Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)

de Apichatpong Weerasethakul

C’est un film qui parle au cœur et à la raison. Une œuvre intellectuelle et sensorielle. C’est un opus pour cinéphiles, pour ceux qui aiment s’émerveiller devant le génie absolu d’une mise en scène. Mais c’est aussi une expérience de pure perception, où chaque rayon de lumière et chaque bruissement de la jungle ouvre un univers nouveau. C’est une histoire tendre et inquiétante, sur la vie, la mort et les singes fantômes. Oncle Boonmee ne ressemble à rien de connu, à part aux autres films de Weerasethakul. On y retrouve les esprits, la forêt, la caverne et les bars à karaoké. Cette fausse lenteur qui devient narration suprême, cette humilité des gens simples qui ne philosophent pas plus haut que leur condition, et la magie du monde, renouvelée.

Tout ici est réfléchi et ressenti, le moindre plan tremblotant, la moindre entrée des acteurs dans le champ, la perfection déborde à chaque seconde. Mais sans jamais écraser le spectateur par la prétention ou une véritable austérité. Oncle Boonmee est une œuvre fréquemment drôle, d’où se dégage une douceur fragile, triomphant de l’aspect oppressant de la majeure partie de l’histoire. Se joue ici la logique du rêve, l'effroi du cauchemar, l'intemporalité des songes. Cela pourrait être du David Lynch rencontrant Terrence Malick et Kurosawa au détour d’une partie de campagne. Cependant Weerasethakul est toujours au-delà de nos références, dans sa propre création, associant les idées et les émotions, en faisant table rase.

Oncle Boonmee subjugue souvent, parfois pour un plan (ah ces créatures simiesques aux yeux rougeoyants) ou pour une scène entière (la séquence du dîner sur le porche, incroyable). Le réalisateur flirte même avec la démonstration de force un peu ostentatoire lorsqu’il se lance dans le diaporama à la Chris Marker pour évoquer le futur. Mais cela est fort bref et participe à la puissance de l’ensemble. D’autres instants deviennent immédiatement inoubliables (le poisson et la princesse, la grotte, la scène finale) et laissent pantois. On a presque l’impression de n’avoir jamais vu cela. Est-ce possible ? Le simple fait de le ressentir, de se poser la question, c'est y répondre. D’une manière totalement différente que Scott Pilgrim, Oncle Boonmee aura aussi réinventé le 7e art en 2010. Film de l’année, haut la main ! (bis)


Scott Pilgrim VS The World

de Edgar Wright

C’est un rêve de cinéma. Du moins pour votre serviteur et c’est ce qu’il faudra garder en mémoire en lisant les lignes qui suivent. C’est donc mon rêve de cinéma. Un fantasme prenant vie. Scott Pilgrim VS The World, c’est la synthèse de ce que l’on aime dans les Comics, dans les jeux vidéo, mais aussi dans la culture pop qui a bercé notre adolescence. Edgar Wright prend le meilleur dans tous les domaines. Ici des incrustations tirées de la bande-dessinée, là le découpage des animés japonais, ailleurs les codes des jeux les plus antédiluviens. Et pour rythmer le tout, la caricature tendre du rock indé que l’on écoutait en boucle dans notre chambre de lycéen.

On parcourt le film le sourire aux lèvres, on s’y enthousiasme fréquemment comme un môme et on en sort les larmes aux yeux. L’essence du divertissement est ici, dans cette frénésie, cette inventivité pourtant issue d’un univers de références (de Seinfeld à Zelda en passant par Frank Black) qui semble avoir été composé rien que pour nous. En jouant à fond la carte de la nostalgie, le réalisateur emballe néanmoins l’œuvre cinématographique la plus moderne de l’année.

Scott Pilgrim VS The World est souvent hilarant et touchant. Il crée un émerveillement de tous les instants sans jamais être épuisant. On frôle l’overdose, mais Wright confirme ici sa montée en puissance après Shaun of the Dead et Hot Fuzz. Tout coule de source, sans passage à vide, sans égarement, et les deux heures du métrage semblent bien courtes.

Le casting est adorable, en particulier Michael Cera (qui va enfin pouvoir abandonner les rôles de geek paumé), Mary Elizabeth Winstead (pour laquelle on affronterait bien toute une ligue d’ex diaboliques) et Ellen Wong (qui complète le trio craquant). Sans parler des méchants, tous plus formidables les uns que les autres. Et le soin apporté au moindre second rôle s’avère renversant.

 Scott Pilgrim déborde d’amour pour ses personnages et ses thèmes. Bien sûr, on ne parlera pas ici de l’universalité d’un Pixar, le monde de Scott paraîtra hermétique à certains, malgré le plaisir immédiat qu’il ne peut que procurer (l’effet « feu d’artifice » jouant à fond). Mais les réticences sont balayées par la subjectivité extatique. En signant le long-métrage somme de la génération 90’s, Edgar Wright a surtout offert un des films les plus jouissifs et généreux de l’histoire du cinéma. "Come on Pilgrim ! You know we love you !"


Vénus Noire

de Abdellatif Kechiche

Il y a toujours à craindre d’une biographie historique, surtout quand elle est signée au sein de nos terres hexagonales, spécialisées dans les pensums poussiéreux et édifiants. Exemplaire, Vénus Noire, l’est, au-delà de toutes les louanges sans doute. Mais son génie se situe ailleurs : dans son refus systématique, et épuisant, des travers de la démonstration scolaire. Kechiche a un propos, simple, évident, que l’on connaît avant même d’entrer dans la salle de cinéma. Pour le faire partager il va choisir la méthode la plus virulente : la radicalité absolue. Tout montrer, dans sa durée, répéter et répéter et répéter encore, asséner et plonger au cœur du sordide, au cœur de l’atroce. Mais à aucun moment le film ne peut être accusé de complaisance, car il est rigoureusement impossible d’éprouver le moindre plaisir devant ce crescendo d’humiliations.

Vénus Noire n’est donc pas le Massacre à la Tronçonneuse français, rien à voir avec les films d’exploitation, aussi percutants soient-ils, qui font de l’atroce un divertissement. Pas d’approche purement documentaire pour autant, tant la dynamique de la mise en scène donne au film une énergie qui n’appartient qu’à la fiction. Il faut un temps pour accepter la cruauté de l’œuvre, son refus de toute narration classique, son dégoût pour le psychologisme et le lacrymal. 2h40 durant, Kechiche cogne, enchaîne les uppercuts, repousse les limites de l’insoutenable, quitte à rendre le spectateur physiquement malade.

Horreur graphique où presque rien n’est laissé hors champ, mais horreur intérieure avant tout, horreur de l’humain et de l’inhumain, exposée sans fard et sans garde-fou. En regardant l’abyme droit dans les yeux, Kechiche parvient à en tirer des plans fréquemment sublimes, c’est là toute sa grandeur de cinéaste. Le sujet imposant, le dispositif exigeant, tout cela ne nie jamais le cinéma. Sans compter les performances des acteurs, tous extraordinaires.

L’expérience est traumatisante, à la frontière de l’insoutenable. Elle dévaste sur le coup et hante durant des jours. Vénus Noire balaie le cynisme, fait chavirer l’indifférence, fait s’effondrer la lassitude. On s’attendait à un parpaing didactique, on a vécu un moment unique, aussi déplaisant qu’essentiel. Rarement le 7e art aura autant clamé sa puissance et son utilité conjuguées. Outil suprême d’émerveillement et d’enrichissement, miroir sans pitié de ce qui nous rend aussi monstrueux que simplement humains.


The Social Network

de David Fincher

Moi et vous, l’ego et l’altérité, le réseau social à l’ère d’internet. Un thème qui a fait les belles heures de ce site, depuis bien des années. Pour cela même, la vision de The Social Network est un bonheur, mais aussi une frustration. Fincher et son scénariste, Aaron Sorkin, ne cessent d’entrouvrir des portes, d’ébaucher des thèmes, de flirter avec une vraie sociologie, voire philosophie, du monde post-Facebook, pour mieux tout abandonner à la scène suivante. Cheminement logique, qui correspond à la dictature du clic et de l’immédiat, où un lien en chasse un autre, où l’on chemine sur le web en ayant rapidement perdu de vue la raison première de sa recherche.

Plein comme un œuf, The Social Network laisse pourtant tout en suspend. On ne sait pas beaucoup plus sur Mark Zuckerberg, et le créateur de Facebook devient de plus en plus opaque au fur et à mesure que le film avance. En tout dernier ressort, comme un clin d’œil Hollywoodien, les créateurs lui offrent une résolution, un sens, une raison d’être qui flirte avec l’ironie. Tout ça pour ça, pour être ami « Facebook » avec la jolie greluche. C’est un final pertinent, qui boucle la boucle. Il renvoie l’histoire à son dérisoire tout en révélant l’effroyable vérité : entre le début et la fin du film, Zuckerberg (et avec lui le reste du monde) semble d’autant plus seul. Le jeune homme qui courait lors du générique d’ouverture est désormais un être vissé devant son écran, condamné à appuyer sur F5 en espérant que l’univers tourne ainsi, avec lui, et avec tous les autres.

Par-delà les anecdotes savoureuses, le brio des dialogues, l’énergie des acteurs, The Social Network confirme ce qu’annonçait déjà des œuvres telles que Ghost in the Shell : nos sociétés vont vers la virtualisation. Bien sûr, on aura toujours besoin du réel, du contact, on ne peut pas nier totalement le corps, du moins, pas encore… Mais tout glisse sur Mark Zuckerberg qui contribue au rapprochement des êtres tout en les niant. C’est la grande œuvre d’un quasi autiste, qui ne réalise pas vraiment ce qui se joue au milieu de ses lignes de code. Ces jeunes changent le monde comme on joue à un jeu vidéo, comme on s’éclate dans une soirée d’ados. La boîte de Pandore est ouverte depuis bien longtemps, Facebook n’en serait qu’un des fléaux merveilleux.

