Le Seigneur des Anneaux - Le Retour du Roi

de Peter Jackson

        Les attentes face au Retour du Roi étaient légitimement gigantesques. Le film qui devait achever cette trilogie rêvée et surtout donner un sens à l'ensemble de la fresque. Le film qui devait aller plus loin, plus haut, plus fort que les deux premiers réunis. Plus de spectacle, plus de drames, plus d'émotion, plus de magie. Il fallait tout cela. Bref, il fallait du jamais vu, de l'inimaginable ou du moins une œuvre qui puisse rendre justice à nos visions, à nos espoirs.

        En sortant des 3h30 du Retour du Roi, les larmes aux yeux et incapable de reprendre contact avec la réalité, on est certain d'une seule chose, Peter Jackson est allé au-delà de nos rêves. Dans sa version courte, le Retour du Roi est déjà, d'assez loin, le meilleur film de la trilogie. C'est le plus long, et pourtant c'est celui qui passe le plus vite. C'est aussi le plus beau, mélange idéal entre la féerie de la Communauté de l'Anneau et la verve épique des Deux Tours. C'est le plus spectaculaire, avec facilement plus de la moitié du métrage composée de scènes hallucinantes qui laissent parfois bouche bée. On a jamais vu ça avant. C'est certain. On le reverra sans doute souvent après, ailleurs, chez d'autres, mais voilà bien une œuvre fondatrice. Les effets spéciaux étant parfaits dans l'ensemble et touchés par instant par une véritable poésie.

        Le Retour du Roi est aussi, forcément, très émouvant. Les vingt dernières minutes appellent les mouchoirs sans accorder la moindre pause. Le film respire une puissance, une force, incroyables. On se sent porté par les images, la musique, les performances d'acteurs. Et le suspens de conclusion, qui débute avec le film et qui ne s'achève qu'à une demie-heure de la véritable fin, ne se relâche jamais et atteint sur sa résolution une intensité jamais aperçue dans une œuvre "grand public". Et on finit par croire, devant de telles visions apocalyptiques, que nous sommes, nous aussi, "à la fin de toutes choses". Le Retour du Roi, et le Seigneur des Anneaux dans son ensemble, est l'oeuvre de divertissement qui fait table rase du passé, pour mieux ouvrir la voie d'un futur enthousiasmant.

        Peter Jackson nous emporte donc loin de tout, de la première scène (filmée par sa compagne, Fran Walsh, à laquelle l'oeuvre de Jackson doit énormément) jusqu'à la délicate conclusion (qui fait exploser le cœur). Les séquences les plus attendues ne déçoivent pas une seule seconde. La bataille des champs de Pelennor est facilement ce que l'on a vu de plus impressionnant sur un écran de cinéma et renvoie aux oubliettes celle du Gouffre de Helm. Le siège de Minas Tirith n'est pas mal non plus dans le genre, ainsi que la vision de Minas Morgul, accompagnée par les cris assourdissants des Nazguls. Shelob est magnifique, c'est à dire parfaitement terrifiante et répugnante. Quant à la Montagne du Destin, c'est bien la plus grande scène de la trilogie.

        Que dire sur les protagonistes ? Sam est toujours, et d'autant plus, le héros de l'histoire. Frodo souffre sans trêve, on finit par le ressentir. Gollum est sublime et l'on peut enfin découvrir son "interprète" Andy Serkis en chair et en os. Gandalf est très présent et follement charismatique (on a fini par s'habituer à sa tenue immaculée). Aragorn est paradoxalement en retrait, même s'il gagne en force à toute fin de l'histoire. Peter Jackson est toujours amoureux de Legolas, l'elfe persistant à faire des trucs de super-héros (essentiellement massacrer un oliphant à lui tout seul). Gimli n'est plus le bouffon de service, ce qui est très agréable. Merry et Pippin sont sans doute les personnages qui gagnent le plus de profondeur dans le Retour du Roi. Ils deviennent ainsi très touchants et volent fréquemment la vedette. Theoden est chevaleresque et superbement interprété par Bernard Hill. Eowyn est toujours aussi ravissante, voire radieuse, même si l'absence des Maisons de Guérison, dans la version courte, évince son personnage de la fin du film. Faramir parvient à exister en quelques scènes. De même que Denethor, même s'il est sans doute un peu trop caricatural. Eomer ne fait que passer. Ainsi que Galadriel, qui apparaît une nouvelle fois totalement gratuitement au milieu du métrage (gag récurrent ?). Par contre Elrond et Arwen s'offrent encore quelques plans d'une beauté irréelle. Voyons, est-ce que j'oublie quelqu'un d'important ? Sauron et son formidable "I see you !" ? Effroyable ! Le Roi des Nazguls ? Enorme ! Shelob ? Déjà évoquée, elle est géniale ! L'armée des morts ? Impeccable !

        Alors, des défauts dans le Retour du Roi ? Aucun, ou si peu. Ils sont tellement noyés dans la splendeur de l'ensemble que tout semble couler de source. Et on ose à peine imaginer ce que va donner la trilogie intégrale en version longue. La musique ? Une synthèse majestueuse de tous les thèmes. La mise en scène ? Virtuose, survoltée, parfois lorgnant vers un Tim Burton, parfois vraiment novatrice. Bien sûr, je comprends tout à fait que l'on puisse rester insensible au Seigneur des Anneaux, voire complètement hermétique. C'est du cinéma passionné qui ne peut parler qu'au cœur, droit au cœur. Alors on s'extasie ou l'on s'endort, on rêve éveillé ou l'on se moque. On ne peut pas se forcer à aimer ou à détester le Retour du Roi, le film est tellement "trop" qu'il n'y a plus de place pour la demie-mesure.

        Pour ma part, j'ai assisté à l'apothéose du cinéma spectaculaire tel que je le chéris. Je sais qu'un jour on fera mieux, mais j'ai eu l'impression de vivre un moment historique. Il faut être aujourd'hui, maintenant, dans les salles de cinéma pour découvrir le Retour du Roi. Par pitié n'attendez pas le DVD ou pire la diffusion TV (dans une VF ignominieuse). Remisez votre putain de cynisme au fond d'un placard. L'histoire s'achève maintenant, sur grand écran, dans l'incarnation de nos plus fabuleux rêves d'enfants. Un moment unique, qui vous accompagnera, sans doute, très longtemps.


Zatoichi

de Takeshi Kitano

        Affirmer que 2003 fut l'année Kitano tient du choquant euphémisme. Alors que Dolls ne cesse de grandir dans les cœurs, la fin de l'année nous a offert un nouvel exploit du maître japonais. On annonçait son Zatoichi comme une œuvre "légère", une détente après le sommet artistique de Dolls. Un film de genre, populaire, une variation sur les aventures du samouraï aveugle Zatoichi, héros traditionnel du cinéma japonais. Bref, ce devait être un petit ajout dans la si impressionnante filmographie de Kitano.

        Le séisme est d'autant plus intense lorsque l'on découvre le résultat sur grand écran. Depuis Dolls, Kitano semble avoir atteint un tel degré de maîtrise de son art que rien ne peut l'entamer. On en vient même à oublier ses "anciens" grands classiques tels que Sonatine ou Hana-Bi. Son Zatoichi tient du chef-d'oeuvre de la première à la dernière image.

        La mise en scène, où l'on pourrait aussi bien reconnaître Kurosawa que Jacques Tati, et d'une virtuosité discrète qui laisse sans voix. Mouvements de caméra tour à tour délicats ou nerveux, rythme soutenu et fluide, prises de risques... Avec pour exemple l'utilisation du sang numérique, choix artistique audacieux, qui permet de contrôler avec la plus parfaite précision le moindre détail de la chorégraphie des combats, ainsi que de ralentir les gerbes de sang au sein même d'un plan à vitesse normale. L'effet obtenu est stupéfiant, unique. De même que l'exceptionnel travail sur la bande son, œuvrant tout aussi bien pour le burlesque que pour la puissance tragique de certaines scènes. La musique originale étant par ailleurs, malgré l'utilisation intensive des synthétiseurs, la plus marquante de l'année.

        Et que dire de ce qui nous est conté ? Cela pourrait sembler banal de prime abord. Un étranger arrive en ville et il rétablir la justice. Un "super-héros" invulnérable ce Zatoichi, qui ne recule devant aucun exploit surhumain lorsqu'il s'agit de manier le sabre. Un Zatoichi interprété de manière hallucinante par Kitano, parvenant à être à la fois fort et fragile, drôle et inquiétant, et surtout émouvant. A l'image de l'ensemble du film. Puissant, dans ces combats brefs, dont l'intensité ne cesse de fasciner ; avec comme sommet, le duel entre Zatoichi et le garde du corps, superbe et tragique. Fragile, comme la démarche du héros, dans ses pauses mélancoliques, dans ses plans apaisés qui font trembler le cœur. Drôle, et même parfois potache, le film l'est aussi. Les gags sont nombreux et font respirer une histoire par ailleurs très dure.

        Car l'émotion est omniprésente. Que ce soit à travers le sacrifice du garde du corps, faisant le choix de la corruption et du mal pour essayer de sauver sa femme malade. Ou dans la quête de vengeance de deux personnages totalement bouleversants, qui ne peuvent que nous faire sortir nos mouchoirs. En particulier lors d'un final étonnant sur un long numéro de claquettes (!!), qui fait rire, pleurer, nous ravit et nous fait quitter la salle avec le cœur battant plus vite, le sourire aux lèvres et l'âme émerveillée. Doublé historique en 2003, pour le moins, pour Takeshi Kitano. Deux chefs-d'oeuvre, deux moments de grâce.


Le Monde de Nemo

de Andrew Stanton

   Cela fait longtemps maintenant que l'on attend le faux-pas du studio Pixar, proclamé ici et là plus grand créateur mondial de divertissements cinématographiques pour tous, enfants, adultes, animaux de compagnie, lave-vaisselles et autres portes blindées. Oui, car il est bien connu que l'on ne peut pas rester éternellement au sommet. Ce sommet artistique et commercial que Pixar a effleuré avec Toy Story et 1001 Pattes, avant de l'atteindre et de s'y installer glorieusement avec Toy Story 2 et Monstres & Cie. Ce dernier s'imposant par ailleurs comme un pur chef-d'oeuvre, à tous niveaux. Mais bon sang, ces gens pouvaient-ils encore faire mieux ? Écraser un peu plus la concurrence ? Et montrer une bonne fois pour toutes qu'ils sont les seuls à donner encore un alibi artistique aux studios Disney ? Avec Le Monde de Nemo, non seulement Pixar a de nouveau fait exploser ses propres records au box-office, mais il a conquis, comme toujours, à la fois la critique et le public. Tout en signant son meilleur film et donc un grand chef-d'oeuvre. Et rien ne semble donner l'impression d'un possible fléchissement créatif du studio.

        Le Monde de Nemo, parvient ainsi à être plus drôle, plus riche, plus beau, plus rythmé, plus divertissant et aussi émouvant que Monstres & Cie. On croit rêver. D'ailleurs les 1h45 du métrage filent comme un songe, tant les gags et les rebondissements s'enchaînent sans le moindre temps mort. On est toujours surpris, hilare, fasciné, ému. Visuellement c'est sublime, bien sûr. Mais jamais Pixar ne s'est reposé sur ses performances techniques. Ce qui compte avant tout pour eux ce sont une bonne histoire, de bons gags, de bonnes répliques et de fabuleux personnages. Et au niveau des protagonistes, Finding Nemo est de très loin le plus incroyable des tours de force de chez Pixar. Des dizaines de caractères superbement écrits se succèdent à l'écran. Certes, cela va très vite, mais ils parviennent tous à exister. Et la majorité d'entre eux est inoubliable (ce qui est d'autant plus savoureux si l'on se réfère aux hilarants soucis de mémoire du plus émouvant des héros du Monde de Nemo).

        Le film est bien sûr bourré de références, comme toujours, cela va des Dents de la Mer en passant par Abyss ou Psychose, et énormément aux Monty Python (Finding Nemo - Find The Fish... hum... hum...). Ah, certes, on ne peut pas trouver mieux que les Python en matière de références pour ce qui est de la comédie ambitieuse. Certains passages du Monde de Nemo semblent tout droit issus d'un épisode du Flying Circus (le "langage-baleine", par exemple). C'est vous dire si tout cela est drôle, fin, intelligent, humain et emplit de percées philosophiques délicieuses. Le prochain Pixar, The Incredibles, serait un mélange de Tex Avery, de Monty Python et de... Alan Moore.... Mon Dieu, mais ces gens vont-ils vraiment réussir à faire toujours mieux ?


 

Matrix Revolutions

de Andy et Larry Wachowski

"L'objet kitsch, c'est communément toute cette population d'objets "tocards", en stuc, en toc, d'accessoires, de bimbeloterie folklorique (...), tout le musée de pacotille qui prolifère partout. (...) Le kitsch, c'est l'équivalent du "cliché" dans le discours. (...)

Le kitsch peut être partout, dans le détail d'un objet comme dans le plan d'un grand ensemble, dans la fleur artificielle comme dans le roman-photo. Il se définira de préférence comme pseudo-objet, c'est-à-dire comme simulation, copie, objet factice, stéréotype, comme pauvreté de signification réelle et surabondance de signes, de références allégoriques, de connotations disparates, comme exaltation du détail et saturation par les détails. Il y a une relation étroite entre son organisation interne (surabondance inarticulée de signes) et son apparition sur le marché (prolifération d'objets disparates, amoncellement de série). (...)

A l'esthétique de la beauté et de l'originalité, le kitsch oppose son esthétique de la simulation (...) il répète la mode sans l'avoir vécue."

Jean Baudrillard, La Société de Consommation, p. 165-168

La trilogie Matrix est un sommet kitsch.


Haute Tension

de Alexandre Aja

        Que Luc Besson soit le producteur du "survival" le plus gore, le plus glauque et le plus méchant que le cinéma français ait engendré n'est pas le moindre des paradoxes de Haute Tension. Surgit un peu de nulle part, ce film brutal essaie d'inscrire nos bonnes vieilles campagnes parmi les lieux d'épouvante sauvage chers au cinéma d'horreur. Quelque part entre Massacre à la Tronçonneuse (auquel on pense très souvent) et Délivrance. Les 10 premières minutes du film font douter de la réussite de l'entreprise. Jeu approximatif des deux actrices principales, énième générique post-Seven, séquences de présentation d'une banalité sans nom (et fortement inspirée, il me semble, par le récent Jeepers Creepers). Ca sent le nanar. Mais au bout d'un quart d'heure, peu à peu un malaise commence à s'installer. Quelque chose d'immonde grouille sous la pellicule. Le metteur en scène soigne ses petits effets et transforme une scène de masturbation féminine en un sommet de suspens. Et puis les choses se précipitent. Le tueur arrive, brutalement, mais lent et déterminé, comme les plus beaux avatars du genre (Jason, Michael Myers, le Maniac de William Lustig...). De très banal, le suspens prend un essor étonnant. Fort bien secondé en cela par un sadisme effroyable et des effets gores vraiment très gores et parfois extrêmement douloureux. A aucun moment, jusqu'au final, la tension ne se relâchera. A en devenir relativement éprouvante.

Haute Tension, qui commençait à réjouir par son sérieux et son efficacité, fini par dégoûter par sa complaisance. Lorsque surgit l'un des retournements de situations finaux les plus gratuits et les plus incompréhensibles que le cinéma Fantastique ait pu offrir (même chez Ed Wood on n'aurait pas osé), on ne s'étonne qu'à peine. Et on en vient à prendre fait et cause pour le combat des lesbiennes, tant leur image est outragée par ce twist dont on aurait aimé pouvoir rire (il est incohérent avec tout ce qui a été montré avant). Mais non, ce n'est pas drôle, pas une seule seconde, car le film se plaît à faire mal à ses protagonistes et au spectateur. Face à un tel étalage de barbarie, on en viendrait presque à regretter le second degré d'un Ichi The Killer. Alors, oui, le cahier des charges est respecté, explosé même. Haute Tension fout la trouille, dégorge de sang et de meurtres brutaux, brasse des références sexuelles avec tout le sordide disponible, met mal à l'aise et tout ce qui va avec. Mais on ressort de la salle avec un vilain goût dans la bouche. On a eu droit au film français dont on n'osait plus rêver, mais on est loin d'avoir passé un bon moment. Le gore beurk n'est décidément pas mort...


Frida

de Julie Taymor

        La "qualité Miramax" a encore frappé. Le studio spécialisé dans le "fast food du film d'auteur", charriant des tonnes de produits clinquants prêts à récolter des brouettes d'Oscars et l'admiration de quelques bourgeois bohèmes et de la mère de famille de moins de 50 ans. Miramax, donc, en attendant "Hitler, La Passion d'Un Siècle", nous réserve au détour de Frida d'un troublant : "Trotsky Le Romantique", qui peut prêter soit à l'hilarité totale soit à la consternation. Frida, le film, est avant tout le projet chéri de Salma Hayek, qui s'est ici investie corps et âme. Sa performance, tout à fait louable, est sans doute l'intérêt principal (voir unique), d'un énième biopic qui dilue dans une guimauve hollywoodienne parfois abjecte, l'existence "bigger than life" de la peintre mexicaine. Mais à aucun moment, le film parvient à nous faire croire à ce qui est conté. Les clichés succèdent aux clichés ("la création artistique naît dans la souffrance" est à peu près tout ce que l'on nous dira sur l'œuvre de Frida Khalo) et les quelques "audaces" de mise en scène sombrent souvent dans le mauvais goût déplacé (les peintures qui prennent vie, oui, je sais, c'est aussi d'un manque d'originalité affolant). Toute cette belle mécanique ronronne en vain et on ressort de la salle en ayant à peu près tout oublié de cette séance vaguement scolaire, si ce n'est la beauté et la prestance de Salma Hayek.


Il est plus facile pour un chameau

de Valéria Bruni-Tedeschi

        Dans la catégorie, très disputée, du film le plus égocentrique de l'année, les débuts cinématographiques de Valéria Bruni-Tedeschi se posent là. Lorgnant lourdement sur la copie d'un Desplechin, la philosophie en moins, l'ego plus gros que le ventre en plus, Valéria Bruni-Tedeschi fait son petit film de potes et expose complaisamment ses petits soucis ("je suis une pauvre petite fille riche avec un complexe d'Oedipe mal résolu"). Soucis spirituels, soucis sentimentaux, soucis familiaux (le meilleur du film), parfois à l'aide de gags particulièrement drôles. Mais tout cela nous laisse au final de marbre, tant on a l'impression d'avoir déjà vu cela mille fois ailleurs et tellement mieux (chez Desplechin, chez Sautet, chez Pialat et tant d'autres...). A noter, la performance excellente de la décidément très talentueuse Chiara Mastroianni, avatar cinématographique de la vraie Carla Bruni (notez la guitare sur le canapé), qui donne une image particulièrement hilarante (névrosée, pimbêche mais étrangement fragile) de la poupée mannequin récemment reconvertie dans la chanson qui colle aux oreilles comme un vieux chewing-gum.


Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre

de Alain Chabat

        Immense festival Canal +, dégorgeant de clins d'oeil et de pognon, cet Astérix là parvient facilement à supplanter le premier film live, pathétiquement torché par un Claude Zidi à côté de la plaque. Facilement oui, car là où Astérix Contre César faisait rire une fois ("On est là pour enlever César, abruti !" "César Abruti ? C'est le cousin de Jules César ?"), Mission Cléopâtre fait bien rire au moins.... ohlala... trois fois. Trois fois et demie si on est de bonne humeur. Certes, si on compare aux 12 Travaux d'Astérix (15648 moments d'hilarité en 1h20 de métrage), on est encore loin du compte, mais c'est un net progrès. Mais il faut pour profiter de ces instants de poilade, supporter des numéros d'acteurs souvent exaspérants, des gags extrêmement prévisibles voire franchement lourds et des private jokes laborieuses. Le film en lui-même est honorable, bien mis en scène et doté d'un visuel relativement impressionnant pour une production française (mais le budget est aussi hors normes, il faut bien l'avouer). L'esprit de la bande dessiné est parfois présent, ce qui est déjà ça. Mais finalement, on se rend alors compte à quel point l'humour d'Astérix ne convient que très difficilement au cinéma. Les 12 Travaux d'Astérix, immense réussite, était un scénario directement conçu pour le grand écran. Et dans ce Mission Cléopâtre, ce sont les gags "made in Chabat" qui sont les plus efficaces (grandiose Itineris). Une nouvelle preuve par l'absurde du mariage très difficile et très délicat de la BD et du 7e Art.


Equilibrium

de Kurt Wimmer

        Vendu comme un sous-Matrix et critiqué comme un mauvais décalque de Fahrenheit 451, Equilibrium n'avait pas grand chose pour m'attirer. C'est donc un peu à reculons que j'ai donné une chance à ce film qui pouvait, peut-être, procurer quelques moments amusants (ceci au vu d'une bande annonce tellement Matrixienne que c'en était comique). La surprise fut d'autant plus grande de me retrouver devant un excellent petit film de SF, particulièrement intelligent, dynamique, bien fichu et excellemment interprété par le décidément génial Christian Bale (le futur Batman !). Dans une atmosphère tout à fait crédible, très inspirée (c'est le moins que l'on puisse dire) par 1984, Wimmer déroule un récit classique mais très efficace, qui tire sa force de son sérieux inflexible et de quelques séquences d'action joliment chorégraphiée. Le charisme de Bale servant à masquer les quelques dérives hollywoodiennes de l'ensemble (notamment une fin pas très convaincante). Mais cette société où l'émotion est hors-la-loi parvient à effrayer et quelques scènes sont saisissantes. De plus, l'œuvre charrie une mélancolie, voire un pessimisme de bon ton et écrase, que dis-je !, explose totalement la trilogie Matrix sur son propre terrain. Quand la copie dépasse l'original, c'est fort rare, mais c'est impressionnant. Un film plutôt idiot mais amusant, c'est déjà ça.


Pirates des Caraïbes, la malédiction du Black Pearl

de Gore Verbinski

        Il y a au moins une excellente raison d'apprécier Les Pirates des Caraïbes :..... sa très grande fidélité à la fantastique attraction de Disneyland. Et oui, car il est de notoriété publique que les Pirates des Caraïbes est l'attraction incontournable de Disneyland (au moins de celui de Paris, je ne connais pas les autres). Oui, oui, plus encore que la Space Mountain et la Montagne du Tonnerre (très bien aussi, soit dit en passant). Les Pirates des Caraïbes possèdent une ambiance formidable, des animatroniques de toute beauté, une musique géniale ("yo oh oh oh yo oh oh oh !" et ne venez pas me parler du Small Small World d'à côté !), une succession de grands moments que l'on a parfaitement le temps d'apprécier. Enfin, et ce n'est pas la moindre des qualités de l'attraction, la file d'attente y est toujours fort réduite. Malheureusement, cela risque de changer après le joli succès que vient de rencontrer l'adaptation cinématographique de ce "clou du spectacle". C'est, par contre, une raison de ne pas aimer Les Pirates des Caraïbes de Gore Verbinski.

        A l'actif de la fidélité du film par rapport à l'attraction : à peu près tout. On retrouve toutes les scènes clefs du parcours au cœur du dédale "maritime" de Disneyland. L'attaque de la ville fortifiée, les prisonniers essayant de soudoyer leur impassible gardien, les squelettes de pirate, le gag du vin qui passe au travers du corps quand il est bu, la caverne au trésor exactement reconstituée, la chanson (malheureusement pas assez présente...), les personnalités des pirates (aussi développées que celles des animatroniques, si ce n'est moins), etc.... Malheureusement, le film est nettement moins amusant que l'attraction. Et oui, au moins à Disneyland, avec un peu de chance on se retrouve devant et on se mouille un peu les pieds dans les descentes. Dans le film de Verbinski, certes, cela dure plus longtemps (et ce n'est pas un avantage), mais il n'y a pas de quoi bondir de son siège. Et nous en arrivons déjà, doucement, à la seconde raison d'apprécier malgré tout le film.

        Quelques scènes d'action amusantes. Si, si. Même si elles sont filmées avec les pieds par Verbinski (qui après le très médiocre remake de Ring persiste dans le divertissement flan formaté pour le public américain), elles demeurent assez amusantes. Mais alors qu'est-ce qu'on s'embête. Pendant les séquences d'action, hein ! Parce que pendant le reste du film, là c'est carrément le coma. Les scénaristes se sont visiblement pris les pieds dans le tapis. En commettant des bourdes pas possibles. L'une des principales consistant sans doute en l'absence totale de magie et de mystère. Les lieux sont d'une banalité affligeante. Le "vaisseau fantôme" n'en est pas un. Les pirates maudits sont des guignols. Les héros sont transparents (mais je vais y revenir). Tout est prévisible, sauf une incroyable faute de goût qui consiste à amener tout le monde pour une répétition générale du combat final du film... combat avorté et reporté au même endroit, dans la même situation, avec les mêmes protagonistes, mais une "bonne" heure après. Mais là, je suis de mauvaise foi. Dans l'heure qui suit on a droit à un abordage assez bien mené. Et, enfin, à un combat final digne de ce nom. Totalement massacré par un montage parallèle catastrophique qui oppose une bataille entre les pirates zombies (magnifiquement conçus par ILM) et des soldats dont on se contrefiche, et un duel entre Johnny Depp et Geoffrey Rush particulièrement peinard mais sauvé, là encore, par d'excellents effets spéciaux. Ah, zut, ça y est, je ne voulais pas, mais j'ai lancé "le nom". Et d'ailleurs le voilà qui arrive : 

        Johnny Depp. Tout le monde vous dira que les Pirates des Caraïbes c'est génial parce que Johnny Depp délivre une performance anthologique. Il est certain que son Jack Sparrow, vague mélange entre Keith Richards et John Galliano, est hilarant. Et c'est lui qui nous offre les vrais bons moments du film. Dès qu'il bouge, dès qu'il ouvre la bouche, c'est un festival, un cabotinage maladif qui ne peut que provoquer le rire. C'est du n'importe quoi. Du n'importe quoi, certes, mais bien peu nuancé. Ce qui place cette fameuse performance "anthologique" dans les rôles mineurs du monsieur. On est ici à des années lumières de Ed Wood, de Dead Man ou de Las Vegas Parano (d'ailleurs Jack Sparrow est nettement l'enfant illégitime de Hunter Thompson défoncé à l'acide, à l'éther ou à n'importe quoi d'autre). Mais le capital sympathie de Johnny Depp remporte la mise. Il s'amuse, on s'amuse. C'est déjà pas mal. Par contre, Orlando Bloom, séparé de son amoureux transi Peter Jackson, est totalement transparent, voire exaspérant à certains moments. Quant à l'actrice principale, elle est une potiche dont on oublie l'existence dès que le générique de fin résonne. Geoffrey Rush cabotine à peu près autant que Johnny Depp. Les seconds rôles (dont le grand Jonathan Pryce) se disent qu'ils ont aussi le droit de faire n'importe quoi et ne se privent pas. Bref, c'est le bordel. Si on ajoute à cela une musique hideuse qui casse la tête à la moindre scène d'action (dans le style "Hé ho ! Regardez ! Il se passe quelque chose à l'écran !" ou "Ouais !!! C'est la grande aventure les amis!!" voire "Tatatam tatatam !! C'est Hollywood !!"). Tout cela pour souligner un roulement des yeux de Johnny Depp... hum... certes...

        En conclusion, Les Pirates des Caraïbes est un génial film pour enfants. Ce sont eux qui sont clairement visés par Disney (logiquement) et on se sent parfois un peu exclut par ce grand spectacle de marionnettes. On pensera d'ailleurs fortement aux Goonies, sans doute à cause du galion dans la caverne à la fin... Le film fait un peu peur, mais il y a des gags pour que cela ne fasse pas trop peur. Le film est un peu violent, mais les gens ils se prennent des poutres, des portes, des murs, bref, c'est drôle. Le film est un peu osé, mais les messieurs font de grands mouvements avec leurs bras, comme à Guignol. Bref, le film est parfait pour les moins de 12 ans. Les autres seront souvent perplexes. Surtout que, pour une si grosse production, le film manque incroyablement de souffle et de grandiose. La faute, je crois, à Verbinski, qui filme tout de travers (ou presque). A part Johnny Depp, parfaitement cadré dès qu'il commence à s'agiter et à voler la vedette à tout le reste (pirates zombies et gros bateaux y compris). Les Pirates des Caraïbes devient alors un Johnny Depp Show bien poilant, mais long, si long, fatigant, extrêmement frustrant, mais finalement assez agréable. Un tout petit divertissement qui aurait pu s'avérer brutalement indigeste, si, prenant le thème au pied de la lettre, monsieur Johnny Depp n'avait pas littéralement piraté le film. Yo ho ho ho ! Yo ho ho ho !


 

Willard

de Glen Morgan

        Peut-on aimer un film juste pour un acteur ou une actrice ? A part faire preuve d'une mauvaise foi qui percute le ridicule, on répondra sans hésiter : oui ! On peut même adorer un film juste pour la prestance d'une actrice, pour la beauté d'un acteur, pour le talent d'une actrice, pour le cabotinage d'un acteur et réciproquement et tout à la fois. Dans le cas d'une petite série B sans prétention comme Willard (remake d'un minuscule film fantastique des années 70), on pourrait se contenter de la performance d'un acteur ou d'une actrice pour passer un bon moment. Sur ce point, je vais bien sûr revenir. Mais il faut déjà préciser que Willard ne se limite pas à son acteur principal. La mise en scène est impeccable, évitant fréquemment les effets faciles (mais malheureusement pas toujours, mais bon, il ne faut point trop demander). Une mise en image classique, parfois très classe (excellent générique de début !), qui met parfaitement en valeur un très beau décor de maison gothique. L'histoire est assez prévisible mais réserve quelques séquences magnifiques. Les relations entre Willard et ses deux principaux rats (le gentil Socrates et l'alter ego du héros Ben) sont très prenantes voire touchantes. Sans déflorer trop l'histoire, la "transmission" des traumatismes de Willard sur Ben ne sombre jamais dans une lourdeur excessive et s'avère fort juste. La musique vous fera inévitablement penser à du Danny Elfman, mais pas de panique, elle est signée Shirley Walker, la seule et unique disciple "officiel" du grand Danny. Bref, à tous les niveaux, Willard respire le travail bien fait et l'amour du genre.

        Et puis il y a Crispin Glover. Certes, il joue là dans son registre habituel (le psychotique imprévisible, inquiétant, ténébreux et touchant). Mais il flirte avec les étoiles. Du génie pur. Car Glover ne se sert pas que de son inimitable regard inquiétant, il s'offre des moments de nuances assez surprenants, passant des larmes à la colère, de la faiblesse à la puissance, parfois au sein de la même scène. Avec une intensité qui pourra rappeler le non moins immense Christopher Walken. Des acteurs vraiment "fous" qui peuvent se permettre de jouer tout et n'importe quoi, en transformant le rôle le plus anodin en personnage inoubliable (voir pour cela le Thin Man qu'interprète Glover dans les Charlie's Angels). Bref, dans Willard, Crispin Glover ne fait pas que cabotiner, il habite littéralement des scènes pleines de retenue et parvient à rendre tout à fait crédibles ses rapports affectifs avec les rats. Son interprétation transcende à ce point le film, que la modeste série B prend une toute autre dimension. Et même si le scénario faiblit sur la fin, que Lee Ermey en fait des tonnes et que Laura Harring n'existe même pas, Willard tire son épingle du jeu. En imposant un formidable personnage et un acteur qui réussit à émouvoir le spectateur avec n'importe quoi. Willard est donc pour l'instant la série B Fantastique de l'année 2003, rien que pour l'immense Crispin Glover. Aller, maintenant il faut lui donner des rôles à sa mesure à ce monsieur.


Hero

de Zhang Yimou

Mon Dieu, que c'est beau ! 

        Indéniablement. C'est même "trop" beau. Zhang Yimou voulant clairement remettre Ang Lee à sa place, Hero est donc la réponse 100% chinoise au Tigre et Dragon "occidentalisé" de Lee. Visuellement, c'est une claque, un massacre qui ne fait pas de prisonnier. On a rarement vu aussi maîtrisé, maniéré, épuré, sophistiqué, chorégraphié. Tout est millimétré, pas de place à la moindre aspérité, au moindre défaut. La forme de Hero est absolument parfaite. Tout le métrage, de l'utilisation des couleurs au moindre ralenti, a été réfléchit, peaufiné, soigné avec une attention qui ne peut que bouleverser. Les images sublimes ne cessent de s'enchaîner jusqu'à donner le tournis. Les séquences, d'une puissance dramatique étouffante, ne veulent jamais avouer la moindre faiblesse. Hero ne laisse pas la moindre place à l'humour, à la légèreté, à l'imprévu. Mais sans pour autant prétendre à la fresque façon Kurosawa, le film étant très court (1h38), et cela pour le mieux (on sent déjà le temps passer).

        Bien sûr il y a des combats (très nombreux, souvent gratuits, mais toujours à tomber par terre) et des acteurs à se damner (je vais y revenir). Bien sûr il y a des centaines de figurants, des costumes magnifiques, des décors immenses, de la poésie à chaque plan, à chaque réplique. Mais vous allez pourtant entendre beaucoup de mal sur ce film. Car il est censé faire une certaine apologie du régime communiste qui dirige la Chine d'une main toute dictatoriale. En effet, le dénouement de l'histoire semble offrir toute légitimité à la "raison d'état", face à laquelle tous les sacrifices sont nécessaires, et toutes les voix dissonantes doivent être éliminer sans pitié. Mais d'un autre côté, le film demeure ambigu, et plus d'une fois Zhang Yimou se montre tenté par d'autres façons de penser. Et chacun reste libre d'apporter sa propre interprétation à l'histoire (aux histoires, serais-je tenté de dire). Et on peut choisir en son âme et conscience la voie (la voix) de l'un ou l'autre des "héros" du film.

        Ces héros, justement, incarnés par les plus beaux et les plus charismatiques acteurs de notre planète. Jet Li, monolithique mais impérial, enfin revenu de son ridicule passage aux USA. Tony Leung, totalement magnétique. Maggie Cheung, d'une grâce inhumaine. Zhang Ziyi, d'une beauté inoubliable. Donnie Yen, dans une apparition brève mais aussi majestueuse que sa prestation dans Time and Tide. Ainsi que Chen Daoming, brillant, dans le rôle de l'Empereur menacé par la conspiration de trois tueurs quasi invulnérables. Pour le plus grand bonheur des spectateurs amoureux du cinéma asiatique, les quatre acteurs principaux ont tous droit à un, voire plusieurs, combats les uns contre les autres. On a ainsi droit à un combat d'une splendeur indescriptible entre Maggie Cheung et Zhang Ziyi, ainsi qu'à une passe d'armes d'une magie incomparable entre Tony Leung et Jet Li. Je n'en dirais pas plus pour préserver le ravissement que procure ces scènes d'une magnificence plastique tétanisante.

        Malgré tout, le film de Zhang Yimou n'est pas sans défauts. Le principal, sans doute, c'est d'avoir privilégié la forme au dépend de l'émotion. Même si, au final, le film parvient à toucher, son scénario, conçu autour de différentes versions d'une même histoire, et son harmonie très maniérée, ne favorisent pas l'implication émotionnelle du spectateur. On est plus bouleversé par la beauté des scènes que par ce qui s'y déroule (pourtant le film ne lésine pas sur les drames humains, amoureux et philosophiques). Mais c'est à la lumière de multiples visions que l'on pourra au mieux apprécier la véritable dimension de Hero. On se demandera aussi pourquoi Zhang Yimou reprend presque plan par plan certaines scènes de Tigre et Dragon. Bien sûr, Hero est une réponse à Ang Lee, mais il n'était pas forcément utile de souligner à ce point le "message". 

        Au final, Hero est pour l'instant le sommet esthétique de l'année 2003 (juste à la droite de Dolls, bien sûr, qui lui est, par contre, un chef-d'œuvre intégral). Et même si un léger sentiment de déception persiste à la fin du film, Hero nous abandonne avec le souvenir de tant d'images somptueuses que l'on ne peut que s'incliner. Sublime.


Détour Mortel

de Rob Schmidt

        Annoncé comme un "survival" méchant, gore et bien flippant, Détour Mortel ne peut que laisser brutalement sur sa faim. Car on se retrouve encore une fois devant une variation sur les incontournables Délivrance (cité par l'un des personnages du film !) et Massacre à la Tronçonneuse (on n'est pas passé loin du plagiat, d'ailleurs). Si on ajoute à cela une bonne louche de Jeepers Creepers. On tient la quasi intégralité de Wrong Turn en trois longs métrages autrement supérieurs. Le film de Rob Schmidt ne présente plus alors que de très petits signes d'intérêt. Avant tout et surtout une bonne scène de trouille inédite (un jeu de cache-cache dans les arbres) et quelques moments sympathiques ça et là. Le film est par ailleurs mis en scène efficacement avec un minimum d'effets inutiles (à part un générique de début encore et toujours "à la Seven" qui fait un peu tâche). Le scénario, par contre, est prévisible de la première à la dernière séquence (post-générique) et ne réserve donc aucune véritable surprise (on sait pertinemment qui va mourir et, pire encore, on devine sans problème à quel moment les protagonistes vont passer de vie à trépas). 

        Les méchants ont beau profiter de maquillages grandioses conçus par Stan Winston (aussi producteur de la chose), ils manquent cruellement de charisme et ne commencent à exister un tant soit peu qu'à un quart d'heure de la fin. Niveau gore, c'est aussi la déception, le film va certes plus loin que les slashers habituels, mais pas de quoi s'affoler, loin de là. On atteint à peine le niveau du premier Vendredi 13 (d'il y a plus de 20 ans, quand même)... A part cela, bien sûr, les actrices se balladent avec un minimum de vêtements, mais là encore, c'est vraiment du minimum syndical, et on ne se relèvera pas la nuit. Bref, c'est de la série B bien emballée, qui remplit gentiment son cahier des charges, mais avec si peu d'originalité et si peu d'efficacité (la première moitié du métrage est à s'endormir dans son siège, le plus intéressant étant les jolies forêts que l'on nous fait visiter), que l'on peut prédire sans trop se tromper que Détour Mortel va sombrer très promptement et justement dans l'oubli.


