Match Point
de Woody Allen
Un grand artiste vieillissant n'est pas
forcément la chose la plus plaisante à contempler, ou plutôt à subir. Le Maître
se met à ressasser ses fantasmes, à radoter ses thèmes, parfois même il vire
totalement de bord et trouve la Foi, n'hésitant pas à contredire ses chefs-d'oeuvre passés. Le génie
disparaît peu à peu des mémoires, dès son vivant, de son propre fait, en ne
sachant plus vraiment où aller, tout en croyant ne le savoir que trop bien.
Mais
si ce constat s'applique à beaucoup, ce n'est certainement pas le cas de Woody
Allen, qui avec Match Point signe à 70 ans l'une des oeuvres les plus
audacieuses et passionnantes de sa si prolifique carrière. Premier signe qui ne trompe que rarement chez
l'aphoriste à lunettes : il ne joue pas dans son nouveau film. Deuxième signe,
il quitte enfin New York pour aller s'ébattre auprès de la bourgeoisie anglaise.
Certes, on ne se retrouve pas totalement en terrain inconnu, Match Point étant
avant tout une comédie de moeurs des plus acides, doublée au final d'un thriller
minimaliste mais très prenant, comme Woody Allen les affectionne.
Mais ce qui
frappe le plus dans Match Point et qui transforme le film quasi routinier en
manifeste, c'est sa vision terrible, n'ayons pas peur des mots, oui, terrible,
de la vie, de son sens ou plutôt de l'absence de sens. Ni Dieu, ni Destin, et
soudainement, le réalisateur abandonne l'existence à la chance seule, au hasard
le plus absolu, sans morale, sans but. Et, contrairement à ce que l'on a
beaucoup entendu, il n'y a ni cruauté, ni cynisme dans Match Point, ou alors
c'est confondre Allen avec ses personnages. Il n'y a surtout pas non plus de
"fable morale", l'intérêt de l'oeuvre étant d'échapper totalement aux carcans
bien-pensants habituels.
L'ambition du metteur en scène n'est pas
humble, dès les premières minutes il avoue s'essayer à une énième variation
autour de Crime et Châtiment, et de l'oeuvre de Dostoïevski en général. Mais à
présent, Woody Allen peut se permettre de tels blasphèmes, il est au sommet de
son art et contrairement à tous ces tâcherons qui viennent s'abreuver auprès des
grands auteurs pour les affadir, le new-yorkais propose sa version, son
adaptation, résolument personnelle et d'une richesse de pensée impressionnante. Match Point adopte donc un rythme ample, comme chez l'auteur russe, les scènes
de discussions, les dîners et les face à face tendus s'enchaînent pour mener à
l'inévitable conclusion où le réalisateur nous prend à contre-pied.
Cinématographiquement, Match Pointest d'une
discrétion quasi totale, à part pour le choix de deux acteurs glamours dont la
beauté traduit idéalement les ambitions et les méandres obscurs de l'âme. Mise
en scène sobre, airs d'opéra pour seule musique, textes virtuoses, dans sa
forme, le film est du pur Allen. Tout le prix de Match Point est dans sa
philosophie globale, sa description mélancolique d'un univers où le sens, où la
justice, ne sont qu'illusions humaines. La conclusion de l'oeuvre, plus encore
que celle d'un Annie Hall ou d'une Rose Pourpre du Caire, serre la gorge, dans
sa noirceur résignée, dans son doute clamé jusqu'à la tristesse la plus
existentielle. Ainsi, Match Point s'affirme comme l'une des plus grandes oeuvres
de Woody Allen et l'un des chocs cinématographiques de 2005. |
Palais Royal
de Valérie Lemercier
Difficile de ne pas aimer Valérie
Lemercier, merveilleuse actrice, personnalité attachante, chanteuse amusante,
femme superbe et comique irrésistiblement drôle en toutes les occasions. Enfin,
en presque toutes les occasions...
Fort d'un budget aisé, d'un casting
de luxe, d'un sujet fédérateur et d'une promotion bulldozer, Palais Royal vient
s'imposer par la force, Valérie Lemercier ne serait pas associée de si près au
projet que l'on aurait volontiers fait le détour. Mais on y va, pour elle, et
sur la foi d'une bande-annonce sympathique, qui une nouvelle fois contient en
substance tous les moments à peu près poilants du film. Car voilà, Palais Royal se veut un fourre-tout d'humour de tout genre, où l'on passe du burlesque au
(très) mauvais goût au sein d'une même scène, où la cruauté et la tendresse
devraient fort bien s'entendre et la bêtise des protagonistes nous les rendre
attachants. Mais diantre ! Tant de cynisme finit par rendre le film aussi
superficiel que son propos, totalement creux, qui ne fait que reprendre point
par point la vie de Lady Diana (avec quelques bouts de Monaco pour lier le tout)
et dénoncer lourdement et pour la 25164e fois les travers des princes et
princesses people. Cela pourrait donner un sketch télévisuel hilarant, mais sur
plus d'une heure et demi, c'est un calvaire.
Outre une absence de mise en scène
assez flagrante et un rythme maladroit (des passages à vide un peu partout et un
final expéditif), on pourra s'attarder sur les performances douteuses d'acteurs
pas toujours dans le ton. Il sera ainsi très facile de s'en prendre une nouvelle
fois à Catherine Deneuve, qui débite des grossièretés dans une certaine
indifférence alors que cela semble être l'un des ressorts comiques clefs de ce Palais Royal. Si Deneuve en Reine Mère aigrie est un choix évident, le résultat
ne cesse de décevoir, tant son personnage, ainsi que presque tous les
autres, demeure à peine esquissés.
Les seconds rôles ne font finalement
que de brefs passages, en "bons copains" (voir par exemple Bruno Podalydès et
Mathilde Seigner qui n'apparaissent que dans la première demi-heure du
film). Le plus décevant dans ce Palais Royal est sans doute l'échec des
ambitions pourtant louables de Lemercier, la faute à un scénario qui ne semble
jamais savoir où il va, et surtout qui ne sait jamais quel ton employer, entre
grosse pantalonnade à la française et satire plus piquante, la réalisatrice
échoue à peu près sur tous les plans. On lui pardonne pour cette fois, mais on
note clairement le blâme, qu'elle aura fort à faire pour effacer de nos
mémoires. |
Les Noces Funèbres
de Tim Burton et Mike Johnson
Il y a longtemps, bien longtemps,
dans une galaxie pas si lointaine, Tim Burton s'était dressé seul contre
(presque) tous, en véritable alternative à Disney et au système hollywoodien en
général. Il était le nouvel espoir, celui qui pouvait à lui seul pirater le plus
onéreux des blockbusters et apporter baroque, humour noir et bon mauvais goût
aux petits et aux grands.
A son apogée, il y a déjà une
décennie, Tim Burton transformait Batman en chef-d'oeuvre pervers, faisait du
plus mauvais des
metteurs en scène une icône de cinéma et offrait avec The Nightmare Before
Christmas une bible visuelle et thématique à un univers
gothique et romantique que le public s'apprêtait à adorer plus que de raison.
Puis, peu à peu, celui qui s'élevait contre les franchises et contre l'ordre
d'Hollywood s'est laissé couler dans la routine, recyclant avec plus ou moins de
bonheur ses images, désormais de véritables poncifs esthétiques, et affadissant
jusqu'à l'écoeurement ses thèmes autrefois si passionnants.
Apothéose de cette décadence, les
Noces Funèbres ne provoquent pas le même rejet et la même révolte que le gluant Big Fish. A vrai dire, il était devenu si prévisible que Burton finirait ainsi
que c'est avec une certaine indifférence que l'on découvre ce film bien fait
mais terriblement vain, qui parachève la dialectique : à présent Burton est
devenu Disney à la place de Disney.
En regardent défiler avec une
patience polie les scènes des Noces Funèbres, on s'imagine déjà devant les
produits dérivés et, peut-être bientôt, qui sait, le parc d'attraction. Véritable remake, parfois au plan
près, de The Nightmare Before Christmas, cette oeuvre capitalise sans grande
imagination sur ce que Burton nous a déjà mille fois montré auparavant. Le "making
christmas" devient le "making a wedding", Halloween Town devient le Monde des
Morts, qui bien sûr, va rencontrer avec catastrophe, humour, puis tendresse, le
Monde des Vivants. Je vous l'ai dit, c'est un remake ! Sans évoquer bien sûr le
fait que Burton avait déjà proposé une vision délicieuse de l'Au-Delà dans Beetlejuice.
Il faut ajouter à cela une trame
d'une grande fadeur, tournant autour d'une seule bonne idée (la mariée damnée),
où tout est prévisible et où la condensation de l'action à une seule
journée renforce l'impression qu'il ne se passe finalement pas grand-chose au
sein du film. Victor, le héros doublé par l'indispensable Johnny Depp (ici
engoncé dans un personnage très fade), s'agite beaucoup dans une sorte de
surplace qui le fait parcourir les décors d'un bout à l'autre, en haut, en bas,
dans une urgence qui laisse de marbre.
On ne vibre jamais devant les Noces
Funèbres, tout au plus on s'amuse de quelques détails gore joyeusement incongrus
et d'une ou deux séquences fort bien conçues (le réveil de la mariée, son
histoire contée avec la verve de Danny Elfman) et on éprouve une tendresse
coupable pour un univers que l'on a tant aimé. Avec ces Noces Funèbres, le fan
de Tim Burton achève son deuil, il accepte de retrouver le réalisateur pour des
visites de politesse, presque de santé. Tim Burton va bien, Tim Burton est
heureux, Tim Burton est papa, il aime faire des films, il aime faire
plaisir à son public, on est bien content pour lui. De danger, de subversion, de
surprises, il n'y a plus, on se promène dans son oeuvre comme un musée, ou un
parc d'attraction (ce qui était d'autant plus vrai avec Charlie et la
Chocolaterie). Les Noces Funèbres n'est pas une purge, encore moins un vilain
petit nanar, la réussite technique est indéniable et les enfants y trouveront
sans doute de quoi s'émerveiller, mais face à une telle débauche artistique, on
était en droit d'attendre une autre dimension. On espérait de l'émotion, on
espérait une oeuvre mémorable, un coup d'éclat, et l'on se retrouve devant le
cadavre animé de la magie burtonienne, un film mort-vivant si froid et déjà si
lointain. |
The Descent
de Neil Marshall
Certains films vont bien au-delà de
qualités cinématographiques plus ou moins "objectives". Ils ne peuvent se
décrire que par l'expérience en elle-même et ce sont les sentiments, les
sensations éprouvés dans la salle de cinéma, dans l'immédiateté des images et
des sons qui dominent l'esprit critique. Oeuvre épidermique qui chavire
physiquement le spectateur par son agressivité et son atmosphère hautement
claustrophobique puis bestiale, The Descent procure le même plaisir que le plus
violent des Grands 8, certes, en plus subtil, mais aussi en plus intense, en 100
fois plus long et en plus effrayant...
Six jeunes femmes, adeptes de sports
extrêmes, se lancent dans une randonnée spéléologique apparemment sans risque.
Bien sûr, rien ne va se passer comme prévu. Dans une première partie de la
"descente", la plus angoissante, ce sont les éléments naturels qui vont les
mettre en péril. L'étouffement est presque insoutenable, on s'accroche à son
fauteuil tant chaque nouvelle épreuve se fait plus impressionnante et un conduit
trop étroit suffit à nous terrifier. Dans la seconde moitié, The Descent vire au
film de monstres, quelque part entre AlienS et Predator, mais en décuplant la
sauvagerie de ce dernier, ce qui laisse songeur mais qui est pleinement avéré à
la vision de ces scènes de barbarie extrêmement gores et cruelles. Si l'effroi
est toujours présent, il laisse bientôt place à un déferlement de situations
primitives, où les héroïnes deviendront peu à peu encore plus inhumaines que
leurs assaillants.