Les paroles s’envolent, mais les photos « taggées » restent. Bien mal inspiré celui qui croit pouvoir « poker » en toute impunité. Internet comme livre géant, où il n’y a plus d’anonymat, plus de vie privée, où tout et tous peuvent être pistés, retrouvés, observés. Le grand règne du harcèlement, du voyeurisme, de la dénonciation, du persiflage à tous les étages. Tout ce qui nourrit si bien nos bas instincts. Ce n’est pas la faute de Mark Zuckerberg, loin de là, il n’est qu’un maillon, un petit rouage, un élément du puzzle. Lui ou un autre, peu importe. C’est un milliardaire par accident. On pourrait croire qu’il est le Charles Foster Kane de notre temps, rien n’est moins vrai. Le film de Fincher lorgne par moments sur celui d’Orson Welles, les enjeux en sont bien moindres. Mais à son niveau, grâce à sa qualité d’écriture remarquable, à sa bande originale (avec contribution de Trent Reznor) fantastique, The Social Network impressionne.


Toy Story 3

de Lee Unkrich

Le troisième volet de la saga emblématique du studio Pixar pose un problème délicat au regard critique. En effet, d’un strict point de vue cinématographique, Toy Story 3 n’évite pas les défauts, les redites et certaines facilités. Le film n’est pas parfait et s'ancre avant tout sur l’affection que l’on peut avoir pour ses protagonistes. C’est cette même tendresse qui aide à transformer l’œuvre en un crève-cœur absolu, plus ou moins insoutenable suivant la résonnance qu’elle aura auprès du spectateur. Derrière le rythme, toujours un peu hystérique par endroits, derrière les gags, souvent irrésistibles ; Toy Story 3 est un récit de la perte et de son acceptation. Tous les petits ou grands deuils qu’il faut concéder au quotidien, car le mouvement de la vie nous les impose : vieillir, perdre, oublier, partir et surtout le comprendre et y faire face avec bienveillance. Lors d’une scène inconcevable, le film va jusqu’à évoquer l’acceptation de la mort, de la disparition totale et définitive.

Traumatisme garanti pour plusieurs générations de mômes, Toy Story 3 est tout aussi bouleversant pour les adultes un tant soit peu sensibles. Ne plus craindre l’abandon, passer à autre chose, lâcher prise avec une larme et un sourire. C’était, en filigrane, ce que les deux premiers chapitres nous préparaient à affronter. En concluant l’histoire de ces jouets rigolos, les petits gars de chez Pixar ont délivré une œuvre d’une maturité saisissante.

Si on ressort de la salle dévasté, Toy Story 3 nous hante longtemps après, revient sans cesse à l’esprit, en vague de nostalgie, en écho à notre propre existence, à nos choix et à nos épreuves. Il faut le voir absolument et on ose à peine le conseiller. Nul doute que beaucoup y seront moins réceptifs que d’autres, après tout, c’est un Disney pour les gosses. Mais, peut-être plus encore que les déjà désarmants Wall-E et Là-haut (qui parlaient davantage aux adultes), il s’agit ici du Bambi de notre époque. Le studio Pixar est en train d’édifier un corpus presque tout entier dédié au passage du temps et à ses conséquences. Une œuvre dont l’ampleur et l’intelligence ne cessent de provoquer la plus intense des admirations.


Kick-Ass

de Matthew Vaughn

L’univers des super-héros, surpeuplé, compliqué, battu et rebattu, ressemble parfois à un champ de ruines. Tout a été dit, tout a été fait. Difficile d’aller chercher la dernière petite parcelle d’originalité, d’humour, d’émotion, d’action, qui n’a pas déjà été épuisée par mille et un auteurs. Dur, dur, surtout après que des créateurs comme Alan Moore (en particulier avec Promethea) ont poussé le métalangage et la réflexion dans ses retranchements les plus abstraits et définitifs. L’ambition de Kick-Ass est d’englober à la fois l’innocence du mythe et son point de confrontation avec le réel. Une œuvre à la fois complètement BD et sans illusion, qui commence comme une comédie pour peu à peu se transformer en une sorte de tragédie primitive, quand le jeu d’enfants devient ce qu’il y a de plus sérieux. En s’attaquant à plusieurs tabous, en particulier la vision idéalisée de l’imaginaire des mômes, en prenant à bras-le-corps les aspects les plus discutables des super-héros, Kick-Ass révèle une intelligence et des sentiments extrêmement peu usités dans le divertissement hollywoodien.

Le vrai problème du film, qui est parfois le même que chez Quentin Tarantino, c’est que le spectateur pourra ne pas savoir s’il regarde là une comédie d’action, ou un vrai coup de pied au cul qui fait mal par où il passe. Pourtant, après un début qui navigue entre deux eaux, le récit choisit clairement de privilégier l’émotion et le spectacle le plus soigné. Rien de parodique, pas de quoi se marrer, malgré quelques gags plaisants. Kick-Ass chasse sur les mêmes terres que The Dark Knight, mais avec mille fois plus de réussite.

La grande surprise est de constater que l’immense charme de Stardust ne reposait pas que sur l’écriture de Neil Gaiman et que Matthew Vaughn est définitivement un réalisateur de talent. Son sens de la mise en scène transcende toute la seconde moitié de Kick-Ass, en particulier lors d’une intense prise d’otage qui culmine sur une séquence d’action incroyable, rythmée par la musique de Sunshine (que le compositeur John Murphy réutilise à bon escient).

Au bord du grotesque en permanence, le film dégage un lyrisme inattendu et ne cesse de nous confronter à la violence, à la fois sur le ton de la blague et sur celui de la raison. On veut voir des combats, des gunfights, des explosions, après tout, mais on ne veut pas être confronté à l’horreur, celle qui traumatise et qui nous fait fuir. Sur la corde raide, Kick-Ass pourra être rejeté en bloc, car c’est l'humour qui l’emporte. Pourtant on a rarement vu une étude à la fois pertinente et accessible (car fun) sur les mythes contemporains. Il s’agit là d’une nouvelle date dans le domaine de la récréation aussi brillante que jouissive.


Brendan et le secret de Kells

de Tomm Moore

Brendan et le Secret de Kells possède tout ce qu’un bon film pour enfants se doit de proposer. Un univers magique, évocateur, complexe mais accessible. De l’humour, des péripéties, un récit d’apprentissage. De l’effroi, des fragments de cauchemars pour nourrir l’inconscient. De la poésie, des allégeances envers la Nature et la Culture, réconciliées. Au final, une réflexion sur le temps qui passe, sur le fait de grandir, de s’aventurer pour mieux s’accomplir et revenir plus fort et plus sage.

Le Secret de Kells offre tout cela et même davantage. S’il s’adresse en priorité aux petits, sa grande beauté formelle et ses ramifications peuvent sans mal captiver aussi les adultes. Et si on s’abandonne à retrouver les émerveillements et les terreurs de l’enfance, le film peut parfois subjuguer. Les enjeux sont ainsi moins évidents qu’ils n'y paraissent et laissent libre cours à l’imagination et aux interprétations. Résister ou fuir ? Foi chrétienne ou païenne ? Bâtisseur ou contemplateur ? Vagabond ou moine ? Loup ou fée ? Et si tout le monde avait raison ? Les écrits restent et les murailles s’écroulent. Avec l’enluminure comme dernier rempart à la barbarie et aux âges qui défilent.

Doucement Le Secret de Kells se défait de ses influences, de Disney et de Miyazaki, et trouve sa voie. Tout fait sens dans un dernier quart d’heure proche du bouleversant. On s’imagine môme découvrant ce film, traumatisé, emporté, exalté, en larmes, dévoré par un enthousiasme qui ferait de nous des cinéphiles pour l’éternité. Un vrai coffre au trésor.


Panique au village

de Vincent Patar et Stéphane Aubier

Cow-Boy et Indien veulent faire une surprise à Cheval pour son anniversaire. Un chouette cadeau, qui, pour le coup, va vraiment casser des briques… Difficile d’évoquer un film tel que Panique au village sans passer pour un demeuré ou un plaisantin. Alors, voilà, donc, bon, comment vous dire ? C’est un film d’animation. Enfin, avec de la pate à modeler. Essentiellement. Qui permet de recréer les figurines de notre enfance. Mais en plus malléables et… hum… expressives. Mais il n’empêche, comme quand on était petit, les jouets sautent sur place quand ils parlent. Les histoires sont aussi absurdes, les rebondissements aussi surréalistes que lors des divertissement de mômes. Le langage est un peu plus coloré, mais à peine (« On va leur niquer la gueule, hein, Cheval ! », « Qu’est-ce qu’il a à m’emmerder, lui ? », etc.). Cela pourrait être débile, ça l’est. Mais c’est drôle. Parfois même hilarant. Grâce à cette stupidité réjouissante, à ce sens du burlesque poussé au-delà de toutes les limites de l’absurde. De surcroît c'est aussi très belge, et c'est un compliement, entendons-nous bien. Sur la durée d’un long-métrage, c’est un peu épuisant. L’hystérie indiffère parfois. Mais on est réellement surpris de prendre autant de plaisir devant une œuvre aussi incongrue. Expérience à tenter, attention au possible rejet brutal et sans appel cependant.


Moon

de Duncan Jones

Décidément, tout le monde veut faire son 2001. Si la plupart des metteurs en scène semblent plutôt scotchés par la partie « trip » du film de Kubrick (Valhalla Rising, Enter the Void), Duncan Jones (le fiston de David Bowie) se penche davantage sur la solitude spatiale qui forme le cœur du plus grand film de SF de l’histoire du cinéma. Bref, il rejoue le voyage vers Jupiter sur une base lunaire et y ajoute des thèmes plus contemporains, celui du clonage essentiellement. Hall devient même sympa et il a la voix de Kevin Spacey. Rien de vraiment nouveau sous le clair de Terre, avec simplement 2001 et The Island (si, si), on a fait le tour du problème. Heureusement, le réalisateur se donne beaucoup de mal sur la forme et compense ainsi en partie l’aspect hautement prévisible de son script.