Resurrection of the Little Match Girl

de Jang Sun-Woo

        Cet impressionnant blockbuster coréen est ce que l'on peut appeler sans mentir : un "OVNI filmique". Malheureusement, après un cuisant échec public dans son pays d'origine, on risque d'attendre encore longtemps sa sortie en version intégrale dans notre occident pas toujours bien réveillé. Dans les présentations du film  vous entendrez souvent des comparaisons à base de Matrix et de Avalon, ce qui est très vrai dans les deux cas. Mais l'histoire même de cette Résurrection, certains de ses aspects visuels ainsi que son humour omniprésent, évoqueront finalement nettement plus le eXistenZ de David Cronenberg. En effet la résurrection de la petite marchande d'allumettes, dont il est ici question, est un jeu de rôle qui relie étroitement virtuel et réel. Comme dans Avalon, bien sûr, mais finalement nettement plus comme dans le Cronenberg. Mais comme dans le chef-d'œuvre d'Oshii, le scénario reste très nébuleux, pour ne pas dire totalement abscons par moments. Inutile donc d'entrer dans le détail de l'histoire, qui réserve quand même de belles surprises et un final assez intense et inattendu, qui se paye le luxe de prendre de vitesse Matrix Reloaded et Matrix Revolutions sur leur propre terrain. D'ailleurs on pourrait aussi dire que par instants, le film est un peu ce qu'aurait pu tourner Tsui Hark pour se venger de Matrix.

        Car c'est un joyeux bazar que ce Resurrection of the Little Match Girl. Un joyeux bazar narratif, donc, qui zappe entre les scènes sans forcément de liens. Un hénaurme bazar visuel, plein de filtres, d'accélérations, de ralentis, de retouches numériques, de câbles, de cascades, d'effets spéciaux numériques, de délires surréalistes et surtout d'empreints aux jeux vidéos. Car Jang Sun-Woo pousse très loin le mimétisme avec les jeux vidéos, au point de présenter ses personnages à la manière d'un jeu de combat (nom et fiche technique dans un cadre au milieu de l'écran), leur évolution à la manière d'un RPG (points de vie, points d'expérience, etc... dans un cadre en haut de l'écran) et les informations permettant de faire progresser le joueur dans des boîtes dialogue à la Final Fantasy. Bref, c'est assez surprenant au départ. Le metteur en scène emprunte aussi aux jeux vidéos les fins multiples suivant les choix des personnages. Amusant. Enfin, du jeux vidéos viennent aussi une galerie de protagonistes particulièrement pittoresques (mention spéciale à Lara, la Lara Croft lesbienne qui n'a rien à envier à Jet Li niveau prouesses physiques).

        Le film met par contre 20 minutes à commencer et pratiquement une bonne heure avant d'investir vraiment le spectateur. La tentation d'arrêter en court de route peut être grande (le film fait 2h10), mais ce serait une grosse erreur. En effet, dans sa seconde moitié, Resurrection of the Little Match Girl se lâche carrément. Gunfights, bastons à main nue (dont l'une d'entre elle fait déjà plus qu'annoncer le final de... Matrix Revolutions...), poursuite en voiture passée en accélérée (un grand moment de n'importe quoi), encore des tonnes de gunfights, un bref mais inoubliable plan de poisson volant, des tonnes d'effets spéciaux qui naviguent entre le fauché et le monumental.... Le film devient alors totalement réjouissant, même si on n'y comprend toujours pas grand chose. Au début, le personnage de la "petit fille aux allumettes" (aux briquets dans cette version là) est inexistant. Mais en plein milieu du métrage, elle prend les armes pour le grand moment du film, une succession de tueries froides sur fond d'Ave Maria, aussi prétentieuses que troublantes. Soudain, Little Match Girl prend une toute autre ampleur. Et un autre rythme, on passe du laborieux au dessin animé. Et la fin, dans la base du System, est un immense morceau de bravoure plein de coups de génie. 

        Comme je le disais plus haut, Resurrection of the Little Match Girl est souvent très drôle et très léger, malgré quelques dérives plus ou moins émouvantes. La mise en scène part donc fréquemment en roue-libre mais parvient à combler les attentes, au final, à l'arraché. On sort du film en ayant très envie de le revoir, ce qui est plutôt bon signe. Bref, même si le film est ultra-référentiel, il ne ressemble pas à grand chose de connu dans notre monde, il offre un grand moment de spectacle fun et se permet quelques superbes images. Je noterais aussi que, mais c'est tout à fait personnel, la Little Match Girl est extrêmement mignonne, ce qui ne peut qu'ajouter énormément au charme du film. Maintenant, il faut commencer à signer des pétitions pour une sortie cinéma digne de ce nom dans nos contrées. Une énième pétition que l'on rangera à la droite de celle concernant Legend of Zu (tout sauf le montage américain, par pitié !!). En conclusion de la conclusion : un film chaudement conseillé par votre serviteur.


Ichi the Killer

de Takeshi Miike

        Je fais partie de ceux qui considèrent monsieur Miike comme un auteur de séries Z prétentieuses, faussement provocatrices, creuses et très ennuyeuses. Dans le genre pétard mouillé, Audition et Visitor Q se posent là. C'est donc sans trop y croire que j'ai jeté un oeil à Ichi The Killer (dans sa version intégrale "uncut", quand même, heureusement), film censé repousser les limites de l'immonde à l'écran. Et, je l'avoue, j'ai été assez surpris. Assez surpris par le fait que Miike a abandonné ses prétentions "d'auteur" pour verser cette fois totalement dans la série Z gore joyeuse et débile. Parodiant tous les clichés du film de "serial-killer" (les traumatismes de l'enfance, le sado-masochisme, les hallucinations, etc...), Miike nous sert un spectacle bordélique, plein de trouvailles visuelles totalement gratuites mais parfaitement à leur place dans ce grand sommet de mauvais goût gaillardement irresponsable. Niveau gore, c'est du bonheur pur. Cela faisait longtemps que l'on avait pas assisté à des scènes aussi immondes, outrancières et finalement amusantes. On a ainsi droit à de nombreuses séquences de torture incroyablement gratinées (pics en métal, hameçons, rasoir, huile bouillante, ciseaux...), à un auto-découpage de langue très éprouvant, à de gigantesques boucheries hystériques pleines de barbaques, à plusieurs démembrements, à des tonnes de tabassages ultra-réalistes, au découpage de haut en bas d'un mac crétin, à plusieurs égorgements cartoonesques et très impressionnants, etc... Avec comme gâterie finale un percement de tympans vus de l'intérieur du conduit auditif. 

        Pour réussir son monument gore, Miike utilise au mieux toutes les techniques, de l'image de synthèse au bon vieux maquillage en latex. Le résultat est un festival sanglant vraiment extrême et parfois bien glauque (comme lorsque le tueur Ichi se masturbe tout en découpant ses victimes ou qu'une prostituée se fait violer après avoir été frappée jusqu'à être défigurée). Car, et oui, Miike ne se refait pas et sombre parfois dans ses travers habituels. Il veut "choquer le bourgeois", par une accumulation grotesque de scènes abjectes. Mais dans Ichi The Killer, contrairement à ses autres oeuvres distribuées pour l'instant en France, cette accumulation vire au comique et jamais on ne parvient à prendre le film au sérieux (du moins, je n'y suis pas du tout parvenu). En effet, Miike ne cesse de bourrer son métrage de gags burlesques et d'idées visuelles poilantes (le look du super tueur sado-maso, avec ses costumes à paillettes et ses manteaux de couleurs vives, est à tomber par terre). Loin de toute prétention, Miike retrouve alors la verve des meilleures comédies gores. Par contre, le film traîne un peu en longueur (plus de 2h d'atrocités !) et certaines tentatives pour insuffler de la réflexion au milieu de ce bordel tombent à l'eau. Malgré tout, Miike parvient à faire exister un tant soit peu une bonne dizaine de personnages, tous reconnaissables, tous marquants, et délivre quelques moments grandioses d'expérimentations audacieuses et franchement percutées de la cafetière. Un peu comme si Tsui Hark s'adonnait à nouveau au film gore, 25 ans après son Histoire de Cannibales

        Le meilleur, et de très loin, film de Takeshi Miike qu'il m'ait été donné de voir. Un immonde film gore psychotique, souvent surprenant et assez amusant au final. Par contre, dernier point, c'est du costaud, au cas où vous ne l'auriez pas compris, de l'interdit au mineur, du très très beurk, du pervers polymorphe, du carrément ignoble même. Je suis très laxiste avec les "avertissements au public sensible" (car je les ai transgressés tant et plus dans ma folle jeunesse), mais là, c'est à vos risques et périls. Ce qui fait d'ailleurs de Ichi The Killer, l'un des très rares vrais bons films gore au sein de notre époque qui pensait avoir définitivement enterré le genre. Splash not dead !


Hulk

de Ang Lee

        Il est toujours passionnant de voir ce qu'un cinéaste peut offrir lorsqu'il oeuvre dans un domaine qui n'est, a priori, pas du tout le sien. C'est donc avec curiosité, appréhension et même enthousiasme, que l'on attendait le Hulk de Ang Lee. Après son admirable et aérien Tigre et Dragon, on se demandait quel traitement le metteur en scène allait pouvoir donner au plus célèbre des géants verts du monde des Comics (et non du monde du maïs...). Après la vision du film, on se dit que Ang Lee lui-même doit encore se demander quelle tonalité donner à son film. En effet, son Hulk est un hallucinant fourre-tout visuel et narratif, qui part dans toutes les directions sans jamais trouver un début d'unité. On passe ainsi du drame psychologique ampoulé au cartoon, en percutant le cinéma HK, tout en traversant à toute vitesse le blockbuster hollywoodien, le film d'aventure, le thriller de SF, la comédie burlesque et le cinéma expérimental. Même si Hulk est un fort long-métrage (près de 2h30, bien mal rythmées), tous les choix du metteur en scène n'ont certainement pas la place de s'épanouir et de s'entendre entre eux. Car si certains aspects du film sont enthousiasmants, d'autre ne cesse d'attrister.

        Le plus gros défaut de Hulk est sans doute son scénario, totalement à côté de la plaque. En voulant offrir une dimension humaine à un récit à la base assez grotesque (un homme se transforme en monstre verdâtre géant lorsqu'il est énervé, mais sans craquer son pantalon pour autant...), Ang Lee se perd dans d'interminables scènes de dialogue totalement inutiles et une psychanalyse bien embarrassante, qui tourne autour d'un conflit oedipien qui n'a rien de métaphorique mais qui s'avère au contraire incroyablement lourd et démonstratif. En ce sens, le combat final entre Hulk et son père a beau être aussi surréaliste qu'impressionnant, il n'en est pas moins écrasé par sa symbolique éléphantesque. Mais ces infatigables dialogues ne poseraient pas beaucoup de problèmes, si ce qui s'y racontait était intéressant. Et c'est là que l'on tombe le plus de son siège. Il ne se dit quasiment rien dans Hulk. L'histoire d'amour est vague et à peine ébauchée (on ne saura jamais pourquoi Betty a quitté Bruce Banner), le conflit entre le père et le fils demeure grossier, les luttes de pouvoir au sein de l'armée sont inexistantes, les rapports entre Betty et son père sont tout aussi caricaturaux, nébuleux et superflus... Et tout cela dans un sérieux papal. C'est seulement lorsque le monstre s'en mêle et commence à ruer dans les brancards que l'histoire redevient légère et enthousiasmante. Donc pendant un peu plus d'une demie-heure en tout et pour tout...

        Par ailleurs, le film brille sur un autre point : sa forme. Pris d'un délire de mise en scène proche de l'hystérie et que l'on n'aurait jamais soupçonné chez lui, Ang Lee se met à faire tout et n'importe quoi. Il emboîte les plans, les accélère, fait des cuts, des faux raccords, des champs contre champs n'importe comment, se prend pour Tsui Hark en montant son film dans un bordel apocalyptique souvent très surprenant. Dans une telle folie expérimentale (n'ayons pas peur des mots), il y a des réussites et des échecs flagrants. Hulk se permet donc de passer de la poésie au ridicule au sein de la même séquence. Dans l'ensemble, ce visuel bordélique au possible est ce qui garde l'attention du spectateur éveillée et qui sauve le film de la débâcle. On pourra aussi remarquer que le Hulk en image de synthèse est l'acteur le plus crédible du film, c'est une évidence que personne ne viendra contredire, je crois. La photographie est de toute beauté et on notera aussi un bon thème musical par l'incontournable ami des super-héros, notre monsieur Danny Elfman à nous. Le reste de la BO est plus anodin, malheureusement, et ne cesse de lorgner du côté de la Planète des Singes (encore ! Et oui, après Spider-Man, encore une BO qui ressasse le Main Titles de Planet of the Apes...). Enfin, et cela a une importance non négligeable, il y a Jennifer Connelly, transparente dans le rôle de l'indispensable accessoire féminin, mais d'une beauté de plus en plus incroyable. Je n'oserais pas prétendre que rien que pour elle le film est à voir, mais je le penserais très fort quand même.

        Toutes les scènes d'action sont réjouissantes, en particulier un combat débile mais grandiose contre une bande de toutous irradiés (un grand moment de n'importe quoi, avec un caniche géant super agressif...). Bien sûr, le climax du film est la fuite de Hulk dans le désert, impeccablement mise en valeur par des effets spéciaux parfaits. De même, les déplacements du monstre tout vert, par bons immenses, ne sont pas ridicules mais rendent parfaitement justice à l'esprit du Comics. Enfin, le combat final, avec ses faux airs d'hommage à Akira, vire à l'abstraction totale (et incompréhensible) et pourrait nous laisser sur une bonne impression. Malheureusement, une coda entre niaiserie et série Z nous rappelle que Ang Lee n'a vraiment pas trouvé le moyen de faire tenir Hulk sur un grand écran. 

        En conclusion, comme je le disais plus haut, le film est à voir absolument pour son visuel hallucinant, qui navigue entre le meilleur (des split screens riches de sens) et le pire (des effets spéciaux parfois dignes de la série TV, voir pour cela l'exposition des personnages aux fameux rayons Gamma). Hulk n'est pas la catastrophe, voire le nanar, que beaucoup ont cru voir, c'est une oeuvre en perdition, un film incroyablement ambitieux mais jamais maîtrisé, qui semble s'effondrer sur lui-même du générique de début au générique de fin. Une oeuvre monstre, extrêmement Comics, qui au final, parvient à sauver l'honneur du Hulk très très en colère. Malheureusement, en ces temps d'adaptations à haute dose de Comics, le film de Ang Lee se retrouve éclipsé par des Blade 2 ou des X-Men 2, autrement plus réussis. Malgré tout, j'en suis sûr, Hulk sera redécouvert dans quelques années, en tant que nanar, ou en tant que film culte, je ne sais pas, mais nous ne sommes pas prêt de les oublier : le géant vert (bien sûr) et Jennifer Connelly (évidemment).


X² : X-Men United

de Bryan Singer

        Avant de commencer, je peux vous orienter vers ma critique du premier X-Men, au moment de sa sortie. Sur ce point, je persiste et je signe, X-Men est un demi-ratage particulièrement décevant par rapport à ses intentions et à ses ambitions (un film de super-héros, fidèle aux Comics, avec du spectacle mais aussi de l'émotion et de l'intelligence). Bref, je n'attendais pas vraiment avec impatience ce . De surcroît, à la lecture des premières critiques sur le film, j'ai compris que je risquais d'être encore plus déçu qu'avec le premier effort de Bryan Singer. C'est pourquoi j'ai enfin vu X-Men United, avec beaucoup de retard et sans grandes convictions.

        La surprise fut d'autant plus grande. Pour tout vous avouer, je vous parle de "grande surprise" et de "claque" à propos de Terminator 3. Mais ce n'est rien comparé à la monumentale mandale dans la gueule que je viens de recevoir à la vision de X-Men 2. Pour le coup, je suis vraiment, mais alors vraiment, en désaccord avec tout ce que j'ai pu lire sur le film avant de le voir. Comme quoi, il faut vraiment aller voir les films plutôt que de suivre les avis des uns et des autres. Car, et je le dis d'entrée de jeu, est le meilleur film de super-héros que j'ai pu voir depuis Batman Returns et de surcroît c'est peut-être l'une des plus belles retranscriptions d'une ambiance "Comics" au cinéma.

        Voilà. C'est dit. Mais pourquoi tant d'enthousiasme ? Mais parce que X-Men 2 corrige presque tous les défaut du premier (et des adaptations de Comics en général). Cette fois les personnages principaux sont encore plus nombreux, mais ils ont tous, j'ai bien dit tous, au moins une scène d'importance. Et la majorité d'entre eux ont droit à une scène de super-pouvoirs et à une scène "intime" qui donne de l'épaisseur voire de l'émotion à leur caractère. est un film d'une richesse incroyable, qui retrouve ainsi parfaitement le foisonnement dingue de certains Comics. On ne cesse de passer de l'un à l'autre et on assiste enfin, pour de vrai, en "live", à quelques uns des délices du Comics. Des combats à grandes échelles, des supers-pouvoirs en délire, des alliances dans tous les sens, des héros ambigus, des méchants vraiment méchants, du sacrifice, de l'émotion, de l'humour, et surtout une impression de spectacle "bigger than life" tout en restant étonnamment crédible.

        Les anciens protagonistes gagnent à peu près tous en intérêt (sauf Cyclope, mais bon, personne n'aime Cyclope de toute façon). Quant aux nouveaux, ils flirtent avec le coup de génie (par exemple l'ambigu Pyro, la monolithique Lady Deathstrike à laquelle Singer réserve une fin magnifique et surtout le sublime Diablo/Nightcrawler, l'un des X-Men les plus attachants, qui réussit pleinement son passage sur le grand écran). De l'impressionnante scène d'ouverture jusqu'à la conclusion mélancolique du film, le film n'ennuie jamais et non seulement tient ses promesses mais parvient même à surprendre avec des scènes pour le moins géniales (l'évasion de Magneto, un bref mais troublant face à face entre Mystique et Wolverine, les pouvoirs de Jason Stryker (avec une scène clairement empruntée au Avalon d'Oshii)). Bref, si le terme "blockbuster d'auteur" a un sens, c'est bien dans ce X-Men 2, comme dans la plupart des Tim Burton ou des McTiernan, que l'on peut le trouver.

        De plus le film est très violent (cette fois on n'hésite jamais à tuer, charcler, exploser, laisser aller toute sa rage), très spectaculaire (que ce soit dans une séquence en huis-clos comme l'attaque de l'Académie X ou dans le final carrément sublime avec la rupture du barrage), très touchant, très bien interprété (on ne dira jamais à quel point Ian McKellen et Patrick Stewart sont de fantastiques tragédiens pour "films de divertissement"), très prenant, bref quasiment parfait. Des défauts, bien sûr, il y en a encore quelques uns, et je sais que tout le monde va me dire que le combat entre Wolverine et Lady Deathstrike aurait pu être encore plus mythique (mais en même temps j'aime tellement son dénouement que non, franchement, je suis fan). Mais le film est tellement "adulte" à la manière d'un Comics, avec son côté outré dans la fascination que peuvent exercer ces êtres hors normes dotés de pouvoirs parfois franchement ridicules. Mais justement, comme à la lecture des BD, ici on y croit sans aucune retenue. Très bien aidé en cela par des effets spéciaux impeccables et toujours bien venus. 

