The Host
de Joon-ho Bong
« Grrrrrrrrooooooooooaaaaaaaaaaar !!!! », fait le poisson géant avant de
maladroitement glisser dans les escaliers des bords de rive du fleuve Han.
Autour de lui, la panique est totale, à la fois réaliste et presque burlesque.
En une poignée de scènes, The Host s’est déjà imposé comme le film Fantastique
de 2006, simplement parce que tout ce que l’on aime dans le genre est là, mais
qu’il y a du bonus. Les cerises sur le gâteau visqueux sont nombreuses et la
plus importante serait ce léger décalage, extravagant mais maîtrisé, qui
habitait déjà Memories of Murder, le précédent (et excellent) film du
réalisateur Joon-ho Bong. The Host est un pur « film de monstre », avec ses
codes et ses passages obligés, mais c’est aussi une comédie sur la famille (et
non pas une œuvre familiale, loin de là) et un gentil pamphlet sociologique.
Comme nous les décrit l’auteur, les coréens sont des bras cassés, bourrés de
défauts, pleurnichards, paresseux, inadaptés au monde moderne, un peu lâches, un
peu simples, mais débordants d’honneur, de système D, d’humour et au final
extrêmement attachants. Les super-anti-héros de The Host sont à l’image du
monstre, un peu patauds, mais plein de ressources. Peu importe alors la charge
prévisible sur le « grand Satan » américain, l’essentiel réside dans cet
improbable mais miraculeux mélange entre vraies scènes de trouille, formidables
séquences d’action chorégraphiées et mises en scène avec brio, et des interludes
comiques incongrus, déplacés et souvent irrésistibles. Il est ainsi succulent de
noter que le personnage principal semble se découvrir une intelligence et un
courage renouvelés une fois plus ou moins lobotomisé, ou de se rendre compte que
les meilleurs intentions ont souvent les pires conséquences.
La force de The Host est alors de ne jamais jouer la carte du second degré et de
la parodie, mais de respecter jusqu’au bout ses prémisses et son public. On est
venu se faire peur et s’en prendre plein les yeux, et on est servi, au-delà de
toutes les espérances, le gros poisson étant particulièrement peu avare de ses
apparitions et de ses contorsions dégoûtantes. On s’amuse comme un môme, en
retrouvant les plus belles heures des grandes séries B d’antan, de celles qui ne
s’arrêtaient pas au minimum et qui proposaient un contenu plus évolué (ou
génétiquement modifié) qu’à l’accoutumée. Certes, The Host ne redéfinit pas
vraiment le genre, au contraire, il s’y installe sans clamer son originalité,
presque humblement malgré sa grandiloquence. Et, sincèrement, parvenir à nous
enthousiasmer, nous faire frémir, et rire, avec une vilaine carpe hypertrophiée,
ce n’est pas le moindre des tours de force. |
Eragon
de Stefen Fangmeier
Dès les premiers instants d'Eragon, toutes les ambitions du film sont posées : l'inimitable voix de Jeremy Irons nous présente un très classique univers d'heroic fantasy, sur fond de nuages. Surgit alors une vague bataille entre dragons, dont on ne retiendra qu'une tête de créature aux relents d'animatronique douteuse. Si les effets spéciaux, par Weta Digital (les partenaires habituels de Peter Jackson) seront définitivement le point fort du film, dès la seconde scène, où apparaissent un John Malkovich (ici nommé Galbatorix, ce qui ne s'invente pas) et un Robert Carlyle en plein concours de cabotinage, les dés sont jetés : Eragon sera un grand moment de rigolade.
On pourrait facilement étudier le film de Stefen Fangmeier sous l'angle de la parodie, involontaire, mais globalement assez réussie du Seigneur des anneaux, ce serait sans doute oublier que, malgré un marketing trompeur, Eragon s'adresse directement aux enfants et joue en définitive sur le même terrain que le Monde de Narnia de Disney. L'excuse de l'uvre familiale suffit-elle à pardonner la médiocrité cinématographique exceptionnelle de la nouvelle franchise de la Fox (deux suites semblent inévitables) ? Certes non, même les plus petits seront tentés de rire devant la pauvreté de l'uvre. La mise en scène, en particulier, accumule les tares à peine dignes d'une série B bas de gamme, et, de la vision infrarouge du dragon à des travellings menant littéralement droit dans les murs en passant par des séquences d'action incompréhensibles voire hideuses, l'effarement ne cesse de gagner le spectateur.
Ajoutons à cela un script dénué d'enjeux qui impose dès le début un « élu » parfait, sans ambiguïté, ni charisme, et qui ne cesse de sauter d'un point à l'autre de l'histoire sans véritable cohérence (« l'assaut » de la forteresse du sorcier étant particulièrement pathétique). Ainsi que des idées grotesques qui ne cessent d'émailler le récit, que ce soit la « pêche » au pseudo Nazgül, en passant par le rot sonore du bébé dragon (venant carrément conclure une scène). Sans doute conscient que le mieux à faire est encore de plagier sans complexe les films de Jackson, Fangmeier refait son Gouffre de Helm en miniature, avec une mise en place de 2 minutes, une dizaine de figurants débauchés de Xena et un manque total de sens dramatique. Nous ne devrions sans doute pas évoquer les nombreuses chevauchées vues d'hélicoptère, avec leurs décors « National Geographic Presents » qui provoquent immanquablement le sourire. Quand le réalisateur ne va pas jusqu'à recopier le fameux plan de coucher de soleils de Star Wars, il s'égare sur le regard vague de ses protagonistes.
Embarqués dans ce splendide naufrage, les acteurs font de leur mieux, en particulier Jeremy Irons, plutôt bon mais infligé de dialogues d'un ridicule mémorable (nous vous en laissons la surprise, car nous savons bien que vous avez à présent très envie de découvrir Eragon). On reconnaîtra derrière la voix de la dragonne Sephira la fraîchement oscarisée Rachel Weisz, pas du tout à sa place ici tant elle donne à la bête féroce des airs de ménagère au foyer. Si Robert Carlyle en Saroumane de carnaval vole facilement la vedette, on remarquera la mignonne Sienna Guillory, dont la présence totalement superflue assure le quota de féminité guerrière (elle brandit une épée trois minutes avant la fin).
Mais Eragon est finalement un spectacle assez indescriptible auquel il ne manque que des nains et des elfes (promis pour la suite), ainsi qu'un combat entre dragons (ce qui sera aussi pour la prochaine fois) pour s'assurer une place confortable au sein du panthéon des plus réjouissants fiascos à grande échelle, faisant paradoxalement concurrence aux inénarrables Donjons et Dragons. |
Mémoires de nos pères
de Clint Eastwood
Avec Mémoires de nos pères, Clint Eastwood offre au film de guerre ce que John
Ford avait fait au western avec l’Homme qui tua Liberty Valance : son envers du
décor. Mais là où Ford encourageait à « imprimer la légende », Eastwood
s’applique à décortiquer le mythe et à revenir au plus près de la réalité,
qu'elle soit glorieuse ou non. Derrière les « héros » fabriqués par les
nécessités politiques ou médiatiques, il y a avant tout des hommes. En ce sens
c’est Ira Hayes, l’indien d’Amérique qui refuse la gloire jusqu’à l’auto-destruction,
qui s’impose comme le personnage le plus emblématique de l’œuvre. Ses compagnons
manquent parfois d’épaisseur, ce qui se révèle particulièrement regrettable dans
le cas d’un Barry Pepper (excellent mais sous-employé) ou d’un Paul Walker (qui
ne fait que passer).