Moon est un beau film, bien mis en scène, bien interprété par un Sam Rockwell impliqué et disposant d’effets spéciaux très impressionnants. Il est dommage que l’on s’y ennuie autant, en ayant l’impression de contempler tout cela de très loin. Il manque un peu de chair à l’œuvre, qui, pour le coup, ne peut pas se contenter de la froideur kubrickienne. De surcroît, la conclusion de Moon, franchement ridicule, abandonne le spectateur sur une fausse note. Dommage, très dommage, mais pour un premier film, on salue le tour de force.


La Horde

de Benjamin Rocher et Yannick Dahan

Blah-blah-blah, cinéma de genre français, blah-blah-blah, zone sinistrée, blah-blah-blah, personne n’en veut tout le monde en fait, blah-blah-blah, etc… Donc, un film de zombies fauché made in France, qui est intéressé ? Pas grand monde au vu du gentil bide de l’œuvrette en salles. A cela, rien d’étonnant. Comme nous disait déjà les réalisateurs de [Rec], c’est vrai qu’il y a beaucoup de films de zombies, c’est même devenu le genre dominant du fantastique actuel. Pourtant c’est très loin d’être le plus passionnant et il ne sert généralement que de prétexte aux massacres plus ou moins comiques. Mais de l’humour geek lourdingue de Zombieland au sérieux geek lourdingue de La Horde, on revient au même point : c’est nul.

La Horde se la joue énervé, affreux, sale et méchant. La seule ambition est de proposer un gros défouraillage des familles, qui ne tient malheureusement pas ses promesses. C’est juste un décalque rachitique de Dawn of the dead (l’original et le remake) et de [Rec], donc d'Assaut, avec des antihéros qui se la jouent sévèrement couillus. Les acteurs, uniformément grotesques, se dépêtrent de répliques bourrines qui, si elles passeraient à peu près dans le cadre d’un Comics façon Preacher, tombent ici généralement à plat. Bref, on s’en fout, tout ce qu’on veut c’est de l’action. Et à part un dernier quart d’heure plutôt rigolo dans sa surenchère, on reste sur sa faim.

Il faut dire que l’aspect extrêmement Z de La Horde n’aide en rien. Dès le départ on a l’impression de regarder un directo-to-video égaré dans la cour des grands. Bref, à deux ou trois plans et effets sonores près, rien qui ne justifie vraiment la sortie en salle. Le film aura d’ailleurs probablement une deuxième vie dans les chaumières. En même temps, la concurrence est rude. Des films comme La Horde, il en sort des brouettes, de tous les pays. Une invasion de zombies, une vraie. Une déferlante mondiale de morts-vivants sur pellicule. Et, à l’instar du final de Shaun of the dead, on apprend à vivre avec, à s’en faire des potes attardés, qu’on cache au fond du jardin pour passer un bon moment à l’occasion. Problème : quand la cabane du jardin est pleine, les morts-vivants doivent retourner directement six pieds sous terre. La vraie place de La Horde, donc.


Mammuth

de Gustave Kervern et Benoît Delépine

Si The Wrestler était un Rosetta Balboa, Mammuth serait alors un Easy Rider péquenot, avec tout ce que cela suppose d'images floues et de trognes dantesques. Et qui mieux que Gérard Depardieu pour remplacer à la fois Dennis Hopper et Mickey Rourke ? Il traîne son énome carcasse fatiguée sous la caméra de Kervern et Delépine qui réussissent à en extraire toute la grâce brute, toute la beauté vulgaire. Au-delà de la caricature qu'il était peu à peu devenu (Obélix, quand même !), loin d'un cinéma d'auteur où il a toujours été l'intrus magnifique, Depardieu revient à son essence. C'est un rôle très personnel, très intime, qu'il habite avec une sobriété paradoxale. Dans un univers outré, il semble humble, rarement dans l'excès. Mammuth est un road movie minimal, un trois fois rien poétique, gaillardement narré et mis en scène. Entre le sketch de Groland et des ambitions cinématographiques revendiquées, les deux réalisateurs trouvent leur voie. Ils osent torturer les images, rechercher les étincelles derrière la laideur et la rudesse, tirer le meilleur des murs sales et des portes closes, voir au-delà du glauque et du gris.

Malgré quelques scènes très touchantes, en particulier dans la relation rustre et tendre entre Depardieu et Yolande Moreau, magnifique couple de cinéma, Mammuth est un peu moins réussi et attachant que Louise Michel. La faute à certaines longueurs et à quelques scènes qui passent loin de leur cible, que ce soit dans l'humour ou dans le drame. Néanmoins le monde de Kervern et Delépine ne cesse de s'affirmer et de s'affiner, joignant le trivial à l'aérien, ils transforment le gros Serge/Gégé en clochard céleste, bibendum angélique sur sa petite mobylette. En anti-héros populaire, incarnation de toute la grandeur des médiocres, Depardieu trouve ici l'un de ses meilleurs rôles et, bien aidé par les cinéastes, il porte le récit sur ses épaules. Autour de lui gravitent ses "muses" (Moreau, géniale comme souvent, Miss Ming, en bloc d'existence et Isabelle Adjani en fantôme d'elle-même). Avec ses imperfections, ses "impuretés", Mammuth est un très beau film.


Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle Orléans

de Werner Herzog

C’est chouette la vie de cinéaste. On peut s’envoler aux quatre coins du monde et revenir avec des images incroyables. Mais c’est aussi dur-dur la vie de cinéaste. Faut pouvoir se les payer ses petites escapades et ses fantaisies de globe-trotter sociopathe. Pour s’offrir un Grizzli Man, faut aussi torcher des œuvres pseudo commerciales dont on a visiblement rien à foutre. Chienne de vie que celle de Werner Herzog. Et en même temps il n’est pas à plaindre. Arrivé à son âge respectable, on ne lui refuse plus grand-chose et il y a même des obsédés de la politique des auteurs pour trouver des qualités à ses pires bouses destinées à payer ses impôts et les traites de sa grande demeure américaine (avec piscine).

Bref, pour un Encounters at the end of the world, il faut son Bad Lieutenant. Sorte d’équilibre entre le Bien et le Mal, que n’aurait pas renié Hobbes. Eliminons d’office le remake du petit polar trash d’Abel Ferrara. Werner Herzog transforme la lourde parabole christique glauque en une parodie d’enquête aussi grotesque que chiante comme la pluie. Rigolo cinq minutes, le film se moque ouvertement des spectateurs en brisant sa monotonie par des images surréalistes indignes d’un réalisateur un tant soit peu impliqué. Le pompon étant remporté par un gros-plan d’iguanes, visiblement improvisé parce que Werner trouvait ça trop cool, et qui symbolise le je-m’en-foutisme global. Comme preuve supplémentaire soulignons le scénario, à la fois immature dans ses thèmes (drogue, sexe et mauvais esprit pour les ados boutonneux) et arthritique dans son déroulement (c’est parfois Derrick à La Nouvelle Orléans). Terminons par la présence de Nicolas Cage, qui joue toujours comme le dernier des sagouins et celle d’Eva Mendes, jamais aussi nulle que lorsqu’on lui demande de ne rien faire.

Encounters at the end of the world

Et c’est bien le même Werner Herzog qui nous livre avec Encounters at the end of the world l’un de ses films de vacances passionnants et quasi mystiques dont il a le secret. Fasciné par la folie (extra)ordinaire et par la puissance immémoriale de la nature, Herzog trouve en Antarctique un nouveau terrain de jeu à sa (dé)mesure. Après avoir parcouru l’Amazonie et l’Afrique dans des conditions extrêmes, le réalisateur s’ébat avec un certain respect au milieu des glaciers millénaires et des montagnes volcaniques. Dans ces décors de fin du monde, il rencontre des scientifiques misanthropes, des rêveurs inquiétants, des philosophes amorphes et des animaux fabuleux. De ce grand maelstrom, Herzog tire des questionnements renversants et des conclusions apocalyptiques.

Tant de beauté et d’effroi laissent pantois. Il faut entendre les phoques s’exprimer avec des sons électroniques et pourtant parfaitement organiques ou voir un pingouin s’élancer sans but dans les immensités enneigées vers les montagnes hallucinées qu’il n’atteindra jamais. Ce qui surgit d’Encounters at the end of the world tient à la fois du plus grand des sublimes mais aussi de l’intime absolu. Comme ces cathédrales figées sous la mer de glace, entre l’infini et le cocon originel. Aux origines de la vie et aux frontières du néant. On se sent minuscule, renvoyé à notre état de parenthèse dans le cheminement de l’univers. Une fraction pathétique, dont la seule force est d’avoir conscience de la beauté et de la vacuité de sa condition. Spectateur, acteur, metteur en scène, négligeable et essentiel. On ressort d’une telle œuvre bouleversé, sans bien savoir pourquoi, comme face à des révélations qui, heureusement, dépassent notre raison. Diantre !


Dragons

de Chris Sanders et Dean Deblois

Voler. Voler pour de vrai. On n’avait jamais autant éprouvé cette sensation que devant Dragons 3D. Et il ne s’agit pas là de la moindre réussite de ce dessin animé dont on a un peu peine à croire qu’il est issu des studios DreamWorks Animation dont le parcours était jusqu’à présent jalonné de produits dérisoires et périssables (Shrek & co). Dragons s’attaque à deux genres sinistrés : le film de grosses bêtes cracheuses de feu et le film de vikings. Dans les deux cas, les précédentes références sont enfoncées. On n’avait pas vu aussi réussi sur ces thèmes depuis Le Dragon du lac de feu et Le 13e Guerrier. Mais au sérieux de ces deux œuvres, Dragons répond par l’humour et la tendresse, sans pour autant rien sacrifier au spectacle épique.