Je m'attendais à un bon film de genre,
relativement virulent, avec le bonheur de contempler quelques bimbos
ensanglantées. Le choc fut d'autant plus conséquent, The Descent n'étant en rien
un divertissement "fun", ce n'est ni sexy, ni plaisant, c'est une sucrerie
masochiste, un électrochoc qui offre jouissance dans la douleur. On est secoué,
outragé, heureux d'avoir mal devant ces calvaires, ces atrocités délirantes et
on est surtout ravi d'avoir à faire à une oeuvre intelligente, bien pensée, bien
réalisée, bien interprétée (notamment par l'une des merveilleuses Magdalene
Sisters). Les héroïnes ne sont pas de la chair à saucisses complètement stupide,
elles se débrouillent, se défendent, réagissent le plus souvent de manière
crédible, on s'attache ainsi plus facilement.
Certes, The Descent est loin, très
loin, d'être un film tout public, au contraire, il se réserve aux plus courageux
(ou inconscients) d'entre vous. Car outre ses excès sanglants, les plans
"garantie crise cardiaque" sont légions (voir pour cela la première apparition
de la créature belliqueuse, attendue, prévisible et pourtant totalement
affolante). Pour beaucoup les plaisirs éprouvés devant une telle épreuve
pourront sembler incompréhensibles. Et pourtant... Pourtant cette épreuve est
avant tout une expérience rare, élémentaire, comme un retour vers les craintes
les plus inconscientes, les émotions les plus originelles, les plus
essentielles. Pouvoir les contempler en face, en une catharsis offensante et
exquise, est purement inestimable. |
Wallace et Gromit : le mystère du lapin-garou
de Nick Park et Steve Box
On les a quittés laveurs de vitre, à
présent Wallace et Gromit sont les protecteurs des potagers, en vue du concours
du plus gros légume, qui se verra récompensé par le trophée de la carotte d'or,
offert par les mains de her Ladyship Tottigton herself. Sur ces bases
extravagantes, Nick Park et ses créatures de "pattes" à modeler détournent les
genres et viennent s'abreuver à toutes les sources du cinéma : de l'épouvante,
avec une malédiction très fidèle aux clichés des loups-garous, en passant par la
fable écologiste ironique. The Curse of the Were-Rabbit s'avère inclassable, ne
parvenant à se définir que sous l'étiquette très vaste de la comédie burlesque
et saugrenue, entre parodie et poésie. C'est un divertissement brillant,
croisement entre l'expressionnisme du muet grâce à Gromit, chien fée du logis,
pur produit canin d'Indiana Jones et de Buster Keaton, et "le sens de la
réplique qui fait mouche" grâce à Wallace, inventeur de l'indispensable inutile
du quotidien à l'imagination toujours plus débordante.
Un lapin-garou de garenne s'adonne
ainsi à la destruction massive de potagers, dans la grande tradition des
monstres aussi effrayants qu'émouvants, il demeure essentiellement attachant. Et
c'est son poursuivant, le délicieusement caricatural et perfide Lord Quatremain,
qui revêt les oripeaux guerriers du grand méchant, qui accumule les humiliations
bien méritées, secondé par un pittbull aussi vindicatif que lâche et idiot (mais
au centre de quelques uns des meilleurs gags du film grâce à son antagonisme
avec Gromit). Gromit qui, justement, vole tout le film à la moindre de ses
apparitions, son dévouement et son ingéniosité ne cessant d'attendrir et
d'émerveiller. Les créateurs lui réservent les scènes les plus spectaculaires,
les plus palpitantes mais aussi les plus délirantes (il faut le voir incarner
l'appât censé aguicher le fameux démon poilu), qui contrebalancent l'amourette
entre Wallace et une Lady Tottigton peu avare en propositions innocemment
indécentes.
Le plaisir procuré par The Curse of
the Were-Rabbit est rare et immédiat, qui répond exactement aux immenses espoirs
que l'on fondait sur le premier long-métrage des deux héros cultes. Si l'on
apprécie Wallace et Gromit depuis leurs précédentes apparitions, la magie de cet
opus est bien sûr décuplée, les clins d'oeil étant légion et certains détails
ravissants (les expressions so british de Wallace, le tricot de Gromit...). Les
nouveautés sont largement à la hauteur, en particulier les lapins, dont la
simple trogne provoque le sourire, ainsi que les indispensables scènes de
poursuite et les grandes envolées surréalistes (le prêtre, "a big trap!"...).
Fantastique déclaration d'amour aux légumes géants, aux rongeurs sociopathes,
aux miracles du fromage, à l'amitié vraiment interraciale et à l'imagination la
plus libre et charmante, The Curse of the Were-Rabbit doit absolument être vu,
en salles, et revu, et acheté en DVD, et montré à votre entourage, à vos
enfants, à vos petits-enfants, à vos parents, à vos lapins et
à vos carottes. |
H2G2
de Garth Jennings
C'est un film de Science-Fiction, avec
des extra-terrestres étonnants, des vaisseaux spatiaux, des planètes exotiques,
des combats avec des pistolets lasers, des lois physiques incompréhensibles,
bref tout ce qui fait le charme du genre. Cependant, dès les premières minutes
de H2G2 (sigle bien pratique), on se dit que nous n'allons pas avoir à faire à
une oeuvre de SF des plus traditionnelles, car tout débute par une chorégraphie
chantée de dauphins, nous annonçant la destruction imminente de la Terre, en
entonnant un très lyrique "So long and thanks for all the fish". Alors, oui,
tant pis pour le "space-opera", nous sommes là dans la parodie grandiose, la
déconne complète, l'humour british délirant, H2G2 peut débuter par
l'annihilation de notre planète, peu importe, il n'en sera pas moins hilarant
d'un bout à l'autre de son histoire. Énumérer les gags serait criminel, tant
tout prend source dans le "nonsense" cher au Monty Python, en s'enveloppant
d'ailleurs d'un visuel foisonnant que n'aurait pas renié Terry Gilliam. Il
devient donc difficile d'évoquer H2G2 sans trahir certains de ses meilleurs
moments.
En suivant les pas de son anti-héros
en peignoir (Martin Freeman, idéalement anglais), nous croisons des personnages
indescriptibles : son meilleur ami Ford Perfect (le rappeur Mos Def, plutôt
excellent), le président de la galaxie (Sam Rockwell, épuisant de gesticulations
burlesques), la craquante Zoey Deschanel en demoiselle plus ou moins en
détresse, l'humour cynique d'Alan Rickman prêtant sa voix à Marvin le robot
dépressif, John Malkovich en guest star, des aliens procéduriers et adeptes de
la torture poétique, des souris, des voyages hautement improbables et bien sûr
le guide galactique qui vous conseillera de ne jamais vous séparer de votre
serviette de toilette. Tout ce petit monde se lance dans diverses quêtes
surréalistes, dont la plus essentielle est la recherche du sens de la vie,
excusez du peu. Des réponses il y en aura, d'une puissance comique parfois
tordante, le film demeurant toujours imprévisible et relançant l'attention par
de nouvelles idées saugrenues et autres références hallucinées. Le 7e Art manque
cruellement de comédies de ce niveau, prêtes à utiliser leur généreux budget
pour donner vie à des gags idiots, kitsch, extravagants; en ne reculant devant
rien ni personne, totalement décomplexé, H2G2 s'affirme comme le film le plus
réjouissant de l'année. |
Appleseed
de Shinji Aramaki
Le monde de l'animation se cherche,
effectuant tant bien que mal la transition des bons vieux dessins apposés sur
une feuille de papier vers la profondeur de la virtualité. Appleseed propose un
dispositif inédit en adoptant les critères esthétiques du "cell-shading"
popularisés par les jeux vidéo (Jet Set Radio, Zelda The WindWaker...), c'est-à-dire des personnages en deux dimensions, évoluant dans des décors en 3D. Le
résultat pourra sembler un peu figé pour ce qui est des expressions faciales des
protagonistes, mais cela correspond plutôt idéalement à la nature de ces
créatures (essentiellement des androïdes), cependant cette raideur semble se
compenser dans la générosité physique des héroïnes, toujours follement girondes.
Mais pour ce qui est des environnements, Appleseed s'avère juste sublime,
fourmillant de détails, étincelant de couleurs et de nuances. L'intégration des
personnages et leurs interactions avec le décor sont d'un rare dynamisme,
presque trop fluide par moments, renforçant l'irréalité de l'Utopie qui nous est
présentée. Les scènes d'action impressionnent tout en restant parfaitement
compréhensibles et toujours superbement chorégraphiées. Visuellement, Appleseed tient ses promesses et propose une expérience originale et fort séduisante.
C'est sans doute au niveau de ce qui nous est raconté qu'il faut
chercher les défauts du film. En effet, Appleseed est
à la base un classique du manga, rédigé par le créateur de Ghost In The Shell Shirow Masamune, on ne s'étonne pas de retrouver des thèmes communs
(et donc aussi les guerrières aux poitrines mémorables), les questionnements
existentiels sur le futur de l'humanité, sur son nécessaire et inévitable (?)
remplacement. Mais là où Oshii avait chamboulé les données de base de l'oeuvre
littéraire pour ses propres versions de Ghost In The Shell, Appleseed cède à une
narration plus évidente et à des passages obligés quelque peu prévisibles. Bref,
on a parfois l'impression de déjà connaître l'histoire et de pouvoir en prévoir
(à juste titre) la plupart des rebondissements. Néanmoins, l'esthétique du film
propose une telle immersion et l'on se prend si facilement au jeu des
circonvolutions technologiques et prophétiques, que Appleseed joue finalement
son rôle de divertissement épique. |
Ma Vie en l'air
de Rémi Bezançon
Renouveler un genre aussi balisé que
la comédie douce-amère, dédiée aux trentenaires immatures en quête du grand
amour, est une mission qui flirte plus que largement avec l'impossible. On peut
estimer, à juste raison, que le cinéma français nous propose une trentaine de
films de ce type par an, faire sa place au soleil tient donc de la gageure.
Mais, après tout, pourquoi chercher à tout prix à se démarquer ? Pourquoi faire
compliqué quand on peut faire simple et bien ? Ma Vie en l'Air adopte ainsi un
schéma tout à fait classique, au déroulement et aux personnages sans surprise, à
la mise en scène d'un classicisme assumé (avec une petite touche d'incongruités
à la Jeunet pour faire bonne mesure avec les canons actuels).
Notre héros
(Vincent Elbaz) est donc un jeune adulte poliment lâche,
forcément hésitant, qui traîne son pote boulet mais rigolo (Gille
Lellouche) et hésite entre les deux femmes de sa vie (la fausse,
vraie brune, Elsa Kikoïne et la vraie, fausse blonde, Marion Cottillard, carrément craquante). On
vous l'a dit, ça va être simple, mais pour donner un peu de corps à l'oeuvre,
notre camarade Elbaz se trouve doté d'une phobie/fascination pour les avions et
leurs accidents. Ses tourments aériens, ainsi que quelques répliques tordantes
et sa relation avec son défunt papa (le trop rare Tom Novembre), forment le
meilleur du film, qui se révèle doucement insipide mais attachant, en particulier grâce à ses acteurs et
à quelques constats fort justes sur les égarements du quotidien. |
Broken Flowers
de Jim Jarmush
L'une des principales qualités du
cinéma est de parvenir à romancer la vie pour en tirer le meilleur, le plus
exemplaire, le plus divertissant. Le 7e art nous fait croire que l'existence est
une aventure extraordinaire, adroitement scénarisée, dont les péripéties
trouvent leurs résolutions, le plus souvent heureuses, dans la dernière
demi-heure de métrage. Mais tout cela est faux, tout n'est qu'illusions et
tournures de style, du héros fantastique à l'anti-héros du quotidien, on nous
conte fort rarement la réalité telle qu'elle est. Certes, si l'on veut
contempler le monde en lui-même, on se tournera vers un documentaire, et non
vers un film de fiction. Cependant, une histoire sans fard peut avoir des vertus
inestimables. La dernière oeuvre de Jim Jarmush, sans nier son appartenance au
mensonge cinématographique, flirte avec la banalité, avec les incertitudes et
les points de suspension d'une vie.