Après une brève, et un peu confuse, présentation des enjeux (l’histoire de la
photographie d’Iwo Jima, le parcours de John « Doc » Bradley reconstitué par
l’enquête de son fils, la bataille en elle-même), le réalisateur peaufine sa
grande scène de débarquement, déferlante visuelle et sonore qui ne pourra bien
sûr pas éviter les comparaisons avec la Normandie du Soldat Ryan de Spielberg
(par ailleurs ici co-producteur). Plus longue, plus gorgée d’effets numériques,
tout aussi chaotique et baignée dans la photographie grisâtre et magnifique de
Tom Stern, cette bataille énorme, cœur barbare du métrage, est ainsi délivrée
dès la première heure. Si sur ce point les comparaisons vont affluer, Eastwood
prend le contre-pied du Soldat Ryan en optant ensuite pour un decrescendo dans
le spectaculaire qui voit les flash-backs guerriers se raréfier, se raccourcir
et coller de plus en plus près aux soldats, évitant tout point de vue global de
l’attaque. Le metteur en scène refuse la surenchère, préfère s’attarder sur les
détails, parfois les plus anodins, à l’image de l’anecdote qui conclut le film.
Eastwood se concentre sur la guerre vue des États-Unis, sur sa médiatisation,
sur le retour des trois survivants et la manière dont ils vont assumer ou non
leur célébrité aussi soudaine et démesurée qu’éphémère. L’essentiel du film se
situe loin des combats et auprès de ses soldats qui voient leurs images, actions
et souvenirs leur échapper. L’un des principaux sujets de Mémoires de nos pères sera de savoir qui fut bel et bien présent au moment où la photo a été prise.
Aucun visage n’étant reconnaissable, il est d’autant plus facile de faire de cet
instant une icône, mais aussi un mensonge « utile ». En ce sens le titre
original Flags of our fathers, qui souligne à la fois la multiplicité réelle des
drapeaux dressés à Iwo Jima et les innombrables interprétations que l’on peut
leur donner, et le titre français, qui revient sur le puzzle de la mémoire, se
complètent avec une certaine justesse.
Aussi impressionnant soit-il, le film n’est cependant pas exempt de défauts,
qu’on imputera en partie au script de Paul Haggis qui, à trop vouloir éviter les
longues scènes d’exposition et certains clichés du film de guerre, ne permet pas
toujours au spectateur de s’attacher aux personnages, voire tout simplement de
les reconnaître. Si le scénario trouve son sens au fil du métrage, à la manière
d’une reconstruction fragmentaire du souvenir, il ne parvient pas à préserver
une lisibilité complète. Le foisonnement des protagonistes, parfois à peine
figurants, n’a pas le même effet choral que dans la Ligne rouge et le système de
renvois sensoriels, qui ferait penser au Faulkner du Bruit et la fureur, est
souvent un peu prévisible, voire redondant (la moindre détonation de feux
d’artifice ou le moindre éclair annonçant un flash-back). Si le film devient
plus explicatif dans sa dernière demi-heure, réservant quelques brefs passages
mélodramatiques plutôt touchants, la première vision demeure suspendue à des
interrogations légitimes.
Mémoires de nos pères pourra ainsi paraître un peu long dans sa dernière partie,
tout en étant trop superficiel à certains niveaux, et ce malgré des scènes
inoubliables (les gâteaux représentant la photographie, la reconstitution dans
un stade, la dignité désespérée d’Ira Hayes…) et décontenancera certainement
ceux qui venaient y chercher avant tout une explosive succession de scènes de
mitrailles, Eastwood se gardant bien de l’aspect « fun » du sujet, avec comme
exemple quelques plans extrêmement gores et sans complaisance. Le film est au
contraire une déconstruction du genre et une réflexion sur le pouvoir des
images, et donc d’Hollywood, d’autant plus pertinente qu’elle provient d’un
monstre sacré qui a connu toutes les étapes de la célébrité cinématographique.
Bien sûr, il faut souligner que Mémoires de nos pères sera suivi en janvier 2007
par Lettres de Iwo Jima, offrant un point de vue exclusivement japonais à cette
même confrontation ; comme l’on sent souvent qu’il manque le contre-champ à
certaines séquences (en particulier lors d’une scène clef de disparition
nocturne), ce premier chapitre y trouvera sans doute un nouvel éclairage. En
attendant et en lui-même, le nouveau film de Clint Eastwood se révèle
remarquable, certes imparfait, mais gorgé de puissantes images et porté par une
volonté de désenchantement (au sens littéral du terme) qui permet à son auteur
de revenir à l’essence de son propos : un hommage aux hommes, à leurs
engagements et à leurs sacrifices. |
Les Infiltrés
de Martin Scorsese
Peut-on évoquer le dernier Martin Scorsese sans parler du script dont il
s’inspire ? Peut-on oublier l’ombre de Infernal Affairs, en particulier lorsque
l’on considère l’œuvre de Andrew Lau et Siu Fai Mak comme l’un des polars les
plus réussis de ces dernières années ? Si l’on ne connaît pas la confrontation
entre Tony Leung et Andy Lau (et c’est bien dommage), le point de vue sera
certes différent, mais les principaux défauts des Infiltrés demeureront
probablement évidents. Impossible sinon de ne pas comparer les deux films, même
si Scorsese et son scénariste se défendent d’avoir vu la version hong-kongaise.
Il est vrai que l’espace de son (long) prologue, l’adaptation fait illusion, si
l’on excepte le contexte de mafia irlandaise, très loin d’être aussi crédible et
inquiétante que les triades chinoises. Montage nerveux (ce qui restera,
heureusement, une constante du métrage), enjeux clairs, rythme conquérant,
Nicholson en sobriété dans sa pénombre et l’impression que Matt Damon et
Leonardo Di Caprio ont trouvé le ton juste, on est intrigué, et même séduit par
la verve de cette exposition.
Las, si la première heure, en s’éloignant quasi totalement de son modèle,
réserve encore quelques bonnes scènes et surtout quelques répliques de grand
style (en particulier le duo Sheen/Wahlberg, un peu gras mais efficace, et Alec
Baldwin qui assume son côté vieille baderne grande gueule…), on se rend peu à
peu compte que Scorsese a dépouillé The Departed de presque tout ce qui faisait
la force et le charme de Infernal Affairs. Les réflexions sur l’amitié (Damon et
Di Caprio ne se connaissent pas, ne se rencontrent qu’à la fin), sur l’honneur
(bien peu de questionnements chez ces personnages monolithiques) et sur
l’identité (expédiée en trois minutes) sont évincées au profit du numéro
grand-guignolesque de Nicholson et d’un triangle amoureux qui ne fonctionne pas
un seul instant (la prestation de Vera Farmiga étant par ailleurs d’une fadeur
rare).
Jack Nicholson, par ailleurs, qui vole le show, et certains fans y trouveront
peut-être matière à un plaisir coupable. Dans une imitation plutôt réussie du
Joker de Batman ayant dépassé l’âge de la sénilité, l’acteur, visiblement en
roue libre, repousse les limites du cabotinage, imite le rat, roule des yeux,
pousse la chansonnette et semble laisser tout le monde perplexe. Parfois drôle,
parfois embarrassante, sa performance étouffe malheureusement trop celles de
Damon et Di Caprio, tous deux franchement crédibles.
Parvenu au milieu du métrage, Scorsese finit par suivre, à la scène près, la
ligne directrice d’Infernal Affairs en gâchant tous les moments inoubliables. La
livraison perturbée par les « infiltrés », qui ouvrait le film de Lau et Mak en
un jeu virtuose et tendu, devient ici totalement superflue, expédiée en 10
minutes, juste le temps pour Nicholson d’aligner quelques insultes désolantes
envers des mafieux chinois. De même, la scène clef de l’original, la filature où
les deux frères-ennemis tentent d’apercevoir le visage de l’autre, perd tout son
sens de l’espace et sa grâce nocturne, au profit d’un contexte vulgaire (un
cinéma porno, deux pauvres ruelles), d’un nouveau sketch de Nicholson (presque
aussi omniprésent dans Les Infiltrés que les gags à base de téléphones
portables) et d’une conclusion totalement frustrante.