        En clair, Bryan Singer n'a pas abandonné ses intentions du premier film (respecter les Comics, respecter les fans, mais faire du vrai cinéma avant tout) et cette fois y parvient avec un panache qui aurait du faire date. Parce que franchement, là, je ne comprends pas. Qu'est-ce qui ne va pas avec ce film ? Comment peut-on trouver des qualités à Matrix et ne pas tomber à genoux devant . C'est quand même une toute autre classe ! Voilà le film de divertissement vraiment divertissant mais aussi vraiment intelligent, sans pour autant avoir besoin de péter plus haut que son cul. Singer n'a pas besoin de philosophie à deux sous ou de psychanalyse basique pour nous dire des choses justes et surtout pour nous investir pleinement dans ce qu'il raconte. Il lui suffit de quelques plans et de quelques répliques pour rendre Nightcrawler inoubliable, il parvient enfin à donner l'impression que Wolverine peut être aussi cool que sanguinaire et il réussit un plan final magnifique.


Narc

de Joe Carnahan

        Immédiatement élevé au rang de nouveau prodige ultra-prometteur par des personnes aussi estimables que William Friedkin ou aussi... euh... célèbres que Tom Cruise (qui co-produit), Joe Carnahan mérite-il tous ses éloges ? A la vision de Narc, son polar urbain qui dézingue, indéniablement, oui. Carnahan mérite de nombreux éloges. Car Narc est bien le plus digne des héritiers de ces fameux "films de flics" des années 70, dont le fleuron demeure French Connection. Malheureusement, Carnahan ne parvient que très brièvement à retrouver la sécheresse, la violence et l'intensité du chef-d'œuvre de Friedkin. Car le jeune metteur en scène a trop souvent tendance à se laisser aller à des effets de mise en scène clipesques parfois de très mauvais goût. On se retrouve alors quelque part entre le Fincher de Seven (passe encore) et le Aronofsky de Requiem for a Dream (au secours !). Heureusement, la réalisation de Narc ne se limite pas à ces quelques effets faciles. Elle fait souvent preuve d'une belle sobriété et trouve quelques idées percutantes et fort bienvenues. Bref, le spectateur est essentiellement happé par le film. 

        Un film par ailleurs extrêmement dur et sombre. Même si le dénouement n'est pas tout à fait à la hauteur des promesses du début et que dans l'ensemble le film ne décolle pas suffisamment, l'histoire de Narc s'attaque aux tripes dès la première scène (effroyable) et ne les lâche pas jusqu'au générique de fin (brutal). En fait, le scénario n'est pas si important, tant que l'ambiance est réussie. Et à ce niveau Narc atteint parfaitement ses objectifs. Mais la grande force du film de Joe Carnahan réside en ses deux personnages principaux. Jason Patric est très convaincant en jeune enquêteur partagé entre son désir de justice et l'amour qu'il voue à sa famille. Mais c'est surtout Ray Liotta qui tétanise. Méconnaissable dans la peau d'un flic qui n'a plus rien à perdre, Liotta n'a jamais été aussi excellent. Inquiétant, touchant, imprévisible, brutal, son personnage n'est pas sans rappeler le Gene Hackman de French Connection. C'est vous dire le niveau de la performance. Narc est à voir absolument, juste pour Ray Liotta, immense. De toute façon, les amateurs de polars costauds, éprouvants, humains et virtuoses doivent se précipiter dans la salle obscure la plus proche.


Phone Game

de Joel Schumacher

        Schumacher fait partie de la liste noire du cinéphage de bon goût. En effet, comment prendre au sérieux le monsieur qui a pris la suite de Tim Burton aux commandes de la série des Batman, en délivrant les incroyables nanars que sont Batman Forever et Batman et Robin (un monument, celui-là) ? Comment donner un peu de crédit à l'immortel auteur de Personne n'est Pafaite, L'Expérience Interdite ou le Client ? Et surtout comment pardonner la morale réactionnaire, presque fasciste, et attiré par l'auto-justice, des indigestes Chute Libre, le Droit de Tuer et 8mm ? Bref, Joel Schumacher est en général un sujet de plaisanteries. Son nouveau long-métrage (très court, 1h17), Phone Game se positionne immédiatement comme son meilleur film. Ce qui ne veut a priori pas dire grand chose au vu de la filmographie du bonhomme.

        Mais cette fois Schumacher est surtout bien secondé. Tout d'abord par un scénario de Larry Cohen, auteur et réalisateur de grand talent, à qui l'on doit entre autre un vrai chef-d'œuvre : Meurtres Sous Contrôle. Ensuite par un casting fort classe. On y retrouve l'acteur tendance du moment, Colin Farrell, plutôt très bon. Forrest Whitaker, plutôt excellent comme toujours. Rhada Mitchell, géniale dans Pitch Black, très bien ici. Et surtout Kiefer Sutherland, présent quasi uniquement par sa voix, mais qui nous régale d'une performance magistrale. Disons que rien que pour la voix de Kiefer Sutherland, on pourrait recommander la vision de ce film. Le suspens étant d'autant plus tout à fait prenant.

        Mais voilà, c'est Schumacher qui tient la caméra. Et il ne peut pas faire autrement que de partir dans ses vilains travers. Si la mise en scène est nettement plus intelligente et maîtrisée que d'habitude (que ceux qui ont difficilement survécu à la bouillie des deux Batman du monsieur se rassurent), elle ne cesse de pencher vers les effets les plus inutiles et les plus ridicules. A la décharge de Schumacher, l'utilisation des split screens, très judicieuses, est parfaitement à propos. Une très agréable surprise que ces split screens, d'ailleurs, là, il fallait le dire. 

        Et donc, qu'est-ce qui déconne le plus dans Phone Booth ? Et bien c'est encore la morale de la chose. Sans trop révéler de l'histoire, je ne peux me retenir de vous parler des motivations du psychopathe de service. Voyez-vous, le type il ne supporte pas que Colin Farrell fasse un métier d'hypocrite (il est attaché de presse ou quelque chose dans le genre). Et surtout il ne supporte pas que notre pauvre bougre ait l'intention, enfin la tentation, de tromper sa femme. J'ai bien dit : la tentation. Hein. Il n'a pas trompé sa femme. Loin de là. En plus il a des scrupules. Bref, Colin Farrell va vivre un enfer, parce qu'il pourrait, hein, peut-être, pas sûr, tromper sa femme (la jolie Rhada Mitchell), avec une bimbo bébête, mais toute fraîche (la mignonne Kathie Holmes). Vous voyez le genre. Pire que Photo Obsession, la morale. Bien pire ! Et tout est à l'avenant (le seul personnage véritablement puni est un mac). A ce niveau ce n'est plus du politiquement correct, c'est de l'intégrisme. La vache ! Si tous les mecs qui ont envisagé un jour dans leur vie d'être infidèle, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, se faisait tirer dessus, ça ferait un beau génocide, ça ! Bref, encore une fois, Joel "justicier dans la ville" Schumacher a frappé. La nuance du propos sonne comme un discours de George W. Bush. C'est tout dire.

        Malgré tout, si on arrive à faire l'impasse sur le fond de l'histoire, le détail de l'action est assez prenant. Et le film est vraiment très court, ce qui fait que l'on n'a presque pas le temps de s'ennuyer. Je n'évoquerais pas non plus les invraisemblances assez délirantes, parce que ce serait un peu trop mesquin. Non, franchement, si vous ne savez plus quoi voir au cinéma, Phone Game, ça peut vous plaire. Mais il y a tellement de bonnes choses à voir au cinéma, que bon, on vous pardonnera largement de faire l'impasse. Et puis, certes, faire des entrées pour du Schumacher, c'est un peu encourager les États-Unis fanatiques, et c'est déjà plus problématique. Retournez plutôt voir Lost In La Mancha, que Terry Gilliam puisse refaire des films !


Basic

de John McTiernan

        Après l'accueil incroyablement négatif reçu par son pourtant assez intéressant remake de Rollerball, McTiernan se refait une santé (mais en avait-il vraiment besoin ?) avec un "petit" thriller militaire ludique et virtuose. En attendant, on le souhaite, de retrouver des sujets ambitieux dans la veine de Predator et du 13e Guerrier (et pourquoi pas un Die Hard 4 ?). Basic est donc une enquête en "temps réel" qui reprend le fameux effet de style de Rashomon (la même histoire contée par plusieurs personnes). Le procédé est usé jusqu'à la corde. Heureusement, McTiernan n'est pas le premier metteur en scène venu et il se sort brillamment de tous les pièges. Au final, il arrive à une telle accumulation de rebondissements, toujours parfaitement compréhensibles, que le spectateur le plus blasé en perd son latin. Malin, Basic l'est, indéniablement. En sachant parfaitement qu'il manipule à outrance son public, McTiernan trouve en toute fin de métrage la solution la plus juste : transformer le film en un vaste jeu, en un divertissement ludique. Loin de se moquer du spectateur, McTiernan réussit là où il avait échoué avec son remake de l'Affaire Thomas Crown et là où Fincher s'était fourvoyé avec The Game. Quand on fait du labyrinthique, il ne faut jamais oublier d'être léger. 

        Pour ce faire, McT a deux atouts imparables : ses acteurs et, bien sûr, sa mise en scène. Les acteurs sont tous très à l'aise (avec évidemment la mention spéciale à Samuel L. Jackson) et les échanges sont vifs, intéressants, prenants. La mise en scène est toujours aussi aérienne, maîtrisée, jamais gratuite. McT connaît ses effets et il en use toujours à bon escient, avec parcimonie. Ainsi on n'a jamais l'impression que le réalisateur vole la vedette à ce qu'il filme (et croyez-moi c'est de plus en plus rare, et non je ne reparlerais pas de Noé et d'Aronofsky). Les scènes d'interrogatoire sur la base militaire sont dynamiques et jamais ennuyeuses. Mais c'est surtout les flash-backs de la mission dans la jungle en pleine tempête qui laissent bouche bée. On retrouve alors le McT que l'on aime, le putain de metteur en scène barbare qui sait, mieux que quiconque à Hollywood, filmer la nature hostile et titanesque. Malheureusement, les séquences en extérieur sont trop brèves et McT retranche très rapidement son action dans une cabane en pleine jungle. Mais là encore, il s'en sort avec un talent sans faille, tant l'espace et les interactions entre les rangers à bout de nerfs sont idéalement gérées. 

        Alors, bien sûr, Basic est un film de divertissement, sans autres prétentions que de faire passer un excellent moment au spectateur. Et donc, la virtuosité, le sens génial du langage cinématographique, la perfection formelle du film de McTiernan semblera à certains aussi futiles que l'histoire qui nous ait conté. Et bien, ces gens ont tort ! Plus encore que le Fincher de Panic Room, McTiernan trouve avec Basic le terrain idéal pour construire un thriller à l'ancienne qui a aucun moment ne paraît bâclé ou prétentieux. Même si on est loin de la splendeur de A La Poursuite d'Octobre Rouge (l'étalon du "thriller politico-militaire-sous-marin"), Basic est un film qui a la classe. La vraie classe. Et qui fait sortir de la salle le sourire aux lèvres. Zut alors, qu'est-ce qu'il est fort ce McT...


28 Jours plus tard

de Danny Boyle

        Un metteur en scène a parfois d'excellentes idées et même d'excellentes intentions. Les excellents idées de Danny Boyle pour 28 Days Later sont nombreuses. Faire un film de zombies à l'ancienne avec les méthodes les plus contemporaines, voilà le coup de génie essentiel du film. Boyle filme en DV, brut de décoffrage, en secouant sa caméra numérique dans tous les sens à la moindre occasion. Son film est très gore et ses zombies possèdent une hargne inédite. Au lieu de se traîner au ralenti comme chez Romero, ils courent à toute vitesse et s'agitent dans tous les sens grâce à des jump-cuts bourrins et des bidouillages primitifs mais diablement efficaces. Bref, quand Boyle filme du zombies, ça dégage, on s'accroche à son fauteuil. Malheureusement, le film n'a beau durer qu'une heure et demie, il ne s'y passe pas grand chose. Pour tout vous avouer, il n'y a pas une seule véritable attaque de zombies, à peine quelques agressions si rapides qu'elles en deviennent quasi subliminales.

        Alors que filme Danny Boyle dans 28 Days Later ? Et bien il filme l'Angleterre post-apocalyptique. Et il le fait fort bien. Les quelques visions du Londres désert sont troublantes et valent à elles seules le déplacement (on me dira que l'on en voit la majorité dans la bande annonce, oui, certes). Mais là encore, ce monde ravagé n'occupe qu'une infime portion du métrage. Alors, que filme Danny Boyle, bon sang ? Et bien il refait un peu Trainspotting avec les survivants, voilà ce que fait Danny Boyle. Il choisit quelques héros et anti-héros pittoresques et les fait échanger des bons mots et quelques tourments existentiels assez cruels. Boyle s'attarde en particulier sur son personnage principal, Jim, auquel il offre une ambiguïté étonnante qui culmine dans un massacre final où le "héros" devient encore plus barbare que les monstres. Et même si Boyle s'essaie souvent à la cruauté crade et au cynisme drôle (le virus mortel est libéré par des écolos militants), l'histoire n'apporte rien de bien nouveau et tout cela ne fait que reprendre la bonne vieille trilogie des morts-vivants de Romero. 

        Car c'est là que le film convainc le moins. 28 Days Later ne cesse de faire des clins d'œil, ou plutôt de gros emprunts, à Romero. Si le "shopping" se fait désormais au son de Grandaddy (joie, bonheur, extase), il n'en rappelle pas moins les délires consuméristes des protagonistes de Zombie. De même, le camp militaire rappelle en bien des points celui du Jour des Morts-Vivants. Et on pourrait en remplir des pages. Surtout que les quelques nouveautés qu'apportent Danny Boyle sont assez discutables (les militaires pètent les plombs car ils veulent des femmes pour perpétuer l'espèce... euh... oui... cela se conçoit, mais la manière dont tout cela se déroule est des plus surréalistes). Bref, Boyle dissimule son absence de scénario original par des effets de mise en scène. Là, encore, ce n'est guère surprenant. Mais là où ce procédé tournait au ridicule total avec La Plage, 28 Days Later retrouve une part de la sympathie dégagée par Trainspotting. Certaines scènes du film sont tout à fait réussies, même si Boyle cherche encore trop à choquer "le bourgeois", qui pourtant en a vu bien d'autres. Il va, dans la boucherie finale, jusqu'à défoncer son héroïne adolescente au Valium, en un "gag" pour djeunz dont on cherche encore la saveur.

        Mais pour en revenir à mes présupposés, un film qui a de bonnes idées et de bonnes intentions, se doit de tenir ses promesses. Ce qui est assez loin d'être le cas de 28 Jours Plus Tard. Quand Romero parvenait à nous surprendre et nous offrir l'un des plus grands films d'horreur-action avec Zombie, Danny Boyle se la coule douce, assure le minimum syndical, ne montre quasiment jamais ses zombies. Peut-être est-ce pour éviter le ridicule, mais son film n'est plus alors un "zombie movie ultra-agressif en DV", mais plutôt une étude inégale de caractères en milieu apocalyptique. Malgré tout, 28 Days Later est suffisamment différent du tout venant cinématographique pour mériter le détour et même si le film est loin d'être une révolution, il comporte assez de bons moments pour satisfaire le spectateur amateur de zombies.


Terminator 3 : le soulèvement des machines

de Jonathan Mostow

        Un petit préambule s'impose. On m'accuse parfois de mauvaise foi, franchement, y a pas de quoi. Quand j'aime je le dis, quand je n'aime pas je le dis aussi. Et en règle générale, je suis plutôt bon public, voire même très bon public (relire cette page en entier pour s'en rendre compte). Avant d'écrire cette humble chronique, j'ai hésité. Je me suis demandé si je devais dire tout ce que j'avais envie de dire ou si je devais m'autocensurer, par peur de "choquer" le lecteur, qui pourtant en a vu d'autres. Le choix fut vite fait. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer à me modérer. Car avec la modération, on y perdrait son Edwood.

        Quelqu'un m'a écrit qu'il était très prévisible que je préfère Terminator 3 à Matrix. Certes, peut-être et encore... Je n'ai jamais été un grand fan de la franchise Terminator. J'apprécie les films de Cameron, que j'ai vu l'un et l'autre un nombre fort respectable (et même assez élevé) de fois. Je n'attendais pas du tout cette suite. Pour tout dire, jusqu'à la diffusion de la bande annonce dans les salles obscures et la lecture de quelques critiques positives, j'aurais très bien fait l'impasse sur la vision de cette suite. Mais voilà, mon intérêt a été éveillé et j'ai donc bravé la canicule, pour trouver quelques bribes de place le jour même de la sortie de la chose. Le fait que je n'attendais qu'assez peu de Terminator 3 n'a rendu la surprise que plus conséquente. Non seulement le film est supérieur à tous les Matrix, mais il est aussi mieux que Minority Report et surtout il s'impose, dès la première vision, comme le meilleur de la série.

        On reprend son souffle. On ne rêve pas. Je le répète : Terminator 3 est le meilleur film de la série. Et ce n'est pas une blague. Là, quand je vous disais que vous alliez encore croire que je fais de l'esprit de contradiction, juste pour faire mon intéressant ! Mais non. C'est avec une immense sincérité que je vous le dis : Jonathan Mostow a fait mieux que James Cameron. Certes, le film est en grande partie un remake des deux précédents. Il faut quand même rappeler que le 2 était déjà un quasi remake du premier, avec beaucoup de moyens en plus. Donc, le 3, forcément, ressemble dans ses grandes lignes aux premiers opus. Mais dans le détail, beaucoup de choses changent. Et c'est dans ce détail que Mostow remporte toute mon adhésion. 

        Tout d'abord, le film est à la fois le plus spectaculaire et le plus fin de la série. Il est aussi, paradoxalement, le plus drôle et le plus sombre. On se souvient du choc de la violence du premier Terminator, avec ce tueur immortel et implacable et la mort de Reese. Mais Mostow va plus loin. Il ajoute surtout une grande dose d'ambiguïté, là où avant tout n'était que clarté naïve. Même si Sarah Connor perdait un peu les pédales dans T2, elle n'avait pas le désespoir poisseux du John Connor adulte, "sauveur de l'humanité" bien malgré lui. De même, le Terminator de T2 était invariablement gentil, toujours aux ordres naïfs de l'insupportable John Connor adolescent. Dans T3, le Terminator gagne en psychologie (avec un programme intégré, basique mais très efficace) et en zones d'ombres (impossible de toutes les révéler sans déflorer certains rebondissements). Et même si cela ne veut pas dire grand chose, ce Terminator là est le meilleur rôle d'Arnold Schwarzenegger (à égalité avec Last Action Hero et Predator). La méchante du film, la Terminatrix, ressemble sans doute beaucoup au T1000, mais elle possède suffisamment d'agressivité, de nouveaux gadgets et de charisme (cette fois c'est une femme, voire une bimbo pour tout vous avouer) pour imposer sa présence. Dans l'ensemble, les personnages sont nettement plus intéressants et attachants que dans les films de James Cameron (qui n'a jamais été un grand peintre de caractères, à part dans Abyss, son indiscutable chef-d'œuvre). Notons aussi que si le scénario de T3 rappelle parfois ceux des Matrix, Terminator était là avant les frères Wachowski (qui ne ce sont jamais cachés de piquer tant et plus dans la filmographie de James Cameron). Notons aussi qu'il n'y a pas ici de "philosophie" pompeuse et maladroite, mais un vrai bon scénar de SF qui tient ses promesses sans vouloir jeter de la poudre aux yeux pour impressionner les gugusses qui confondent Descartes et BHL... 