Don Johnston, quasi homonyme de
l'acteur de Miami Vice, est donc un Don Juan sur le déclin, son inconstance
sentimentale l'aura conduit aux portes de la vieillesse vers une solitude
poliment déprimée. Le choix de Bill Murray (le meilleur acteur dépressif du
monde, avec Takeshi Kitano et feu Jean Yanne) est donc une évidence, il suffit
de l'admirer quelques minutes, assis sur son canapé, en survêtement, dans un
silence abyssal, pour partager sa mélancolie. Murray étant aussi le meilleur
acteur muet de son époque, il économise ses mots, choisit avec soin toutes ses
remarques, généralement il ne s'exprime que pour offrir un trait d'humour
désenchanté, commentaire idéal de toutes les situations incongrues. A l'instant
où le parcours de monsieur Don semble se heurter à un cul-de-sac, une lettre
anonyme et pourtant très enluminée va le lancer dans une quête intime, une
tentative de se réconcilier symboliquement avec son passé, avec son donjuanisme,
et surtout une tentative de trouver un sens à son avenir : une probable
ex-petite amie lui annonce qu'il a un fils de 19 ans. Encouragé par son adorable
et cocasse voisin, Winston, Don Johnston débute son "road-trip" au ralenti, sans
doute peu préparé aux nouveaux visages de ses anciennes conquêtes.
Il serait dommage de déflorer
davantage l'intrigue de Broken Flowers, si le film aime prendre son temps, il
surprend souvent en proposant des personnages et des situations mémorables. Et
si Jarmush exagère parfois un peu le trait, il ne cesse d'envelopper son
histoire d'une émotion discrète, contrebalancée en permanence par un humour
décalé et des détails insolites. Le suspens est humble et prenant, jusqu'à la
dernière image on s'interroge, mais la grande force de l'oeuvre c'est de
poursuivre les questionnements au-delà de son final. C'est ainsi que Broken
Flowers est au plus proche de la vie en elle-même, en refusant les réponses
évidentes, en refusant le lacrymal, en refusant les canons les plus usités de la
narration cinématographique; c'est un film qui n'a pas peur de douter, qui a la
pudeur de ne pas verser dans le pathétique, et qui fait écho à nos propres
errances sans jamais chercher une universalité abusive ou prêcher une bonne
morale. Car l'ordinaire chez Jarmush est juste suffisamment extraordinaire pour
ne nécessiter aucun artifice, si ce n'est un ultime plan tournoyant, effet de
mise en scène aussi inattendu que bouleversant, à l'image de ce film
attendrissant de modestie et de justesse. |
Les 4 Fantastiques
de Tim Story
Les adaptations de Comics étant de nos
jours le fond de commerce d'Hollywood et les grands noms du genre ayant été
presque tous lancés sur l'orbite des salles obscures, le serpent Blockbuster
(une belle bête au demeurant) commence à se mordre la queue. On relance les
franchises (Batman, Superman), on capitalise sur tout et n'importe quoi
(GhostRider, on parle d'un Daredevil 2 que personne n'attend), on torche dans
l'urgence de véritables affronts envers des personnages cultes (Catwoman, Elektra, The Punisher, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires), et au milieu de
ce fatras surnagent quelques réussites (les Spider-Man, les X-Men, les Blade, le
mal-aimé mais intéressant Hulk). A présent tout ce qui se rapproche de près ou
de loin à un Comics se doit de passer à la moulinette cinématographique. Parmi
les grands absents de ces dernières années, les fades Fantastic Four ne nous
manquaient pas particulièrement. Ils ont finalement droit à leur long-métrage,
qui navigue entre l'insulte pure et simple aux fans du Comics, la parodie
décomplexée, le plagiat éhonté des copies des petits camarades (notamment des
scènes directement issues des Indestructibles par exemple) et la grosse
production pétaradante, décérébrée, mais sympathique. Ce qui fait beaucoup pour
des super-héros, fussent-ils quatre...
Nous allons donc découvrir nos preux
chevaliers des temps modernes, aussi charismatiques que des huîtres
neurasthéniques, peu gâtés il est vrai, grâce à une distribution consternante. A
part Michael Chiklis, idéal dans le rôle ingrat de La Chose, il est impossible
de croire une seule seconde à ces scientifiques de haute volée tout droit sortis
d'un magazine de mode. Si Mr Fantastik est aussi indigent que dans le Comics, la
Torche Humaine devient un djeun dont le narcissisme et la vulgarité apportent
une large touche de verve lourdingue assez savoureuse. L'admirable erreur de
casting, c'est bien sûr Jessica Alba, aussi crédible en
physicienne-généticienne-mathématicienne-péripatéticienne que Jean-Claude Van
Damme en Maria Callas. Si le seul terme qui vient à l'esprit pour qualifier le
talent de la demoiselle est celui de "bonnasse", il faut reconnaître que son
jeu, proche du trou noir, offre quelques instants d'humour involontaire
relativement délectable. Bref, toute cette joyeuse bande s'envoie dans la
stratosphère (l'un des six mots en plus de deux syllabes prononcé au cours du
film), histoire de vérifier si les vents solaires peuvent guérir les petits
zenfants diabétiques. Malheureusement, perturbé par le décolleté atomique de la
pêche Alba, Mr Fantastik se plante dans ses calculs et tout le monde prend froid
dans les courants d'air interstellaires. Ce dramatique incident, non seulement
les rend tous flous pendant quelques minutes, mais va leur gratifier des
pouvoirs particulièrement ridicules, mais utiles, ce qui prouve bien que ce sont
des hommes, des vrais, qui ont créé le concept.
Revenus sur Terre, nos Fantastiques
expérimentent leurs nouveaux attributs. La Torche Humaine invente le jacuzzi
express, Invisible Girl en vient à nier tout intérêt au film (à quoi bon
débaucher Jessica Alba, si c'est pour ne pas nous la montrer ?), Mr Fantastik
laisse rêveur (l'homme caoutchouc, whoooo....) et The Thing se retrouve très
moche mais relativement touchant dans son imitation pataude de Hulk et Hellboy,
il est la star du métrage. Malheureusement, une fois les présentations
effectuées, il ne se passe plus rien, tous les enjeux dramatiques se limitant à
savoir si nos camarades vont parvenir à retrouver leur banalité humaine. Car
tout est possible, notamment de reconstituer le nuage radioactif précédemment
cité dans le confort de son petit F2, cuisine américaine, avec Sdb et WC sur le
palier (on ne peut pas tout avoir). En parallèle, un méchant très très méchant,
d'une platitude confondante (dont toute ressemblance avec le troll vert de
Spider-Man serait purement fortuite), émerge peu à peu, lentement, très
lentement, à la vitesse de l'escargot arthritique. Et ce n'est qu'à un quart
d'heure de la fin que les Fantastic Four se retrouveront devant leur Némésis
attitrée, l'impayable Dr. Doom, ici totalement ridicule.
En attendant, il faudra meubler tant
bien que mal : avec un carambolage fort traditionnel, quoique spectaculaire, qui
permettra de constater que Jessica Alba n'a pas des goûts transcendants en
matière de lingerie (la meilleure scène gâchée du film, bien sûr) ; avec des
concours de vannes entre la Torche et la Chose ; avec une amourette miteuse
entre Mr Fantastik et ladite Invisible Girl (mais on se demande qui est le plus
transparent des deux) ; avec des considérations scientifiques pouêt-pouêt ; et
même des gags tellement primaires qu'ils font inévitablement rire. Avouons-le,
entre spectaculaire bourrin et second degré plus ou moins assumé, on ne s'ennuie
pas devant les tribulations de ces quatre joyeux drilles. On se réjouit des
détails plus ou moins incongrus (les lentilles bleues hideuses de miss Alba, la
beauferie galopante de la Torche Humaine, le sort hautement comique réservé à
Von Doom...) et on se dit qu'il faut prendre ce long-métrage pour ce qu'il est :
une série B déguisée en production de luxe, un réjouissant capharnaüm de
références et de maladresses, un divertissement inoffensif mais presque
attendrissant. |
La Coccinelle revient
de Angela Robinson
Nous étions sans nouvelles depuis tout juste 25 ans. Après seulement
quatre films qui avaient suffi à la faire entrer dans la légende, la Coccinelle
de Disney tirait sa révérence, tel un ultime vestige des années 60
définitivement. C'est pourquoi son grand retour ne peut sembler être motivé que
par la nostalgie la plus obsolète, voire le marketing le plus maladroit. Même si
notre enfance fut bercée par les tribulations de Choupette (Herbie dans la VO,
un monsieur coccinelle sans ambiguïté possible) on est tenté de laisser sombrer
cette résurrection tardive dans un oubli aussi prompt que légitime. On se voit
mal succomber aujourd'hui au burlesque suranné et à la guimauve colorée de ces
histoires idéales pour un très jeune public mais nettement plus discutables dès
que l'adolescence se trouve consommée. Pourtant, on fléchit, on se laisse
tenter, on se dit que l'on pourrait bien retrouver là une part d'enfance. Et
l'on a raison.
Dès le générique d'ouverture, le film assume pleinement le kitsch de la
série, en proposant un résumé de la carrière de Choupette sur fond de couleurs
psychédéliques et de musique "bubble pop", pour mieux souligner le déclin de la
star oubliée, à deux doigts de terminer en tas de ferraille dans une casse du
fin fond du Texas. Mais Choupette n'est pas du genre à se laisser marcher sur
les enjoliveurs et en quelques gags loufoques elle vient nous rappeler qu'elle a
un caractère d'acier et de la ressource en toute occasion. On remarque aussi
très rapidement que la réalisatrice n'hésite pas à utiliser les vieux effets
spéciaux qui ont toujours fait le charme suranné de la série, bref, Choupette
roule en accéléré, plisse des phares, batifole des essuies-glaces et ne se fait
que rarement doubler par des images de synthèse assez mal fichues et pleinement
dans l'esprit des trucages du film. L'image de la Coccinelle n°53 n'est donc pas
abîmée et même si cette dernière participe désormais à des courses de rue ou à
du stock-car, elle préserve son innocence.
L'histoire tient évidemment sur un mouchoir en papier, mais peu nous
importe. La gloire oubliée va revenir sur le devant de la scène, bravant toutes
les humiliations et triomphant de tous les pièges. Angela Robinson désirant
proposer un point de vue plus féminin à cet univers de mécaniques huilées et de
moteurs vrombissants, elle place le volant de Choupette entre les mains d'une
adolescente intrépide. Le coup de génie de Disney est d'avoir offert la
combinaison de pilote d'élite à son ambassadrice, la (éro)dynamique Lindsay
Lohan, dont la carrosserie éclipse régulièrement celle de notre Volkwagen (tm)
préférée. Très à l'aise dans le registre de la comédie saugrenue, la prometteuse
Lindsay est en cela parfaitement soutenue par quelques seconds rôles qui
raviront les cinéphiles en herb(i)e, en particulier Matt Dillon en méchant pas
gentil et le merveilleux Michael Keaton dont la moindre apparition, même
dérisoire, sur un grand écran est devenue un événement. Le film se déroule alors
de manière fort prévisible mais dans une bonne humeur communicative, et en
réservant quelques scènes purement jouissives, entre tôles froissées et gags
primesautiers.