La dernière partie du film tourne à la débâcle, de la mort d’un personnage
principal (analogue à l’originale, mais ici presque emballée comme un gag et
sans la moindre implication émotionnelle) jusqu’à la manière dont le grand
méchant va se trouver piégé (comme un bleu, dirons-nous), tout sonne faux. La
conclusion, à rallonges, si elle reprend pourtant à l’identique le climax
d’Infernal Affairs, se trouve grandement amoindrie par une surenchère sanglante
et une construction laborieuse. Seule la toute dernière séquence, logique dans
le cadre de cette version, diffère du dénouement du film hong-kongais. Mais
alors que nous l’accueillons avec indifférence, sans rien ressentir d’autre que
du soulagement, un dernier plan, censé être ironique, ou tout simplement
amusant, vient prouver que Scorsese a voulu signer une comédie plutôt qu’un
grand polar psychologique. Avec ce film, plus encore qu’avec Gangs of New York (qui préservait quelques superbes séquences barbares), Scorsese dévoile les
limites de son art vieillissant, et, face à ce renoncement, le génie âpre de Mean Streets et de Raging Bull semble l’ombre de lui-même. |
Shakti
de Krishna Vamsi
Sans doute pour essayer de prouver au public français que Bollywood ne se limite
pas au magnifique Devdas ou au génial Kuch Kuch Hota Hai, les distributeurs ont
décidé de sortir en salles ce Shakti. Le sortir ? Non ! Le sacrifier ! Proposé
en début d’été autour d’une campagne d’affichage totalement mensongère axée sur
Aishwarya Rai, qui n’apparaît que 4 minutes en tout et pour tout, et sur Shah
Rukh Khan, qui apparaît à peine une demi-heure sur les trois heures, et en toute
fin de métrage en plus ! Et surtout, le film n’a rigoureusement rien à voir avec Devdas, et les scènes chantées, très peu nombreuses, apparaissent totalement
superflues (voire un peu grotesques). En effet, il est ici question d’un « Jamais
Sans Mon Fils » version indienne, qui s’attarde sur des problèmes de guerres
tribales en poussant assez loin la violence et le sérieux du propos. Prise en
otage par son beau-père, la jeune Nandini va passer une grande partie de
l’histoire à essayer de reprendre son fils et fuir les terres de non-droit qui
parcourent encore l’Inde contemporaine.
Le sujet est fort et la mise en image est fréquemment impressionnante.
L’interprétation extraordinaire de Karisma Kapoor et celle non moins mémorable
de Nana Patekar, dans le rôle du beau-père brutal peu avare en torgnoles,
portent l’œuvre bien au-delà de l’anecdotique. Malheureusement, aux yeux du
public occidental, certaines séquences maladroites et quelques effets déplacés,
risquent de choquer. Le seul véritable défaut de Shakti serait une fin bâclée,
assez ridicule, qui tente de réconcilier toutes les sensibilités en contredisant
tout ce qui a précédé. Il faut donc faire abstraction des aspects les plus
discutables pour vraiment apprécier l’ambition et l’intensité de ce film
courageux et captivant, transcendé par la performance de son actrice principale. |
Le Labyrinthe de Pan
de Guillermo Del Toro
On se doutait que Guillermo Del
Toro avait dans sa besace un grand film. Même dans ses pires
errances (Hellboy, au hasard…), tout n’était pas à
jeter. Et puis L’Echine du Diable, pour maladroit
qu'il fût, ne donnait pas envie de fuir la salle. Une sensibilité
espagnole, un intéressant mélange de fantastique, de réalisme et
d’Histoire, c’est le meilleur de ce coup d’essai que le réalisateur
a repris pour cet immense Labyrinthe de Pan. A la fois
parfaitement ancré dans ses obsessions de « geek » et débordant
d’ambitions cinématographiques, ce film surprend sans cesse par sa
dignité émouvante, sa violence intense et ses visions complexes.
Loin de tout angélisme, Del Toro
décrit l’imaginaire enfantin comme peuplé d’autant de monstres que
le monde réel. Souvent gore et terrifiant, Le Labyrinthe de
Pan a tout du conte de fée pour adultes. Un conte de
sorcière, donc. Dans sa volonté de perfection, Del Toro laisse
transparaître une sensibilité qui finit par nous conquérir. Grand,
très grand film. |
Les Bronzés 3
de Patrice Leconte
Ils reviennent, après des décennies de brouilles plus ou moins affichées, et aux
termes de négociations qui auront permis la signature de chèques spectaculaires.
Tous les anciens Bronzés (ou presque) remettent le couvert. Bien sûr, ils ne
sont plus vraiment comme à l’époque : les « beaufs bab » sont devenus des
« nouveaux beaufs », embourgeoisés et pas vraiment bohèmes. Antipathiques dans
les années 70, ils le sont d’autant plus à présent, tant les acteurs se
confondent avec leurs avatars cinématographiques. Et si certains n’ont jamais
changé de registre et sont donc toujours en adéquation avec ce que l’on attend
d’eux (Lhermitte, Chazel, Clavier), d’autres ont, avec beaucoup de temps et pas
mal de talent aussi, réussi à échapper aux clichés embarrassants (Balasko,
Jugnot, Blanc). Les voir retomber ainsi dans leurs pires travers, en n’étant
d’ailleurs pas forcément convaincants et en ayant parfois l’air assez gêné
d’être là (Michel Blanc ne méritait vraiment pas de couler avec cette galère)
est un spectacle aussi désolant que pénible.
En effet, l’absence quasi-totale
d’humour efficace et de gags un tant soit peu écrits donne aussi l’impression
que le film a été tourné à la va-vite, entre deux séances de plage avec les
potes. On est à peine au niveau d’une mauvaise improvisation sur des thèmes
désuets (l’adultère, l’homophobie, la jalousie, etc…). Le vaudeville s’enfonce
encore plus profondément dans les terres de la nullité lorsque, sans doute à
court d’idées pour combler le vide du scénario, les auteurs font intervenir une
« bête » rigoureusement superflue. Le film se traîne, désole, puis consterne,
tant le cynisme des acteurs déborde des cadres de l’écran pour mieux parachever
le navet. Il est certain qu’avec des amis pareils, le spectateur n’a pas besoin
d’ennemis. |
Miami Vice
de Michael Mann
Ils sont deux, mais on jurerait qu’il n’y en a qu’un seul. Ils sont à Miami,
mais on ne voit que des bâteaux, des bouts d’Amérique du Sud et des grosses
voitures qui brillent. C’est un polar, où il ne se passe rien. Ne cherchez pas,
c’est un concept. Michael Mann filme le vide, en caméra HD, un peu documentaire
et beaucoup poseur. Cela donne des images parfois étrangement jolies et d’autres
franchement laides. Pas de doute pourtant, le monsieur sait mettre en scène. Il
lui manque juste un sujet, des acteurs, tout ce qui fait l’essence d’une œuvre
cinématographique achevée.
En l’état, Miami Vice ressemble à un vilain
brouillon, plat, gris, déprimé, versant plus que de raison dans le ridicule. Le
grotesque n’est jamais loin, porté par le non-jeu de l’incroyablement fade Colin
Farrel, omniprésent dans les dialogues les plus consternants entendus cette
année, et débordant d’une bande-originale d’une ringardise exaspérante (des
scènes d’amour sur de la soupe FM à peine digne du téléfilm érotique du dimanche
soir, par exemple). L’histoire, qu’on prétendra épurée, n’est qu’un prétexte
tant elle se résume à quelques clichés ressassés dans les pires séries du genre.
