monstre. Quand le 7e Art affirme son sublime.

 
 
 
 
 
 
 
 
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