Si on découvre que les dragons tiennent plus du chat ronronnant que du serpent vicieux, leur puissance n’est jamais remise en question. Au contraire, elle est tout autant source d’émerveillement (elles volent vite les bestioles) que de gags (d’innombrables amusements à base de flammes et d’explosions). Et si l’histoire est classique, elle se déroule avec rythme et énergie. Bref, on ne s’ennuie pas une seule seconde.

Mais on retiendra aisément les formidables scènes de vol à dos de dragon, en 3D. Elles dépassent sans problème celles d’Avatar et l’ensemble du film pose de nouvelles frontières en matière de troisième dimension. Si le jalon de James Cameron marquait par sa puissance, Dragons est encore plus ébouriffant. Avec son Krokmou qu’on ramènerait bien chez soi à la fin du métrage, l’œuvre est aussi très attachante et s’affirme comme un superbe divertissement, vraiment tous publics, qui risque de faire date.


Le Choc des Titans

de Louis Leterrier

On est toujours impressionné par la faculté d’Hollywood à transformer en ruines fumantes (et fumeuses) les projets les plus alléchants. Difficile par exemple de louper le remake du Choc des Titans de Desmond Davis, classique mineur du début des années 80, aussi riche en qualités qu’en défauts. S’il était délicat de faire oublier la beauté des effets spéciaux de Ray Harryhausen, presque tout le reste du film pouvait être amélioré. On est donc relativement surpris par la nullité de cette nouvelle version, qui se donne beaucoup de mal pour un résultat flirtant avec le pet de souris.

Premier point étonnant : le manque d’ampleur, de rythme, bref de souffle épique. Le film ne dure que 1h50, il n’en met pas moins 45 minutes à débuter. Le scénario fonce dans le tas, tranche dans les présentations, mais n’évite pour autant pas le blah-blah à outrance, tout en éludant des points essentiels pouvant impliquer un tant soit peu le spectateur. Les acteurs étant uniformément médiocres (au mieux), on en reste à la dramaturgie la plus basique. On passe même juste à côté du nanar intégral, surtout quand on découvre Liam Neeson en Zeus et Ralph Fiennes en Hades, tous deux ridicules et jouant comme des cochons.

Filmé par un tâcheron issu de l’écurie Luc Besson, Le Choc des Titans ressemble à un petit frère dégénéré des Transformers de Michael Bay (la scène des scorpions géants en étant un excellent exemple). Mais on regrette presque la générosité potache du réalisateur de The Island. Ici, il n’y a que trois vraies séquences d’action et seule la dernière, avec le Kraken, est relativement à la hauteur dans ses excès bêtement spectaculaires. Il faut voir comment Louis Leterrier foire dans les grandes largeurs la séquence mythique de l’antre de Méduse. Eprouvante dans le Choc des Titans original, elle se limite ici à une course-poursuite bourrine sans queue ni tête (c’est le cas de le dire).

Comme pour parachever le désastre, le film révèle ici et là un certain potentiel. Ça pourrait être bien, on le sent. Avec un autre réalisateur, un autre scénario, d’autres comédiens… Il y a une petite étincelle, par exemple dans le personnage de comparse bourru interprété par Mads Mikkelsen ou dans la grâce décalée de Gemma Arterton en Io (dont le mystère est sacrifié au profit du divertissement le plus routinier). Certains pourront y trouver un tout petit passe-temps fun, mais pour le grand film épique et mythologique, il faudra chercher ailleurs. Tout aussi énervé que soit le Persée de ce Choc, sa colère tourne à vide, avec beaucoup de hurlements et d’agitation pour pas grand-chose. Aussitôt vu, aussitôt oublié.


Alice au pays des merveilles

de Tim Burton

Innocence émerveillée. Mais au fond du trou, au bord du cauchemar. Le dernier vestige d’enfance, celui du rêveur, venu aider le choix le plus important de l’existence : serais-je fou ou ne serais-je pas ? Œuvres pour mômes intelligents, Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir, se retranscrivent à l’écran en splendeurs malicieuses. Du dessin animé, déjà produit par Disney, au film de Tim Burton, c’est tout un imaginaire complexe qui s’offre aux jeunes esprits. Que les adultes, idéalisant leurs souvenirs, viennent y chercher davantage, c’est sans doute ainsi que la déception surgit. Pourtant, loin d’être une catastrophe, le nouveau Burton est un bel ouvrage cinématographique.

En mêlant les deux textes de Lewis Carroll, le cinéaste livre ce qui est davantage un Alice in Underland, qu’une adaptation littérale. Certains choix sont ainsi très heureux, d’autres plus discutables. Cahier des charges oblige, Disney y ajoute une bonne louche de Narnia et par suite une grosse rasade de Seigneur des anneaux. Le Jabberwocky en Näzgul décharné, l’image ne peut que rappeler des souvenirs. Mais prétendre qu’Alice au pays des merveilles est impersonnel serait oublier que Tim Burton est le plus grand réalisateur lorsqu’il s’agit de pirater les blockbusters de l’intérieur. Il donne ce que l’on attend de lui, tout en ajoutant mille et une touches très intimes, étranges, parfois glauques, parfois magiques.

Si Burton est déjà là dans certains éléments visuels, il est d’autant plus présent dans les principaux protagonistes. Oubliez la fadeur d’Alice (la généralement parfaite Mia Wasikowska), l’alter-ego Johnny Depp est à son sommet. Car ce n’est que chez Burton que son jeu, devenu une marque de fabrique depuis Pirates des Caraïbes, dépasse les gimmicks. Au-delà de sa folie, il y a une étincelle d’émotion, peut-être de mélancolie. Ce fragment de tristesse parcours tout le film, pourtant souvent très drôle. Le pays des merveilles est un champ de bataille désolé, où subsiste des îlots de splendeur, comme autant de vestiges d’un imaginaire dévasté.

Ici, le château de la Reine de Cœur, horrible mégère castratrice et difforme, que l’on flatte de peur de se faire couper… la tête. Elle est brillamment incarnée par Helena Bonham Carter, la femme du cinéaste. Là, c’est la demeure immaculée de la Reine Blanche, radieuse souveraine toute en manières et en charme. C’est la craquante Anne Hathaway qui lui prête ses immenses sourcils et son incroyable bouche. Etrangement, elle nous rappelle Lisa Marie… l’ex-femme de Burton. Diantre ! Y aurait-il là quelque message inconscient ? Surtout à entendre clamer Le Chapelier Toqué : « A bas la Reine de Cœur ! ».

C’est un film de conflit, de guerre intérieure, qui se traduit par des luttes bien réelles, mais piratées par l’absurdité de l’univers de Lewis Carroll. Certes, la rencontre entre Burton et l’écrivain semblait plus prometteuse. Alice au pays des merveilles n’évite pas les frustrations et semble en particulier un peu court. Certains personnages auraient sans doute mérité plus de temps à l’écran (du Lièvre de Mars, parfaitement dingue, à la chenille Absolem, auquel Burton réserve cependant de jolies scènes). Par ailleurs Danny Elfman délivre une partition assez classique forte d'un thème principal exceptionnel. Mais la « chanson » du générique de fin, avec les hurlements inhumains d’Avril Lavigne, entre sans problème dans le top des pires fautes de goût de l’histoire du cinéma.

Mais les morceaux de bravoure abondent et le divertissement ne déçoit pas. Visuellement c’est un bonheur, en particulier dans le jeu permanent, voire étourdissant, entre les différentes tailles des protagonistes. La 3D n’apporte pas grand-chose, tant il est évident que le film a été conçu de manière « traditionnelle » et les quelques effets en relief passent du discret à l’artificiel.

Alice au pays des merveilles par Tim Burton est un récit de reconquête. En se souvenant de sa part d’enfance et en apprenant à croire en ses rêves et ses ambitions, l’héroïne se transcende, prête à naviguer dans les hautes mers d’une existence passionnante. Une morale idéale pour les enfants, mais qui peut tout aussi bien toucher les adultes. Non ce n’est pas un grand film, c’est un charmant conte, parsemé d’images et d’instants remarquables. Une nouvelle fois, derrière les millions de dollars de budget, derrière les pressions d’Hollywood, Tim Burton est parvenu à préserver l’essentiel : une ode à la folie, à la différence, au pouvoir du rêve. Attendrissant.


The Descent 2

de Jon Harris

Lorsqu’on signe la suite d’un grand film, il est difficile de désamorcer les comparaisons peu flatteuses. Après tout, à passer après, on a toute les chances de se faire aligner (par la critique, par les fans). Qu’on s’applique ou non, qu’on se donne du mal ou pas, on va au casse-pipe. Plutôt que de se risquer à faire un bon film, qui aurait été de toute façon conchié par les amateurs de l’original, le réalisateur de The Descent 2, Jon Harris, a choisi la solution la plus simple : torcher un truc de sagouin. Du prétexte de base au moindre rebondissement en passant par les réactions des personnages, tout ici respire la débilité la plus massive. Le mélange de raffinement claustrophobe de la première partie et l’explosion de violence terrifiante de la seconde moitié était la grande force de The Descent de Neil Marshall. Il ne subsiste dans cette suite qu’une sorte de jeu de piste sur les traces du chef-d’œuvre englouti. L’idée de refaire le parcours, façon attraction de fête foraine, est plutôt amusante. On se remémore, comme l’héroïne, les grandes heures de l’épisode précédent. Et pas de temps pour la nostalgie. Le réalisateur fonce comme un chauffard aviné et surenchérit sur la tripaille et les effets les plus grossiers.