        De plus, comme je le disais plus haut, la noirceur de l'histoire est contrebalancée par un humour qui pourrait être débile ou lourd, mais qui fait très souvent mouche. T3 est un film souvent hilarant, avec par exemple le gag récurrent des lunettes de soleil. En effet, l'humour de T3 s'adresse essentiellement à ceux qui connaissent la série. Et tout le monde connaît Terminator, au moins l'imagerie qui l'accompagne. Et l'on sait aussi que voir Schwarzy en icône bodybuildée des 80's est assez ridicule, surtout à notre époque. Mostow joue parfaitement sur ce fait et transforme toutes les scènes qui devraient être grotesques en moments purement jouissifs. Le film n'est jamais ridicule et sait parfaitement mettre le spectateur dans sa poche.

           Mais il faut bien le reconnaître, si l'on va voir un Terminator, c'est surtout pour assister à un grand spectacle bourrin. On veut des explosions, de grands combats, de la mitraille et des cascades en voitures. Et croyez-moi, on en a pour son argent. Le film dure plus d'une demie-heure de moins que T2 et pourtant on a l'impression qu'il s'y passe dix fois plus de chose. L'occasion de pouvoir enfin dire, sans nostalgie aucune, combien les deux premiers films sont parfois odieusement ennuyeux. Et c'est quelqu'un qui a vu T2 au cinéma à l'époque qui vous le dit. Certes on s'en prenait plein la tête, mais on y traversait aussi de longs tunnels de sommeil. Pas de cela dans T3. Même s'il faut quelques minutes à Mostow pour présenter ses personnages (on notera que la présentation sert parfaitement le film), l'action prend très vite tous les droits. Avec comme point culminant une hallucinante poursuite en voiture ayant pour star un camion grue du plus bel effet. La scène est prenante, follement jouissive, incroyablement spectaculaire, brillamment construite et moins gratuite que la plupart des débordements explosifs habituels. A tous ces niveaux elle enfonce littéralement la partie sur l'autoroute de Matrix Reloaded, l'une des rares séquences à m'avoir un peu amusé et qui devient, à peine quelques semaines après son apparition, grossièrement obsolète. Dans Matrix, la poursuite était gratuite et banale mais bruyante et spectaculaire. Celle de T3 investit beaucoup plus le spectateur et surtout incarne vraiment le rêve de millions de petits garçons. Qui n'a jamais fait de super carambolages avec ses camions de pompiers Majorettes et ses immeubles en Lego ? Et bien Mostow donne vie à ce fantasme enfantin. Oui, c'est du spectacle primaire, du "tac-tac-poum-poum avec des tutures", mais c'est la même chose dans Matrix ou dans Minority Report. Et bien là, T3 enfonce toute la concurrence, renvoyant à la préhistoire les prouesses de T2

        Et Terminator 3 ne fonctionne pas autour d'une seule scène grandiose. Il y en a une flopée d'autres du même niveau. En particulier toute la demie-heure finale, contre-la-montre angoissant, qui ravit nos pulsions destructrices. Quand l'affrontement entre le T100 et la Terminatrice se fait inévitable, l'humour fait encore merveilles. Certes, ils se battent dans les toilettes, on pourrait dire que ce n'est pas très glamour, mais c'est tellement amusant. Le final ? Et bien, je n'en parlerais pas pour l'instant, on attendra que tout le monde ait vu le film pour y revenir. Tout ce que je peux dire c'est que lorsque le générique de fin surgit, avec le thème musical guerrier mythique dans sa plus belle interprétation, on est surpris, on est enthousiasmé. Et on se demande depuis combien de temps on n'avait pas ressenti cela. Car j'ai adoré de nombreux films cette année, mais pas au point d'avoir immédiatement envie de sortir de la salle... pour me précipiter à la séance suivante... Bien plus que Charlie's Angels 2 (jouissif sur l'instant, mais totalement oublié le lendemain), Terminator 3 est LE divertissement hollywoodien du moment. Car c'est non seulement le film le plus spectaculaire de l'année pour l'instant (en attendant bien sûr le titanesque Retour du Roi), mais c'est aussi une oeuvre sympathique, charismatique, intelligente, qui respecte le spectateur (et c'est fort rare).

        Et ce n'est donc pas sous l'enthousiasme immédiat de la première vision que je vous l'affirme. Deux jours sont passés et le film n'a pas baissé dans mon estime. Le temps, bien sûr, transformera sans doute T3 en un souvenir nostalgique, comme pour les deux films de James Cameron. Mais à cet instant, vous ne pouvez pas ignorer cette brillante surprise. Bon, si vous êtes allergique aux camions géants qui défoncent des avenues entières, si vous ne supportez pas les cyborgs barbares, si les visions apocalyptiques vous laissent de marbre, vous pouvez sagement retourner voir le Royaume des Chats. Pour les autres, mazette, Terminator 3 est une petite perle.

Mise à jour 10 ans plus tard : Le meilleur de la série, vraiment ? On m'a beaucoup moqué pour avoir écrit cela à l'époque. Après avoir revu les trois films (ainsi que le moyen Terminator Renaissance), je ne suis pas loin de persister et de signer. Mais il faut avouer que Terminator 2 a encore sacrément du répondant, grâce au talent de metteur en scène de Cameron. Cependant les défauts de ce second volet sautent toujours autant aux yeux et le troisième opus, plus sec, plus sombre, moins ambitieux mais pas moins divertissant, se regarde avec un plaisir pas forcément coupable.


Le Royaume des Chats

de Hiroyuki Morita

        Bien, il est désormais inutile de le préciser, le nouveau film "de Miyazaki", n'est pas un film de Hayao Miyazaki, mais bien une oeuvre issue de son studio de production : Ghibli. Rien de bien gênant de prime abord, car on connaît la qualité des films de chez Ghibli, même lorsque Miyazaki ne s'y investit pas forcément entièrement, avec pour exemple essentiel le sublime Tombeau des Lucioles. Mais, il faut bien reconnaître que le Royaume des Chats n'a ni l'ambition, ni la force du Tombeau des Lucioles. En effet, le film de Morita pourrait très bien se définir comme "un Miyazaki sans Miyazaki". Une grande partie des thèmes chers au cœur du maître, ainsi que ses figures de style les plus connues, se retrouvent dans ce (très court) long-métrage. On a ainsi droit au voyage initiatique dans un monde magique qui cohabite avec le monde des humains (à peu près tous les films de Miyazaki possèdent cette trame). Avec des personnages qui peuvent s'avérer aussi bien rassurants que menaçants. Et au final, hum, hum, une scène aérienne, certes pleine d'énergie, mais une scène de chute aérienne quand même...

        Bien sûr, même si le film ne cesse de rappeler d'autres oeuvres, il possède quelques instants forts réussis qui n'appartiennent qu'à lui. On notera avant tout que, si son héroïne est plus âgée que Chihiro ou que les petites filles de Totoro, le public visé par le Royaume des Chats semble plus jeune. En effet, les enjeux de l'histoire sont bien moins complexes et l'humour est bien plus burlesque et omniprésent. En ce sens le Royaume des Chats est un divertissement délicieux et parfois hilarant. Le personnage, immense de prestance, du Baron, ainsi que ses deux aides de camp, possèdent un charisme indéniable et mériteraient d'être plus développés (ce qui semble être le cas dans les oeuvres qui ont inspiré et précédé le Royaume des Chats). De plus, mais cela est fort subjectif, comme rien n'est plus beau et intéressant qu'un chat, on ne peut que louer la moindre oeuvre qui leur rend hommage. Et on se trouvera fort sensible et amusé devant la légère et innocente note de zoophilie qui imprègne le film.

        La qualité Ghibli n'est pas prise en défaut pour ce qui est de l'esthétique du Royaume des Chats. Dessins et animation sont parfois de toute beauté. Mais moins que dans une oeuvre de Miyazaki... Ah oui, on n'en sort pas. Alors il va falloir couper les ponts. Il va falloir juger le film de Hiroyuki Morita en arrêtant de se référer à monsieur M. En lui-même, le Royaume des Chats est sans aucun doute un bon film, et même un très bon film. Mais on ne peut être que déçu au final. On est loin d'être aussi "transporté" que l'on aurait voulu. Le voyage est cette fois trop court, trop prévisible, l'investissement émotionnel reste minimal. Et si le Royaume des Chats remporte l'adhésion c'est essentiellement grâce à son humour et à son rythme qui ne laissent jamais le temps de s'ennuyer. On sort de la salle heureux, avec l'envie gigantesque de revoir le Voyage de Chihiro.


Charlie's Angels 2 : Full Throttle

de McG

        On a tous notre petite idée de ce que représente le "film d'été" ou même le "film des vacances". Bon, si je présente les choses ainsi, certains d'entre vous vont penser que je parle de ces petites choses que l'on filme au caméscope au bord de la plage ou dans le jardin de mamie. Ces merveilleuses bandes vidéos qui font les beaux jours des "Vidéo Gags" de toute la planète. Non, nous ne sommes pas dans ce registre. Quoique... Enfin, le film d'été au cinéma c'est en général un pur divertissement qui est là pour nous en mettre plein la vue, nous faire sentir bien, nous détendre, bref nous faire croire que les vacances viennent de commencer et que l'on n'est pas près d'en voir le bout. Aux États-Unis, on appelle cela le "Blockbuster estival". En France, jusqu'à très récemment, les Blockbusters estivaux nous parvenaient à la rentrée. Hum... Oui... Cherchez la logique. Et l'été était plutôt réservé aux "fonds de carton", aux films très nuls que l'on n'osait pas sortir le reste de l'année. Remarquons qu'enfin, en l'an de grâce 2003, ces choix idiots ont tendance à faire place aux règnes des blockbusters de saison. Certes, on a encore droit au vidage des poubelles d'Hollywood. Mais ces résidus sont noyés par la présence de la majorité des grands monstres de l'été cinématographique. On attend le prometteur Pirates des Caraïbes de Gore Verbinski (avec monsieur Depp) et l'encore plus prometteur Terminator 3 (mieux que le 2 ?). Par contre, on fera une croix sur La Ligue des Gentlemen Extraordinaires (quelle misère), sur Bad Boys 2 (on n'en attendait rien de toute façon) ou Tomb Raider 2 (on n'imaginait même pas que le film existerait). 

 

        Un long préambule pour introduire Charlie's Angels 2 (Full Throttle ou Les Anges se Déchaînent, suivant que vous soyez plutôt VO ou VF). Toute cette présentation pour pouvoir affirmer d'entrée de jeu que le film de McG incarne l'idéal du film pour les vacances. Une oeuvre sans aucun autre but que de divertir. Sans la moindre once de réflexions, sans la moindre prise de risques, sans complexes, sans limites. Un film définitivement et entièrement, de la première à la dernière image, érigé à la gloire du "fun". Et dire que Charlie's Angels 2 est une oeuvre "fun" tient de l'euphémisme. Tout est conçu pour que le spectacle soit le plus primitif et le plus direct possible. Efficacité maximum avec les règles les plus élémentaires du divertissement. 

        Les gags sont simplissimes (chutes, vulgarités détournées, quiproquos, pipi-caca, apparitions inattendues, cameos, tartes à la crème...) et dans leur grande majorité parfaitement hilarants. Le scénario est tellement tarabiscoté pour ne mener à rien qu'il en devient totalement inexistant (en gros il y a les bons et les méchants et poum-poum !). Le visuel est outrancier jusqu'au fou-rire (le pré-générique et le générique de début sont immenses à ce titre). Le son est poussé à fond (que ce soit pour la musique ou pour les bruitages surréalistes). Les effets spéciaux interviennent pour n'importe quelle raison, et sont un élément comique majeur (un peu comme dans Matrix, normal, ce sont les mêmes). Les séquences s'enchaînent sans autre logique que celle de l'efficacité (pourquoi du surf ? pourquoi du trial ? pourquoi la mafia irlandaise ???). Les acteurs surjouent avec bonheur. Bref, tout, tout, tout, est pensé dans le sens du plaisir immédiat des sens (on s'éclate souvent devant le film comme devant un feu d'artifice) et en particulier du sens de l'humour.

    Le principal grief que l'on émettra face au film est d'être l'exact copie du premier de la série. Ce n'est pas rien. Mais en même temps on s'en fout. Les autres remarques négatives ne sont que des babioles face au plaisir que l'on prend. Certes, on oublie le film au fur et à mesure de son déroulement. Une scène chassant l'autre, sans que cela nous pose le moindre problème. Même les points qui sont insupportables dans les odieusement prétentieux Matrix sont ici sources de plaisir. En particulier une bande son définitivement ringarde (les singles des Prodigy de 1997, ceux des Chemical Brothers, des tonnes de vieux standards rigolos, etc...).

 

        Enfin, outre sa forme qui le fait ressembler à une gigantesque sucette bariolée, le film est un festival d'acteurs en roue libre. Les trois anges sont tout à fait appréciables et ne sont pas là que pour leur physique, même si à la base on va surtout voir le film pour ça. Cameron Diaz, actrice que je ne porte vraiment pas dans mon cœur par ailleurs, est ici excellente dans le rôle de la débile nunuche et maladroite. C'est un plaisir de la voir se ridiculiser de toutes les manières possibles. Lucy Liu est à l'aise dans le rôle de l'ange intellectuel qui te bastonne la gueule avec charme. Drew Barrymore (qui produit) essaie d'insuffler un peu d'épaisseur, voire d'émotion, à son ange fan de heavy métal. Cela ne fonctionne pas, mais on s'amuse beaucoup avec elle quand même. Les seconds rôles sont légions et on ne peut pas prétendre les répertorier avec exhaustivité. Demie Moore est surprenante de crédibilité dans le rôle de la méchante sexuellement agressive et rancunière. Bernie Mac parvient à remplacer Bill Murray (ce qui n'est pas une mince affaire) et à peu près toutes ses apparitions sont au minimum drôles (ce qui n'est pas rien non plus). Robert Patrick passe (dans le rôle d'un méchant, forcément). Matt Le Blanc est à l'aise dans le rôle du Joey de Friends (avec du succès dans son job d'acteur, sinon c'est le même personnage au geste près). Dieu... pardon... John Cleese (qui est présent dans un blockbuster sur deux en ce moment) s'offre un gag récurrent tordant dans le rôle du père sévère de Lucy Liu (qui fait admirablement bien le furet, par ailleurs). Justin Theroux, méconnaissable par rapport à Mulholland Drive, compose un méchant vraiment très méchant et assez charismatique. Le génial Crispin Glover ne fait que passer, mais marque à nouveau les esprits avec son étonnant Sac d'Os. Mais ce n'est pas fini. On croise aussi Robert Forster en chef du FBI, Carrie Fisher en mère supérieure (le clin d'oeil aux Blues Brothers ne s'arrête pas là, vu que McG reprend tel quel le gag des bureaux que l'on avance en sautillant). Bruce Willis passe mais mal maquillé (par contre il semble qu'il se fasse descendre par Demie Moore, ce qui est particulièrement savoureux). On trouve même l'espace de quelques images les jumelles Olsen et l'hideuse Pink. Ouf, quelle auberge espagnole !

 

    Pour résumé : c'est le bonheur pendant moins de deux heures (le film n'est pas très long de surcroît, ce qui est particulièrement appréciable). Et on en a tellement pour son argent que l'on ne peut ressortir que le sourire aux lèvres. Comme je l'ai déjà dit, tout cela ne vole pas bien haut mais s'avère incroyablement jouissif. Un peu comme un Dumb and Dumber au féminin qui aurait copulé sévèrement avec Matrix. Le résultat n'a rien, mais alors rien d'un grand film, mais comble presque toutes les attentes. Aussitôt vu, aussitôt oublié. C'est drôle, voire hilarant. C'est spectaculaire, voire étonnant. C'est fun, voire jouissif. C'est sexy, voire bandant. C'est divertissant au possible, voire parfait pour l'été. Et c'est tout juste la conclusion que je cherchais à atteindre pour retomber sur mes pieds. Et hop !


Lost in la Mancha

de Keith Fulton et Louis Pepe

        L'histoire est désormais connue de tous. Ce "non making-of" conte la tragique histoire du Man Who Killed Don Quixote de Terry Gilliam. Comme Orson Welles avant lui, Gilliam s'est heurté à la "malédiction" cinématographique du chef-d'oeuvre de Cervantès. La réussite exemplaire de ce documentaire est de fonctionner comme un terrible suspens qui culmine sur le final insoutenable de l'annulation du tournage. Comme pour illustrer le final de Brazil : la réalité a sa revanche. Et si le rêveur est toujours libre de rire des coups du sort, c'est ce même sort qui a le dernier mot. Lost In La Mancha devient ainsi, par-delà la drôlerie absurde de certaines de ses séquences, une oeuvre extrêmement sombre et déprimante. Car, putain, merde, c'est moi qui vous le dit, c'est difficile de faire un film. Et un type comme Gilliam qui n'a que des merveilles à son actif, un gars qui a fait Brazil et Fisher King, un mec qui a fait partie des Monty Python, bref, un génie. Et bien ce génie a tous les ennuis du monde pour monter son film, un projet qu'il porte depuis au moins une décennie, une oeuvre visionnaire dont les quelques images qui nous en sont parvenues s'avèrent sublimes. Et si en plus, non, je vous le dis, la malchance s'en mêle, c'est effectivement à se tirer une balle.

        Il faut donc avoir le moral au beau fixe avant de se risquer à une projection de Lost In La Mancha. Le ton du film est léger et Gilliam est une personne à ce point sympathique qu'avec lui même les tragédies sont des plaisirs. Mais ce qui se déroule est une superbe claque dans la jolie petite gueule de la "Magie du Cinéma" (avec des majuscules partout). Le cinéma ce n'est pas "magique", c'est un sale métier de bourrins, un truc de financiers psychopathes, un boulot crevant. Le cinéma c'est une machine énorme qui dépasse tout le monde. Le Don Quichotte de Gilliam, qu'il a pourtant imaginé dans ses moindres détails, qu'il a storyboardé, qu'il a vu et revu dans son esprit pendant des années, et bien ce Don Quichotte finit par le dévorer. L'histoire de Cervantès vient se greffer sur l'histoire du film et la réalité finit par avoir raison du vieil homme. Jean Rochefort, merveilleux dans le rôle, a d'ailleurs sombré dans une vraie dépression à la suite de sa blessure et de l'abandon du film. Mais Gilliam persiste, Gilliam veut faire Don Quichotte et briser la malédiction. Il essaie de racheter son script (retenu par la compagnie d'assurance !), il essaie de retrouver des fonds. Va-t-il poursuivre les moulins à vent pendant 20 ans comme Welles ? Pour sûr, on ne le souhaite pas.