Ici, pas d’ambiguïtés à la The Shield, pas de nervosité à la 24h Chrono, pas d’ultra-réalisme
à la NYPD Blue, pas même le kitsch des Deux Flics à Miami d’origine. Si les
films de Michael Mann ont la fâcheuse tendance de vieillir très vite (et pas
forcément idéalement), il délivre avec ce Miami Vice une œuvre quasi
consternante, par l’ennui qu’elle dégage, par le gâchis qu’elle représente, par
l’ineptie de ce qu’elle raconte. Bien sûr, le réalisateur réserve une poignée de
scènes réussies, mais tellement éparses sur les 2h30 du métrage que le
spectateur ne peut que subir et regretter cet impressionnant faux-pas. |
La Colline a des yeux
de Alexandre Aja
Remake du film éponyme de Wes Craven, référence dans le genre « survival » gore,
cette nouvelle version de la Colline a des Yeux avait de quoi séduire. En effet,
malgré ses maladresses et une fin ridicule, la première œuvre d’Alexandre Aja, Haute Tension, proposait suffisamment d’images marquantes et de suspens pour
souligner le talent du réalisateur. Pour cette actualisation d’un film très daté
années 70, Aja a souhaité d’autant plus politiser le propos et n’hésite pas à
grossir le trait (les armes à feu c’est mal, le nucléaire c’est pas bien,
l’exclusion ça rend dingue, chacun est un barbare potentiel pour l’autre, les
Américains sont les spécialistes de la politique de l’autruche, etc…). Ce
discours, somme toute intéressant, se trouve néanmoins noyé dans les travers
habituels du film d’horreur basique.
Après une heure de laborieuse présentation
des personnages intervient une première scène choc, tellement outrancière et
grand-guignolesque que son impact s’en trouve fortement diminué. Une fois le
carnage originel accompli, le gentil héros va partir en quête de son bébé
enlevé, en allant rendre la pareille aux mutants cannibales (oui, résumé ainsi,
ça paraît très bête). Aidé par son fidèle toutou (un berger allemand rancunier
et véritable superstar du métrage), le brave gars va déployer des trésors de
sauvagerie pour massacrer du plouc à coups de pioche dans la tête. S’il faut
bien avouer que la tension est efficace et que les quelques combats sont plutôt
bien filmés, on est très loin de l’effroi primitif et insoutenable de The
Descent. Même s’il se défend de sa paternité, Aja se voit contraint d’achever
son film sur une séquence qui vient quasiment entièrement contredire la vindicte
politique affichée. Œil pour œil, dent pour dent, la famille « saine »
triomphera toujours, et le spectateur de se retrouver devant un énième film
tiède, juste un peu mieux conçu que le tout-venant du genre. |
Flandres
de Bruno Dumont
Au fil d’une
œuvre, qui atteint avec Flandres son quatrième chapitre, Bruno Dumont s’est
imposé comme le cinéaste français le moins « aimable », le plus extrême et
peut-être aussi le plus passionnant. Si tous ses films pourraient se nommer
« l’humanité », ils nous renvoient le miroir le plus déplaisant, le plus sordide
et le plus douloureux de nos âmes. Accumulations de séquences insoutenables,
parfois par leur violence, essentiellement par leurs abîmes de silence et de
désespoir, les films de Dumont étouffent et bouleversent. Flandres débute sur
des plans familiers pour les amateurs du cinéaste : le nord de la France, le
désoeuvrement de sa jeunesse, la rudesse des êtres, du paysage, le vide qui
s’immisce partout. Les acteurs, toujours amateurs, ne se parlent pas, et quand
ils essaient de communiquer, on ne comprend rien. Les personnages errent,
accumulant la frustration à chaque scène de sexe glauque, ils se réduisent à des
animaux amorphes, d’une beauté hideuse sous la caméra précise de Dumont.
On craint une
nouvelle Vie de Jésus, mais le réalisateur fait intervenir un élément nouveau
dans son discours : la guerre. Un conflit sans nom, où résonnent les souvenirs
de l’Algérie et les échos de l’Irak actuel. Ici s’incarnent tous les combats de
notre époque, forcément situés dans un Moyen-Orient où les pays et les êtres
sont tous identiques aux yeux du simple soldat qui se retrouve là, sans vraiment
savoir pourquoi, parce que ça le change du Nord, parce que c’est ça, être un
homme. L’aigreur peut alors s’exprimer, et les pires instincts s’épancher, les
visions atroces se succèdent, repoussant les limites du montrable,
l’accumulation tient de la fiction, mais la représentation est ultra-réaliste,
évidemment insoutenable. En France, la folie triomphe aussi, quand le non-dit,
ce qui est refoulé, ne peuvent plus être réprimés et que l’univers tout entier
semble céder à la même horreur. Conscient du désespoir viscéral de son œuvre,
Dumont tente, bien en vain, de laisser une part d’espoir en conclusion, mais
nous sommes loin du regard de Pharaon de Winter dans l’Humanité. Flandres est
allé trop loin dans les marécages de l’esprit, chaque image étant imprégnée de
monstruosité humaine, une gangrène sans remède, une fureur impossible à stopper.
Le spectateur, otage de ce trop-plein de vérités, maudit le cinéaste tout en
admirant son courage, son talent et la puissance de son œuvre. |
Nausicaä de la vallée du vent
de Hayao Miyazaki
Cela restera l’un des plus grands paradoxes cinématographiques de notre pays :
comment le « Citizen Kane » de l’animation japonaise a-t-il pu demeurer inédit
pendant plus de vingt ans ? Car à part une édition lourdement amputée en VHS
sous le nom de La Princesse des étoiles (qui a même connu les « honneurs » d’un
DVD fort heureusement quasi introuvable), Nausicaä n’a tout simplement jamais
existé en France. A présent que le second long-métrage d’Hayao Miyazaki, acte
fondateur du studio Ghibli, a enfin droit aux honneurs des salles obscures dans
sa version intégrale, plus d’une question peut se poser, tout autant pour les
connaisseurs que pour les néophytes (qui ne peuvent imaginer leur chance de
découvrir l’œuvre dans les meilleures conditions possibles). En effet, pour
celui qui n’a jamais entendu parler (ou presque) de Nausicaä, il y a matière à
rester perplexe. Il doit bien y avoir des raisons à un retard aussi conséquent,
la qualité du film en serait la première et la plus évidente. La Vallée du vent serait-il le Miyazaki honteux, le « début prometteur mais difficile » ? Et quand
bien même tout cela était incontournable à l’époque, que reste-t-il à admirer en
nos temps de Cars et autres Appleseed ? Et pour beaucoup, l’interrogation,
cruelle mais essentielle, demeure : Nausicaä arrive-t-il trop tard ?
Inutile de jouer complaisamment sur un suspens inexistant, la réponse est non.
Mille fois non et il n’y a pas besoin d’être un fan transi du maître japonais
pour clamer que peu importe si l’on connaît déjà par cœur Nausicaä, peu importe
si l’on a déjà vu tous les autres Miyazaki et que l’on finit donc son parcours
par le commencement, peu importe si l’on arrive dans la salle sans a priori
quels qu’ils soient, le choc est toujours le même, l’émerveillement balaie en
quelques minutes les réticences. Non seulement Nausicaä est toujours l’un des
moments clefs de l’histoire de l’animation japonaise dont la modernité semble
encore inégalée, mais il demeure également le plus grand chef-d’œuvre de son
auteur.