En vomissant sur la matrice, The Descent 2 en devient paradoxalement assez jouissif. Les espoirs sont annihilés dès les premières minutes et on se raccroche à la généreuse idiotie ambiante. En ce sens les scènes gores s’avèrent de vrais petits triomphes, toutes plus outrées et ridicules les unes que les autres. La progression dans le n’importe quoi réserve un dernier quart d’heure assez hallucinant. Accumulant les idées improbables en dépit de toute logique, The Descent 2 se transforme en cartoon à la Tex Avery, sadique et hilarant. On s'attend presque à ce que les héroïnes, à l'instar de l'écureuil fou, dénichent hors-champ une batte de base-ball ou un lavabo, pour bastonner les monstres. Unique vestige de la gloire d’antan, le ténébreux thème musical est usé jusqu’à plus soif, en décalage quasi-total avec le boxon à l’écran. La conclusion promet de surcroît un troisième épisode au potentiel encore plus délirant. The Descent 2 est un maxi nanar auquel on pardonne le crime de lèse-majesté, comme on pardonnerait à un sale gosse farceur mais tellement drôle.


Les Chèvres du Pentagone

de Grant Heslov

La satire antimilitariste. Un genre en soi. Aux USA cela donne M.A.S.H. et Docteur Folamour. En France, ce serait plutôt Les Bidasses en folie et La 7e Compagnie au clair de lune. Admettons. Et réjouissons-nous, car la dernière livraison du corpus nous vient d’Hollywood. Un film de potes, probablement conçu entre deux soirées éthyliques et un abus de LSD, histoire de se mettre dans la peau des personnages. Les Chèvres du Pentagone s’inspire de faits réels et de comment l’armée Américaine a essayé de créer des soldats dotés de pouvoirs parapsychologiques. En usant et en abusant des drogues et des expériences les plus délirantes, les gentils petits G.I. ont fini par péter les plombs. Délire de persécution, addiction, mégalomanie, tout est là. Mais sous la forme d’une comédie burlesque qui vire rapidement au joyeux bordel.

Grâce à des comédiens survoltés et cabotins, Les Chèvres du Pentagone dégage une bonne humeur facile à partager. Entre petites piques bien senties et gags plus directs, le film échafaude une thèse vieille comme le monde : faites la paix, pas la guerre. C’est léger, très léger, mais bien mené, malgré de régulières baisses de régime et un sentiment de trop peu. On se dit que l’on aurait pu aller encore plus loin dans le délire et que le réalisateur ne savait finalement pas trop où il allait. Peu importe, le divertissement est fréquemment réjouissant. La conclusion réunit tout ce petit monde déchiré à l’acide (George Clooney, Ewan McGregor, Jeff Bridges et Kevin Spacey, excusez du peu). Et il ne nous en faut pas plus pour applaudir des deux mains. On manque de comédies de ce calibre.


Shutter Island

de Martin Scorsese

Quelle ne fut pas ma déception de voir Martin Scorsese célébré comme jamais pour ce qui demeure probablement son film le plus faible, Les Infiltrés. Sur une pente chaotique et plutôt descendante depuis bien longtemps (dernière très grande œuvre ? Le Temps de l’innocence en 1993), le réalisateur de Casino nous revient encore une fois avec son giton Leonardo DiCaprio. L’association des deux compères est loin d’avoir engendré des moments clefs du 7e art comme ont pu l’être Mean Streets, Taxi Driver, Raging Bull et Les Affranchis, du temps où la muse se nommait Robert De Niro. C’est donc en traînant les pieds qu’on accoste sur Shutter Island. On est d’autant plus ravi de découvrir un conte noir des plus inattendus.

En rendant hommage à une foultitude de réalisateurs qu’il adore (le Samuel Fuller de Shock Corridor en tête), Scorsese se lance à corps perdu dans une série B à l’ancienne. Sa mise en scène, d’une sophistication extrême, convient à merveille comme enluminure d’un thriller psychologique dans la veine des années 50. A l’image de Richard Kelly reconstituant le cinéma des années 70 avec The Box, Scorsese colle au 50’s comme seuls les Coen de The Barber y étaient parvenus auparavant. Formellement, Shutter Island a la classe, nerveux et peaufiné dans ses moindres détails. C’est cette maîtrise, qui garde pourtant une fraîcheur absente des Infiltrés, qui fait passer la pilule d’un scénario outrancier qui flirte en permanence avec le grotesque.

Flashbacks, traumatismes, coups de théâtre, Shutter Island carbure au vaudeville psychanalytique. Série B oblige, Scorsese se permet toutes les exagérations, donnant à son film des allures de cauchemar hallucinatoire particulièrement crédible. L’auteur ose même des instants de poésie morbide à Dachau, visions irréelles d’une justesse cinématographique inattaquable. Mais l’œuvre ne tiendrait pas debout sans la superbe performance de Leonardo DiCaprio qui trouve ici son meilleur rôle. L’intensité de son jeu, tout en bosses et en creux, culmine dans le dernier quart d’heure qu’il porte entièrement sur ses épaules. La conclusion, glaçante, ajoute une belle ampleur à une œuvre dont l’humilité bienvenue permet de la considérer comme la plus grande réussite de Martin Scorsese depuis fort longtemps.


Valhalla Rising - Le Guerrier silencieux

de Nicolas Winding Refn

Avec la dernière partie de 2001, Stanley Kubrick ouvrait en 1968 la porte à tous les excès du « film trip ». Dès lors, même avec rien à dire, on pouvait allier silences infinis et visions psychédéliques pour mieux combler le vide. Parfois, derrière le néant apparent, la forme dévoile de subtiles et sublimes percées du sens. Bergman, Herzog ou Tarkovski ont parfaitement joué du chavirement des perceptions pour mieux plonger dans l’imaginaire, l’inconscient et souvent appuyer là où cela fait mal. Extrêmement ambitieux, le nouveau film de Nicolas Winding Refn est loin d’être à la hauteur des attentes. Après le génial Bronson, qui, pour le coup, avait beaucoup à dire au-delà de son aspect clinquant, on donnait le bon Dieu sans confession au réalisateur danois. Le coup est d’autant plus rude.

Les vikings ne sont pas des rigolos. C’est un peuple de barbares, barbus de préférence, qui parlent peu et généralement pour asséner des clichés existentiels et métaphysiques (« La mort nous attend », « Nous sommes en Enfer », « Plus on a de dieux, plus on rit », etc…). Et encore, sérieux comme un pape, Valhalla rising ne prête à sourire qu’involontairement. La chose devient inévitable au bout du 10e gros plan sur un viking impassible ou sur l’herbe grise balayée par la brume. Refn se donne du mal, il a pourtant quelque chose à dire sur le poids des religions et de la violence, sur la transmission du mal, sur la fatalité, sur la barbarie. Mais son propos est si classique et limité, qu’on ne s’y accroche jamais. Rien de nouveau dans le monde du glauque.

Il ne reste plus qu’à compter les références qui finissent par bouffer le film. Dans son imitation appliquée des années 70, Refn oublie d’inventer et ne fait que citer, jusqu’à l’ennui. La gadoue de Tarkovksi, les flottements d’Herzog, les poses de Bergman, les filtres de Kubrick (et réciproquement, et l’inverse, et on en oublie…). Forcément, parfois, cela fonctionne. Demander à des acteurs impliqués de faire n’importe quoi en poussant la musique stridente à fond, ça finit par prendre aux tripes. Mais c’est un film de trop et de trop peu. Trop d’ambitions (le découpage en chapitre, totalement surfait) et trop peu d’images marquantes (alors que le film ne repose quasiment que sur celles-ci).

On a le sentiment d’un gros gâchis. Souvent au bord du splendide, le film retombe toujours sur la facilité. Facile de filmer la nature sans même chercher à la magnifier, facile de revenir à un propos basique sur le christianisme, facile de se reposer sur Aguirre, facile d’étirer jusqu’à l’absurde des scènes qui n’en demandaient pas tant (insupportable séquence du drakkar). Valhalla rising apparaît alors comme une œuvre fumeuse, loin d’avoir les moyens (financiers, mais aussi d’inspiration) de ses ambitions. On pardonne à Refn, tout cinéaste a droit à ses faux-pas. Mais celui-ci ennuie autant qu’il fait mal au cœur.


Southland Tales

de Richard Kelly

La fin du monde. Mais avec le sourire. La fin du monde, à regarder droit dans les yeux, sans peur, sans regret. La fin du monde, en tant que fin de soi-même. La mise en abime suprême, fin de soi en tant que fin de toute chose. Accepter la conclusion mais ne pas la rechercher, car « les mecs cool ne se suicident pas ». Southland Tales c’est l’Apocalypse maintenant, celle de notre temps. C’est l’œuvre pop ultime, référentielle, bordélique, branchée sur tous les réseaux à la fois. Southland Tales bouffe Google, Facebook, CNN, Twitter, l’Armée américaine, les Alter-mondialistes, les geeks. Le film de Richard Kelly n’en fait qu’une bouchée, les avale, les digère, sublime amibe, mille fois plus grande que la somme de ses parties.

Au début est le chaos. Un récit de politique et de science-fiction sur lequel on se laisse porter, comme sur une vague de mutilation. Peu à peu se dessine le grand projet de Kelly : non seulement créer un univers, mais le faire exploser dans le même mouvement. Jamais le 7e art n’aura rendu plus bel hommage aux Comics les plus survoltés. Southland Tales, c’est Alan Moore déconstruisant les mythes et la fiction elle-même avec Promethea.