C'est définitivement la nostalgie qui fait pencher notre coeur vers
l'adorable voiture, si expressive que l'on est d'autant plus touché par ses
multiples calvaires, souvent très destructeurs, et même par son amourette (mais
sans oser se demander si la 53 pratique le 69...). Certes il est nécessaire de
remiser son cynisme avant d'entrer dans la salle, et il est d'autant plus
indispensable de se laisser porter par ces aventures comme un môme ravi. Mais la
mise en image, joyeusement rythmée, doublée par une bande son énergique, servent
au mieux ces crissements de pneus à répétition et ces scènes ludiques de
Choupette en vadrouille. Si de surcroît on s'accroche au regard de Lindsay Lohan
(et accessoirement à ses mini-jupes éminemment captivantes), il y a plus que
matière à trouver auprès de La Coccinelle Revient le parfait film estival, aussi
plaisant que terriblement frivole. |
Charlie et la Chocolaterie
de Tim Burton
Avec Big Fish, nous avions laissé Tim
Burton bien mal en point, tiraillé par des questionnements nouveaux (la
paternité, la famille en général, être enfin sociable...), qu'il ne maîtrisait
pas du tout et qu'il ne parvenait qu'à emballer maladroitement dans une
esthétique télévisuelle et un mauvais goût choquants. Le Burton de Beetlejuice
semblait bien loin, et on aura pu penser, moi le premier, qu'il venait de
disparaître à jamais. Et c'est presque à reculons que je me suis rendu devant Charlie et la Chocolaterie. La surprise n'en est que d'autant plus grande, et
meilleure. Car Charlie et la Chocolaterie est un exemple d'adaptation réussie,
le metteur en scène parvenant à rester fidèle à l'oeuvre littéraire (peut-être
même trop), tout en la modernisant et en y ajoutant des thèmes très personnels.
Esthétiquement tout d'abord, une fois
passé un générique d'ouverture auto-parodique dont les images de synthèse ne
remplaceront jamais les décors bien réels d'Edward Aux Mains d'Argent ou la
maquette de Beetlejuice, le film est une splendeur de tous les instants. Dans
une veine kitsche, bourrée de détails, qui fait écho à Pee Wee's Big Adventure,
Burton décrit une chocolaterie en Disneyland sous acide, vaste parc d'attraction
aussi sucré que délicieusement inquiétant, à l'image de son propriétaire, Willy
Wonka, qui s'inscrit immédiatement parmi les plus beaux "freaks" de l'imagerie
burtonienne. Dans le rôle Johnny Depp est génial, quelque part entre le
"cynisme" du Hunter Thompson de Las Vegas Parano, l'aspect "poupée" d'Edward et
"l'enthousiasme enfantin" d'un Ed Wood. Et si Burton choisit de ne le faire
intervenir qu'au bout d'une demi-heure de métrage, c'est pour mieux lui laisser
voler presque toutes les scènes. Willy Wonka, qui n'aurait pu être qu'un odieux
moralisateur, devient chez Burton un grand gamin solitaire qui ne réalise que
tardivement les véritables raisons de sa misanthropie galopante.
Malheureusement le plus gros défaut de Charlie et la Chocolaterie provient paradoxalement de sa fidélité à l'oeuvre de
Roald Dahl. En effet, la pesante morale, qui pouvait encore se justifier en 1967
et dans le cadre d'une comptine pour enfants pas sages, est reprise à
l'identique par Burton. Ainsi, Willy Wonka punit cruellement des défauts qui
semblaient pourtant très utiles à son possible successeur (la gourmandise, la
curiosité, la modernité, l'esprit de compétition, l'énergie...), tout cela au
profit de la gentillesse un peu niaise, un peu passive du petit Charlie, dont la
famille est une image d'Epinal de l'unité, de la bravoure et de la bonté. Big
Fish n'est donc pas très loin et Burton confirme ici ses surprenants élans
réactionnaires et passéistes ; velléités d'autant plus choquantes que la
méchanceté de Wonka fait plutôt écho aux anciens Burton, comme si le
réalisateur avait soudainement dédié son mauvais esprit à l'évangélisation des
spectateurs. Si l'on peut donc se réjouir du plaisir immédiat procuré par Charlie et la Chocolaterie, on aura tout naturellement le droit de s'interroger
sur l'évolution d'une oeuvre ayant perdu l'essentiel de ses aspects subversifs.
Mais si Burton offre une transposition
sans doute trop littérale du roman (pour le pire, ou plutôt le plus
embarrassant, comme nous venons de le voir, et aussi pour le meilleur : la
chocolaterie est idéalement majestueuse et bourrée de méandres étonnants), il
parvient néanmoins à y ajouter ses thèmes de prédilection (la différence comme
mode de vie) et ses nouvelles préoccupations de père de famille. Au début on se
dit que la névrose de Willy Wonka est trop voyante pour être honnête, et c'est à
force de réminiscences intrigantes que Burton nous offre une psychologie absente
du livre. Avec de l'humour ("I was having a flashback"), de l'émotion (l'étrange
disparition de la maison familiale) et un énième hommage au grand Christopher
Lee, le réalisateur évoque à la fois les responsabilités du père et son absence.
A ce niveau, Burton trouve le ton juste et les images qui correspondent au mieux
à son univers (les retrouvailles finales, incongrues et maladroites n'en sont
que plus touchantes). Et sans trahir quoi que ce soit de la conclusion, cette
fois les parias se rejoignent, au sein d'un Eden sucré, qui rappellera
évidemment les dénouements de précédents chefs-d'oeuvre du monsieur.
La réussite de Charlie et la
Chocolaterie se situe avant tout dans ses aspects de conte burlesque. Quand
s'unissent une féerie décalée (l'usine surplombant la ville, la maison tordue de
la famille de Charlie, les salles baroques de la chocolaterie) et un humour
saugrenu voire clownesque (les maladresses récurrentes de Willy Wonka, l'attaque
des écureuils, les chansons "bubble pop" des Oompas-Loompas, le grotesque
piratage de 2001...). Tim Burton apparaît alors totalement décomplexé, laissant
Johnny Depp faire son numéro sans chercher à freiner ses excès les plus
théâtraux. Certes, tout est ici outrageusement douceâtre, et le cynisme d'antan
a fait place à une philosophie nettement moins révoltée et exaltante. La
tendresse sous-jacente s'impose avec plus d'évidence, le "happy-end" n'est plus
inaccessible, l'univers burtonien s'est apaisé, en trouvant le réconfort là où
on ne l'aurait jamais imaginé : dans un éloge de la famille et des valeurs les
plus traditionnelles. Cependant l'emballage est si séduisant, le divertissement
si sympathique, que l'on en vient à croire que Charlie et la Chocolaterie annonce l'épanouissement de Burton, qui après quelques errances, parviendrait à
évoluer sans se renier, et rester à la fois un mauvais garçon, cinéphile et
joueur, tout autant qu'un père sensible et rêveur. |
La Guerre des Mondes
de Steven Spielberg
C'est un rêve d'enfance. Un rêve qui
ressemble plutôt à un cauchemar. Un émerveillement formidable, aussi fascinant
que terrifiant, comme les images qui surgirent dans mon esprit lors de la
lecture de la Guerre des Mondes de H.G. Wells, et le désir bien peu réalisable
(et heureusement) que ces visions apocalyptiques deviennent réalité. Si la
première adaptation cinématographique m'avait relativement comblé à l'époque,
même si j'avais déjà été déçu par un final cul-bénit en diable (si vous me
passez l'expression), j'espérais toujours découvrir la puissance des Tripodes
dans toute sa brutalité dévastatrice, je voulais que l'effroyable sentiment de
fin du monde qui imprègne le livre soit enfin à ma portée sur un écran de
cinéma, ainsi que la bouleversante force vitale qui habite le héros de cette
fable existentielle et hymne à la volonté humaine et à la Nature.
Malheureusement, avec la version de
Steven Spielberg, comme souvent, mes souhaits ne sont qu'en partie exaucés. Le
plaisir immédiat est bel et bien présent, en particulier parce que, oui, enfin,
les Tripodes trouvent leur plein accomplissement visuel. Indestructibles
destructeurs, ils incarnent la plus douloureuse des menaces, l'extermination en
marche. En découle les meilleurs moments du film, quand le spectacle se donne
tout entier devant la caméra virtuose du réalisateur. Certes, celui-ci ne fait
que recycler les aspects "pris sur le vif" qu'il a développés depuis le Soldat
Ryan et Minority Report, mais cette maestria n'en demeure pas moins clouante.
C'est impressionnant, écrasant, délirant de bruit et de fureur. La guerre
totale, en direct, sans trêve et sans espoir. Pour ce qui est de la
représentation du chaos, la Guerre des Mondes est une réussite totale.
Mais c'est au niveau de l'adaptation
en elle-même que le film faiblit. Spielberg oblige, le personnage solitaire du
roman est présenté comme un père de famille divorcé, campé par un Tom Cruise
moyennement crédible dans sa fuite quasi perpétuelle. Ce faisant, le metteur en
scène peut faire intervenir ses thèmes habituels, mais sans rien leur apporter
de bien neuf. Il faut donc se traîner un ado caractériel (pléonasme), censé
incarner la bonne âme belliqueuse américaine, et une môme hystérique et
claustrophobe (mais crédible). Si ces ajouts ne sont pas particulièrement
étonnants, ce sont les petits arrangements avec le roman, en particulier pour
essayer de le "moderniser" qui choquent le plus. Ainsi il est sous-entendu que
les Tripodes (qui perdent au passage leur fusion entre mécanique et biologique),
étaient déjà dissimulés sur Terre depuis des millions d'années, sans se faire
remarquer (en dépit de tous les forages, excavations, et autres tunnels qui
parsèment la surface du globe, mais admettons) et mettant d'autant plus à mal la
conclusion du métrage. Conclusion qui, si elle s'avère fort juste au sein du
livre, tombe ici comme un cheveu sur la soupe, et de manière totalement
expéditive, comme si Spielberg n'avait pas vraiment su comment la gérer.
On se dit alors qu'il a tout misé sur
le spectaculaire sans véritablement s'embarrasser d'un scénario compliqué. Pour
preuve, il en vient même à resservir quasi plan par plan la scène de la cuisine
de Jurassic Park et à l'image de cet auto-plagiat, le divertissement demeure
efficace. Et nous offre ce que nous étions venus chercher au départ : un pur
film catastrophe, largement au-dessus de ce que nous offre habituellement le
genre. Car en mêlant le côté intimiste d'un Signes et le délire pyrotechnique
d'un Independence Day, Spielberg remplit très agréablement son contrat.
Malheureusement il ne parvient pas à transcender le matériau de base et se
contente d'une jolie illustration plutôt que d'une brillante relecture. |
Les Bouchers Verts
de Anders-Thomas Jensen
L'échec public de ce sympathique film
danois s'explique par un grossier et flagrant malentendu. En effet, les Bouchers
Verts a été présenté sous l'étiquette forcément fédératrice de la comédie noire,
avec de vrais bouts de gore et de méchanceté à l'intérieur. Mais en découvrant
l'oeuvre, on réalise très rapidement qu'il y a eu tromperie sur la marchandise.