        Quoi qu'il en soit, ce témoignage est inestimable. D'une part pour ce qu'il laisse apercevoir du film, d'autre part pour ce qu'il nous montre de Terry Gilliam. Ensuite et surtout pour ce qu'il nous montre de l'envers du décor. Nous avons l'habitude de voir des films, mais peu d'entre nous ont l'habitude d'en faire. Lost In La Mancha devient ainsi une référence incontournable sur l'Enfer du Cinéma. Derrière les paillettes et Carte Noir, un Café Nommé Désir, il y a le temps qui passe, la boue, la souffrance, l'argent, la déprime et la réalité qui se marrent en coulisses. Décidément, l'année 2003 est placée sous le signe de l'anti-manichéisme, de l'ambiguïté, du cinéma qui veut regarder en face les nuances et la complexité du monde. Après Dark Water, Dolls et Dogville, voici une autre oeuvre clef.


Les Triplettes de Belleville

de Sylvain Chomet

        Quand un film est annoncé avec tant de faste critique, tant de promesses ambitieuses, on aimerait pouvoir échapper à l'attente, légitiment immense, qui nous assaille au moment où la lumière s'éteint et où l'histoire commence. Pris avec distance et bienveillance, il est indéniable que les Triplettes de Belleville est un joli film avec de beaux instants. En particulier la première demie-heure, pleines de promesses, qui culmine avec une hilarante séquence de tour de France qui est finalement le "climax" du métrage. Malheureusement, les promesses ne sont que très partiellement tenues, et la fin du film, terriblement frustrante, laisse un goût de déception légère. Car, oui, on a passé un bon moment, on n'a pas vu le temps filer, mais, oui, on est très surpris de voir ainsi se terminer le film au moment où l'on demandait bien davantage.

        Les intentions de Chomet sont louables, et il ne cesse citer jusqu'à plus soif Jacques Tati. Bien, très bien. Les Triplettes de Belleville se veulent un hommage animé à l'univers de Tati. En résulte l'absence de dialogue et la présence de bouts de conversations éparpillés et à effet comique, comme un bruitage. En résulte aussi cet univers à base de passé idéalisé et de conflit avec un monde moderne exacerbé jusqu'à l'étrange (machines pour le moins bizarres, objets du quotidien détournés de leur usage, glissement imperceptible du réel vers un monde "autre"). Certes Chomet s'affranchit souvent de Tati en osant un humour plus cruel, plus cru, moins délicat. De tout cela surgissent parfois de superbes scènes surprenantes et franchement drôles. Mais le sentiment de frustration ne cesse de resurgir. On s'extasie sur l'instant, puis l'enthousiasme retombe trop vite. Au final, c'est bien sûr le plaisir qui domine. Et on ne peut qu'encourager une telle démarche (on remarquera à quel point il fut difficile de monter ce film). A voir, clairement, à voir.


Interstella 5555

de Leiji Matsumoto et Daft Punk

        Ohla ! J'en vois déjà qui s'affolent ! Oui, vous avez bien saisit le concept. Interstella 5555 c'est l'album de Daft Punk, Disco-very, mis en image par le papa d'Albator. Et réciproquement, c'est un film de Leiji Matsumoto mis en musique par le duo français. Avouons-le, la musique pré-existait aux images. Et souvent, au fil de l'œuvre, on voit que l'une et les autres ne sont pas en symbiose. Mais qu'importe, le concept est enthousiasmant et nous n'allons pas reculer aux portes de la salle sous prétexte que l'on est moyennement réceptif à l'orientation electro-neo-disco-80's du dernier album des deux compères. Pourtant, cela commence mal. Après un efficace générique d'ouverture, dans lequel Matsumoto avoue avoir mis tout son cœur dans le projet, c'est le "tube" horripilant One More Time qui ouvre les hostilités. Bon, tout le monde l'a vu, je crois, inutile de vous rappeler qu'il introduisait bel et bien une histoire qui réclamait une suite.

        Et bien la suite la voici. Durant les 77 minutes du film (et donc de l'album), nous allons découvrir en son entier cette fameuse aventure réservée à notre groupe d'extra-terrestres sournoisement enlevés par un terrible méchant. Je précise aussi, car je ne l'ai pas fait, qu'il n'y aura absolument aucune parole pendant le film et que les bruitages interviennent une fois tous les quarts d'heure. Il n'y a que la musique de Daft Punk et les images de Matsumoto. Et loin d'être une succession de clips, Interstella 5555 tient très rapidement debout. Si la qualité des morceaux est très inégale, voguant du très bon au très kitsch en passant par le très lourd, on se laisse prendre au jeu. Du moins, on se laisse conquérir par ce qui nous est conté.

        Interstella 5555 ne cache pas un budget relativement élevé qui permet à Matsumoto de peaufiner quelques superbes images. De surcroît, l'histoire, de prime abord assez classique, révèle par moments de belles surprises, de sympathiques morceaux de bravoures et une poignée d'instants gracieux en diable. Au final, loin d'être une épreuve, la vision du film laisse un très agréable souvenir. A moins d'être absolument réfractaire à la musique de Daft Punk (ce que je conçois fort bien) ou au style de Leiji Matsumoto (ce qui est déjà plus étonnant), voilà une belle expérience (d'à peine une heure) qu'il serait dommage de bouder.


Evil Dead

de Sam Raimi

Ggggggrrrrrrrrrrrrrraaaaaaaaaaoooooooouuuuuuuhhh ! !

On s'agenouille.

On s'incline.

On bave copieusement.

Et on se démembre dans la joie et la bonne horreur.

L'un des plus grands Évangiles du cinéma Fantastique est revenu parmi nous.

Ressuscité.

Amen.


Mari Iyagi

de Sung-Gang Lee

        Voilà un bien beau film. Une œuvre qui nous laisse au sortir de la salle sur un sentiment d'apaisement, de joie tranquille et de mélancolie douce. Visuellement Mari Iyagi est une splendeur et certaines scènes sont d'une rare magie. Et finalement c'est plutôt la description du quotidien et non les scènes "fantastiques" qui marque le plus. On retient ainsi de Mari Iyagi quelques souvenirs d'enfance, de brefs portraits de gens ordinaires, des amitiés lointaines et un chat. Surtout un chat, là, tenez donc. Pour ce qui est des séquences oniriques, on sera trop souvent tenté d'y voir du Miyazaki (Totoro en particulier et évidemment) voire le "vortex" de Skies of Arcadia (qui décidément semble avoir marqué le vaste monde de l'animation). Et l'on sera aussi déçu que Mari Iyagi demeure tout le long en retrait, trop timide, trop discret. Le film n'ose jamais briser les liens qui le rattachent au quotidien.

        Par moments on se dit que le scénario est avant tout un prétexte à la recherche esthétique. Ce qui en soit n'est pas un tort. Et en ce sens Sung-Gang Lee atteint ses objectifs. On quitte le film avec de superbes images plein les yeux. Et l'impression d'avoir passé quelques instants loin du monde. Heureux, simplement heureux.


Matrix Reloaded

de Andy et Larry Wachowski

        Évidemment, il serait très tentant, très facile et bien normal de dire beaucoup de mal de Matrix Reloaded. Si on veut considérer le nouveau bébé des frères Wachowski comme une œuvre "sérieuse", on enfilerait les griefs comme d'autres enfilent les perles. Mais je ne vais pas envisager cette suite de Matrix d'un point de vue sérieusement sérieux. D'une part parce que c'est impossible et d'autres part parce que ce n'est vraiment pas possible. Mais, même si on va chez Matrix comme on va à Disneyland, je vais quand même faire le point sur ce qui est mauvais sans appel. En gros, ce qui est nul et pas drôle. Premier point, essentiel, le plus intensément insoutenable : le rythme. Matrix Reloaded, c'est chiant. Oui, je sais, je suis vulgaire, mais je ne vois pas d'autres termes. Ou plutôt si, j'en vois des tonnes. Matrix Reloaded c'est ennuyeux, embêtant, emmerdant, long, interminable, plombant, fatigant et j'en passe. Les premiers 3/4 d'heure sont à la limite du coma. Cela se traîne, ça radote, ça dort. Et le plus sérieusement du monde. Parce que attention, chez les élus, on ne plaisante pas des masses. On fait dans le christique, dans le cul-bénit, dans le fanatisme élégiaque, dans la foi empesée. Bref, même si on sait que Keanu Reeves est incapable de sourire (expression faciale trop complexe, émotion trop pointue), il n'essaie pas un seul instant. Bref, tout ce petit monde a un bâton dans le derrière. Ce qui permet effectivement de ne pas trop remarquer la différence entre les acteurs "réels" et les acteurs "virtuels".

        On notera au passage que outre un Keanu égal à lui-même (c'est à dire à une poignée de froncements de sourcils très affectés), nous croiserons une Carrie-Anne Moss pas gâtée par ses metteurs en scène, un Laurence Fishburne aussi vivant que le Terminator après crémation, un Hugo Weaving rigolard, un Lambert Wilson en roue-libre et une Monica Bellucci qui repousse très loin les limites de la nullité. Tout ce petit monde erre donc au fil d'un scénario débile mais profondément Comics (mais pas du Alan Moore, mes enfants). On erre. On doute. Vous voyez, c'est mé-ta-phy-si-que ! On se questionne sur le choix ("si j'ai déjà choist avant de faire, comment je peux choisir, alors que j'ai choisi dans le futur, que l'on peut prévoir, en sachant ainsi ce que je dois choisir"), sur l'existence ("mais si rien n'est vrai tout est possible alors rien n'est possible vu que rien est vrai et que tout est rien"), sur le rôle à jouer ("nous avons tous un but à accomplir, nous ne sommes pas là par hasard, à quelle heure est le dernier métro ?"), sur le sens de la vie ("je rêve d'un monde libre où tous les hommes et les femmes seraient frères et sœurs et porteraient des tenues grotesques en vinyle cheap"). Et pour bien nous faire comprendre tout cela on va vous le répéter souvent. Tout le temps, dès que possible. En gros entre chaque scène d'action. Et même parfois pendant. Au final, à force de vouloir bien nous le faire comprendre, on n'y comprend plus grand chose. A part que les Wachowski ont bien vu Lain, mais qu'ils n'ont pas tout maîtrisé.

        Donc Neo erre. Il se questionne ("mais dans quel état j'erre ?"). Après avoir fait une étape pique-nique dans un village de troglodytes primitifs qui pensent que la liberté est un mélange entre une pub pour gel douche et un concert de Moby, il part avec son air très concerné sur les traces du Maître des Clefs. Bien sûr on se dit que Trinity est le Cerbère de la Porte, mais on a tort. Et ce n'est pas ce bon vieux Rick Moranis qui surgira au final. Déception. Entre temps, et après des heures affolantes de blah-blah mé-ta-phy-si-que (surtout ta-phy-si en fait, non, non, cherchez pas, y a rien à comprendre). Donc après avoir longuement erré, il rencontre l'Agent Smith, le personnage le plus drôle depuis Peter Sellers dans The Party. Et là, soudain, miracle, Neo voit double, triple, et même plus. De partout des Hugo Weaving(s) surgissent. C'est l'affolement, la déferlante, le tsunami, la fête de la bière ! Et Matrix devient soudain un combat égaré de Super Smash Bros Melee. Dans un incessant ballet (brosse) de ralentis absolument gratuits (avec même une ristourne), Neo tape du Smith. Et ça valse, et ça saute, et ça enchaîne les coups spéciaux les plus débiles. Le rire surgit alors. Enfin. Matrix redevient amusant. Et là, pour sûr, on s'amuse. C'est le (petit) grand 8, disons que c'est le grand 4. Mais c'est drôle, voire même carrément poilant car exécuté (le mot est juste) avec le plus grand sérieux. Du décalage né le grain de folie qui manquait au film. Et je ne vous parle même pas de la musique, d'un mauvais goût qui touche au grand art, tant elle ne semble pas du tout être conçue pour servir les images.

        Malheureusement, cela ne dure qu'un instant et déjà le blah-blah ésotérico-mystico-youplaboum revient. On se rendort. Puis on va chez nos amis français. Et l'on sait bien que nos amis français sont marrants. Un peu cons, un peu énervants, un peu pédants, mais marrants, voyez-vous. Il s'en suit des séquences surréalistes d'une bêtise réjouissante. Lambert Wilson enfile les vulgarités et les aphorismes de cours de récrée. Quant à Monica Bellucci, en incarnation parfaite de la bonne dame latine nymphomane, elle manque de violer Keanu dans les toilettes. Bien sûr, il faut le voir pour le croire (sinon on ne me croira jamais). Après, c'est l'escalade. C'est parti pour une demie-heure de n'importe quoi bourrin. C'est amusant parfois, c'est assommant souvent. Neo tape deux-trois glandus avec des armes médiévales (on baille). Trinity et Morpheus (justement) se font poursuivre par la paire de jumeaux la plus kitchissime depuis Schwarzy et De Vito (on roupille). Ils déboulent alors sur une autoroute (on ouvre une paupière parce que ça fait vraiment beaucoup de bruit). Avouons-le, le tac-tac poum-poum crash-crash avec des tutures, c'est toujours marrant. Mais ça ne vaut pas les Blues Brothers et encore moins le début de Destination Finale 2. Bref, ça tac-tac poum-poum entre les voitures. Et éventuellement, ça fait big-badaboum au moment où Neo arrive en faisant Superman (mais on pensera finalement plus à Legend Of Zu, qui n'est pas tombé sous l'œil de deux aveugles). Ouf.

        On se dit que c'est fini. Et que le fameux "suspens insoutenable" qui doit conclure le film est proche. Que nenni, braves gens ! Et c'est reparti pour un tour de blah-blah existentiel et technologique (de mes couilles pourrais-je ajouter mais ce serait vraiment trop mesquin). Alors on rebastonne un tout petit peu (une poignée d'Agents Smith pendant 36 secondes et demie). On assure un semblant de tension dramatique (Trinity va mourir, tout ça). Et on débouche sur un summum de n'importe quoi quand Neo rencontre le Créateur (pas aussi marrant que le Dieu de Time Bandits de monsieur Terry Gilliam, mais presque). Là, ça tient du génie de scénariste manchot. Voyez-vous, la Matrice, c'est de l'Eternel Retour en branches de mimosa. Non ? Si ! Quelle surprise ! La révélation provoque un choc. Même que Neo doit faire un choix cornélien (faire mourir tout le monde ou bien faire mourir tout le monde). Il choisit de faire mourir tout le monde en sauvant Trinity (hormones masculines obligent). Intervient alors une scène à la limite du plagiat du final (à l'époque renversant) du premier Superman. Non, malgré les apparences, Neo ne fera pas tourner la Terre à l'envers pour remonter le temps. Mais presque. On le frôle. Et cela n'aurait certainement pas été plus ridicule que cette résurrection aussi niaise que celle du premier (et ne me dites pas que je vois du christique partout). C'est fini.

        Et bah non ! Ce n'est pas fini. L'overdose est proche mais vous allez bien en reprendre pour 10 minutes. D'un coup Neo se découvre des supers pouvoirs dans le monde réel. Renversant. Mais il tombe dans les pommes. Le pauvre. Et là, c'est la fin. Tétanisant. Au moins. Parce que l'Agent Smith s'est aussi incarné dans le monde réel. Troublant. Et après l'interminable et insoutenable générique de fin (les pires chansons de néo-métal depuis l'invention du rock pour boutonneux), la bande-annonce de Matrix Revolutions révèle la clef de l'histoire. Le super méchant c'est l'Agent Smith (que de surprises !) et ça va bastonner méchamment sa race.

        Au final, mine de rien, les frères Wachowski sont en train de s'offrir une grandiose saga de nanars. Un monument du cinéma nul. Un sommet du flan sur pellicules. Parce que, malheureusement, il n'y avait jamais eu de suite à Flash Gordon. Et là, des suites, y en a plein. Supérieures à l'original de surcroît. On reste rêveur. On n'osait pas y croire. Mais c'est bien vrai. Matrix Reloaded est encore plus mauvais, kitsch et drôle que le premier. Une perle, un jalon pour amateur de cinéma ridicule. Pas tout à fait du niveau d'un Zardoz (intouchable dans le genre SF philosophico-trisomique), mais déjà immense. Mais bien sûr, cela ne tient qu'à vous de choisir la bonne porte, même si en fait vous avez déjà fait votre choix, car votre rôle est de choisir la porte que vous avez déjà choisie au moment où l'on a décidé de faire un upgrade à la Matrice. Ren-ver-sant. Et comme disent certains pour se rassurer : "vous allez voir, quand on aura les trois chapitres sous les yeux, ce sera énorme !". Mais voyons ! C'est déjà énorme !


Dogville

de Lars Von Trier

        Je ne l'ai jamais caché, je n'aime pas, mais alors pas du tout, la récente orientation de l'œuvre de Von Trier, le Danois manipulateur de foules. Sa désormais fameuse "trilogie du Cœur d'Or" (Breaking The Waves, Les Idiots et Dancer In The Dark) ne m'a pas seulement laissé perplexe, elle m'a carrément consterné. Si je trouvais encore des excuses aux deux premiers films du cycle, Dancer In The Dark touchait le fond du blockbuster lacrymal pour lecteurs des Inrocks. Bref, j'en avais marre que Von Trier se foute de ma gueule. Et pourtant, à l'époque, je n'avais jamais caché que j'appréciais beaucoup ses premiers films et même jusqu'à l'excellent The Kingdom. Mais l'aspect gluant, cynique et niais de ses dernières œuvres me déprimait. Le miracle est d'autant plus magnifique. Car Dogville, contre toutes mes attentes, est un chef-d'œuvre. Une œuvre humaine, forcément sombre, novatrice, personnelle, d'une intelligence et d'une nuance rares. On pensera parfois à Kubrick, on oubliera souvent toutes nos références, mais on ne sentira pas passer les trois heures d'un film qu'il faut voir absolument et sans la moindre hésitation.

        Le choix de mise en scène est désormais connu de tous. A mi-chemin entre le dispositif théâtral et le cinéma, il est unique, étonnant, immédiatement enthousiasmant. Au début on s'amuse de ces décors à moitié construit, de ces dessins sur le sol, de ce petit bout de scène qui représente une minuscule ville des USA des années 30. On s'en amuse et rapidement, on s'y habitue, on s'y émerveille. Car le travail sur la mise en scène, à tous les niveaux, est hallucinant. Cela n'a plus rien à voir avec l'improvisation du Dogme. Tout est précis, soigneusement pensé, parfaitement agencé, sans jamais être étouffant. L'utilisation du son et de la lumière laisse pantois. On touche au sublime à de nombreux moments. On a, pour une fois, vraiment jamais vu cela ailleurs. Sur sa forme, Dogville ne souffre aucun reproche, même s'il faut toujours un temps pour s'habituer à la caméra "ivre" de Von Trier. Je noterais au passage que l'intervention d'éléments naturels extérieurs tels que les fleurs de pommiers ou la neige tient de la poésie cinématographique. La musique colle parfaitement aux images, à la fois menaçante et légère. Quant aux bruitages, on s'étonne à chaque instant de la justesse de leur emploi. Le son de la foreuse en "bas de la vallée" est un élément dramatique affolant.