C’est une œuvre drôle, truculente, kitsch et imprévisible. Les codes sont bouleversés, on y érige un catcheur en figure christique (sans le pathos de The Wrestler), on s’émeut d’une pornstar complètement dinde, on transforme Justin Timberlake en évangéliste drogué. Et c’est un crado d’American Pie qui appuie sur le détonateur à la fin. Trop fou, trop énorme, Southland Tales ne s’apprivoise pas, refuse les facilités, se précipite dans tous les sens avec une ironie dévastatrice. Mais de cet effondrement surgit une beauté incroyable, complètement paradoxale, qui n’appartient qu’à la mise en scène de Richard Kelly. La même qui fait de The Box cette magnifique tragédie de science-fiction intimiste.

Cette générosité totale, qui excite les sens tout autant que l’esprit, provoque un enthousiasme irrépressible. On rit beaucoup, on s’étonne, on est bouche bée, on « réagit » devant un film, on avait presque perdu l’habitude de ressentir autant. Absurde paradoxe, une œuvre qui appelle tellement l’expérience en salles n’est distribuée qu’en DVD en France. Un scandale et une broutille. A l’époque où tout est « culte », où tout est « furieusement tendance », généralement pour une fraction de seconde, Southland Tales domine la concurrence, de la tête (bien pleine) et des épaules (bien larges). Lorsque résonne le générique final sur le Tender de Blur, on est heureux comme un môme qui irait pour la première fois au cinéma. Sensation indescriptible, pure jouissance de celui qui vient de retomber amoureux. Richard Kelly est un génie.


Max et les Maximonstres

de Spike Jonze

S’il faut reconnaître un mérite au film de Spike Jonze c’est bien « d’essayer quelque chose ». Peu importe que cela mène ici à un échec, en ces temps de disette, on a de l’indulgence pour celui qui sort un tant soit peu des sentiers battus. Malheureusement Jonze ne va pas jusqu’au bout de ses intentions et sa tentative d’épure narrative tourne court. Pourtant c’était la bonne solution d’adapter a minima un ouvrage pour enfants qui ne fonctionnait qu’à l’évocation psychologique la plus simple. Max fantasme sa part des ténèbres et la projette dans un univers de monstres tendres et menaçants. En ce sens le livre se suffisait sans doute à lui-même, ses illustrations ne demandant aucune animation. Face à cette muraille, Jonze a opté pour la solution de Zack Snyder : coller de plus près aux images, sans avoir peur du kitsch ou du ridicule. Cela donne la meilleure idée du film, des monstres en formes d’hommes grossièrement costumés. Mais le côté poétique de la chose se voit surligné par l’usage d’effets numériques plus ou moins visibles. The Dark Crystal n’avait pas besoin de ces artifices pour nous faire croire à ses créatures.

Une fois Max rendu chez les Maximonstres, Jonze débranche tout et s’ébroue avec ses bestioles. La démonstration que les mômes sont des petits êtres vicieux dans lesquels sommeillent toujours un soldat en puissance et un lâche potentiel est malheureusement trop longue et peu palpitante. Jonze se regarde filmer de jolis plans et nous assomme à coups de musiques, signées Karen O, beaucoup trop envahissantes. La fragilité d’un tel projet ne pouvait supporter tant de faiblesses, la moindre petite aspérité nous faisant sortir de l’œuvre. On est même complètement perturbé d’entendre Tony Soprano (James Gandolfini) prêter sa voix au monstre en chef. On s’attend à l’entendre hurler « Carmella ! » ou partir en gouaille « Hey ! What’ya gonna do ? ». Si on est à ce point hors du film, c’est bien que Spike Jonze a raté sa cible. Max finit bien sûr par revenir chez lui pour le dîner et malgré une dernière scène réussie (car inratable), l’œuvre nous laisse largement sur notre faim. Revoyez plutôt L’Esprit de la ruche, Le Labyrinthe de Pan ou The Fall.


Tous les garçons aiment Mandy Lane

de Jonathan Levine

"Mandy Lane is in my ears and in my eyes, papapadam !" Et oui, tous les garçons kiffent cette dinde de Mandy Lane. C’est comme ça, on n’y peut rien. La demoiselle a beau afficher une moue de gamine capricieuse, arborer le physique type de la bimbo californienne et mettre en avant son Wonderbra, peu importe, les mecs en sont dingues. En même temps nous sommes ici dans le degré zéro du slasher, sous-genre peu réputé pour sa finesse de caractérisation. Les personnages sont réduits à l’état de stéréotypes insupportables, du meilleur ami jaloux au black cool en passant par la blondasse débile. Le film de Jonathan Levine ne parvient même pas à une certaine épure, remplissant son néant d’effets de mise en scène éculés (l’image tremble lors des scènes chocs, ce genre de choses) et de pseudo rebondissements que l’on voit venir des heures à l’avance.

L’ennui survient au bout de 10 minutes et ne cesse de se creuser jusqu’au dénouement, franchement crétin, qui ne parvient même pas à nous décrocher un sourire. Tout aussi nul, le dernier Vendredi 13 en date avait au moins le mérite d’être un vrai nanar et d’enchaîner les moments hilarants avec un rythme plutôt soutenu. Ici, on sent presque pointer des ambitions totalement à côté de la plaque. Un message sur l’adolescence désœuvrée qui se passionne pour les fêtes alcoolisées médiocres et pour la tonte de ses poils intimes. Mais ce n’est pas Supergrave, ni Donnie Darko, ce n’est même pas Halloween, qui compensait l’indigence absolue de son scénario par une mise en scène hallucinante. Là il n’y a rien, juste le vide intense de Mandy Lane, coquille creuse, incarnation paradoxale de la médiocrité d’un genre sinistré.


The Children

de Tom Shankland

Les mouflets sont nos ennemis, il faut les haïr aussi. Offrons-leur des places de choix dans les films d'horreur. Histoire qu'ils payent pour tous leurs hurlements intempestifs, de préférence dans les lieux publics. Pour toutes les épidémies qu’ils nous refilent en douce. Pour toutes leurs bêtises que l’âge n’excuse qu’à peine. Les gosses vont prendre cher ! C’est le mot d’ordre de deux longs-métrages sortis récemment, The Children et Esther. Le premier est un petit budget britannique, vague remake inavoué des Oiseaux, bourré de défauts mais débordant d’une méchanceté réjouissante envers les chérubins. On les massacre, les égorge, les écrabouille dans un festival gore malheureusement trop court. Ne vous inquiétez pas, ils l’avaient bien cherché et d’ailleurs ce sont eux qui ont commencé. C’est vrai, autant on peut embêter raisonnablement les adultes, mais il y a des limites. Par exemple, on ne devrait pas avoir le droit de trépaner son papa, même quand on a cinq ans. Ils ont une excuse, ils sont malades, comme d’habitude, ils se refilent un vilain virus qui les fait gerber partout et devenir à la fois hyper agressifs et tout taciturnes. C’est inquiétant. Le film ne tient pas toutes ses généreuses promesses, la faute en particulier à un scénario un peu paresseux et à des acteurs limites. Pas grave, les moments réjouissants remportent totalement notre adhésion.

Esther

de Jaume Collet-Serra


Encore plus délicieux, Esther est une petite bombe qui reprend le thème classique du môme pervers et cruel, au visage d’ange. Dans le genre mini-gothique, maxi-salope, Esther, du haut de ses 10 ans, se pose un peu là. Un rêve de pédophile, sans doute, que le scénario désamorce de justesse, on vous laisse découvrir comment. Bref, c’est plutôt osé, vraiment méchant, et surtout très ludique grâce au rythme soutenu et à une conclusion bien énervée dans la grande tradition des méchants indestructibles. Contrairement à The Children, l’interprétation est ici excellente, bien supérieure à la moyenne du genre. Il faut dire que Vera Farmiga et Peter Sarsgaard ne sont pas les premiers venus et la jeune Isabelle Fuhrman est assez géniale dans le rôle principal. On sait à quel point les enfants, mal dirigés, peuvent être mauvais comme des cochons. C’est loin d’être le cas ici, et c’est aussi valable pour le personnage de la petite sœur muette, plutôt craquante. Sur un canevas familier, Esther réussit toutes les figures imposées et parvient fréquemment à surprendre. Une vraie réussite.


The Strangers

de Bryan Bertino

Quand un thriller vous annonce d’emblée : "inspiré de faits réels", on se méfie. On a souvent vu cela accolé à des trucs aussi surréalistes que Amityville ou L’Exorciste. Ton réalisme, il fait des choses indécentes en Enfer, tiens, oui ! Dans le cas de The Strangers, c’est bien différent. Des invasions de domicile débouchant sur des crimes sordides, il en arrive tous les jours. Et on croit sans mal aux événements atroces qui affligent un jeune couple qui n’aurait pas dû passer la nuit dans la maison de campagne de beau-papa. On vous le dit depuis des millénaires, les endroits isolés, en particulier entourés par des arbres, ce n’est pas gage de tranquillité mais plutôt du fait que personne, non, personne ne vous entendra crier. La démonstration effectuée par le film de Bryan Bertino est particulièrement convaincante. C’est une longue torture psychologique, pour les protagonistes et pour le spectateur, qui culmine sur une conclusion aussi cruelle qu’absurde. L’effroi ressenti n’en est que plus intense. La gratuité du geste, son aspect mécanique, où l’on ne ressent ni plaisir, ni message, juste une froideur proche du déterminisme, est assez insoutenable.