De telles affirmations sont immédiatement sujettes à polémique. Lorsque l’on
parle de Miyazaki, l’affection parle bien souvent à la place de la raison et
chacun possède son favori, généralement l’œuvre qui aura fait découvrir la
maestria du réalisateur. C’est peut-être en cela que Nausicaä arrive le plus
tard, tant il y a en cette première œuvre ultra personnelle (adaptation des
premiers tomes du manga éponyme, du même auteur, qui dépasse le film dans
l’ampleur et la richesse) les germes de la filmographie de Miyazaki, et plus
généralement d’une grande partie de l’animation japonaise des deux décennies
suivantes. Et d’Origine à Last Exile en passant par SteamBoy, on retrouve des
échos plus ou moins évidents et maîtrisés dans bon nombre d’animés. Miyazaki
lui-même n’aura de cesse de revenir auprès de cet univers fondateur, quitte à en
proposer un quasi remake avec Princesse Mononoke, œuvre techniquement plus
aboutie et encore plus âpre, mais qui n’atteint pas les audaces visuelles et
scénaristiques de Nausicaä.
S’il est finalement facile d’admirer des dieux-animaux soumis à un
anthropomorphisme rassurant, les insectes géants de la Vallée du vent nous sont
immédiatement repoussants, le réalisateur n’hésitant pas à les décrire avec les
détails les plus répugnants (pattes à foison, mandibules menaçantes,
protubérances « cronenbergiennes »…) quitte à provoquer un certain malaise face
à ces monstres dont l’apparence, sans la moindre concession à une empathie
immédiate, les désignerait n’importe où ailleurs comme les « méchants » de
l’histoire. Mais peu à peu, en douceur, guidé par la sagesse de l’héroïne,
Miyazaki impose un tour de force quasi unique dans l’esprit du spectateur,
transcendant son message écologique par une approche inattendue qui n’en possède
que plus d’impact.
Cette Terre qui fut la nôtre, dévastée il y a 1000 ans par des « soldats
géants », armes fusionnant l’apparence de Dieux mythologiques et la puissance
atomique, offre à l’auteur toute la latitude nécessaire à la création de son
univers le plus foisonnant et le plus évocateur. D’une Nature métamorphosée en
passant par un Moyen-âge rétro futuriste, entre cité féodale et aviation de
haute technologie, ainsi que quelques visions post-apocalyptiques troublantes, Nausicaä regorge d’images inoubliables qui n’accusent que très rarement leur
âge. On oublie d’ailleurs fort vite l’aspect parfois un peu suranné du trait
pour s’immerger totalement dans ce monde qui excite l’imaginaire à chaque scène.
Visuellement, Nausicaä contient la majeure partie de ce que Miyazaki développera
par la suite, pour preuve la plus évidente, c’est ici que s’épanouissent ses
scènes aériennes les plus lyriques. Seul Porco Rosso parviendra à égaler le
souffle de cette vallée du vent et de la jeune Nausicaä, ne cessant de bondir
sur son planeur pour offrir des envols d’un dynamisme toujours aussi saisissant.
Si les insectes géants évoqués plus haut symbolisent bien l’audace narrative du
film, ils ne sont qu’une partie de l’aspect extrêmement adulte de Nausicaä.
Miyazaki n’hésite pas à verser dans la violence, suggérée (le corps mutilée de
la princesse des Tolmèques, les conséquences de la Mer Toxique…) ou très
explicite (les combats à l’arme blanche, les blessures de Nausicaä et du bébé
Ohmu…) et à décrire une humanité au bord de l’extinction, luttant mètre par
mètre, arbre par arbre, jour après jour, contre l’avancée des spores toxiques et
des insectes. La Vallée du vent s’avère ainsi très mélancolique, à l’image de
son héroïne, dont la vitalité étourdissante masque un caractère au bord du
désespoir. Loin de toute niaiserie, Miyazaki se garde ainsi bien du manichéisme
habituellement omniprésent et évite la majorité des passages obligés, en traçant
en particulier une vaste galerie de personnages secondaires, dont la complexité
ne prend parfois que quelques scènes à s’épanouir. Pour meilleur exemple,
l’animal « de compagnie » de Nausicaä, le renard-écureuil Tetho, qui échappe à
l’angélisme disneyien et à la niaiserie tout en étant instantanément attachant.
Les visions frappantes s’enchaînent, le metteur en scène parvenant à
complexifier sans cesse son œuvre tout en la gardant cohérente, aussi bien
esthétiquement que thématiquement. Miyazaki est secondé par une partition
phénoménale (n’ayons pas peur des mots) du débutant Joe Hisaishi (Nausicaä était
sa première œuvre conséquente). Alternant tous les styles et toutes les
ambiances, Hisaishi passe d’un son très daté des années 80 lors des scènes
d’action (boîtes à rythme et synthétiseurs) à un thème symphonique d’une
amplitude toujours croissante (peut-être le plus beau de sa carrière) ou à des
chants enfantins étrangement bouleversants. Le compositeur ose même
« emprunter » quelques mesures de la Sarabande de Haendel popularisée par Barry
Lyndon. Mais là encore, cette richesse musicale n’a rien de décousu et existe
de façon cohérente en adéquation avec les images.
Il y aurait encore tellement à dire sur Nausicaä, il faudrait encore décrire une
séquence de souvenirs d’enfance d’un réalisme psychologique irréprochable et
revenir sur le traitement inattendu de l’incontournable « prophétie ». Et
souligner, encore, toujours, la majesté des Ohmus, à la fois parmi les créatures
les plus formellement hideuses et les plus émouvantes jamais décrites au cinéma,
ils incarnent les nuances de l’œuvre mais aussi son cœur, sa tendresse
inhabituelle et d’autant plus poignante.
Tous ces éloges peuvent effrayer, il est impossible de réprimer l’enthousiasme
que l’on a si longtemps voulu faire partager. En effet, tout concourt à
confirmer que, oui, il n’est jamais trop tard pour découvrir une merveille sur
grand écran. Pour ainsi dire, l’événement est inestimable, concluant de la plus
admirable des manières la lente découverte et reconnaissance de Miyazaki dans
nos contrées. C’est à une apothéose que nous invite Nausicaä, tant il est rare
de sortir d’une salle de cinéma en se disant que l’on a (re)découvert une œuvre
fondamentale de l’histoire du 7e art et tout à la fois un
chef-d’œuvre évident, aussi divertissant que brillant, aussi spectaculaire que
fragile. |
Monster House
de Gil Kenan
Par l’intermédiaire de Amblin et en tant que producteurs exécutifs, Steven
Spielberg et Robert Zemeckis se rendent eux-mêmes hommage. Grâce aux talents de
Sony Pictures Animation (déjà derrière le Polar Expresset bientôt les Rebelles
de la Forêt), c’est en images de synthèse que les grandes heures des années 80
revivent sur grand écran. Devant Monster House, on ne peut que penser aux Goonies, aux Gremlins, aux Explorers, au Poltergeist et autres E.T. qui ont
peuplé notre enfance d’images aussi réjouissantes que parfois terrifiantes. Des
films où les pré-ados étaient bien souvent au cœur des aventures et où les lieux
les plus familiers (essentiellement les petits pavillons de banlieue) devenaient
sources de mystères. Libérés par les possibilités de l’animation, les créateurs
de Monster House nous fournissent des images inconcevables à l’époque et, sur
une trame extrêmement classique, donnent un coup de jeune à un genre désuet. Le
point de départ annonce un scénario très prévisible (le voisin irascible qui ne
veut pas que l’on s’approche de sa bicoque inquiétante) et des personnages
caricaturaux au possible (le gamin débrouillard, le comparse trouillard mais
haut en couleurs, la môme première de la classe, la baby-sitter gothique, etc…),
mais l’intrusion du Fantastique, particulièrement incongrue, donne un coup de
fouet à ces clichés.
