Non, tout ne va pas si mal

Alors comme ça Tim Burton serait fini ? Balayé ? Ridicule ? Vendu ? Un gros nul, quoi. Presque aussi infréquentable que Michael Bay et Brett Ratner réunis. Pire encore, car, voyez-vous, Tim Burton aurait eu du talent, il y a longtemps. Tellement longtemps que certains en doutent à présent. En un sens, ce sont ceux-là qui sont les plus respectables. Au moins ils ont compris qu’entre le Burton de Beetlejuice et celui d’Alice au Pays des Merveilles, les différences sont minimes.

Car les voilà, les prophètes, qui viennent hurler au nanar devant Charlie et la Chocolaterie et qui oublient que le premier long-métrage de Burton se nomme Pee Wee’s Big Adventure. Les voilà, les cinéphiles, qui viennent vous jurer que Tim Burton c’est un tourmenté, un nihiliste, un putain de gothique qui ferait peur à Edgar Poe et à Trent Reznor. Les voilà, qui oublient que le désenchantement qui habite Edward aux Mains d’Argent, Batman Returns et Sweeney Todd n’est que marginal dans l’œuvre du réalisateur. Car si Burton a une vision du monde qui refuse le manichéisme, elle s’accompagne avant tout d’une vraie bienveillance. La vie c’est nul, mais pas tant que ça, surtout si on transforme l’univers en terrain de jeu. Le triomphe de l’imagination et de l’optimisme, la grandeur de la vision artistique, du plaisir, du chamboulement. Le même thème qui unit aussi bien Pee Wee qu’Ed Wood ou Alice. La même conclusion.

Je ne suis pas adepte de la politique des auteurs. Un film me plaît ou non, qu’il soit signé Burton ou Tartempion. Je reconnais qu’aucune œuvre du cinéaste n’est parfaite, chacune a ses fautes de goût, ses travers, ses facilités, ses incongruités, et j’apprécie ses défauts ou non. Estella Warren dans La Planète des Singes ? Dur. Prince dans Batman. Moins dur. Le barbecue à la fin de Big Fish. Trop dur. La danse de Johnny Depp à la fin d’Alice. Pas de problème. Burton a ses hauts et ses bas, ses coups de génie et ses laissez-allers. Au sein d’une même œuvre, bien souvent. Même le Nightmare Before Christmas 2.0 qu’est Les Noces Funèbres a ses moments de grâce. Même Big Fish, soyons fous, son film que j’aime le moins, le seul que je refuse de revoir (pour l’instant) a ses instants craquants. Et de même, Edward aux Mains d’Argent a ses travers (Winona joue parfois un peu comme une quiche, non ?). Et Batman Returns ? Je ne sais pas. Plus dur. Je l’aime tellement ce film. Il y a des incohérences délirantes dans le scénario, mais cela tient de l’aspect Comics. Enfin bref.

Ceux qui viennent hurler à l’horreur devant Sweeney Todd en entonnant le « c’était mieux avant », ne le font probablement que par panurgisme galopant. La différence entre ce film et Beetlejuice ? Plus de moyens financiers ? Une familiarité qui empêche le fameux effet « c’est nouveau, c’est pas connu, donc c’est forcément géniâââl » ? Un rejet pur et simple de Tim Burton et de tout son style ? On est sans doute plus proche de ça. Aucun problème, je le comprends. Comme il est tout à fait normal de ne pas écouter des trucs d’ados toute sa vie, on peut aussi balancer en bloc le cinéma qui correspond à notre mal-être adolescent. Peu de films n’auront aussi bien qu’Edward aux Mains d’Argent et que Batman Returns incarnés les tourments de la jeunesse qui se cherche. La vie est une chienne, clame Catwoman. L’amour c’est compliqué. On le rêve romantique, tragique, éternel, poétique. Avant de réaliser que tout cela, ce n’est que du cinéma. Edward est un songe, Selina Kyle un fantasme, Ed Wood est décédé dans la misère et la vie après la mort a peu de chance de ressembler à celle de Beetlejuice

Retour sur terre brutal. Pour Tim Burton et pour ses fans. Le réalisateur continue à faire au mieux en adaptant ses thèmes, comme un vrai auteur au sens si souvent célébré en Europe, suivant l’évolution de son existence. D’une certaine manière, on peut suivre en direct les méandres de son esprit. Et s’inquiéter parfois de ses élans agressifs, tels que dénotés dans Sweeney Todd et Alice au Pays des Merveilles, comme si une rancœur l’habitait face à son épouse (Helena Bonham Carter). Du psychologisme de bazar comme en raffole la critique cinématographique française ? Oui monsieur, oui madame, et je suis le premier à m’y jeter et à m’y ébattre. Tim Burton c’est le petit ado mal dans sa peau qui a fini par tout réussir. A sortir avec la plus jolie fille, à devenir une franchise à lui tout seul, à fonder une famille. Logique que son œuvre évolue, tant elle colle à son existence.

