Bayonetta

Qu'est-ce que le plaisir vidéoludique ? J'ai déjà parlé ailleurs du jeu vidéo en tant qu'incontestable forme d'art, que ce soit à l'occasion de Bioshock ou de Skies of Arcadia, mais il ne faut jamais oublier que nous sommes aussi là pour... jouer. Cette dimension ludique, logiquement, est à la base de l'existence des jeux vidéo, c'est dans leur essence, dans leur nom même. Une évidence qui les dessert encore aujourd'hui, tant certains esprits contrits leur nient toute possibilité d'élévation, comme si on ne disait du cinéma qu'il ne devait que divertir sans pouvoir prétendre à d'autres dimensions. Le juste milieu entre jeu et attisement de la pensée n’est pas forcément l’idéal à atteindre. Comme on ne se nourrit pas que de films de Tarkovski, ni que de films de Michael Bay, il faut varier les plaisirs. Prenons l’exemple de Bayonetta.

C’est un chef-d’œuvre, n’y allons pas par quatre chemins. Une sorte d’association fantasmée entre la japanimation la plus connotée et le Quentin Tarantino de Kill Bill. L’héroïne est une sorcière, mais peu importe. Elle n’est là que pour nous donner le plaisir d’incarner une sorte de dominatrice SM à lunettes (important, ça, les lunettes) dotée de tous les super pouvoirs nécessaires. Pan ! Pan ! Pan ! Boum et reBoum ! Et Paf ! Jusqu’à l’abstraction. L’ouverture du jeu est en ce sens un vrai moment de panique. Serions-nous trop vieux ? Cela va trop vite et cela va trop fort. Une chute libre apocalyptique, qui explose et qui inonde. On n’y comprend pas grand-chose et on appuie sur tous les boutons. Le retour du refoulé vidéoludique. Le cri primal du beat ‘em all.

Mais contrairement à bon nombre de jeux de baston, pianoter frénétiquement n’est pas la bonne solution pour espérer tailler son chemin dans l’univers de Bayonetta. Entre les QTE, les arènes bondées et les boss mugissants, il faut parfois savoir ce qu’on fait. Pas facile, tant l’un des principaux but de l’œuvre est probablement de nous déconcentrer. Par l’avalanche de violence, les giclées de sang, les mises à mort théâtrales. Par la musique délirante, une J-Pop triomphante, qui fait penser aux exactions de Hit Girl dans Kick-Ass. Par la grâce outrée, la félinité improbable de Bayonetta, avant tout.

Miroir étrange et merveilleux du jeu vidéo, qui nous incarne en nos fantasmes. On fait corps avec Bayonetta, sorte de Jessica Rabbit énervée, on est elle comme on pourrait la désirer. Alors qu’elle n’est que pixels et erreurs de proportions. Je suis mon objet de désir. Bondissant et tourbillonnant en une sorte de faux lap-dance entre deux temps de chargement. Fan service ? Fan sévices, plutôt, car Bayonetta éjacule aux quatre vents des trombes de plombs. Saignez donc monstres angéliques. Blasphématoire ? Même pas. Dans la quintessence du divertissement populaire. Celui qui ne respecte rien à part son spectateur, son joueur, son inventeur de chaque seconde.

Le jeu atteint ainsi une vraie beauté aérienne et barbare, érotique et chorégraphique. Tout le contraire de ce qu’un Zack Snyder nous fait subir au cinéma avec son Sucker Punch. La victoire par KO du jeu vidéo sur le 7e art. Bayonetta a des pistolets dans ses talons de 20 cm de haut. Bayonetta bouge comme un serpent. Bayonetta fait exploser le monde en lançant des baisers tendres. Bayonetta a des lunettes, sans doute pour mieux nous transpercer de ses yeux. Quand tu regardes ton désir, ton désir regarde aussi en toi…

 

Total War : Shogun 2

La nouvelle référence en matière de stratégie qui mixe à la fois la gestion tour par tour façon Civilization et les combats épiques en temps réel dans la lignée d’Age of Empires. Difficile de faire plus riche tout en restant accessible. Le joueur novice est tenu par la main grâce à un didacticiel bien conçu avant de plonger dans une foultitude de paramètres et d’unités aux noms qui peuvent facilement prêter à confusion. L’aspect gestion est classique, avec ses impôts, ses bâtiments, ses recrues, ses sciences et autres bavardages diplomatiques, il n’en demeure pas moins très fin. Il existe mille et une manières d’arriver au pouvoir et surtout d’y rester. Car l’une des qualités principales de ce Total War est la générosité. Ce n’est pas le tout d’amener un des neuf clans du jeu à imposer son Shogun au terme de guerres sur plusieurs générations. Il faut ensuite se maintenir au pouvoir quand tout le reste du Japon se ligue contre le nouveau seigneur. Traîtrises et combats dantesques font ainsi bon ménage lors des dernières lignes droites de chaque partie.