Ecrit avec une verve souvent hilarante et exploitant son idée de base jusqu’à un
final particulièrement spectaculaire, le film se présente comme un
divertissement de haute tenue, réjouissant pour les grands, effrayant mais aussi
fascinant pour les petits. On ne s’y attendait pas du tout, mais Sony Pictures
Animation bat cette année Pixar sur son terrain de prédilection, avec ce Monster
House plus rythmé et plus surprenant que le fade Cars. Loin d’attrister, la
révélation d’un concurrent à la hauteur du studio phare de John Lasseter ne peut
que rassurer sur l’avenir de l’animation digitale américaine. Malgré tout, la
sortie de ce pur film d’Halloween (dans son sujet et dans son contexte) en plein
cœur de l’été rélève du suicide commercial. De la part d’un producteur aussi
avisé que Spielberg, on ne peut que s’étonner de cette stratégie illogique, la
campagne promotionnelle n’ayant pas du tout été digne de l’événement. Si
l’avenir de Monster House en DVD promet d’être radieux, il est dommage que son
parcours en salles ait été sacrifié. |
Cars
de John Lasseter
C’est à l’occasion de la sortie de Monstres & Cie que je posais pour la première
fois cette question : les petits gars de Pixars pourront-il toujours faire
mieux ? Jusqu’à présent, la réponse fut toujours positive. Malgré une large dose
de guimauve, Le Monde de Nemo ne décevait pas le moins du monde et les
Indestructibles n’était rien de moins qu’un chef-d’œuvre. On pouvait rêver d’une
progression constante, de surprises toujours plus grandes, mais après la
perfection du film de Brad Bird, il semblait possible d’envisager la déception,
ou du moins de calmer nos attentes, au cas où Pixar s’offrait une pause, un peu
de roue libre. Et de roue libre il est largement question dans Cars, la nouvelle
œuvre de John Lasseter, fondateur du studio et réalisateur des incontournables Toy Story. A priori, pas de soucis à se faire, le monsieur semble bien loin de
pouvoir provoquer le moindre désenchantement auprès du spectateur. On se doute
que cela sera drôle, très drôle, beau, très beau, avec des personnages
attachants et une histoire profonde dotée d’une bonne dose d’émotion. On s’en
doute tellement que la douche n’en est que plus froide, un peu de désillusion
chez Pixar c’est un choc, un coup de massue tellement inattendu que l’on en
reste un peu étourdi. On a tellement l’habitude de sortir enthousiasmé de la
salle que l’impression mitigée, le souvenir des défauts de l’œuvre, coupe tous
les élans.
Cars est bourré de qualités: c’est effectivement d’une beauté à couper le
souffle, essentiellement au niveau des décors, les voitures étant superbement
modélisées et polies, mais manquant généralement un peu de personnalité. C’est
souvent drôle, en particulier lorsque les tracteurs bovins interviennent, c’est
toujours très sympathique et parfois assez spectaculaire. Mais c’est clairement
au niveau de l’écriture que Cars ne « tient pas la route ». A certains moments,
on a presque l’impression d’assister à une parodie de film Pixar, avec la bande
de bras cassés excentriques et héroïques, l’ode à l’amitié, la petite larme sur
le temps qui passe, le héros buté qui réalise peu à peu ses erreurs, l’amourette
très prévisible et bien mignonnette…
Tout y est, mais pas comme dans un best of, car tout est largement surligné,
longuement décrit, et pour la première fois… on s’ennuie. Oh, pas d’affolement,
c’est pas le gros roupillon, ce n’est pas le temps très long, mais il y a des
creux, des passages à vide, des répétitions, et surtout, c’est tellement
prévisible que l’on a parfois envie d’entrer dans le film pour pousser un peu
les bagnoles qui radotent. Ca patine, ça s’enlise, on aimerait bien que ça
rugisse un peu plus, et que l’on s’englue moins dans ce conte à la gloire d’une
Amérique idéalisée, cette ode à la Road 66 qui n’a certes pas la même aura en
nos contrées. Pire, on avouera être moins concerné par les états d’âme des
jolies mécaniques que par ceux des poissons ou des fourmis. Oui,
l’anthropomorphisme est réussi, on y croit, elles ont du charme les ferrailles,
mais bon, à moins d’être un petit garçon encore à l’âge de fantasmer sur les
tites tutures, on est moins touché que par le passé. Et il faut admettre que
l’enjeu final, une course à trois sur un circuit ovale, est ce que Pixar nous a
offert de moins palpitant (mais c’est sans doute moi qui n’en ai pas grand-chose
à faire des carrioles qui tournent en rond).
Présenté ainsi, on pourrait croire que j’ai détesté Cars, ce qui est totalement
faux. C’est un divertissement honorable, largement au-dessus du tout-venant,
mais de la part du studio, c’est une bien réelle déception. Et il toujours plus
douloureux d’être trahi par ceux en qui on avait une confiance aveugle. Il
fallait sans doute en passer par là pour pouvoir être à nouveau totalement
éberlué et passionné par le prochain Pixar (Ratatouille, de Brad Bird, ça va
être énorme, forcément…). |
OSS 117, le Caire nid d'espions
de Michel Hazanavicius
C’est l’histoire d’un homme et de ses poules, une histoire d’amour sans doute,
sur fond d’exotisme de carte postale fanée. Certes, il y a des espions
(d’opérette), de la violence (de dessin animé), du sexe (de fantasmes beaufs) et
de la musique cool. Mais voilà, ce James Bond là est français, madame, il aime
les gallinacés, les femmes soumises, le président Coty et nos belles colonies.
Dans OSS 117, tout est d’époque, les décors, les costumes, la mise en scène, les
enjeux, le racisme, la misogynie, la bêtise satisfaite. La seule différence ? La
conscience que tout cela est bien pathétique, bien ridicule et que notre superbe
espion est avant tout un parfait abruti, synthèse flamboyante de tous les
travers du petit français très moyen. OSS 117 est un sale con et fier de l’être,
prêt à évangéliser le Moyen-Orient à grands coups de photos du président ou de
moralisme odieux. OSS 117 ne réalise même pas qu’il est insultant et déjà
anachronique, jamais il ne se remettra en question, sa suffisance étant le
ressort comique essentiel du film.
Au-delà de la performance de Jean Dujardin, formidable en crétin héroïque, c’est
une certaine France conquérante et nostalgique qui passe à la moulinette.
L’hommage aux films « d’antan » est aussi soigné que cruel, aussi réaliste que
saignant, ce passé résonnant toujours avec une certaine actualité. OSS 117 va
ainsi au-delà de la pochade burlesque, au demeurant réussie, et propose un
sous-texte nettement plus malin et intéressant que la très grande majorité des
comédies françaises habituelles. Le plaisir immédiat du gag est présent (en
particulier grâce à un Bambino d’anthologie), mais l’on saisit le potentiel de
ce personnage outrancier. On rêve à présent de son retour, peut-être face à la
menace aviaire de l’Asie perfide… |
Le Secret de Brokeback Mountain
de Ang Lee
Tout le monde a un faible pour les films romantiques, et la plus flagrante des
preuves est sans doute que les plus grands succès du cinéma se nomment Titanic ou Autant en Emporte le Vent (voire Sissi et Angélique en France…). Certes, dans
le cas du Secret de Brokeback Mountain, il y a ambiguïté, et le fait que l’on
nous propose une variation invertie autour de Roméo et Jules ne garantissait pas
forcément un succès à la hauteur de la guimauve déversée. C’est d’ailleurs là
que réside toute l’audace, toute l’originalité du film de Ang Lee, qui se
contente par ailleurs de recycler tous les clichés du mélodrame. Comme c’est une
œuvre « digne et âpre sur un sujet toujours sensible », le réalisateur prend
tous les chemins de traverse pour éviter de tomber dans le lacrymal. Au risque
de laisser le spectateur à distance de son histoire ainsi que de ses
personnages, et de suspendre l’émotion jusqu’à la fin, sans jamais lui donner
l’espace nécessaire à son déploiement.