Si l'on était vraiment venu dans le but de voir ce fameux divertissement
sanglant, le premier sentiment pouvait être la déception. Déception qui s'est
poursuivie auprès de nombreux spectateurs, peu préparés à découvrir une comédie
de moeurs, brassant les genres avec beaucoup plus d'ambition qu'on ne l'aurait
imaginé. Le film s'intéresse donc davantage à ses personnages principaux et à
leurs déboires professionnels et familiaux plutôt qu'aux meurtres, qui
deviennent presque des détails au sein du métrage. Et s'il y a bien quelques
scènes joyeusement macabres, le réalisateur s'attarde sur des thèmes étonnants
(en particulier les conséquences d'un accident de la route provoqué par un frère
attardé). Plus porté sur l'ambiance et d'excellents acteurs, les Bouchers Verts se veut une fable où l'horreur s'ouvre vers la tendresse et où même les "freaks"
ont droit au bonheur. Attachant. |
Ray
de Taylor Hackford
L'exercice du "biopic" n'est pas
seulement délicat car il se doit d'illustrer une histoire personnelle qui, bien
souvent, rejoint l'Histoire. Non, dans une perspective purement
cinématographique, le "biopic"
; peut-être un véritable piège car c'est un genre
rabâché, et souvent lié au strict académisme le plus contrit, voire le plus
ennuyeux. Académisme formel, bien sûr, comme peuvent en témoigner des piles
entières de quasi téléfilms dédiés à des flopés de peintres, romanciers et
autres compositeurs galvanisés par une poussière peu réactive à l'approche d'une
caméra. Académisme narratif, par ailleurs, quand il s'agit de ne pas trop
perturber le spectateur en lui présentant une chronologie claire et simple,
ainsi qu'une vision pas trop corsée d'existences par ailleurs souvent fort
dépravées et pittoresques. Évidemment, les exceptions existent. Mais au vu du
nombre fort impressionnant de biographies filmées qui inondent les écrans chaque
année (voire chaque mois), ces chefs-d'oeuvre ne sont que goutte d'eau dans
l'Océan Léthargique (au nord de l'île de Sumatra).
Sans être une révolution notable, le Ray de Taylor Hackford est une plaisante surprise. Car lorsqu'il s'agit
d'évoquer une icône du rock'n'roll, un nouveau risque se présente au metteur en
scène courageux : l'outrance psychédélique, dont le The Doors d'Oliver Stone
serait le principal exemple. Il faut alors parvenir à rendre l'énergie de la
musique, la passion du musicien, la puissance érotique de l'ensemble, sans pour
autant sombrer dans le grotesque. Pour transcender les pièges, certains ont
choisi d'y plonger sans retenue pour mieux les dépasser (comme le De Palma de Phantom of the Paradise ou le plus récent Hedwig and the Angry Inch), Hackford
préfère la retenue, en favorisant l'histoire de Ray Charles et la performance
remarquable de Jamie Foxx. Si la réalisation se permet quelques audaces
formelles intéressantes, elle ne vient jamais voler la vedette aux faits et aux
protagonistes.
Le parcours de Ray Charles, frappé
mille fois par le Destin, assure une symbiose idéale avec sa musique, tout en
permettant à Taylor Hackford de ne pas trop adoucir les aspects les plus sombres
du récit. Et si certaines péripéties sont relativement prévisibles, en
particulier les rapports de l'artiste avec la drogue et les femmes, d'autres
sont plus discrètes et d'autant plus savoureuses. On se souviendra
en particulier du moment de l'enregistrement de Georgia On My Mind, le slow
grand public du monsieur, perçu selon le point de vue de ses compagnons de
longue date, qui voient là une horrible concession commerciale. En demeurant le
plus objectif possible, le film est ainsi parfois vraiment critique envers Ray
Charles, et redonne aussi toute leur place à ses collaborateurs qui ont souvent
eu une influence essentielle dans ses choix musicaux et humains.
Mais le coeur du film est bien sûr
l'évocation de l'enfance de l'artiste, centrée autour d'événements fondateurs
(la cécité progressive, la mort accidentelle du petit frère, la découverte de la
musique) et de l'image bouleversante d'une mère, véritable incarnation du
courage et de la dignité. Brûlés dans des tons ocres frappants, ces flashbacks
donnent à Ray le supplément d'âme qui lui permet de sortir du tout-venant du
biopic. Certes, le film n'échappe pas à certaines longueurs, à quelques clichés un
peu pesants, mais ce ne sont que des détails face à la réussite de l'ensemble.
Et au final l'oeuvre parvient à imposer l'homme, Ray Charles, en personnage
encore plus intense et inoubliable que sa musique. |
Papa
de Maurice Barthélémy
Quand un membre des Robins des Bois se
lance dans le mélodrame, on peut légitimement craindre le pire. Surtout que la
précédente collaboration entre lesdits Robins et Alain Chabat (ici acteur
principal) est un Rrrrrrr, qui provoque toujours des grognements de
mécontentement auprès de la majorité de ses spectateurs. Mais une fois encore,
il faut remiser ses a priori très loin dans les limbes de la cinéphilie
galopante. Car dès les premières minutes de Papa, on découvre une oeuvre aussi
discrète et humble dans son propos que très intrigante dans sa forme. En effet,
Maurice Barthélémy a choisi le tournage DV pour rendre au mieux les couleurs de
son road movie estival. L'autoroute du Sud affirme son aridité, tandis que les
virages verdoyants des montagnes se font plus tendres et mystérieux au fur et à
mesure que l'histoire révèle ses nuances. En dosant habilement tragique et
humour, le metteur en scène offre à Alain Chabat un rôle d'une rare richesse. On
passe ainsi au sein de la même scène du gag burlesque, voire potache, au
serrement de coeur délicat. Papa intrigue donc, surtout lorsque surgissent des
cauchemars d'une douloureuse intensité, ou des scènes entre père et fils d'une
justesse surprenante. Car le réalisateur préfère les non-dits, la pudeur, les
silences. Et même si le papa encourage les pleurs comme libération, c'est dans
la retenue que l'émotion atteint son paroxysme. Et rarement sujet aussi propre à
la niaiserie aura été traité avec autant de sobriété. On rit beaucoup plus que
l'on ne pleure et le film en devient d'autant plus sympathique. |
Sin City
de Roberto Rodriguez
Grâce à leurs sorties françaises quasi simultanées, le choc entre
les deux très ambitieuses adaptations de Comics a permis de
se questionner à nouveau sur l'art et la manière de donner vie aux bandes
dessinées. Entre le très littéral Sin City et le nettement plus blasphématoire Batman Begins, deux visions, certes pas complètement opposées, nous sont
proposées. Pour Sin City, Roberto Rodriguez, paresseux notoire, a demandé aux
créateurs du Comics, le très culte Frank Miller, de tout retransposer à
l'identique sur l'écran de cinéma. Les cases dessinées sont donc numériquement
recréées et les acteurs, toujours filmés devant un écran vert, sont incrustés
dans ce noir et blanc qui souligne lourdement à la fois l'origine crayonnée et
l'hommage aux films noirs. Mais passé la surprise visuelle et le petit jeu des
références, Sin City devient rapidement très pesant. Les causes du naufrage sont
multiples. On pourra reprocher, paradoxalement, la trop grande fidélité au
Comics, qui dévitalise une grande partie du métrage. Mais on pourra aussi
souligner le conséquent coup de vieux qui a atteint l'intouchable Sin City.
Déjà
très caricaturales à l'époque, toutes ces histoires d'anti-héros en quête de
rédemption, de putes au grand coeur, de serial killers très très sadiques,
d'ultra-violence complaisante, ont été mille fois vue et revues. Et peu importe
au spectateur actuel que Sin City ait été une révolution il y a 15 ans de cela.
Aujourd'hui, on peut s'ennuyer poliment. Certes tout n'est pas raté, loin de là.
Il reste quelques séquences très amusantes, en particulier dans la première (et
de loin la meilleure) partie qui concerne la vengeance de Marv (Mickey Rourke,
juste génial). Mais dès le second segment, Sin City devient relativement
répétitif. Et l'on en vient à y chercher de purs plaisirs de nerds (les plans
gores, les demoiselles en petite tenue, les punchlines à foison...), en
observant sa montre de temps à autre. Et c'est bien normal tant Sin City manque d'âme et de chair. Et
semble avoir été quelque peu bâclé (incohérences à l'appui), en ne se reposant
que sur son concept et son casting trois étoiles (même si pour un Clive Owen
excellent, on a droit à une Jessica Alba aussi gironde que parfaitement
amorphe). Il en résulte un vrai sentiment de monochrome, évident par le visuel,
mais aussi par ce qui nous est conté. Aussi plaisant que insignifiant, Sin City demeure néanmoins un divertissement honnête. |
Batman Begins
de Christopher Nolan
Batman Begins quant à lui se propose de
redonner vie à l'homme chauve-souris, enterré par les deux nanars (donc deux
films si délicieusement mauvais qu'ils en deviennent amusants) de Joel
Schumacher. Pour cela, Christopher Nolan fait table rase et revient aux sources
du mythe. Son approche est partagée entre une fidélité à toute épreuve (le
meurtre des parents, Michael Caine parfait en Alfred, le côté système D de la
batcave et des gadgets, les névroses polymorphes de Bruce Wayne...) et des
trahisons étonnantes (ledit Bruce formé façon Ninja par Ra's Al Ghul, le
commissaire Gordon qui forme un tandem quasi instantané avec Batman, l'insipide
Katie Holmes en amie d'enfance). Si les points respectueux des divers Comics
sont parfois un peu pesants (on insistera bien sur les phobies de Bruce Wayne),
d'autres sont réjouissants (Gotham City n'a jamais été aussi belle). Et il y a
bien sûr des nouveautés vraiment bienvenues, tels le personnage de Morgan
Freeman ou le sort réservé au Wayne's Manor.
Mais si la nécessité de poser
autant d'informations et de présenter autant de personnages mène à certains
sacrifices regrettables (le superbe Épouvantail fait de la figuration, l'asile
d'Arkham n'est que l'ombre de lui-même), Batman Begins tient largement ses
promesses au niveau de la résurrection du Caped Crusader, les plus grandes
faiblesses du film se situant au niveau des scènes d'action. Des combats à mains
nues quasiment illisibles, une virée en batmobile qui pâtit surtout de
l'esthétique franchement discutable de la bête et un final en métro aérien qui,
bien que très spectaculaire, fait un peu redite après la grande scène de Spider-Man 2. On apprécie alors Batman Begins pour ce qu'il est vraiment : un
excellent prologue à une franchise enthousiasmante. Lorsque le film s'achève, on
meurt d'envie de découvrir la suite. |
Madagascar
de Eric Darnell et Tom McGrath
Tant bien que mal Dreamworks
s'accroche à la queue de l'étalon Pixar et se laisse doucement traîner en
essayant de réutiliser les idées qui chutent de la folle cavalcade des génies
des dessins animés en images de synthèse, la touche personnelle de Dreamworks se
résumant essentiellement à l'utilisation de gags plus ancrés dans des références
contemporaines ou des parodies de films à la mode (voire carrément de pubs). Ce
qui ne cesse d'inquiéter quant à la pérennité de ces oeuvres... Mais qu'importe,
car après tout, quand on va voir un Dreamworks, c'est dans l'espoir fort
légitime de rire généreusement. Ce qui avait été le cas avec le très réussi et
rythmé Shrek 2, et nettement moins avec le sinistre et sinistré Gang de Requins. Madagascar se situe entre ces deux extrêmes. Parfois radicalement drôle (en
particulier grâce à une bande de pingouins pas du tout manchots, qui se
réservent LA scène culte du film) et souvent assez laborieux (la majorité des
gags consistant encore à faire chuter des personnages ou à les faire se prendre
divers objets dans la tête). Madagascar pèche surtout dès qu'il essaie de
devenir un peu sérieux. Dreamworks lorgnant cette fois du côté de l'excellent Age de Glace, avec un lion potentiellement dangereux rappelant le tigre à dents
de sabre du film de Chris Wedge. Mais les états d'âme des principaux
protagonistes ne nous touchent pas vraiment, et l'on se fait peu de soucis quant
au dénouement de leurs aventures. On passe un bon moment, on retient quelques
répliques hilarantes ("the New York Giants", "..... It sucks!....", "I'm the
cat, I'm the cat, I'm the cat", "Foosa hungry"), mais on regrette le
laisser-aller quasi général. |
Star Wars Episode III - La Revanche des Sith
de George Lucas
Tout le monde
va aller voir La Revanche des Sith. Il serait dommage de ne pas profiter de cette "conclusion" sur grand
écran, dans l'ambiance fanatique d'une salle de cinéma pleine d'amoureux transis
de Yoda (ou de Han Solo, peu importe!). Et non je ne vais pas essayer d'avoir un
point de vue ne serait-ce qu'un minimum objectif sur le dernier volet de Star
Wars. Même, et surtout, après la déception de l'Episode I et la réussite relative de
l'Episode II, j'attendais encore monts et merveilles de cet Episode III qui
promettait tant. Et cette fois, les espoirs ne furent pas (trop) déçus.
