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        Je ne tiens pas ici à faire un commentaire scolaire du chef-d'œuvre d'Emily Brontë. Les étudiants en lettres s'en chargent bien mieux que je ne pourrais le faire. Et de toute façon, face à une œuvre aussi épidermique et vivante, il est bien difficile d'enfermer le texte dans une quelconque rationalisation. Que l'un des romans d'amour les plus cruels et les plus violents de l'histoire de la littérature soit l'œuvre d'une femme n'a rien d'étonnant. Car les Hauts de Hurle-Vent respire la souffrance et la brutalité qui se cachent souvent au cœur des Dames. Il est facile de dire que c'est à l'homme que revient l'essentiel du pessimisme, de la frustration et de la tentation de la violence. Ce serait nier qu'en chacun de nous il y a des caractères à la fois féminins et masculins. Et c'est en réconciliant nos diverses tendances que nous trouvons la sagesse créatrice d'où naisse les chefs-d'œuvre.

        Si pour le commun des mortels cette conciliation est souvent bien problématique, nul doute qu'Emily Brontë l'avait accomplit. Bien loin des clichés et avec un style d'une éternelle modernité, elle bouscule les conventions du drame passionnel pour y chercher ce que l'on ne cesse d'oublier, d'occulter, de nier. Les héros des Hauts de Hurle-Vent héritent ainsi d'une humanité et d'une finesse inédites. A la fois attachants, détestables, prévisibles, surprenants, ils sont tous vivants. Le récit ne se construit presque entièrement que sous la forme de flash-backs et de retranscriptions de discours, comme un empilement de sens autour de faits que l'on ne connaît jamais dans leur objectivité. Cela n'empêche par l'auteur de donner à son histoire un rythme proche du suspens ; de la première à la faussement apaisante dernière phrase du livre, l'intensité du récit ne faiblit jamais. Nous sommes happés, brutalisés, choqués par les drames qui se jouent à chaque paragraphe.

        Le génie d'Emily Brontë tient aussi à avoir concilié drame amoureux retenu et débordement de violence émotionnelle. Les Hauts de Hurle-Vent ne cesse d'être au bord du gouffre, avec pour preuve le flirt du récit avec le Fantastique. Qui n'a pas eu l'impression à un moment ou à un autre de la lecture de se retrouver au cœur d'une histoire d'épouvante ? Le spectre de Catherine, pourtant bien absent du livre, hante l'histoire de la première à la dernière page. N'est-ce pas lui qui s'exprime dans la très belle chanson de Kate Bush ? Contrairement à ce que nous dit la conclusion, la paix du cimetière ne peut nous faire oublier les tourments effroyables que les âmes ont subi durant leur vie. L'auteur a beau pendant tout le livre adopter un point de vue détaché, froid, presque d'historien, sur ce qui est conté, la violence du récit nous saisit d'autant plus.

        En évitant tous les effets faciles, en se gardant bien de décrire les scènes les plus brutales, en refusant le sensationnel, l'esbroufe, le lyrisme et le mielleux, Emily Brontë a trouvé le style idéal pour assurer à son roman l'éternité. Aujourd'hui on pourra mettre toutes les scènes pornographiques, toutes les idées choquantes, tous le sang, toute la vulgarité que l'on veut, on n'atteindra pas le millième de l'intensité des Hauts de Hurle-Vent. Le seul roman qui arrive à vous faire chavirer à chaque lecture, comme un coup de poignard dans le cœur.

        Bien sûr, je ne peux pas parler du roman sans évoquer Heathcliff, l'un des personnages les plus complexes de toute l'histoire de la littérature. Au fil du texte, on le plaint, on l'aime, on le hait, on le craint, on l'admire, on le méprise, on le comprend, il nous surprend, jamais on ne sait comment aborder cet anti-héros qui ne perd jamais de son mystère. Heathcliff est aussi, par moments, un personnage Fantastique, comme surnaturel, le fantôme qui hante le Hurle-Vent plus sûrement encore que Catherine. On pourra disserter pendant des pages sur Heathcliff sans jamais pouvoir en tracer un portrait satisfaisant. Car Emily Brontë nous l'a décrit de manière à ce qu'il s'échappe des cadres du roman même et vive au-delà de ce qui nous est conté sur lui. Car on ne sait finalement que bien peu de choses sur Heathcliff, lui qui part sans prévenir, qui est là tout en étant absent et absent même dans sa présence. On ne sait finalement rien de ce qui se passe à l'intérieur de lui, et plus les tourments le gagnent plus il se cache, plus il s'enferme dans une folie dont on ne saura jamais la véritable fin. La magie d'Heathcliff est d'être le cœur du roman tout en étant le personnage le plus insaisissable.

        Les Hauts de Hurle-Vent est un livre qui parvient à la fois à nous faire pleurer, à nous effrayer, à nous passionner, à nous émerveiller, à nous amuser, sans que jamais l'on se dise que l'auteur a recours à des procédés "faciles", à des clichés ou à la banalité totale. Originale dans ce qu'elle nous conte et dans la manière dont elle le fait, Emily Brontë nous bouleverse sans cesse. On navigue entre rêve et cauchemar, poursuivi par le destin qui vampirise les personnages, écrasé par le poids d'une souffrance qui donne envie de hurler face au vent ou même carrément en pleine lecture (ce qui fait toujours très peur à votre conjoint, à vos amis ou dans les bibliothèques). Les Hauts de Hurle-Vent est l'une des histoires d'amour les plus sombres et l'une des plus touchantes qui aient été contées. C'est aussi l'un des mes livres de chevet depuis fort longtemps et je suis persuadé que jamais il ne me quittera. Le plus grand des mes grands classiques.


Disponible dans un grand nombre d'éditions. On pourra conseiller la version originale en anglais : Wuthering Heights.

Les traductions françaises sont souvent très réussies. La plus classiques est celle du Livre de Poche, et c'est elle qui a marqué des générations de lecteur. On pourra aussi se tourner vers la nouvelle traduction évidement très pointue chez GF sous le nom de Hurlevent des Monts.

 
 
 
 
 
 
 
 
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