Les batailles sont époustouflantes. Il suffit de zoomer sur les milliers (sans exagérer) de combattants parfois présents à l’écran pour se retrouver dans des scènes épiques qui en remontrent aux blockbusters de ces dernières années. Mais aligner les centaines de ninjas kamikazes et les moines samouraïs ne suffit pas, c’est ici que la stratégie prend tout son sens. Il faut savoir jouer de chaque recoin du décor, de chaque millimètre de terrain, des effets de surprise et de tous les petits pouvoirs accordés aux différentes unités. La richesse de Shogun 2 donne facilement le tournis. Surtout qu’il y aussi des combats navals effroyables, tout aussi complexes, si ce n’est davantage, que les escarmouches sur la terre ferme. Encourager ses troupes, leur donner un coup de boost, éviter les désertions massives, savoir se replier, sacrifier certains pour le triomphe de tous… De la stratégie à sa quintessence.

Visuellement c’est tout aussi parfait. Dans ses niveaux de résolution les plus élevés, le jeu est très gourmand et n’hésitera pas à faire planter les machines les plus récentes. Mais en diminuant un peu les détails, on pourra le faire tourner dans de bonnes conditions, même si le risque d’un bug lorsqu’un très grand nombre d’unités se cartonnent à l’écran n’est jamais à écarter totalement. C’est à chacun d’essayer et de choisir au mieux ses paramètres. Au niveau musical, les thèmes traditionnels japonais sont exécutés dans toute leur splendeur et on est immédiatement plongé dans l’atmosphère souhaitée. Des petites touches façon estampes ainsi que des pensées militaires bien cinglantes et poétiques contribuent à la réussite de la mise en scène. Bref, c’est un chef-d’œuvre du genre, et sans doute l’entrée la plus accessible et enthousiasmante de la longue saga des Total War.


Crysis 2

La série Crysis rentre dans le rang dès son deuxième volet. Après avoir opté pour l’univers ouvert d’une île tropicale pour le premier opus, Crytek cède à la mode de la guérilla urbaine scriptée. Il y a bien quelques phases qui donnent l’illusion de la liberté, mais ce n’est, justement, qu’une illusion. A la manière d’un Gears of War, Crysis 2 verse dans la mise en scène pure et dure et souhaite en mettre plein la gueule au joueur. A ce niveau le pari est réussi haut la main. Moins gourmand que l’effroyable premier opus qu’aucun ordinateur ne pouvait faire tourner à son plein potentiel en 2007, Crysis 2 est néanmoins à réserver aux possesseurs de bécanes bien montées. Il n’y a que trois choix de niveaux graphiques : élevés, très élevés et ultime. On voit le genre. La course à celui qui aura la plus grosse en quelque sorte. Même en choisissant le mode le plus « faible », le jeu envoie du grandiose qui fait la nique à toutes les consoles de salon. Haute définition du feu de Dieu qui déborde de détails, de particules, d’effets de lumières, d’animations en tout sens. Même compliments pour le design sonore, tout aussi riche. Et la musique, avec son thème principal exceptionnel et digne d’une production cinématographique de haute tenue, n’est pas en reste.

Le gameplay est classique pour un FPS sur PC, même s’il est moins intuitif que sur console, en particulier dans l’utilisation du point fort de la série : la combinaison polyvalente. Grâce à elle, le joueur peut user de différentes fonctions bien pratiques, allant du super saut à l’invisibilité. Cette dernière possibilité en particulier s’avère extrêmement efficace, voire trop, tant il est tentant de se planquer près de ses proies et de disparaître tout aussi discrètement une fois son méfait accomplit. On préférera encore la méthode bourrine et acrobatique qui consiste à rentrer dans le tas et à se sauver à toute vitesse en faisant des bonds dans les ruines du décor.

Après, on pourra toujours reprocher au jeu de plaquer un scénario à la fois ultra classique et bien bordélique. Ce qui compte c’est surtout l’ambiance apocalyptique et le plaisir de tirer sur tout ce qui bouge. A ce niveau, Crysis 2 ne déçoit pas, c’est du blockbuster pur et dur, moins bêtement bourrin qu’un Gears of War mais presque aussi spectaculaire. L’aspect dirigiste pourra en rebuter certains, surtout que ce n’était pas la thématique de la série au départ. Mais pour ceux qui veulent un défoulement d’une très haute qualité de réalisation, c’est un incontournable.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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