Le Secret de Brokeback Mountain est ainsi très touchant, mais jamais aussi
déchirant qu’il pourrait l’être. La faute à une histoire somme toute très
classique et aux intentions d’Ang Lee, qui n’a de cesse de repousser son sujet
derrière de belles images. Tout est fait au mieux, l’interprétation est
excellente, la musique est jolie, les paysages superbes, c’est brillamment écrit
et dialogué. Bref c’est un film à Oscars (mais c’est loupé dans la dernière
ligne droite). Le mélo à sujet, ça fait toujours mouche et c’est rarement
détestable lorsque c’est aussi bien ciselé. Mais tout cela demeure un peu trop
froid, un peu trop poli, un peu trop prévisible. Paradoxalement, le Secret de
Brokeback Mountain manque parfois de chair et d’intensité. Il n’en demeure pas
moins une œuvre sobre et émouvante et une impressionnante démonstration de mise
en scène. |
Mission Impossible 3
de J.J. Abrams
Tom Cruise est parfait, et même mieux, il est Monsieur Parfait. Bien sûr, c’est
faux, mais il l’ estime et il aimerait très fort que l’on suive sa bonne parole.
Alors, comme on croit au Père-Noël, à Jesus-Christ ou à E.T., le scientologue à
ressorts s’imagine super-héros sans peur et sans reproche et se dédie (avec
l’aide du créateur de Alias et de Lost, pas forcément des références en matière
de finesse et de rythme) un film entier à la gloire de son génie. Tom Cruise
n’étant pas Woody Allen, Mission Impossible 3 n’a pas grand-chose de génial, il
faut l’avouer. C’est un divertissement bourrin et clinquant, doté d’une poignée
de scènes d’action suffisamment prenantes pour ne pas faire regretter d’y
abandonner deux heures de son existence.
Le casting est solide mais totalement vampirisé par l’omniprésence de la Star
qui ne laisse quasiment jamais aucune chance à ses collègues d’exister un tant
soit peu à l’écran. Qu’avons-nous appris des personnages des habituellement
excellents Jonathan Rhys Meyers ou Maggie Q ? Rien, si ce n’est qu’ils font de
bons faire-valoir. C’est donc une figuration ultra luxueuse qui peuple ce Mission Impossible 3, où le jeu est un peu de reconnaître chaque second couteau
et de s’apercevoir qu’il n’y a que des acteurs sympathiques embarqués dans cette
galère. Mais ce serait mentir que d’affirmer que l’on ne passe pas un agréable
moment devant ce film, aussitôt vu, aussitôt oublié. |
X-Men 3, l'affrontement final
de Brett Ratner
Pour le cinéphile, le nom de Brett Ratner ne peut que provoquer des hurlements
d’effroi. Imaginez, le réalisateur, beauf autoproclamé, de la saga Rush Hour et de Dragon Rouge aux
commandes de l’épisode final ( ?) des X-Men, c’est un cauchemar qui devient
réalité. Bryan Singer, le talentueux artisan qui avait transformé les deux
premiers opus en d’excellents films de super-héros torturés, a mis le cap sur Superman Returns et monsieur Ratner se retrouve seul maître à bord. Bonne
nouvelle, X-Men 3 est le meilleur film du réalisateur ! Ce qui, en soi, ne veut
pas dire grand-chose, il est vrai… Comme 1h40 c’est définitivement beaucoup trop
peu pour résoudre tous les antagonismes et autres interrogations laissés en
suspend lors du film précédent, X-Men 3 ressemble à une vaste limitation des
dégâts. Il faut donner l’illusion que ce qui se passe est énorme, tragique,
spectaculaire, définitif. Et admettons-le, même si c’est difficile, Ratner ne
s’en tire pas si mal, au contraire, car certaines séquences s’avèrent réussies
et tout à fait prenantes.
Malgré tout, avec le recul, une fois l’avalanche d’images digérées, on réalise à
quel point les X-Men méritaient un tout autre final, tant certains d’entre eux
font purement partie du décor (Angel, Juggernaut, Rogue, Cyclope…) et que ceux
qui se promènent au premier plan ne sont pas forcément mieux lotis (Halle Berry,
très présente, mais réduite à une figuration à peine intelligente). Un quatuor
se détache avec évidence, Xavier/Magneto et Wolverine/Phénix, des « couples »
d’opposés qui s’aiment ou s’admirent et qui offrent les enjeux les plus
intéressants du métrage. Malheureusement, là encore, on aurait pu rêver mieux et
davantage. En l’état, X-Men 3 est un bon divertissement, conçu comme un
excellent hors-série du Comics, mais juste une partie de l’histoire, un
fragment. Et certainement pas comme une possible conclusion à un univers aussi
débordant. Heureusement, le grand succès en salles et de multiples fins ouvertes
laissent à penser que l’on est loin d’avoir atteint les derniers instants
cinématographiques des X-Men. |
American Dreamz
de Paul Weitz
Les oeuvres cinématographiques critiques, voire très critiques, vis-à-vis de la
politique américaine commencent à fleurir sur les écrans, à présent que le choc
du 11/09 s'estompe peu à peu. Trop longtemps, l'esprit et la créativité sont
restés engourdis, si ce n’est étouffés, par cette soudaine scission entre "les
axes du Bien et du Mal", et il aura fallu quelques années pour que les metteurs
en scène (et une majorité des occidentaux dans le même mouvement), remettent
enfin en question les aberrations du gouvernement Bush Jr. Du Fahrenheit 9/11 de
Michael Moore au récent Syriana de Stephen Gaghan c'est au sein même des
Etats-Unis qu'ont été conçues certaines des oeuvres les plus virulentes. Sans
chercher un aussi haut degré de polémique, le American Dreamz de Paul Weitz
choisit la voie de la comédie satirique, et contre toute attente, ne verse que
rarement dans la facilité et le consensuel. En prenant pour base une parodie
évidente des ficelles de la télé réalité, Weitz dresse un portrait plutôt
efficace de la mentalité américaine actuelle, en adoucissant certes la
xénophobie latente et en trouvant des excuses à presque tous ses personnages.
Néanmoins, le cynisme est omniprésent, en particulier dans un final surprenant
qui refuse le happy-end salvateur au profit d'un statu quo, voire d'une
transmission du "Mal". En creusant un peu au-delà du cabotinage du casting trois
étoiles, on décèle une vision pessimiste qui tend à nous prouver que rien ne
sert de s'évertuer à changer les mentalités, le chaos est là pour longtemps. A
ce titre, l'hallucinante tirade du vrai-faux George Bush Jr. (Dennis Quaid,
excellent) sur la situation au Moyen-Orient est plus vraie que nature, tout en
étant aussi drôle que désolante. American Dreamz propose donc de rire de sujets
terribles, quitte à flirter énormément avec le mauvais goût (tout ce qui
concerne les islamistes et l'attentat kamikaze en particulier), mais le
clinquant de la forme et la dynamique comique parfois assez hilarante excusent
les outrances et parviennent régulièrement à redonner un coup de fouet au film.