        Et le fond alors ? Car c'était bien ici que les derniers films de Von Trier faiblissaient sans cesse. Et bien cette fois, ce que raconte le cinéaste est renversant d'intelligence, de sincérité et de justesse. Après sa grande période "catholique", Von Trier semble remettre en question, en direct, sa foi. Le final du film est en ce sens l'un des plus forts qu'il m'ait été donné de voir. On assiste à une réflexion qui fait côtoyer raison et sentiments, sans exclure à aucun moment le spectateur. Au contraire, le film laissant en suspend toute résolution morale, n'offrant pas véritablement de réponses aux questions qu'il pose, c'est au spectateur de faire son choix. On imagine alors Von Trier en voisin d'un Verhoeven de Starship Troopers. Si le spectateur veut la vengeance, il est aussi mauvais que les héros du film. Une troublante mise en abîme se produit alors. En offrant au spectateur ce qu'il désire à toute force, Von Trier transforme son film en miroir. En miroir de l'humanité et pas seulement des États-Unis, comme pourront peut-être le penser certains. En ce sens Dogville poursuit enfin la réflexion qui s'achevait de manière si frustrante dans les précédentes œuvres du Danois. On parlera aussi de cruauté, voire de sadisme, pour évoquer l'histoire du film. Cela est sans doute juste, mais très réducteur.

        Ce qui séduit aussi dans Dogville, c'est que l'on sent à chaque instant que c'est un film de Lars Von Trier, une œuvre intime. Grâce à la forme, bien sûr, mais aussi par ce qui s'y raconte. Une nouvelle fois, l'héroïne va subir un chemin de croix éprouvant, contrainte de supporter toute la lâcheté, la faiblesse et la méchanceté des humains. On s'attend alors à un énième mélodrame larmoyant, mais il n'en est rien. Von Trier affronte pour une fois son sujet jusqu'au bout et ne détourne pas les yeux au moment de conclure. Comme à la fin de Full Metal Jacket ou du Parrain 2e Partie, le spectateur reste sous le choc, un peu perdu, à la fois heureux et dégoûté du dénouement. Immense sensation que l'on n'éprouve que très rarement devant un film. L'impression d'avoir vécu quelque chose qui nous percute à l'intérieur, qui nous met à nu.

        Nicole Kidman est enfin totalement géniale. Sans doute bien mieux dirigée que chez Kubrick, elle est méconnaissable. Après sa superbe prestation dans The Hours, elle trouve dans Dogville un rôle aussi difficile que troublant. Le reste du casting est du même niveau et les performances d'acteurs, bien qu'omniprésentes, se font oublier au profit des personnages. Car, voilà, dans Dogville, on ne voit pas Nicole Kidman interpréter Grace, on ne voit que Grace. Mais je me rends bien compte que je suis encore en train de m'étendre en louanges et en superlatifs et que cela ne sert pas à grand chose. Tout ce que je peux dire en fait c'est : allez voir ce film. Il ne ressemble à aucun autre. Et il risque de vous marquer pour longtemps. Peut-être en reparlerons-nous plus tard, sans doute même. Palme d'Or en vue ? Monsieur Von Trier, pour une fois, enfin, je suis de tout cœur avec vous.


Dolls

de Takeshi Kitano

Incroyable.

Incroyable.

        Certes la filmographie de M. Takeshi Kitano pouvait laisser présager d'immenses choses, notamment grâce au plus beau des hommages à Jacques Tati qu'était l'Été de Kikujiro. Mais jamais je n'aurais espéré Dolls.

        Les plus grands films sur l'amour ont souvent été ceux qui savent se taire. Que l'on pense à l'Aurore de Murnau, que l'on pense au Solaris de Tarkovski, que l'on pense à The Lovers de Tsui Hark. L'image, accompagnée d'un peu de musique, est souvent seule capable de rendre l'indicible du sentiment amoureux, l'indicible de ce qui peut unir deux êtres au-delà des autres êtres. En cela Dolls n'est pas seulement ce que l'on a tendance à appeler un film "miracle", c'est bien plus qu'un film. Car rarement on aura vu un cinéaste briser avec autant de facilité et de sincérité les barrières du langage filmique. Dolls s'apparente tout autant à une exposition de peintures, un ouvrage photographique, un recueil de poèmes et bien sûr à un spectacle de marionnettes dont le visage, pourtant figé, laisse vivre toutes les expressions.

Ce film est incroyable.

        C'est l'œuvre d'un artiste, et pour une fois on peut employer ce terme sans rire, qui a découvert, consciemment ou non, la justesse absolue de son expression. Il faut voir, et il faut vivre, tous les instants d'un film où chaque plan, chaque scène, chaque instant déborde de sens, de légèreté, d'émotion, de vérité. Avait-on déjà vu un film aussi universel et humain sur le couple ? J'en viens à me le demander et ne croyez pas, loin de là, que cela est du à mon manque de culture cinématographique. Mais comme je le disais plus haut, Kitano transcende les cadres finalement bien étroits du cinéma. De la première à la dernière image de Dolls un frisson nous parcourt, depuis quand n'avait-on pas ressenti cela devant un film ? Au fil de minutes, on pleure beaucoup, on reste bouche bée devant la beauté de plans qui coupent véritablement le souffle, on se sent minuscule face à tant de justesse, le film ne cesse de nous appeler, de nous parler, de nous dire en un murmure ce que l'on osait à peine penser.

        Car voilà, la vision de l'amour chez Kitano n'est jamais niaise, jamais clichée. Chez Kitano, l'amour est ambigu, il fait vivre et mourir, il fait souffrir, il apaise, il enchaîne et il sauve. L'amour est sacrifice, jalousie, folie, dévouement, oubli, immortel. L'amour est fait de quotidien et d'erreurs. De choix que l'on regrette ou non, de décisions irréfléchies ou qui se construisent lentement au fil du temps. L'amour peut être l'élan passionné qui mène au suicide ou à la scarification, mais il est aussi le long cheminement des amants. L'amour brise en une seconde et construit en une vie. Et peut-être jamais au cinéma l'on avait dessiné un portrait aussi juste du sentiment amoureux, englobant aussi bien sa dimension passionnelle que sa complexité dans la durée. L'errance des amants enchaînés, l'excellent  Hidetoshi Nishijima et la sublime Miho Kanno (l'une des plus belles femmes du monde, dois-je le rappeler ?), est ainsi, tous les arts confondus, l'une des plus intenses évocations de la relation amoureuse qu'il m'ait été donnée d'expérimenter. En une immense métaphore d'une perfection absolue (aucun plan n'est gratuit, chaque minute est essentielle), Kitano fait battre le cœur du spectateur comme jamais il n'a battu auparavant. Et le final, au-delà du bouleversant, quasi insoutenable d'émotion, nous révèle l'essence de l'amour. Cette errance sans but, inutile, au travers de lieux toujours différents, au fil des saisons, menait toute entière à l'une des plus belles conclusions de l'histoire du cinéma. Cet enchaînement étouffant, ce sacrifice ridicule, cette métaphore outrée du couple, c'est ce lien qui sauve les amants. Suspendus au-dessus du vide, deux poupées, deux êtres humains, emprisonnés et sauvés par l'amour.

        Dolls se situe donc au-delà de tout ce que je pourrais en dire. Pour tout vous avouer ce n'est pas seulement le plus grand film que j'ai vu ces dernières années, c'est aussi pour moi l'un des plus beaux films du monde. Et bien plus encore. Car son effet qui, plusieurs jours après, ne cesse de me hanter, est finalement parvenu à redonner vie à des projets que j'avais trop longtemps laissé à l'abandon. Ainsi, de la manière la plus concrète qui soit, je peux vous l'affirmer, Dolls de Takeshi Kitano est une œuvre qui a changé ma vie.

Aux côtés de The Lovers, j'ai enfin trouvé l'autre moitié du trésor. Et sur ces paroles, je m'éclipse vers d'autres aventures.


 

Darkness Falls

de Jonathan Liebesman

        L'année 2002 avait donné naissance à deux perles de cinéma fantastique "à l'ancienne". D'un côté le très jouissif Blade 2, hommage réussi aux chefs-d'œuvre de l'horreur-action (AlienS, Predator, Near Dark...), et de l'autre le très glauque Jeepers Creepers, qui révisait gaillardement la copie des classiques des Croque-mitaines lourdement portés vers notre inconscient cradingue (Freddy & co). Bonne nouvelle, l'année 2003 apporte un nouveau lot de bien bonnes choses pour nostalgiques des films du samedi soir des glorieuses 80's. Un revival qui culminera jusqu'à nouvel ordre avec la ressortie fastueuse de l'un des étalons du genre, le mythique Evil Dead de Sam Raimi (du temps où il ne faisait pas n'importe quoi avec des SPFX à plusieurs millions de dollars la minute). 

        Tout d'abord, ah, le moins bon en premier, Darkness Falls. J'évoquais il y a quelques mois les frustrations issues de la première vision de Jeepers Creepers. Des prémisses alléchantes pour un résultat pas du tout à la hauteur. Et bien, à la vue de ce Darkness Falls, Jeepers Creepers fait figure de banquet royal. En effet, Darkness Falls est encore plus enivrant a priori que le film de Victor Salva. On nous y conte l'histoire de la "Fée des Dents" (The Tooth Fairy, inconnue dans nos contrées, parce que chez nous, c'est la petite souris qui s'y colle). Cette Fée est un peu spéciale, avouons-le. C'est une bonne dame des années 1900, qui avait pour habitude d'échanger la dernière dent de lait des enfants contre une pièce. Rien de bien mystérieux, ni rien de bien méchant. Sauf que la maison de la bonne dame a brûlé et que cette chère Mathilda est devenue le sosie de Freddy Kruger. Mais elle n'était pas morte, cette force de la nature ! Ouhla, non, pas encore. Mais elle ne pouvait plus sortir en plein jour (la peau amochée, tout ça) et elle devait porter un masque (Halloween, tout ça). Peu après, à la suite d'une méprise, les braves gens l'ont pendu. Évidemment, elle a maudit tout ce petit monde avant de passer l'arme à gauche. Et depuis, dans la sympathique bourgade de Darkness Falls, elle vient recueillir les dernières dents des petits enfants. Et si par malheur vous lui jetez un coup d'œil quand elle vient. Et que vous restez dans les ténèbres. Et bien elle vous massacre. Hop. Comme ça. Pour le fun.

        Rien de très original, vu d'ici. Cela ressemble même à un plagiat à peine déguisé des Griffes de la Nuit (coups de griffes à l'appui !). Mais voilà, la première scène du film est tellement terrifiante que l'on en vient à croire au miracle. Et cette séquence est un petit miracle en elle-même. Parvenant sans mal à recréer les pires terreurs nocturnes de l'enfance. Pendant un bon quart d'heure, Darkness Falls fait plus qu'illusion, il ravit. La scène s'achève d'ailleurs sur un plan de toute beauté, digne de tous les éloges. Et après le film tombe en panne. En panne quasi sèche. Malgré la bonne prestation des acteurs ; dont une actrice de Buffy (le démon vengeur, là, la blonde un peu idiote), comme quoi, tout arrive. Le metteur en scène fait le minimum. Et le scénariste n'en fout pas une. Pour preuve la prise d'assaut du commissariat par la Tooth Fairy, totalement pompé sur Jeepers Creepers. Ou le final dans le phare, lieu commun à bailler d'ennui. De surcroît, cette Fée si prometteuse, est encore plus gâchée que le Creeper. On ne la voit jamais, à part dans un final expéditif et frustrant et nous n'aurons l'occasion que de nous réjouir de ses hurlements effectivement horribles. Mais tout cela, nous l'avions déjà dans la scène d'ouverture. Bref, Darkness Falls possède quelques bons moments, mais jamais de véritables idées. Un excellent court-métrage, mais un film médiocre.

   

Destination Finale 2

de David Richard Ellis

La divine surprise de ce début d'année, c'est Destination Finale 2, œuvre aussi drôle que Darkness Falls est sérieux. Le premier Destination Finale relevait un tout petit peu le niveau des slashers nouvelle génération (vu le niveau, c'était pas bien dur), mais c'était encore loin d'être ça. La suite, incroyablement supérieure à l'original, est carrément un chef-d'œuvre du genre. On y retrouve tout ce qui faisait le charme des films gores idiots de notre adolescence. Les morts sont stupides, complexes, cruelles, vraiment débiles et surtout très saignantes. On ne s'ennuie pas une seule seconde et c'est un bonheur de voir la quasi intégralité du casting se faire trépaner lors de séquences toujours surprenantes et follement drôles. Sur ce film a soufflé le vent protecteur des grandes heures des Sam Raimi et autres Peter Jackson. Un peu comme si Vendredi 13 avait été repris en main par Terry Gilliam. On est en fait totalement dans le domaine du cartoon live, du Tex Avery sans complexes. Et même si le film est entièrement comique (ou presque), il y a un véritable suspens, tant les mises à mort sont sophistiquées (et stupides, mais je l'ai déjà dit).

        De surcroît, et vous avez déjà du le lire ici ou là, la première séquence du film est un formidable accident de la route, d'un réalisme effroyable, qui est sans doute la seule séquence du film qui ne prête pas du tout à rire, bien au contraire. Sans faire de mauvais jeu de mot, pour le coup, on en prend vraiment plein la tête. Difficile d'enchaîner après cette petite perle de mise en scène et d'effets spéciaux, mais le film tient bon la barre, avec une tonne d'humour et des personnages assez éloignés des ados habituels. Les baisses de régime sont rares et l'on s'amuse tout le temps. Bien sûr, si vous n'aimez pas rire avec la mort et toutes ces histoires de signes et de destin bien écrit à l'avance, vous feriez mieux de passer votre chemin, ça risque de vous mettre un peu mal à l'aise (voire beaucoup). Par contre, l'esprit très dessin animé bête et méchant, voire parfois Monty Pythonesque de Destination Finale 2, risque d'en ravir plus d'un. Mais si ça se trouve, vous l'avez raté en salles, et oui, car vous aviez plein d'a priori négatifs. Grosse erreur ! Nous tenions pourtant là, et oui, ce qui restera peut-être la comédie de l'année et sans doute la meilleure comédie gore depuis, foulala, des années et des années. La Mort a définitivement le sens de l'humour, et bon sang, ça fait du bien de rire avec elle de temps en temps.


The Hours

de Stephen Daldry

        Le projet semblait plombé par avance, un simple véhicule pour des actrices en mal d'Oscars, une lourde démonstration de cinéma qui veut faire de la littérature. Au final, la surprise n'est pas loin d'être divine. Certes, la mise en scène de Daldry est didactique, étouffante, elle démontre plus qu'elle ne montre. Certes le film est parfois larmoyant au-delà du raisonnable. Certes Meryl Streep fait du Meryl Streep et c'est la partie contemporaine du métrage qui est la plus faible. Mais voilà, The Hours est efficace. The Hours est délicat. The Hours titille la corde sensible avec suffisamment d'ambiguïté et d'humanité pour nous faire rapidement adhérer à son mélodrame distingué.

        Nicole Kidman trouve ici son meilleur rôle en Virginia Woolf maniaco-dépressive. Grâce à l'ajout d'un faux nez invisible, elle acquiert une beauté charmante qui lui donne une force inhabituelle. Quant à la très retenue Julianne Moore elle est émouvante d'un bout à l'autre du métrage. Dans la partie "années 50", justement, on croisera aussi avec un plaisir immense, la géniale Toni Collette, notre Muriel à nous, toujours l'une des meilleures actrices actuelles. Il est vrai que parfois Kidman et surtout Meryl Streep donnent l'impression de faire des "performances", le rythme du film ne leur laisse pas le temps de briser l'atmosphère.

        La musique de Philip Glass ressemble tellement à du Philip Glass que l'on sait immédiatement que c'est du Philip Glass (piano et violons en chute libre). La mise en scène de Daldry est carrée, clinquante, parfois trop clinquante, mais on signe. Pourquoi ? Parce que les thèmes abordés évoquent immédiatement et avec une vraie intensité des situations, des tourments, des personnes que l'on connaît si bien. Le film nous parle directement et avec nettement plus de finesse et de complexité que la majorité des mélodrames hollywoodiens produits à la chaîne. The Hours est (logiquement) plus littéraire, plus accomplis, mieux interprété, plus raffiné. On peut entrer dans le film ou rester sur la pas de la porte, bien sûr. Mais si on se laisse toucher par la sensibilité de ce qui se cache derrière la classe hautaine de l'ensemble, on sera pris au piège dans un déluge de larmes et de belles pensées.


Dark Water

de Hideo Nakata

        Comment retranscrire le sentiment d'abandon ? De la disparition éternelle d'un être cher au simple retard de quelques minutes, de l'angoisse d'une absence injustifiée à la peur d'être abandonné, comment parvenir à rendre compte de ces émotions ? A la sortie de l'école un enfant attend sa mère, elle n'arrive pas, il voit tous ses camarades rentrer un par un chez eux, accompagnés par leurs parents. Certains discutent un peu devant l'entrée de l'école, le temps semble s'allonger à l'infini, chaque minute est multipliée par mille. Cette terreur enfantine, essentielle, vécue d'une manière ou d'une autre par presque chacun d'entre nous, fait l'ouverture et le refrain de Dark Water. L'attente, l'absence, la perte, la disparition et surtout l'abandon. Absence de l'enfant disparue qui ne rentrera jamais à la maison. Absence de la mère retardée, enfuie, décédée. La soudaine disparition du quotidien rassurant, le bouleversement des habitudes, le surgissement du fantastique, de l'horreur, de l'inexplicable, de la folie dans le monde le plus banal et le plus régulé. Comme bien peu de films fantastiques avant lui, Dark Water nous donne à vivre le basculement de la réalité, l'apparition du petit détail qui mène au cataclysme, "l'inquiétante étrangeté" franchissant ses limites rationnelles.

        Mais là où Ring n'était "qu'un" film d'épouvante, d'une efficacité affolante, enveloppé dans un réalisme lancinant, Dark Water est un drame psychologique réaliste, d'une efficacité affolante, enveloppé dans un film d'épouvante. La terreur, pourtant très présente dans Dark Water, passe au second plan, devient l'instrument de l'émotion du film. Ainsi la dernière demie-heure nous amène vers des espaces rarement fréquentés par les films fantastiques. Les espaces de l'émotion pure, mystérieuse, essentielle, bouleversante. Chaque image trouve la force des plus grands drames "classiques" et l'histoire de fantômes retrouve ses racines. En ce sens Hideo Nakata triomphe là où Kubrick avait échoué avec Shining. Faire un film de fantômes qui n'est pas seulement un film de fantômes, mais qui évoque avant tout la psychologie de ses protagonistes, la désagrégation d'un couple, d'une famille, du quotidien. Sans pour autant perdre de vue l'émotion.

