Bioshock Infinite
La série Bioshock fait office, depuis son premier opus, de « blockbuster d'auteur » dans le monde du jeu vidéo. La sortie événementielle du troisième volet confirme sa place à part. Véritable Cheval de Troie, Bioshock Infinite se revêt des oripeaux du genre roi pour gamers, le FPS (tir en vue subjective) et accepte sans détour les règles du marketing dominant. Des news dans tous les sens, du teasing épuisant, une jaquette moche, des éditions collector inutiles, des concours, des inondations de réseaux sociaux... La totale. Le jeu en lui-même concède donc beaucoup au grand public. Linéaire, extrêmement facile en mode normal, peu avare en gore et en boum-boum bourrin, de prime abord tout ce qui excite les rageux de la gâchette répond à l'appel.
Pourtant Bioshock Infinite ne s'effondre jamais sous le poids du business. Il fléchit un peu, certes, en particulier parce que, contrairement au premier opus, il ne s'agit pas d'un très bon FPS. Si on choisit la difficulté la plus élevée, le challenge s'avère relevé mais rarement passionnant. On ne vient pas à Bioshock pour tuer, d'ailleurs le jeu lui-même ne cesse de remettre en question les pulsions guerrières de son anti-héros. Car on vient à Bioshock pour une histoire et un univers. A ce niveau, Infinite est le digne successeur du premier volet. Il en reprend les grandes lignes pour mieux les bousculer. L'uchronie qui forme la base du scénario est peu à peu complexifiée jusqu'à donner le vertige lors de deux dernières heures, plus proches du film interactif que du FPS annoncé. Le tour de force étant bien sûr de ne frustrer personne, ni les obsédés des gunfights, ni ceux qui voulaient une aventure de science-fiction d'exception.
On joue à Bioshock pour ses personnages et ses surprises, pour ses innombrables détails et ses questions sans réponse. On joue à Bioshock pour ses technologies improbables et néanmoins crédibles, pour son humour noir cohabitant avec un sérieux à tout épreuve. On joue surtout à Bioshock pour sa faculté à bousculer le joueur, à le mettre face à des sujets rarement abordés dans les jeux grand public. Justification de la violence, totalitarisme, fanatisme, racisme, misogynie, inégalités sociales, abus de la science, les thèmes sont puissants et généralement amenés avec ce qu'il faut d'évidence et de nuance. Refusant le manichéisme, Infinite renvoie dos à dos toutes les brutalités et dépeint une humanité telle qu'en elle-même, où ne surnagent que quelques bribes d'espoir.
Bien sûr, l'aspect ludique est quand même présent, et si certains points ne sont pas forcément exaltants (le tir, l'exploration réduite au minimum), d'autres forcent le respect. C'est particulièrement le cas en ce qui concerne le personnage d'Elizabeth, enfin un compagnon au comportement plus réaliste et moins incohérent. Elle semble vivre sa propre existence à nos côtés. Même si c'est encore loin d'être parfait, il s'agit d'un grand pas dans la bonne direction. Ce qui ne peut que renforcer l'implication émotionnelle requise par l'histoire. Comme le souligne la conclusion, à la fois épique et symbolique, qui refuse les schémas traditionnels. Certains pourront être déçus, mais les réactions semblent moins tranchées qu'à l'époque de Mass Effect 3 qui secouait déjà les habitudes. Preuve qu'il est possible de réaliser des jeux vidéo à gros budget sans sacrifier l'exigence artistique. C'est ainsi qu'il faut célébrer Bioshock Infinite, comme le modèle à suivre et non pas comme une race en voie de disparition.
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Injustice : Gods Among Us
L'univers DC Comics en jeux vidéo, c'est un peu comme au cinéma, ce n'est guère mémorable sauf lorsqu'il s'agit de Batman. Et encore, lui aussi a connu ses déconvenues sur les deux médias. De mémoire récente, difficile de ne pas penser aux réussites de Arkham Asylum et Arkham City, deux excellentes adaptations sachant à la fois ménager le ludisme tout en abreuvant les fans de références aux Comics. Mais comme les super-héros ne savent rien faire de mieux que de s'envoyer des coups dans la figure, il fallait réessayer le jeu de combat pur et dur. Après un très raide et très ennuyeux DC VS Mortal Kombat, on remet ça avec cet Injustice assez soigné.