Dès la chouettte scène d'ouverture,
on comprend que George Lucas a décidé de tout donner pour le feu d'artifice
final. Le début de la Revanche des Sith est une énorme séquence d'action de presque
une demi-heure, sans doute la plus spectaculaire de toute la saga. On enchaîne
ainsi sans temps mort, un combat spatial, une prise d'assaut de vaisseau
spatial, des combats aux sabres lasers, d'épastrouillants moments comiques dédiés
à R2D2, de la dramaturgie essentielle pour l'ensemble de l'histoire et la
présentation de l'unique nouveau personnage de cet épisode, le Général Grievous.
Certes, après cette exposition dantesque, le film ralentit son rythme et se
concentre sur les tourments d'Anakin Skywalker (Hayden Christensen, correct) et
sur l'opposition entre le Conseil des Jedi et un Chancelier Palpatine (Ian McDarmid) de plus en plus totalitaire.
On se doute bien que tout cela va mal
se finir et on ne donne pas cher du sort de la majorité des protagonistes, même
si le film réserve quelques surprises et parvient à expliquer de nombreux "côtés
obscurs" des épisodes précédents. Malgré tout, il faut bien reconnaître que
Lucas ne retombe pas toujours sur ses pattes, et il ne faut pas chercher bien
loin pour trouver des petits problèmes de cohérence, principalement entre les
deux trilogies. Mais la dernière demi-heure du film, très
touchante, parvient à créer au mieux le pont de près de 30 ans entre la suite...
et le début...
De surcroît cet épisode réserve de
meilleurs combats aux sabres lasers, les plus belles scènes de Yoda et d'Obi-Wan
(Ewan McGregor, enfin à l'aise dans le rôle), et évidemment de la tragédie et
encore de la tragédie grâce à quelques séquences assez intenses. Une manière de rattraper de justesse l'inutilité absolue de cette nouvelle trilogie et de faire oublier, un peu, les plantages apocalyptiques des deux premiers épisodes. |
Brice de Nice
de James Huth
Le cinéma conçu comme produit dérivé.
Inversion des postulats. A présent ce n'est plus le marketing qui accompagne le
film, c'est le film qui devient merchandising. Brice de Nice est un concept
parfois étonnant, où tout ne fonctionne que par slogans et poses publicitaires.
Chaque réplique semble avoir été écrite pour être reprise dans les cours de
récréation, chaque détail pourrait se transformer en gadget pour les magasins
Soho. Les scénettes se succèdent, en essayant tant bien que mal de raconter une
histoire. Une histoire ? C'est un bien grand mot. Et pourtant le film voudrait
nous intéresser aux aventure dudit Brice, gentil crétin et unique surfeur de la
Méditerranée. On voudrait même y aller de son petit couplet émouvant, sur le don
de soi, sur l'amitié, sur l'amour, sur la différence. Et toujours le cul entre
deux chaises. Entre le surréalisme propre au burlesque et des tentatives de
narration plus classique, flirtant avec les films des frères Farrelly. Le
résultat tient plus du sitcom que du cinéma.
Certes Jean Dujardin et Clovis
Cornillac sont deux très bons acteurs comiques, certes les intentions du film
semblent louables (clin d'oeil parfaitement incongru à The Party à l'appui),
mais le résultat semble tellement formaté pour un public déjà tout acquis à la
cause de Brice que l'on ne peut que rester sur sa faim. Et trouver fatigant que
tous les films comiques offerts à des stars de la TV se fondent quasiment tous
dans la même silhouette. Deux ou trois chansons un peu hip-hop, quelques guest
stars, un ou deux effets spéciaux numériques mal fichus, des bimbos en bikini,
des provocations très sages. Et la bonne humeur, la "cool attitude" en
autosuggestion. Brice de Nice, c'est "fun". C'est gravé sur chaque centimètre de
pellicule. On va vous le faire comprendre, par tous les moyens. Et parfois, il
est vrai, il est difficile de résister. C'est le rire un peu bête, automatique,
le hold-up des zygomatiques, le fameux "casse de Brice". Clovis Cornillac
bafouille et on se marre. Jean Dujardin adopte la plus belle gueule d'abruti
depuis Jim Carrey dans Ace Ventura, et on se poile. Mais dès que les lumières se
rallument, on reprend ses esprits, et on se précipite à la séance du Crime
Farpait... |
Otage
de Florent Emilio Siri
Monsieur Bruce Willis, star et
producteur d'un film d'otages. Sur le papier, cela sent son petit remake de Die
Hard. Surtout quand la note d'intention nous entonne un petit air charmeur du
style : "Le grand retour de Bruce dans un film d'action violent et sans
concessions". A priori, on peut craindre le pire (style Color of Night ou Piège
en Eaux Troubles, comme le meilleur (les Die Hard cités plus haut, malheureusement
souvent imités, mais jamais égalés). Et si on en vient à résumer le scénario (ce
que je vais bien me garder de faire), on entrerait presque dans la salle à
reculons. Mais ce qui fait un bon film de Bruce Willis c'est forcément le
metteur en scène. Donnez lui un Tarantino, donnez lui un Gilliam, un McTiernan,
et le petit Bruce fait des miracles. Dans le cas d'Otage c'est le courageux
Florent Emilio Siri, qui, pour son second film après l'excellent Nid de Guêpes (loué ailleurs sur ce site), joue son droit d'entrée à Hollywood en emballant un
superbe écrin pour ce cher monsieur Willis.
Otage réserve donc tout ce qu'il faut
en matière de suspens, d'action, de bons sentiments, d'invraisemblances énormes
et de méchants très méchants (en particulier un acteur de Six Feet Under,
inattendu mais très crédible, dans le rôle du super psychopathe indestructible).
Néanmoins et malgré toute la virtuosité de Siri, le film manque parfois un peu
d'énergie. En particulier dans sa première moitié, où Bruce passe plus de temps
à passer et recevoir des coups de téléphone qu'à distribuer des mandales.
D'ailleurs, signe des temps ? Bruce dégaine moins souvent et préfère la
discussion (son personnage est un négociateur) plutôt que la manière forte. Même
si la dernière demi-heure d'Otage offre de grands instants de pyrotechnie, le
film est plutôt fondé sur une tension en retrait, qui ne tient la route que par
la force de la mise en scène et le jeu d'un Bruce Willis de plus en plus
crédible, et que l'on attend de découvrir, avec une certaine impatience, dans Sin City.
Même si Otage pourra décevoir les plus
bourrins d'entre vous (le film est moins percutant que le très brutal Nid de
Guêpes) et qu'il s'adresse en priorité à ceux qui apprécient Bruce, certaines
scènes sont extrêmement réussies. Notamment tout le crescendo final, d'une
grande violence, et doté de quelques belles idées propres à surprendre le
spectateur, qui pourtant connaît tout cela par coeur. Bref, du divertissement
délicieusement "ficelé", ce qui est très à propos vu les quelques jolies images
de bondage qui parsèment l'oeuvre (à bon entendeur...). |
Saw
de James Wan
Régulièrement on nous annonce le
"grand retour du film d'horreur". A tort et surtout de travers. Rien que ces
derniers mois entre Détour Mortel, Jeepers Creepers, Haute Tension, le remake de Massacre à la Tronçonneuse, celui de Zombie, j'en passe et des pires. On nous
aura fait miroiter monts et merveilles, pour des résultats allant du plutôt très
bon au carrément nul. Alors quand le battage médiatique autour de Saw a débuté
son petit tintouin, on s'est méfié. On est resté sur ses gardes. Mais, peu à
peu, à force d'entendre et de lire des louanges à foison, on s'est laissé aller.
On a cru à la perle, voire au chef-d'oeuvre. Enfin un vrai bon thriller malin et
méchant. Ah, chic alors ! Pour sûr, on attendait que ça. Avoir la trouille, se
faire manipuler, bref, s'enthousiasmer.
Et comme dirait Lord Dark Vador, il
est imprudent d'abaisser sa garde. Car, sans être une purge totale, Saw est très
loin de tenir ses promesses. Si le postulat de base, deux hommes prisonniers
d'un huis-clos vicieux, est diablement efficace, l'idée est délayée sur
l'intégralité du métrage. Pour remplir les trous, le réalisateur offre un remake
de Seven, emballé dans une mise en scène d'une rare laideur, qui confond effets
de vidéo-clip et intensité. Mais on y croit quand même suffisamment pour
s'intéresser à l'essentiel. Qui est le Jigsaw Killer ? Comment nos deux
camarades vont-ils s'en sortir ? Qui est le traître ? Bref, on se laisse
doucement porter.
Enfin, le film s'emballe, vire à
l'hystérie, ce sont les dix dernières minutes et on se dit que ça valait
peut-être la peine de rester jusqu'au bout. Puis survient un twist presque aussi
ridicule que celui de Haute Tension (qui demeure un cas d'école dans le genre de
ce qu'il ne faut surtout pas faire pour essayer de surprendre son spectateur).
Une conclusion à la fois évidente (on se doutait de certaines choses depuis le
début), mais aussi parfaitement imprévisible (on ne nous a pas donné les indices
nécessaires), qui laisse totalement sur sa fin, en donnant l'impression de
s'être fait balader par des petits malins. Ce final plombe radicalement toute
envie de revoir le film, ce qui, pour le moins, est fort regrettable. Certes, si
l'on est amateur du genre et que l'on goûte au raffinement de certains des
crimes, on prendra plaisir à la vision de Saw. Pour les autres, ils peuvent
toujours revoir le dernier Clint Eastwood... |
Million Dollar Baby
de Clint Eastwood
Après voir été le paria de la critique
pendant de longues années, Clint Eastwood est gratifié d'un consensus quasi
unanime. On loue son sens du récit classique, de la mise en scène élégante, dans
la grande tradition du cinéma américain taillé dans le marbre. Son oeuvre est
empreinte d'une dignité sobre, mélancolique, poignante dans sa pudeur. La force
des chefs-d'oeuvre tels que Sur la Route de Madison, Impitoyable ou Honkytonk
Man est sans doute de juste laisser entrevoir la sensibilité à la fois délicate
et fière d'une icône machiste. Le cow-boy sans pitié, l'inspecteur Harry
ultra-violent, avaient donc bel et bien une âme, un coeur. Et comme une manière
de se protéger davantage, Eastwood choisit souvent des genres très codifiés et
masculins pour, petit à petit, les contaminer par une émotion épidermique. Et
que ce soit le western avec Impitoyable ou l'enquête policière dans Mystic
River, les données les plus basiques finissent par laisser paraître les
blessures les plus profondes.