        Dark Water parvient ainsi à être surprenant, effrayant et apte à nous faire sortir les mouchoirs au final. Ceux qui viennent y chercher un nouveau Ring seront sans doute perdus, voire déçus. Car si certains thèmes et si certaines images renvoient directement aux scènes clefs du premier Ring, Dark Water n'entretient qu'une très faible relation avec le conte de la cassette vidéo maudite. Certes il y a matière à se faire très très peur devant le dernier Nakata. L'angoisse est parfois éprouvante et certains retournements de situations vont vous mettre à l'épreuve. Mais comme le prouve la fin du film, l'essentiel est ailleurs. Dark Water parvient à nous faire ressentir la peur de l'abandon, l'angoisse de la disparition. Différemment, réellement, effroyablement, terriblement. Chef-d'œuvre.


Arrête-moi si tu peux

de Steven Spielberg

        Après la relative déception de Minority Report, on ne s'attendait pas à ce que Spielberg (re)trouve le secret de la classe cinématographique et nous livre par la même occasion l'un de ses meilleurs films. Reprenant les percées visuelles de Minority Report et du sous-estimé A.I., Spielberg les intègre enfin à une œuvre qui est moins une "vitrine" qu'un vrai film. Un vrai film avec une belle histoire, de bons acteurs, de l'humour, des scènes qui touchent, de bonnes idées et encore de bonnes idées. Le "meilleur film" de Spielberg, c'est plus du côté de Arrête-Moi Si Tu Peux qu'il faut le chercher. S'ouvrant sur un sublime générique en hommage aux 50's et aux 60's (mais avec les moyens d'aujourd'hui) et porté par une fantastique partition d'un John Williams qu'on a souvent connu bien plus dégoulinant, Catch Me If You Can ne faiblit pas sur toute sa durée. Deux heures et demie parfaitement remplie, où la légèreté est toujours de mise, même dans les rares séquences vraiment mélodramatiques.

        On pensera à des dizaines de références, on y verra du Capra, du Blake Edwards, du Hitchcock, du Billy Wilder, des tonnes de noms vont surgir dans tous les sens. Mais l'immense réussite du film, c'est de parvenir à garder en permanence la "touche" Spielberg. D'un bout à l'autre, Catch If You Can est un film de Steven Spielberg, sans doute l'une de ses œuvres les plus personnelles, ce qui renvoie d'autant plus le très surestimé Minority Report au rang des films mineurs du réalisateur. Sous des dehors de comédie insouciante et de drames discrets, Catch If You Can fait rire, émeut, mais surtout émerveille. Avec simplicité, sans nous écraser avec de gros sabots. Bon sang, zut, alors, pas possible, Spielberg peut être un cinéaste raffiné, élégant, nuancé. On a souvent tendance à l'oublier, tant parfois sa filmographie sombre dans les travers de la guimauve, de l'américanisme qui colle et de la famille qui étouffe. Catch Me If You Can est une bouffée d'air frais et un film finalement bien plus subversif et étonnant que Minority Report (décidément), et pas seulement pour l'image assez négative qu'il donne de la France (hum... hum...)

        Comme je l'ai dit plus haut, visuellement c'est l'extase. Le travail sur la lumière, entamé avec les deux précédents films, atteint ici son juste aboutissement (le quotidien au plus près du quotidien). Tandis que la mise en scène en elle-même laisse pantois (mais comment fait-il tout cela ??). Le rythme du film tient les promesses du titre (insaisissable, virevoltant, rarement ennuyeux). Les acteurs vont de l'impeccable (Di Caprio, à l'aise), du grandiose (Tom Hanks parfait, Nathalie Baye surprenante) au génie pur (Christopher Walken qui arrive à voler tout le film, tout en le rendant bouleversant, en à peine quelques scènes). L'aspect 60's est crédible à tout instant et l'on se sent bien devant ce film. Catch Me If You Can rend heureux, donne le sourire, sans arrière pensées. On aurait pu craindre un flan hollywoodien de plus (tout le laissait présager), on assiste à un petit miracle, comme justement Hollywood sait les offrir de temps à autres. Certes, tout n'est pas parfait, parfois c'est un peu lourd, un peu long, un peu naïf, mais c'est presque imperceptible.

        Quant à l'histoire (plus ou moins véridique), elle impressionne et elle amuse en même temps. Frank Abagnale est un super-héros du quotidien, qui renvoie le Saint et le Caméléon chez leurs mères. Et son histoire offre juste ce qu'il faut de situations incroyables, de suspens joyeux et d'humanité. Il n'y a pas de vie humaine en jeu, il n'y a pas de violence, certes il y a beaucoup de détresse, de solitude, de déceptions, de destins brisés dans ce film, mais ce film possède la petite étincelle qui fait les œuvres amies. Catch Me If You Can est sans doute l'une des tentatives actuelles pour retrouver "'l'innocence" cinématographique les plus réussies. Juste au moment où le monde s'effondre une nouvelle fois, le paradoxe est de taille. Pendant que dehors c'est la guerre, dans la salle c'est la grâce des 60's et le plaisir du cœur. Et soudain on se souvient, le cinéma, oui, c'est aussi fait pour cela. Pendant 2h30 on aura oublié et on remerciera Spielberg. On le remerciera, oui, car avant Catch Me If You Can, ce type nous avait donné La Couleur Pourpre, Empire du Soleil, La Liste de Schindler, Amistad, Le Soldat Ryan, autant de films, plus ou moins réussis, pour ne pas oublier. Aujourd'hui, ma foi, lui et nous avons droit à un brin de lumière. Beau film. Grand film.


The Ring - Le Cercle

de Gore Verbinski

        En attendant le remake de Citizen Kane par Michael Bay et celui du Mépris par Pitoff (qui sait ?), nous avons déjà eu droit à celui de Solaris (!!!??) par Soderbergh et James Cameron (jamais à court d'une bonne blague) et celui de Ring par Gore Verbinski (en attendant patiemment ses Pirates des Caraïbes de chez Mickeyland). Le Solaris, je l'ai pas vu, je le boycotte, faut pas déconner non plus, enfin, quand même, merde alors et pourquoi pas 2001 par Luc Besson ?? Le Ring, je l'ai vu, parce que j'en ai lu plus ou moins du bien ici ou là. Et avouons-le c'est un film honorable. Du moins, qui se laisse regarder sans trop déclencher l'énervement naturel propre aux remakes qui dénaturent les œuvres originales. The Ring (donc, mettons le "the" devant, bientôt on aura droit à "the" Dark Water, non, on ne rigole pas), The Ring donc, est une photocopie à la sauce hollywoodienne de l'excellent film de Hideo Nakata. On remplace donc la ravissante Nanako Matsushima par Naomi Watts et on perd au change, je ne vous dis que cela. Certes, Naomi Watts a du talent, on le sait depuis Mulholland Drive. Mais ici elle est loin d'être à son aise, se contentant d'avoir l'air très préoccupée, très apeurée et parfois très mouillée, parce que c'est pas le tout d'avoir un t-shirt, faut le rentabiliser. Mais Naomi Watts est bien l'un des moindres défauts de The Ring, si ce n'est le moindre. Tout le reste ne va pas bien fort et ce qui va le doit intégralement (à une ou deux exceptions près) à Ring. Les seuls bons ajouts (ou du moins dignes d'intérêt) du remake sont une sous-intrigue à base de photographies pour le moins flippantes et quelques beaux plans qui ne sont pas directement "empruntés" au film de Nakata. Et un cheval. Mais pas de raton-laveur.

        Le reste, c'est la cata. En essayant de se démarquer de Ring, Verbinski dénature, sans le faire exprès, la magie noire du film. Sadako (ici nommée Samara) n'est plus cet être terrifiant, inhumain, insaisissable, muette, invisible jusqu'à l'insoutenable révélation finale. Ah oui, au fait, dans ce chapitre, va y avoir des "spoilers", comme ça vous êtes prévenus. Si vous ne savez pas ce qu'est un "spoiler", c'est une révélation d'un élément important d'un film. Voilà, voilà. Bien, donc, dans Ring, la clef de l'histoire, bien plus que le puit, réside dans le regard "inversé" de Sadako, ici totalement absent. Scandale ! En effet, Samara est une petite fille bien mignonne, qui papote sans arrêt et qui ne ferait pas peur à une mouche et encore moins à la Linda Blair de l'Exorciste. On me dira que c'est pour "humaniser" la menace, la rendre plus émouvante, il faut bien constater que le résultat laisse très perplexe (on avait aussi essayé d'humaniser les aliens dans Alien 4, on en rit encore).

        Ensuite, la fin du film n'insiste pas du tout sur la "transmission" de la malédiction, offrant un final nettement plus heureux et apaisé que celui de Ring. De plus, la vidéo maudite en elle-même, perd énormément de son efficacité par l'ajout d'effets très discutables. Des effets, justement, qui ne cessent de plomber le film. Des effets "bouh fais moi peur !" par camions entiers. Et voilà que je t'en rajoute dans les visions d'horreur, les hallucinations, les mille-pattes surgissant entre deux feuilles de papier, etc... etc... Indéniablement, c'est efficace, on sursaute. Mais c'est le degré zéro du suspens cinématographique, c'est à peine digne d'un Vendredi 13 chapitre 1313. On perd l'atmosphère froide, oppressante, lancinante, presque clinique de Ring, au profit d'un suspens bon enfant, plein d'éclairs, de flashes et de séquences chocs très discutables (dont un suicide grotesque dans une baignoire). Parfois, comme je le disais au début, au détour d'un plan, Verbinski parvient à créer un peu de cinéma, c'est déjà beaucoup. Mais c'est bien peu. The Ring serait une œuvre originale, on pourrait l'apprécier pour son horreur sophistiquée, troublante et ses surprises surprenantes. En tant que remake, c'est la consternation qui domine. Les écarts par rapport à Ring sont tous regrettables et le reste n'est que du copier/coller. Intérêt de la chose ? Rapporter un peu d'argent en profitant d'un public qui ne sait même pas que Ring existe ou alors qui a un problème avec le cinéma asiatique. Un public douteux pour un film douteux, quoi. Et si vous n'avez pas accroché à Ring, vous n'accrocherez certainement pas à The Ring. Cela règle la question. The Ring est une œuvre qui ne s'adresse à personne.


Laputa - Le Château dans le ciel

de Hayao Miyazaki

        Comment retrouver ses premières émotions cinématographiques ? Vous savez, quand vous étiez petits, les premières fois où l'on vous a emmené au cinéma, avec vos parents, avec l'école, avec des amis. Et même les premières fois où devant la télévision vous avez été happés par un film, un Hitchcock, un Spielberg, un John Ford, un David Lean, un Disney. Comment retrouver cet émerveillement une fois les années passées ? Quand vous avez vu plein de films et que la chair est triste, hélas ! Et bien il suffit d'aller voir un Miyazaki en salles. Même un "vieux" Miyazaki, datant de 1986 (mais il est quasiment impossible de s'en rendre compte, tant il semble avoir été mis en images la semaine dernière), un film que l'on nous a caché tout ce temps, en nous le faisant miroiter mais sans jamais nous le proposer dans les meilleures conditions. Aujourd'hui, des siècles plus tard, Le Château dans le Ciel (Laputa) est enfin accessible à tous.

        Evoquer le film ? C'est très difficile. Disons que comme tous les Miyazaki, il s'adresse avec la même force aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Quel que soit notre âge, nous sommes directement touchés par ce que nous voyons, par ce que nous comprenons. Le Château dans le Ciel est un spectacle total, qui offre une succession sans failles de séquences d'humour, d'action, de poésie, de suspens et d'émotions. Disons-le clairement, c'est le film de divertissement idéal, parfait, intouchable. Tout ce qui nous ravit dans le cinéma d'aventure est présent à l'écran. Miyazaki parvient à trouver une force toute littéraire qui transcende l'art cinématographique. On pense à Jules Verne, bien sûr, à Stevenson, évidemment, mais aussi à tous les récits de voyages, de quêtes, d'apprentissages, que l'on a pu lire ou que l'on a pu nous lire. Le Chateau dans le Ciel, au même titre que Totoro ou que Chihiro, est une œuvre somme, aussi indispensable que Blanche-Neige ou que La Petite Marchande d'Allumettes.

        On se dit que Miyazaki ne peut plus nous surprendre, tant on a déjà été émerveillé au-delà des mots par ses films les plus récents, et bien on a tort, car Laputa nous donne à voir des instants inédits. Les thèmes sont les mêmes : le vol, le vent, les nuages, le ciel, le rapport entre monde de l'enfance et monde des adultes, l'apprentissage, l'écologie (avec un bouleversant robot-jardinier), mais le traitement diffère chaque fois suffisamment pour que l'on ait l'impression de découvrir un film neuf, surprenant, enthousiasmant. La cohérence magique de l'œuvre de Miyazaki ne l'empêche jamais de créer, d'expérimenter, d'aller plus loin. Il suffit pour cela de voir l'aboutissement (provisoire, on le souhaite) qu'est le Voyage de Chihiro.

        Le Chateau dans le Ciel s'adresse donc à tous les publics sans jamais en mépriser aucun. Il réserve suffisamment de mystères, de délicatesse, de merveilleux et de spectaculaire pour flatter notre âme d'enfant (petit ou grand). Que dire de plus ? Le film n'a pas vieillit, bien au contraire, il reste un modèle pour les metteurs en scène d'aujourd'hui. Où retrouve-t-on cette fraîcheur, pourtant non dénuée de sérieux et de gravité ? Nulle part ou presque. Parfois chez Pixar, mais sinon... Enfin, je vous l'aurais dit clairement, à l'heure actuelle, vous ne pouvez pas voir mieux au cinéma. Grâce à Miyazaki, on retrouve ces moments, parfois si lointains, où l'aventure apparaissait à chaque coin de notre chambre, de notre jardin, de notre rue.

Le Chateau dans le Ciel est le plus beau film sortit en salles depuis le Voyage de Chihiro. Tout est dit.


Gangs of New York

de Martin Scorsese

        Peut-on ou non se permettre de parler de déception face au nouveau film "monstre" de Scorsese ? Gangs Of New York est ambitieux, dans sa forme et dans ce qu'il souhaite nous raconter. Si le slogan nous dit que "l'Amérique est née dans la rue", le propos de l'œuvre serait plutôt "l'Amérique est née dans le sang" et même plus généralement : "l'humanité existe par le sang qu'elle verse". Cette histoire, Scorsese la conte dans presque tous ses films, mais cette fois c'est au travers d'une gigantesque reconstitution historique qu'il souhaite faire passer son message.

        Et c'est peut-être le premier problème de Gangs of New York : être écrasé par son décorum. Mais aussi par un scénario "grand public" qui n'est qu'un alibi. La vengeance, la Rédemption, la trahison, etc... Depuis Mean Streets, Scorsese ne raconte que cela. Gangs of New York est plutôt une régression à ce niveau. L'histoire de vengeance n'est pas très touchante, ni très bien menée, visiblement le metteur en scène s'est rendu compte qu'il était en train de faire à nouveau le même film et à préférer concentrer son imagination pour les histoires secondaires. Tant mieux, car c'est bien ce qui entoure la trame de base du film qui est le plus intéressant. Mais, dommage, cette trame de base ne cesse de tirer le film vers le bas. Sans parler de concessions qui sonnent faux. Le film a été raccourci, l'histoire d'amour est indigente, certains effets sont énervants et U2 à plein volume c'est pas la joie. Autre problème essentiel, le casting. Casting schizophrène qui navigue entre le parfait (Daniel Day Lewis, oscarisable encore une fois) et le catastrophique (Cameron Diaz dans le rôle de Cameron Diaz). Entre les deux, Leonardo Di Caprio s'en sort parfois très bien et d'autres fois bien plus mal. Quant aux seconds rôles, dans l'ensemble ils sont impeccables.

        La première séquence du film tient du chef-d'œuvre, là, il faut bien l'avouer. Vu au travers des yeux d'un enfant, elle baigne dans une atmosphère qui passe du rêve au cauchemar tout en flirtant avec le Mad Max surréaliste. Intense, brutale, filmée avec un panache tout scorsesien, cette scène est tout simplement la meilleure du film, ce qui ne fait qu'accentuer la frustration qui nous submerge à la fin du métrage. Car rien n'est du niveau du face à face entre Daniel Day Lewis et Liam Neeson. Des instants où le spectaculaire rencontre le mystique sans fausse note, sans que rien ne vienne faire pencher trop lourdement la balance vers l'un ou l'autre des aspects du film. Sans le moindre doute, cette ouverture restera parmi les plus grands moments de l'œuvre de Scorsese. Après, le film n'évite aucun des travers de la reconstitution historique. Le metteur en scène devient complaisant avec ses décors, ses costumes, ses détails presque sortis d'un livre d'école. Si dans le Temps de l'Innocence l'obsession du détails et de l'apparence était le centre du propos, ici il est parfois embarrassant.

        Mais à d'autres moments, Scorsese s'évade de son scénario mièvre et de ses décors hollywoodiens pour plonger au cœur de ce "sang" qui a construit l'Amérique. Dans ces moments, Gangs of New York flirte sérieusement avec le chef-d'œuvre. Entre une critique sans détour des USA actuels et des montées de violence qui clouent au siège, le film se montre sous son meilleur jour, c'est à dire sale, méchant, satirique, d'une rare justesse. Dans ces instants, Gangs Of New York apparaît comme la meilleure œuvre cinématographique sur les USA post-World Trade Center. Parfois, comme lors du plan final, le symbole est légèrement trop appuyé. Mais parfois, il tombe merveilleusement juste, comme dans cet extraordinaire plan-séquence où l'on voit des immigrants débarquer, être immédiatement enrôlés pour partir sur le front de la guerre de Sécession, ré-embarquer sur un bateau d'où l'on décharge les cercueils de ceux qui les ont précédés.

        Plus tard dans le film, le "Boucher" explique sa manière d'asseoir son règne : la peur. L'explication fait immédiatement penser aux paroles d'un George W. Bush. Et les détails de ce genre affluent (notamment dans une scène d'élections truquées où l'important est de "compter les votes, pas les électeurs"). Après, il semble peu étonnant que le film ait été mal accueilli aux USA. De la part de Scorsese, avec de tels moyens, une critique aussi (im)pertinente et spectaculaire, c'est un seau d'eau lancée sur la bonne âme américaine qui ne cesse de péter les câbles de la paranoïa et du bellicisme. Oui, le sang est inévitable, le pouvoir et la vengeance font tourner le monde, mais le prix à payer ne cesse de terrifier. Au final, personne n'a tort, personne n'a raison, et chacun se retrouve avec sa conscience, chacun se retrouve main dans la main, enseveli dans la même terre.

        Malgré les réserves inévitables que j'ai évoquées plus haut (un scénario parfois niais, des longueurs ou des ellipses brutales, Cameron Diaz (non, franchement, là, non, tout mais pas Cameron Diaz), des tics de mise en scène un peu facile (mettre le son à fond pour faire battre le cœur plus vite, oui, bon, d'accord, c'est efficace)...), Gangs Of New York reste un film hors normes. Mais décevant. Car l'on sait très bien que Scorsese aurait pu faire mieux. Que l'on revoit Raging Bull, Taxi Driver ou même Les Affranchis. Il y a dans ces œuvres une humanité, une émotion contenue, une force, supérieures à tout le faste déployé dans Gangs of New York. Mais il faut applaudir au propos du réalisateur, à son talent, à la performance "bigger than life" de Daniel Day Lewis et à la splendeur de l'ensemble du film.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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