Une application qui atteint bien vite ses limites quand on se penche sur l'histoire servant de prétexte à l'enchaînement des mandales. Très pataude, pas bien originale, d'une brutalité confinant parfois à la bêtise, elle n'est qu'un vague cache-misère et va jusqu'à bafouer sans vergogne certaines règles de l'univers DC, sous couvert de monde parallèle, bien pratique dès qu'il s'agit de raconter n'importe quoi. Quelques outrances sont expliquées de justesse (ce n'est pas le vrai Nightwing qui est passé du « côté obscur ») pour mieux plonger les deux pieds dans le n'importe quoi (Damian Wayne est donc Nightwing... euh... WTF, comme disent les jeunes). C'est donc du rafistolage grossier permettant aux 26 personnages invités à la fête de faire leur petite apparition. Injustice se rêve événement mémorable, à la Infinite Crisis, il n'est qu'un « one shot » bas de plafond. On reconnaîtra juste que le mode solo offre une durée de vie fort rare dans le genre et essaie tant bien que mal de tenir debout malgré tout.
Tout aussi douteux sont les designs proposés. Dérivés de ceux de la continuité actuelle (dite « New 52 », si vous ne connaissez pas je m'excuse, mais il me faudrait une dizaine de pages pour vous expliquer), ils sont surtout calqués sur le costume du Batman de Nolan, très angulaire et surchargé en plaques de métal biscornues. Ce n'est pas le cas pour tout le monde, fort heureusement, mais c'est la laideur qui domine. Pas de simplicité, comme si pour en mettre plein la vue, il fallait absolument en rajouter à chaque pixel. Ce n'est pas catastrophique (quoique Wonder Woman fasse peine à voir), mais ça pourra déconcentrer certains fans venus admirer leurs héros favoris.
De même, le casting ménage à la fois les incontournables tout en laissant une bonne place aux sous-fifres. Histoire de ne pas trop favoriser des univers pourtant assez inévitables, on ne retrouvera pas certains antagonistes cultes de Batman et de Superman. C'est mignon d'être allé chercher Cyborg (pour le quota boum-boum) ou Killer Frost (pour avoir un clone du Sub-Zero de Mortal Kombat), mais si c'est pour nous priver de Martian Manhunter, Batwoman, Brainiac, L'Epouvantail, Power Girl, Poison Ivy, Supergirl, Zatanna, ou The Cheetah, franchement c'était pas la peine. On imagine déjà que certains d'entre eux seront prochainement à acheter et télécharger en supplément.
Quoiqu'il en soit, ceux qui sont présents assurent un spectacle bien bourrin, dans des environnements réussis qui offrent ce qu'on est en droit d'attendre d'un jeu de combat. Des trucs à casser, des bidules à ramasser pour les jeter brutalement sur l'adversaire, des zones diverses, des animations un peu partout, visuellement Injustice accomplit son travail. Niveau techniques de combat, c'est du classique aussi, avec ce qu'il faut d'enchaînements, de parades et de coups spéciaux excessifs. Des défis divers et pas forcément très intéressants viennent allonger la durée de vie en solo. Sans parler de débloquer divers gadgets et autres images pour aller briller en ligne. Les fans du genre devraient y trouver leur compte, nul doute à cela.
Pour le fan de DC, c'est déjà plus discutable, même s'il y a toujours un certain plaisir à voir des personnages, parfois un peu mal aimés, prendre leur revanche. Il suffit de constater l'excellence au combat d'Aquaman pour comprendre que le jeu a été conçu par des gens qui ont dépassé le stade de Superman et Batman. Reste qu'on préférerait un autre genre de jeu pour rendre justice à tout ce petit monde. Pas un multiplayer online, non, un jeu solo avec de l'action, un peu d'aventure, un peu de RPG, faire des équipes, de héros comme de méchants, le tout dans un monde ouvert. Le GTA de DC Comics, ou tout simplement une extension de la réussite d'Arkham City. On y revient donc.
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