C'est en se penchant sur le film
sportif, et plus particulièrement sur le film de boxe, dont les incontournables
références demeurent Rocky et Raging Bull, que Clint Eastwood vient de signer
son oeuvre la plus impressionnante. Sur des bases très convenues, Eastwood
dessine avec patience une histoire qui n'hésite jamais à se confronter aux pires
clichés pour mieux les sublimer par la force de la sincérité. Car c'est cette
sincérité totale, cet amour pour le cinéma et pour l'humanité en général, qui
transcendent Million Dollar Baby et permettent ainsi d'oublier les facilités du
scénario. Et quand l'oeuvre plonge sans retenue dans le mélodrame le plus
lacrymal, le spectateur est déjà totalement conquis par la classe d'Eastwood et
de ses comédiens.
Car il faut encore le souligner,
l'interprétation du trio principal de Million Dollar Baby est inoubliable. Clint
Eastwood, bien sûr, tout en charisme désenchanté et en discrétion. Morgan
Freeman ensuite, sublime d'humilité et de justesse. L'amitié entre ces deux
hommes, qui affrontent leur vieillesse comme un ultime combat, est immédiatement
touchante. Et bien sûr, Hilary Swank, toujours méconnaissable, qui s'impose
comme la Meryl Streep de sa génération. Grâce à eux, Million Dollar Baby trouve
le ton juste et déroule ainsi sa trame sans jamais ni ennuyer, ni décevoir. On
est venu auprès du dernier Eastwood pour y trouver une certaine épure du cinéma
américain, on ressort émerveillé par la grâce de cette oeuvre déchirante,
crépusculaire et pourtant lumineuse. |
Sideways
de Alexander Payne
Admettons. Vous êtes un scénariste à
Hollywood. Vous êtes un quadra dépressif et vous venez de divorcer. Vous lisez American Splendor et vous êtes un champion de la dépression cynique. Le nombre
de films traitant de ce sujet étant à peu près incalculable, le réalisateur a
visiblement cherché à noyer le poisson.
Oui, noyer le poisson. Dans des litres
de vin et de banalités pur jus. Du vin californien, le seul que son héros
connaisse sur le bout de la langue, sa déprime lui ayant fait développer un
certain penchant pour la dive bouteille. On va donc pouvoir raconter la
sempiternelle histoire des quadras mal dans leur peau, mais en digressant
copieusement sur la piquette (en cubis). A tout bout de champ. Gratuitement.
Pour détourner l'attention du spectateur et remplir les deux heures de temps.
Pas besoin d'être devin pour envisager l'exact déroulement du film et des
déboires de ses anti-héros masculins. Pour incarner l'écrivain raté en pleine
dérive sentimentale, il a suffit d'engager Paul Giamatti, toujours parfait dès
qu'il s'agit d'être maladroit, touchant et gentiment pathétique. On l'accole (ou
plutôt : on l'alcool) à son exact contraire, un bellâtre, acteur raté lifté,
aussi ridicule qu'antipathique. On lance les deux zigotos dans les vignobles de
Californie, sur une petite musique jazzy, histoire de bien vous rappeler qu'on
fait du Woody Allen, l'air de rien.
Mais le réalisateur semble avoir
oublié que tant va la cruche au breuvage qu'à la fin on se lasse. Car de
prémisses alléchantes, nous faisant miroiter un "road-movie" rythmé entre deux
potes usés, gérant plus que difficilement les tournants de leurs existences, le
film se décante, extrêmement lentement, pour finalement tourner au vinaigre,
même pas balsamique. Nos deux compères vont donc croiser des personnages
pittoresques, mais en fait non, ce serait trop facile. Ils vont juste croiser
deux demoiselles, qui, étrangement se connaissent et leur correspondent
parfaitement, comme ça coule de source. Notre camarade Paul Giamatti va donc se
perdre dans les jolis yeux de Virginia Madsen, dont c'est le grand retour après
une traversée du désert de plus de dix ans. Malheureusement, les sentiments ne
cessent de se retrouver plongés dans la vinasse. Et les discussions, loin d'être
enivrantes, deviennent rapidement soûlantes. Sideways devient un "Tout Ce Que
Vous n'Avez Jamais Voulu Savoir Sur le Pinot Noir et Que Vous n'Auriez Jamais
Demandé". Du tanin à l'oxydation en passant par la venaison, vous n'échapperez à
rien (sauf peut être au BTS en oenologie). Le "bouquet" final étant de réaliser
que ce personnage, soit disant grand esthète en jus de raisin, est avant tout un
alcoolique, et que son histoire ne fait que crécher comme un pilier de bar du
genre.
Malgré tout, il surnage quelques arômes d'humour, parfois tordants, mais
là encore bien souvent très artificiellement ajoutés à la boisson. Dévoré par la
couperose de la complaisance, Sideways n'est certes pas la lie du genre. Mais ce
qui se prétendait capiteux, s'affirme au contraire comme vain et migraineux,
plus spiritueux que spirituel. La soirée dégustation devient interminable, ne
laissant, dès la sortie de la salle qu'un vague souvenir déliquescent. Bref, Sideways se voulait un Château d'exception, mais en définitive cépage la joie... |
Rois et Reine
de Arnaud Desplechin
Après avoir scruté la vie sentimentale
des jeunes adultes dans Comment Je Me Suis Disputé, après avoir disséqué les
jeux et les masques du théâtre social dans Esther Kahn, Arnaud Desplechin veut
dresser avec son très ambitieux Rois et Reine une cartographie exhaustive et
nuancée des relations familiales. Et pour cela, le réalisateur gorge ses 2h30
d'une richesse presque déconcertante à la première vision. Si on ajoute une mise
en scène nerveuse, essentiellement composée de jump-cuts et autres raccords
énergiques, qui permettent à chaque image de surgir avec une justesse
surprenante, Rois et Reine veut se présenter comme une somme, un monument qui
s'affirme comme une Odyssée intime, une fresque de l'âme qui n'hésite jamais à
décrire les aspects les plus cruels de l'existence. Mais, une nouvelle fois,
l'émotion contenue et l'humour parfois débridé de Desplechin permettent au
spectateur de respirer et de ne jamais se sentir écrasé par la profonde
intelligence et la force symbolique de l'ensemble.
L'admiration que l'on peut éprouver
devant Rois et Reine est sans doute aussi complexe et riche que le film en
lui-même. Le spectateur peut tout d'abord apprécier le métrage comme un
divertissement avec de vastes bouts de psychologie et de philosophie à
l'intérieur, mais en même temps immédiatement plaisant par la vivacité et la
justesse de ses dialogues et la maestria de sa forme. Puis en se laissant guider
sur les pistes de réflexions innombrables, qui rendent la vision du film
véritablement palpitante. Au même titre que les oeuvres précédentes de
Desplechin, Rois et Reine est un film à suspens, où les enjeux et les drames
sont posés lors de la première partie, avant d'être résolus dans la seconde,
pour mieux déboucher sur de nouveaux questionnements lors d'un épilogue
lumineux. En quelques jours, au terme de leurs aventures, les deux héros auront
accompli leurs périples intérieurs et atteint de nouvelles étapes de leurs
existences. En faisant face à leurs peurs les plus secrètes, à leurs doutes les
plus aigus, en se trouvant confrontés à leurs gouffres sentimentaux, les
personnages de Desplechin sont transcendés. Et si l'auteur ne verse jamais dans
la niaiserie, c'est pour mieux souligner chaque événement, qu'il soit
traumatisant ou minuscule, et lui redonner sa pleine importance dans le
mouvement des existences.
La reine du film, c'est Nora, incarnée
par Emmanuelle Devos, que Desplechin dirige et filme avec un amour qui touche à
la passion. Dans son meilleur rôle, Emmanuelle Devos s'affirme à chaque scène
comme la plus talentueuse des actrices françaises de son époque. Les rois, ce
sont les hommes de sa vie, présents, absents, enfant ou père, ils sont le moteur
de sa quête. Parmi ses rois, Desplechin offre la part belle à Ismaël, magnifié
par le jeu fragile, touchant et énergique du toujours parfait Mathieu Amalric.
Grâce à l'acteur, la folie d'Ismaël apparaît comme une attendrissante et
excessive franchise qui le transforme en handicapé social, aussi débordant de
bon sens et de tendresse que totalement imprévisible et ingérable. Jamais la
dépression n'aura été contée avec autant d'allégresse dans la détresse,
Desplechin réservant d'excellentes scènes humoristiques à l'histoire d'Ismaël
(en particulier grâce à Hippolyte Girardot, irrésistible en avocat speedé).
En parallèle, le décès imminent du
père de Nora (Maurice Garrel, royal) oblige la jeune femme à un terrible
inventaire de son existence. Emmanuelle Devos, qui n'a jamais été aussi
splendide que perdue dans les aléas des émotions, toujours entre sourire
mélancolique et larmes amères, offre au personnage sa puissance et sa
vulnérabilité. Petit à petit, son calvaire fait surgir le thème central du film
: la responsabilité. Pour Nora et Ismaël, tout gravite autour de leurs
implications vis-à-vis d'eux-mêmes, de leurs familles, d'autrui. Que Ismaël voie
sa liberté mentale remise en cause lors de son internement en hôpital
psychiatrique ou que le courage de Nora soit cruellement ébranlé par la dernière
lettre de son père, c'est leur pouvoir de décision qui se trouve contesté. Si
Nora s'affranchira plusieurs fois symboliquement de l'image déchirante du père,
c'est face à un enfant qu'Ismaël réaffirmera la justesse de ses rapports avec
autrui, tel le plus immature et le plus philosophe des souverains.
Mais jamais Desplechin ne sombre dans
la facilité des résolutions heureuses. Les libérations sont "douloureuses" et ne
sont qu'une étape au sein du labyrinthe de l'existence. Et le réalisateur trace
peu à peu, avec une infinie délicatesse, un véritable hymne optimiste. En ne
reculant jamais devant les vérités les plus déplaisantes, il magnifie chaque
progrès, chaque sourire, chaque parole apaisante. Certes, dans sa volonté de
tout dire, Desplechin commet quelques petites maladresses, dont une évocation
discutable de la maladie d'Alzheimer. Mais ces petites imperfections sont
quasiment invisibles au coeur de ce pur chef-d'oeuvre qu'est Rois et Reine. Tant
d'évidence dans la complexité des caractères, tant de beauté dans les idées même
lorsque celles-ci sont pénibles à affronter, c'est précieux autant que rare. |
Ocean's Twelve
de Steven Soderbergh
Cool et glamour. Les mots d'ordre sont
les mêmes. Hollywood dans un bel emballage de film de vacances. Quasiment les
stars à domicile, comme le souligne la séquence la plus drôle de Ocean's Twelve où Julia Roberts retrouve soudainement la fraîcheur comique de ses vingt ans.
Vos stars préférées comme vous aimeriez les voir. Décontractées, sûres d'elles,
avec des petits tourments de "people" (qui a la plus belle meuf, qui est le plus
riche, qui a la plus grosse (collection d'oeuvre d'art), etc...). Tout leur
semble facile et dérisoire. Même le fait de se retrouver en prison, même le fait
de mourir, tout cela les survole à peine. Ce qui compte c'est d'être les
meilleurs, les plus classes. Et considérer le monde comme un vaste terrain de
jeu.