C’est la grande force de The Strangers : l’implacable déroulement d’un fait divers qui dépasse notre compréhension. L’œuvre n’est pas exempte de défauts et repose parfois sur les ressorts les plus usités. Mais le calvaire fait mouche, car il ne juge pas, ne donne aucune leçon et s’expose dans un minimalisme peu à peu insoutenable. Que retenir d’une telle souffrance des deux côtés de l’écran ? Et bien qu’on n’est jamais trop prudent, sans doute. Que le mal ne s’explique pas, probablement. Que Liv Tyler est une bonne actrice, plus étonnant. Et que s’isoler, la nuit, dans la forêt, même entre quatre murs, n’est jamais une super idée, évidemment…


Midnight Meat Train

de Ryuhei Kitamura

On est toujours surpris par la faculté du cinéma d’horreur à prendre au sérieux des concepts à la con. Nouvel exemple avec Midnight Meat Train, qui annonce, dès son titre, un projet aussi grand-guignolesque que rigolo. Quand on sait que c’est ce grand coquin de Clive Barker qui a signé l’histoire originale, on se doute que l’on va avoir droit à de l’équarrissage en règle. Forcément, ça ne loupe pas. En ce sens, le film réserve son lot de scènes vraiment immondes, malheureusement (?) affadies par l’utilisation excessive d’effets numériques un peu ridicules. Le sang n’existe pas et semble tout droit sorti d’un jeu vidéo. C’est dommage, tant le boucher en chef, campé par Vinnie Jones idéalement monolithique, est tout ce qu’il y a de plus incarné.

Quand Midnight Meat Train se concentre sur les ténèbres du métro et les horreurs qui y grouillent, il s’inscrit dans la plus belle tradition du cinéma beurk et oppressant. Malheureusement, il faut aussi se fader les interminables tourments d’un photographe et de sa gueuse, tous deux atteints du syndrome de l’endive bouillie. Mais le réalisateur, Ryuhei Kitamura (bien calmé depuis le fatigant Versus), sait reprendre les choses en main et distille à la fois les scènes choc et les ambiances glauques avec ce qu’il faut de doigté. Le délirant final, prévisible mais très amusant, nous rappelle que nous sommes davantage dans la charcuterie en gros que dans le menu gourmet, mais peu importe. On voulait de l’horreur à l’ancienne, on a été servi, avec double portion de tripes de porc et de gésiers de dinde. Miam miam.


[Rec] 2

de Jaume Balaguero et Paco Plaza

Un film d’une heure et vingt minutes, ça fait toujours plaisir. Ca fait du bien, ça apaise. Sauf quand même une si courte durée semble interminable. Comment est-ce possible ? Mais en mêlant l’inutile au désagréable, bien sûr. J’écrivais il y a un peu plus de deux ans tout l’amour que j’avais pour [Rec], formidable petit film d’horreur aussi terrifiant qu’amusant. Fort d’un succès surprise et mérité, Jaume Balaguero et Paco Plaza ont cédé à la facilité et à la suite signée dans la précipitation. Histoire de capitaliser à l’américaine. Résultat : une sorte de coda bêtasse, à mi-chemin entre l’auto remake et les idées saugrenues.

[Rec] 2 avance ainsi n’importe comment, enchaînant les invraisemblances grossières et les absurdités, confondant énergie et hystérie, jusqu’au dénouement décevant. Peu importe que le scénario aille jouer dans la cour de L’Exorciste, après tout, pourquoi pas ? Le cinéma hispanique ne peut se départir des influences catholiques qui font fréquemment sa force. Mais ici on reste au degré zéro du discours religieux. Le véritable intérêt de cette suite (le seul ?) serait sa faculté à assumer, encore plus pleinement que le premier opus, son tribut aux jeux vidéo. FPS et survival horror sont en ligne de mire. Si vous ne connaissez pas ces termes c’est que vous êtes probablement trop vieux pour ces conneries. J’expliquais, au moment de la sortie du premier [Rec], qu’il s’agissait de la première adaptation réussie de l’univers de Resident Evil et de Silent Hill. Avec [Rec] 2 on est davantage du côté bourrin et djeunz, c’est House of the Dead ou F.E.A.R. deuxième du nom. Avec des sursauts bien calculés, des tunnels prévisibles et des rebondissements toujours grotesques. Les diverses utilisations des caméras portées ou de l’infrarouge sont toutes plus forcées les unes que les autres. Le changement de point de vue au milieu du métrage, complètement ridicule, nous fait sortir d’une œuvre déjà bancale. La fin nous annonce un [Rec] 3 avec insistance et seul un drastique bouleversement du concept, ici complètement exsangue, pourrait sauver un tel projet…


Fantastic Mr. Fox

de Wes Anderson

Wes Anderson est un poseur, un spécialiste du cinéma apprêté et artificiel, monté et mis en scène comme un petit théâtre de marionnettes. C’est donc sans surprise que Fantastic Mr. Fox s’affirme comme son meilleur film, l’auteur semble avoir trouvé là exactement le sujet et la technique qui lui convenaient. D’une beauté (certes orangée) à couper le souffle, l’œuvre est une petite sucrerie rythmée et ironique, définitivement charmante même si loin d’être parfaite. On retrouve ainsi les travers habituels d’Anderson, qui a toujours autant de mal à décrire des personnages attachants qui dépassent le cadre de l’ébauche. Cependant, ses efforts n’ont jamais autant porté leurs fruits et les quatre ou cinq principaux protagonistes se détachent sans mal d’une galerie de bestioles secondaires complètement bâclées malgré un casting vocal tout bonnement incroyable (de George Clooney à Willem Dafoe en passant par Meryl Streep et Bill Murray).

Anderson peut remercier Roald Dahl, qui lui fournit une charpente inébranlable. Fantastic Mr. Fox n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’abandonne totalement à la comptine, sur une sélection musicale comme toujours sublime (les Beach Boys par deux fois, par exemple, et une intervention exclusive de Jarvis Cocker, excusez du peu). Le problème essentiel du film tient peut-être en sa nature schizophrénique, qui le rend un peu trop distancié pour les mômes et trop léger pour les adultes. Il est par ailleurs très difficile de ne pas avoir en tête Wallace et Gromit et Chicken Run, dont Wes Anderson reprend des pans entiers, sans que l’on sache très bien s’il s’agit d’hommage ou de pompage sans vergogne.

Pourtant le plaisir, simple et futile, est bien présent. On passe un agréable moment et on admire la technique impeccable de l’œuvre. On sourit souvent, on note quelques très belles scènes (l’apparition d’un loup lointain en particulier) et on pardonne les longueurs (le film ne sait jamais quand finir). Devant ce bon petit divertissement, une chose est sûre : Wes Anderson doit continuer dans l’animation, il a trouvé sa voie !


A Serious Man

de Joel et Ethan Coen

On attend toujours trop d’un film des frères Coen. Et ce n’est pas un mal, car ils font partie de ces cinéastes sur lesquels on peut fonder des espoirs immenses sans craindre d’être déçu. Même dans leurs œuvres les plus mineures, les Coen préservent leur sens extraordinaire de la mise en scène et leur vision du monde pleine d’humour et de pessimisme. Après un Burn after reading en forme de récréation à la Ladykillers, on s’attendait à un film plus sombre et acerbe. C’est bien le cas avec A Serious Man, malheureusement aussi précis que vain.

Pourtant tout commençait pour le mieux avec une introduction, sans véritable rapport avec le reste du film, qui se suffit à elle-même en tant que court-métrage magnifique, sorte de synthèse de tout ce que l’on aime chez les frangins. L’enchaînement avec un générique d’ouverture époustouflant ne peut que rassurer : ça va être bien. Et balancer Somebody to love de Jefferson Airplane à fond les enceintes, c’est toujours un gage d’efficacité (qu’on se souvienne du flash back acidifié de Las Vegas Parano). C’est d’ailleurs tellement imparable que l’utilisation du morceau va symboliser le manque d’inspiration des Coen, réduits à s’en servir de gimmick drôle ou tonitruant pour réveiller l’attention du spectateur.

Car A Serious Man raconte, en mode discret, exactement la même chose que d’habitude : l’homme face à l’absurdité de l’existence. Rien de bien nouveau, donc, mais il manque ici la puissance d’un No country for old men, la profondeur de Barton Fink et de The Barber ou même l’énergie bordélique d’un Ladykillers et d’Arizona Junior. Certes, les cinéastes ne s’étaient jamais situés aussi clairement dans leur communauté, préférant le microcosme à l’universalité de leurs chefs-d’œuvre. A Serious Man apparaît ainsi comme très personnel et en même temps plutôt autiste, ressassant des thèmes, des personnages, des situations, des gags, que l’on connaît déjà par cœur.

Certes, la qualité première des Coen est présente : la mise en scène est renversante. La photographie de Roger Deakins est toujours aussi sublime. Dans la forme, il n’y a rien à redire. Il y a même la traditionnelle fin ouverte, joliment bizarre. Mais aussi belle qu’elle soit, elle ne fait que souligner la vacuité de l’œuvre. Ce que les Coen ont à dire sur la vie, le couple, la religion, les relations humaines en général n’est guère neuf et surtout ce n’est jamais conté de manière passionnante. Le film parle beaucoup mais fait rarement mouche. On s’ennuie poliment, dans un decrescendo attristant. Malgré tout, on pardonne le faux-pas, ces deux-là parviennent toujours à rebondir et à poursuivre l’une des filmographies les plus admirables de notre temps.


The Invention of lying

de Ricky Gervais et Matthew Robinson

Une bonne idée suffit-elle à faire un bon film ? La question n’est pas neuve et il est avéré depuis longtemps qu’un excellent concept peut s’épuiser très vite s’il n’y a pas de quoi relancer l’intérêt du spectateur durant 1h30-2h. Tant de longs-métrages qui n’auraient du rester qu’au stade du court… Dernier exemple en date, The Invention of lying, film très embarrassant qui déclenche à la fois la sympathie sans retenue et déçoit sur la durée.