L'aspect "Real TV" et toute la clique de bras cassés qui se rêvent stars forment
l'ossature burlesque de l'oeuvre, mais c'est par son propos sous-jacent que American Dreamz remporte le plus notre adhésion. |
La Doublure
de Francis Veber
Pendant longtemps, Francis Veber s’est auto-proclamé, sans doute à juste titre,
comme le chouchou du public français, amateur de comédies basiques mais bien
huilées, proposant une qualité d’écriture simple mais directe, avec juste la
bonne quantité de quiproquos et de répliques percutantes. Mais si son style a
effectivement marqué le cinéma populaire français avec quelques titres aussi
incontournables que La Chèvre, Les Compères ou le Dîner de Cons, Francis Veber
ne semble pas avoir réalisé que le temps avait passé depuis le début des années
80 et qu’il n’est pas à lui seul le garant de la réussite artistique et publique
de ses films. Car l’affection que l’on peut accorder à certaines de ses œuvres
reposent souvent essentiellement sur les acteurs en présence, la dynamique du
duo Pierre Richard/Gérard Depardieu ou la bonhomie adorable de Jacques Villeret
étant sans doute la source vive des meilleurs aspects des plus grands succès du
réalisateur.
Et c’est au-delà des défauts de mise en scène et d’écriture de la Doublure qu’il
faut chercher les causes de cet échec sans appel. Daniel Auteuil, intense acteur
dramatique, désole lorsqu’il cherche à imiter Louis de Funès. De même, Gad
Elmaleh est bien mal à l’aise dans son rôle de François Pignon, trop brillant et
affirmé pour ressembler à ce « français moyen » dont on appréciait la naïveté,
et Alice Taglioni est peut-être très belle mais elle n’est pas pour autant une
grande actrice de comédie, et son charisme est à peine supérieur à celui,
inexistant, de Virginie Ledoyen. Les seconds rôles vont de l’amusant (Michel
Aumont et Michel Jonasz en papas gâteux) au médiocre (Richard Berry toujours
dans le même rôle) voire à l’exaspérant (Dany Boon). Le casting ressemble au
film dans son ensemble : bancal, hors-sujet, maladroit, laborieux.
Ce qui afflige le plus dans la Doublure c’est l’impression d’assister à un
spectacle minimal, bâclé, reposant sur une poignée de gags extrêmement
prévisibles, voire consternants lorsque le metteur en scène s’y arrête pendant
de longues minutes (les serveurs déconcentrés par les conquêtes de Pignon, la
pose des rideaux…). Entre les répliques qui se veulent acerbes, Veber meuble
avec trois fois rien et des situations aussi vieilles que le vaudeville (le
mari, sa femme, sa maîtresse, un amant dans le placard…), et des clichés qui ne
devraient plus avoir leur place dans des films de cet acabit (le conflit
grossier entre le méchant patron et les gentils innocents de la « France d’en
bas ») et qui donnent parfois au film des allures de grosse tarte à la crème
bravement démagogue. Veber tombe même dans les pires travers des vilaines
productions gauloises des années 70/80, esthétique télévisuelle à l’appui, tout
cela pour mieux s’acheminer vers une morale hautement consensuelle, largement
hypocrite de la part d’un tel nabab du 7e art hexagonal et qui
n’apporte aucun éclat à une œuvre poussiéreuse, arthritique, semblant souvent
surgir d’un lointain passé. L’absence de remise en question aura conduit Veber à
signer son propre Jurassic Park, petite bible de tout ce qu’il ne faut pas faire
en matière de comédie en 2006. |
Le Nouveau Monde
de Terrence Malick
Il
y a presque une décennie, La Ligne Rouge fut l'une des toutes premières
critiques publiées sur ce site et sans doute le premier des coups de coeur
cinématographique d'Edwood. En connaissant la productivité proverbiale de
monsieur Terrence Malick (4 films en 35 ans de carrière), il aurait pu s'écouler
encore bien des années avant de retrouver son nom en ces lieux. Fort
heureusement, le réalisateur aura battu des records de célérité pour concevoir
son nouveau monument de zen dépressif, dans cette veine parcourue tout autant
par un Andréi Tarvkovski (l'intouchable) que par un Mamoru Oshii (la relève).
Le
Nouveau Monde porte un titre bien trompeur, car si l'on saisit aisément en quoi
cette vision paradisiaque d'un Eden terrestre exalte les colons anglais fuyant
la grisaille et les carcans de leur pays, c'est bien une oeuvre apocalyptique
qui s'offre à nous. Sans grossir le trait, avec quelques lignes de dialogues et
des images qui disent mille fois plus que de longs discours, Malick décrit
l'échec de la plus belle et de la plus ambitieuse Utopie de l'histoire de
l'humanité. En insistant sur la magnificence et la candeur de cette nature et de
ces habitants, doublant ce propos par une métaphore amoureuse, Malick ne rend
que plus cruel le viol de cet univers. Entre les ambitions des colons et le
résultat dans les faits, le fossé serre la gorge, et si l'on pense à ce que sera
la suite de l'évolution américaine, on se surprend à avoir les larmes aux yeux
sans véritable raison. Ce fantôme de génocide en devenir, ces catastrophes
écologiques déjà en prémisses dans la boue du fort anglais, cette aigreur
européenne qui viendra répandre sa "bonne âme" sur l'innocence de cultures si
différentes et si complémentaires, sont autant de thèmes qui habitent chaque
image du film.
Bien sûr, on retiendra aussi l'histoire d'amour, ou plutôt les histoires
d'amour, qui forment l'ossature de l'oeuvre. L'émoi de l'indienne pour le
mystérieux occidental, l'émotion d'un capitaine Smith qui rêve de Rédemption en
ce Paradis perdu, les songes d'un John Rolfe qui croit, en son esprit empreint
de philosophie occidentale, en la toute puissance d'une passion universelle et
apaisée, autant de voix intérieures qui se questionnent, se croisent, se
répondent et se contredisent. Jusqu'au final, aussi serein que délicatement
désespéré, Malick évite tous les pièges du mélodrame pour s'évader à la moindre
occasion vers des visions simples et bouleversantes d'un nouveau monde qui
disparaît à chaque seconde qui passe. La progression se fait au rythme doux de
la nature et sur celui, âpre, des hommes, dans le flot si particulier du montage
chaloupé cher au metteur en scène, entre la puissance épique de la musique de
Wagner, qui semble faire littéralement échos aux "We rise" prononcés par la
princesse indienne et la nostalgie murmurée d'un concerto pour piano de Mozart
qui enveloppe les effleurements des amants.
Si
Colin Farrell possède la fadeur qui rend son John Smith suffisamment
antipathique pour que le tournant du récit fasse immédiatement sens, c'est la
débutante Q'Orianka Kilcher qui sublime le film. Sa grâce angélique irradie
aussi bien les jeux innocents que le désespoir déchirant que Malick filme en une
communion quasi palpable avec la Terre. Le Nouveau Monde étant une oeuvre
extrêmement sensorielle, sensuelle, bruissante du souffle de la vie, d'autant
plus fragile devant l'inéluctable destin de cet horizon au bord du chaos.
Rarement élégie vitale et chant funèbre n'auront été aussi intimement liés, le
film résonnant à la fois comme un cantique de la renaissance et un requiem sans
appel. Dans le coeur du spectateur apparaît peu à peu une rage et un accablement
irrépressibles, car il est déjà mille fois trop tard, et cet Eden n'existera
jamais plus. Comme un amour perdu, que l'on panse tant bien que mal, comme une
illusion de jeunesse, que l'on oublie mais qui nous hante, le reflet d'un rêve
primitif et d'une symbiose impossible avec la nature. Si au final, quasiment à
l'arraché, Malick trouve les images pour entretenir une vacillante flamme
d'espoir, son film, immédiat chef-d'oeuvre, n'efface jamais son goût de fin du
monde, sa litanie de perte des illusions et son insoutenable nostalgie
panthéiste. |
|
|