La réussite d'Ocean's Twelve est de
parvenir, jusque dans sa forme (bordélique mais jouissive), à rendre compte de
cette vision du monde. Le film est superficiel de sa première à sa dernière
image. Rien n'a d'importance et surtout pas un scénario alambiqué, qui n'est que
prétexte à divers morceaux de bravoure et à des tonnes de bons mots et autres
vannes. L'humour, omniprésent, part dans tous les sens, souvent pour le
meilleur, parfois pour le pire. Mais peu importe, Soderbergh et ses acteurs,
parviennent à ressusciter un esprit 60's charmant. Entre James Bond et Thomas
Crown, les douze (et quelques) de Danny Ocean ne lésinent pas sur les clins
d'oeil pour séduire le spectateur.
Par contre, bien sûr, mieux vaut avoir vu
au moins une fois Ocean's Eleven. Sous peine d'être largué dès le pré-générique.
La connivence avec le public joue beaucoup sur le fait que l'on sait déjà qui
est qui et quels sont les enjeux essentiels de l'aventure. Dans Ocean's Eleven,
Danny Ocean dévalisait Terry Benedict pour reconquérir sa femme. Dans Ocean's
Twelve, ce bon vieux George Clooney convoite l'Oeuf Fabergé pour régler ses
comptes avec Benedict et dans le même temps rabattre le caquet du prétentieux
François Toulour (sacrés français!). Alors on se questionne avec raisons : qui
de l'oeuf (Fabergé) ou de la poule (de luxe) présente le plus d'intérêt pour
nous, spectateurs exigeants ? Avouons-le, Ocean's Twelve, avec ses aspects
gouailleurs et clinquants est encore plus séduisant que le premier film.
Face à une telle assurance, il n'y a
pas de demi-mesure. Soit on entre dans la ronde, soit on se sent méchamment
exclu et on maudit ces acteurs imbus d'eux-mêmes et de leur charisme. Sans
parler de ce prétentieux metteur en scène qui filme en contre-jour et caméra à
l'épaule des concours de gags pesants. Pourtant, Ocean's Twelve est
incroyablement sympathique et divertissant. Car ce mélange entre une histoire
gratuitement compliquée et la désinvolture des interprètes atteint parfaitement
son objectif : faire passer un bon moment aux côtés de George Clooney, Brad
Pitt, Julia Roberts, Catherine Zeta-Jones, Vincent Cassell, Matt Damon & Co. On
était venu là pour se détendre et on a rarement connu compagnie plus plaisante.
Un film de vacances, certes, mais de luxueuses vacances. |
Les Désastreuses aventures des Orphelins Baudelaire
de Brad Silberling
Comment créer une "franchise à succès" en
quelques petites leçons.
Ingrédients de base :
- Jim Carrey en très très méchant oncle/marin/anthropologue/acteur/raton
laveur/plus si aff.
- Machin chose bidule dans le rôle de Truc (quelques guest stars au hasard, de
préférence sur le retour (Meryl Streep ou Dustin Hoffman))
- Durée de cuisson du spectateur lambda : 2 bonnes heures, Messieurs Dames, à
température heureusement pas trop élevée...
Marche à suivre :
- Vous choisissez un genre toujours en vogue, (dans le cas présent l'aventure
fantastique familiale avec un peu de méchanceté (mais pas trop) à l'intérieur).
Si cela rappelle Tim Burton ou Harry Potter, c'est parfait, et nous allons
amplement y revenir.
- Pour ne pas prendre trop de risques, car ce n'est pas le genre de la maison,
vous achetez les droits d'une série de livres à succès. Mais vous vous rendez
vite compte, avant même que le scénario ne soit rédigé, que lesdits ouvrages
sont un chouïa trop noirs et violents pour le public que vous visez.
- Echaudé par l'échec commercial (très relatif) du dernier Harry Potter cinématographique qui prenait enfin les enfants pour des êtres doués de raison
et de sentiments, vous édulcorez la potion, tout en préservant vos arrières à
prix d'or (mais rien n'est jamais trop beau pour protéger ses fesses) en
engageant une star familiale inébranlable. Vous vous doutez que rien que sur le
nom d'un certain Jim Carrey, vous avez déjà de fortes chances de rembourser
votre (conséquente) mise de départ. Certes, une star fait grimper le budget d'un
tel film, au détriment sans doute des effets spéciaux, voire du visuel général.
- Qu'importe. On ne va pas regimber maintenant et on va plutôt dévergonder des
artisans de grand talent, plus ou moins laissé à l'abandon dans un placard
hollywoodien.
- Là, le petit Emmanuel Lubezki, le directeur de la photographie, il avait
offert de jolies images pour Sleepy Hollow. En plus cela tombe bien, c'est du
Burton.
- Et le petit Rick Heinrichs, c'est encore mieux, c'était le
décorateur/accessoiriste/conseiller visuel du gars Tim depuis son premier
court-métrage jusqu'à son éviction pour le vilain Big Fish. Franchement, ça
serait dommage de ne pas profiter d'un tel talent en pré-retraite.
- On lie la tambouille par un scénario du monsieur de Men In Black 2, qui fera
tout très correctement, sans déborder trop des terrains respectables.
- On se fait produire par Barry Sonnenfeld, réalisateur de la Famille Addams et
des fameux Men In Black, qui s'y connaît donc fort bien dès qu'il s'agit
d'imiter Tim Burton.
- Et pour ne pas donner trop l'impression que l'on pompe vigoureusement la copie
primée du voisin, on n'ira pas engager Danny Elfman pour la musique, mais le
très talentueux Thomas Newman, plutôt habitué des drames intimistes comme Salton
Sea ou American Beauty.
- Au final, on viendra vous présenter les Orphelins Baudelaire comme une oeuvre
audacieuse, qui n'hésite jamais à prendre des risques.
Des risques ? Quels risques ? Le risque de faire mourir des personnages ?
De proposer quelques scènes effrayantes ou violentes ? D'offrir un génial et
irrécupérable méchant vraiment très méchant ? De faire planer une ambiance
mélancolique, pourtant sans cesse contrebalancée par des gags et une morale
familiale lourdement énoncée ? Non, de danger, il n'y a point chez les Orphelins
Baudelaire. Les jeunes générations élevées au Seigneur des Anneaux sont depuis
longtemps blasées. Et ce ne sont pas quelques sangsues agressives ou une
pourtant impressionnante destruction de maison en bord de falaise qui vont les
traumatiser.
Alors que reste-t-il à ces Orphelins si bien entourés ? Forcément, un
bel emballage, avec un visuel luxueux. Photographie, décor, costumes, effets
spéciaux, gadgets en tout genre, tout est impeccable. De même, Jim Carrey est
excellent, autant qu'il peut l'être lorsque le rôle qu'on lui propose correspond
au mieux à son énergie comique outrancière. En Louis de Funès plus mesquin et
cruel que jamais, il vole tout le film. Les autres personnages sont alors
totalement bouffés, même lorsqu'ils ont le capital sympathie de Bill Connolly
(Hagrid dans les Harry Potter... on y revient encore). Et les orphelins ? Ils
traînent leur tristesse avec une certaine conviction. Même si on se demande si
Violet et Klaus sont capables de sourire (autrement qu'en se brûlant avec de
l'huile bouillante). Par contre, bien évidemment, la petite soeur pleine de
mordant et de borborygmes sous-titrés apporte beaucoup de fraîcheur à ce trio
déprimé (certes, cela se comprend).
Mais le plus grand défaut de ses désastreuses aventures tient en son
histoire. Qui se repose sur un rythme fort mal découpé pour mieux flirter
souvent avec un encéphalogramme gentiment plat. Trop cynique pour être touchant
et trop mielleux pour être vraiment méchant, le scénario ne trouve presque
jamais le ton juste. Les morceaux de bravoure s'en trouvent très amoindris et il
ne reste plus que les performances dantesques de Jim Carrey pour retenir
l'attention jusqu'au final. Il y aura une suite... peut-être... ou pas... |
Le Château Ambulant
de Hayao Miyazaki
Dans l'histoire récente du 7e Art, les
films de Hayao Miyazaki semblent incarner le plus justement le concept de contes
cinématographiques. Le Château Ambulant, son dernier né, en est un nouvel
exemple. On y retrouve tout ce qui fait l'essence des contes. Leur richesse
symbolique, qui frappe droit à l'inconscient de chacun, sans distinctions d'âge
ou de sexe. Leurs aspects les plus effrayants, voire traumatiques. Leur
tendresse, parfois délicatement rassurante. Leurs mystères et leur langage qui
semblent souvent totalement nous échapper. Plus encore que le Voyage de Chihiro, le Château Ambulant trouve ses bases sur des références qui nous sont parfois
inconnues, à nous occidentaux, mais qui font partie de la culture populaire
nippone.
Et pourtant, on comprend, on sait, on
a toujours connu cet univers, ces personnages, cette magie, ces angoisses et ces
joies.
Dans la plus pure tradition du cinéma japonais, et asiatique en général,
l'oeuvre de Miyazaki se donne d'abord à ressentir avant d'être réfléchie. A
l'image de Innocence : Ghost In The Shell 2, il y a peu, Le Château Ambulant est avant tout une expérience esthétique évidente. La grâce des images, la
poésie de la musique (sans doute un peu moins variée qu'à l'habitude), les
caractères des différents héros, la poésie omniprésente même lorsque
d'impressionnants paysages de guerre surgissent à l'écran. Que les héros de
Miyazaki soient bons ou mauvais, ils sont toujours attachants. Ils parviennent à
exister en quelques plans, souvent sans paroles ou presque. Le Château Ambulant
regorge ainsi de seconds rôles inoubliables, de l'épouvantail serviable à
l'inquiétante puis vulnérable Sorcière des Landes en passant par un démon du
feu gouailleur. A ce niveau, Le Château Ambulant dépasse la galerie pourtant
déjà très impressionnante du Voyage de Chihiro.
Miyazaki ne s'en cache pas, aime à
relire les mêmes thèmes, voire les mêmes scènes. On ne s'étonne donc pas de
trouver de nombreux plans aériens, de grands élans écologistes ou pacifistes, et
même des silhouettes ou des objets que l'on jurerait avoir déjà croisés dans un
de ses précédents films. L'univers de Miyazaki se fait ainsi plus accueillant,
plus familier, sans pourtant perdre de ses énigmes. Les ellipses sont nombreuses
et les rebondissements très inattendus, et le metteur en scène risque d'égarer
le spectateur. Cependant il le transporte, quasi littéralement, au coeur du film
par la puissance de ses images, par la drôlerie de ses clins d'oeil ou par
l'implication émotionnelle qui se moque bien de la crédibilité des situations.
Le sens se laisse toujours deviner, sans avoir recours à de longues
explications. Comme dans un rêve...
Avec le Château Ambulant, Miyazaki
nous offre tous les aspects de son oeuvre. Le film est à la fois très dur,
souvent violent, mais aussi très léger, très doux. Le réalisateur peut ainsi
évoquer aussi bien la guerre que la vieillesse, au sein d'un dessin animé
clairement adressé à tous les publics, sans que cela ne soit jamais choquant. On
retrouve aussi cet optimisme transcendant, qui, depuis Nausicaa, crée l'espoir
même dans les univers les plus proches de l'Apocalypse.
Le message impose alors son évidence,
par-delà toute mièvrerie ou tout sentimentalisme excessif : la jeunesse de
l'esprit, la force du coeur, se moque bien de l'âge du corps et des apparences.
Tous les films de Miyazaki tendent vers une réconciliation entre le monde des
humains et celui des "démons", entre la réalité et la magie. Mais c'est sans
doute avec le Château Ambulant que cet idéal trouve son plus étincelant
accomplissement. |
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