Un film écrit, mis en scène et interprété par Ricky Gervais, c’est un peu un rêve qui devient réalité. Ricky Gervais, pour les iconoclastes qui ne connaîtrait pas encore, c’est le plus grand comique de notre temps. Un bonhomme qui mise tout sur un mélange d’antipathie adorable, de médiocrité humaine, de logorrhée décalée et de silences gênants. Découvert par son incroyable personnage de David Brent dans la version originale (et britannique) de The Office, Ricky Gervais ne cesse de recycler son humour très particulier à la moindre occasion. Il n’est jamais loin d’épuiser le filon et le passage à un long-métrage entièrement dédié à sa gloire peut effrayer. On a ainsi en mémoire le très attachant mais finalement très anodin, Ghost Town, sorti en salles en 2009.

Si Ghost Town reposait sur une idée toute conne mais très efficace (un paumé est le seul à pouvoir communiquer avec les fantômes qui nous entourent), The Invention of lying ne va guère plus loin (un paumé est le seul à pouvoir mentir dans un univers où tout le monde dit la vérité). Le début du film est totalement réjouissant, débordant de méchancetés et de cynisme. Ensuite, l’œuvre s’étale un peu trop, épuisant des passages pourtant formidables (inventer le mensonge revient à inventer la religion) et s’effondrant dans la partie romantique à laquelle on a du mal à adhérer totalement.

Heureusement, il y a Ricky Gervais, mais malheureusement il ne nous dévoile rien que l’on ne connaissait déjà. Oui, on sait que dans son personnage de gros nul égoïste se cache un cœur encore plus gros. Mais il manque ici ce qui faisait de The Office un écrin si génial à cet humour. On adorait détester David Brent, irrécupérable pauvre type. Là, Ricky Gervais est immédiatement attachant, le film est un véhicule pour le transformer en nouveau Tom Hanks, roi de la comédie romantique tout public. Et en même temps, le côté vachard de l’œuvre et ses pointes d’anticléricalisme façon La Vie de Brian, l’entraîne trop loin de la ménagère de moins de 50 ans, aisément choquée par autant d’esprit frondeur. Lorsqu’on est un indécrottable fan de Gervais, sa vie, son œuvre, The Invention of lying offre un bon petit plaisir, une agréable dose de son idole. Pour les autres, le bonheur risque de se déliter doucement, mais sûrement.


The Box

de Richard Kelly

Est-il trop tard pour bien faire ? On pourrait me reprocher de venir vous parler du meilleur film de 2009 en plein mois de janvier 2010. On pourrait me blâmer de vous encourager à découvrir une œuvre qui n’est même plus diffusée dans nos salles. A l’heure où il faut tout dire au plus vite, et de préférence de travers car la précipitation est souvent mauvaise conseillère, on pourrait me condamner pour avoir pris mon temps. Il faut avouer que je n’attendais rien de The Box, ou du moins pas grand-chose, et ce n’est que poussé par certains bons conseillers que je me suis penché sur le dernier bébé du cinéaste Richard Kelly, dont le premier film (Donnie Darko) m’avait poliment laissé de marbre.

Dès les premières minutes, c’est le choc. Esthétique tout d’abord, jamais les années 70 n’avaient été aussi bien recréées. C’est un rêve de gosse. On y retrouve la même lumière, les mêmes cadres, la même ambiance visuelle que dans ces thrillers improbables qu’on regardait en cachette. Cela pourrait être le petit frère perdu de L’Exorciste, le double maléfique de Pulsions, le modeste cousin banlieusard de Shining. Mais c’est en fait l’enfant miraculeux de David Lynch et David Cronenberg. La perspective de voir les deux tourmentés fusionner leurs substances pour engendrer un rejeton détraqué peut effrayer certains. Avec The Box c’est un fantasme qui se réalise. Sans décevoir une seule seconde.

Sur des bases héritées d’une courte nouvelle de Richard Matheson et dans un contexte que ne renierait pas La Quatrième dimension, Richard Kelly déploie la plus inquiétante étrangeté qu’on ait vue depuis bien longtemps. C’est Mulholland Drive en plus accessible, c’est History of violence en plus bizarre. Mais avant tout c’est un sublime thriller de science-fiction, qui ne cesse d’ouvrir des pièges, de flirter avec les impasses pour mieux les contourner par des portes invisibles. The Box est un délice des sens, une sucrerie pour la raison. Mais sous la surface se joue une tragédie de SF, un drame horrifique, une étude sociologique à cheval entre l’intime et l’infiniment grand.

Loin de moi l’envie de vous révéler quoi que ce soit sur l’histoire. The Box, voilà tout ce que vous devez savoir. Un cube, une boîte, une abstraction. Au bout du compte ? Peut-être le vide, une chimère, une simple histoire pour faire peur, un cauchemar d’enfant. Le film s’épanouit comme un conte mi-futuriste, mi-obsolète, doux et angoissant. En son cœur, la beauté irrégulière de Cameron Diaz, dans son meilleur rôle, irradie d’une mélancolie fragile. The Box est un murmure de cinéma.


Avatar

de James Cameron

Derrière le nouveau plus grand succès de tous les temps, derrière le phénomène de société qu’est devenu le premier film en 3D à toucher autant de spectateurs,  y a-t-il un film ? Une œuvre peut-elle respirer derrière l’avalanche médiatique, derrière la profusion des chiffres ? On ne parle que de millions de spectateurs, de milliards de dollars de recettes. On ne voit presque plus James Cameron battant son propre record, obtenu avec Titanic, en un peu plus d’un mois, là où tant d’autres se sont cassés les dents depuis 1997. Trop. Avatar en fait trop. Au risque de dégoûter. Pourtant, là, au fond de la troisième dimension, dans cette profondeur de champ inédite, palpite une petite graine lumineuse, celle du 7e art.

Sur les bases d’une histoire et de personnages on ne peut plus classiques, Cameron tisse sa toile. Son ambition ? Relire Ghost in the shell à l’aune d’un panthéisme héritée du Nouveau Monde de Terrence Malick. Tous unis dans le grand réseau de la nature. Ce n’est plus Pocahontas, c’est presque Le Roi Lion, mais c’est un autre univers, un nouveau paradigme. Dans les câbles des racines, la mort n’existe plus, chacun est un écho virtuel, près à habiter un avatar accueillant. Plus grand, plus fort, l’humain joue à son World of Warcraft dans la jungle. Pour de vrai. Dans l’artifice absolu d’une authenticité générée par des processeurs. Les mises en abyme se percutent et s’absorbent.

La réalité n’est vraiment plus ce qu’elle était. Une nouvelle étape, avant la grande plongée promise dans Ghost in the shell ? Bientôt les prises USB dans la nuque, pour se noyer dans Pandora et y courir à la place de Jake Sully. Nos corps dans des caissons, simili cercueils. Plongés dans un sommeil sans fin, pas vraiment morts, faussement vivants, perdus dans les songes. Certes, Cameron s’ébroue dans le rêve bleu, son grand fantasme coloré, hérité de l’esthétique des années 80. A force de filtres et de néons azurés, tout a déteint sur les êtres. C’est le cauchemar bleu de l’Antre de la folie, avec ce qu’il faut de grands sentiments, de belles romances, de puissants combats. Mais derrière l’artifice, ce que nous effleurons est tout autre. La bataille de la troisième dimension a été remportée, celle de la quatrième ne fait que commencer !


In the air

de Jason Reitman

Son premier effort avait fait illusion le temps de la projection. Après tout, c’était sympathique Thank you for smoking, même si le souvenir qu’il nous en reste devient de plus en plus vague au fil des années. On se rappelle avoir passé un bon moment. Rigolo. Sans plus. Mais dès son machin suivant, le mochissime Juno, le fiston d'Ivan Reitman avait dévoilé son vrai visage : celui d’un gentil démagogue, poliment réactionnaire, usant de bons mots comme autant de rustines sur ses histoires clichées et ses personnages insupportables.

Rebelote avec In the air, une comédie romantique qui se coltine un lourdingue commentaire sociologique pour mieux colmater les brèches. Le film est moins déplaisant que Juno, grâce au duo assez charmant que forment George Clooney et Anna Kendrick. Néanmoins, l’ensemble demeure cousu de fil blanc et assène des poncifs sur la vie, l’amour (mais pas les vaches), mais aussi la crise économique et le capitalisme, car, après tout, c’est de sa faute à lui, le méchant, si on est seul, si on rate nos vies, sans amis, sans famille. Bouh, le vilain !

C’est dommage, car on n’est pas forcément contre le propos (plus ou moins inattaquable dans ses grandes lignes), mais Jason Reitman ne quitte jamais ses gros sabots. Il ne parvient à attiser l’attention que dans les dernières minutes, un peu maladroites mais assez touchantes. C’est bien peu.


Shirin

d'Abbas Kiarostami

Shirin, le nouveau film d'Abbas Kiarostami se présente, comme souvent avec le réalisateur iranien, sous la forme d'un dispositif aussi fascinant qu'insoutenable pour beaucoup de spectateurs. Durant 1h30, il s'agit d'une succession de plans de 15 secondes sur des visages de femmes voilées en train de regarder un film. En off nous écoutons avec elle l'histoire de Shirin, future princesse, mais avant tout amoureuse au destin tragique. Le récit en lui-même est touchant et interprété avec intensité, avec force bruitages et musique lyrique.

Mais le véritable intérêt de l'œuvre réside dans ces femmes, toutes sublimes, dont les émotions se lisent avec une saisissante vérité. Shirin est un hymne à la splendeur féminine, aussi bien physique que spirituelle. Cette beauté se dévoile à la fois au travers de la mise en abyme de l'art cinématographique (les spectateurs contemplent les spectatrices) et à la fois dans la durée de l'expérience. Ne le cachons pas, Shirin est une œuvre extrêmement exigeante, dont la splendeur culmine dans les dernières minutes. Devant tous ces regards d'où perlent des larmes, nous sommes entraînés, presque malgré nous, dans le même état de bouleversement. On ressort de la salle les yeux humides, avec le sentiment léger, mais indéniable, d'avoir effleuré la grâce.

 
 
 
 
 
 
 
 
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