Mais alors qu’est-ce qui a tellement changé pour que Tim Burton soit à ce point conchié, alors même que ses films font toujours autant d’entrées ? Comme je l’ai dit plus haut, le facteur essentiel est sans doute celui de la lassitude face à un univers très personnel, très reconnaissable, qui fait désormais partie du paysage public à très grande échelle. Presque tout le monde connaît Tim Burton et repère sans mal son style. Ce n’est plus le privilège des « happy few ». Le basculement entre l’adoration d’un petit groupe de personnes vers la haine s’est d’ailleurs effectué à partir du moment où les Skeleton Jacks ont fleuri sur les sacs des collégiennes et sur les chaussettes des petites gothiques potelées. Et il est bien connu que dès qu’une œuvre est récupérée par le grand nombre, elle devient infréquentable…

Associé depuis toujours à Walt Disney ou au marketing des plus gros studios, Tim Burton n’a rien changé à sa démarche depuis ses débuts. Il travaille une matière très populaire, très accessible, ce qu’on peut lui reprocher, mais ce qu’il a toujours fait. C’est avant tout un dessinateur, un styliste, un peintre, et quelque part, un publicitaire. Le nier c’est ne pas comprendre une bonne partie de sa démarche artistique. Tim Burton est un enfant de Burbank, de la Californie, de l’Amérique du divertissement. Au lieu d’aimer les choses directement joyeuses et colorées, il a choisi les œuvres plus complexes, plus nuancées, plus ténébreuses. Mais pas moins divertissantes.

Ce n’était pas tant par provocation que par vraie sincérité que le réalisateur affirmait ne pas connaître les grands classiques du cinéma. S’il cite l’expressionnisme Allemand, c’est par rebond et non pas directement. Edgar Poe lui parle parce que Roger Corman en a fait des séries B délicieuses. Burton est définitivement plus proche de la Maison Hantée de Disneyland que de la Charrette Fantôme. Ce n’est pas lui faire insulte, c’est mieux l’appréhender que de l’exprimer clairement. Mars Attacks ! est inspiré des collections de vignettes des années 50. L’équivalent des jouets Transformers des années 80… Il n’aime pas les super-héros et les Comics, mais travaille leur matière comme personne. Probablement parce qu’il n’y comprend rien et veut plier cet univers à sa propre vision de la chose. S’il adapte Batman, c’est à la manière de Corman adaptant Poe.

Oui, Tim Burton est un blasphémateur. Il est en cela l’héritier logique de la grande machine à digérer la culture qu’est l’industrie hollywoodienne. Il ne respecte pas les matériaux d’origine mais seulement son idée, sa vision. De cela découle aussi bien ses Batman que son Alice au Pays des Merveilles. Il veut un rôle pour son alter-ego Johnny Depp ? Il le créera de toute pièce à partir d’une figure réelle, d’un archétype ou d’un héros de fiction classique. Et il courbera le personnage à son désir. Un Bruce Wayne malingre. Pas de problème. Un Chapelier Toqué sans aucun rapport avec Lewis Carroll. Et pourquoi pas ? Un Edward D. Wood Jr. plus faux que vrai ? Bien sûr !

Tim Burton arrange tout à sa sauce et n’est généralement pas beaucoup apprécié pour cela. Des levées de boucliers, il y a en eu, de Batman à Alice en passant par La Planète des Singes. Au point que les qualités de ses œuvres ont fini par être bouffées par la détestation « a priori » de chacun de ses films. D’une certaine manière, il a tendu le bâton pour se faire battre. Depuis son premier film. A la gloire d’un personnage que tant de gens trouvent horripilant, Pee Wee’s Big Adventure avait déjà tout pour faire hurler les gardiens du temple du Cinématographe.

La période en or qui va d’Edward aux Mains d’Argent à Ed Wood est toujours le sommet de la carrière de Burton. Mais il est bon de rappeler que même ces films sont loin d’avoir fait l’unanimité critique et publique. Au mieux, leurs accueils ont été mitigés. Edward est passé quasi inaperçu (en tout cas en France), Batman Returns a été trouvé trop hollywoodien (meurs blockbuster de malheur !), L’Etrange Noël de M. Jack trop désincarné (vilaines marionnettes sans âme), Ed Wood trop ennuyeux (et surtout trop éloigné des petites préoccupations critiques). Paradoxalement, c’est quand ses œuvres sont devenues moins étonnantes que Tim Burton a été plus célébré en France. Avant que le retour du bâton ne se fasse d’autant plus violent.

Schéma des vases communicants, quand les critiques institutionnels se mettent à louer un artiste, les critiques « de pointe » le descendent. Et réciproquement. Un petit jeu de balançoire pratiqué depuis la nuit des temps qui fausse toutes les analyses. La démagogie est à part égale de tous les côtés de toute façon, vu que l’essentiel est de flatter son lectorat. Elitisme et populisme étant les deux faces d’une même médaille en chocolat.

Je ne dis pas qu’on n’a pas le droit d’aimer Tim Burton, loin de là. J’estime même que, comme il est l’un des cinéastes les plus intéressants de ces trente dernières années, il est logique qu’il divise autant. Et, comme je l’ai dit, on peut adorer son travail, tout en gardant un regard très critique. Ce que je cherche à démontrer c’est que, comme dans ses films, tout n’est jamais ni tout blanc, ni tout noir. Bleu nuit, peut-être… Qu’il n’y a pas un bon et un mauvais Tim, que tout n’est pas la faute d’Helena, que la paternité ne l’a pas castré et que Sweeney Todd est tout aussi audacieux et réussi qu’Ed Wood.

Car après tout, Tim Burton s’en fout de la critique et des analyses de ses films par quelques êtres désœuvrés. Ce qui lui importe c’est de pouvoir continuer à faire du cinéma. Le succès phénoménal d’Alice au Pays des Merveilles le laisse totalement libre. Pour lui qui a vu plus d’une fois le couperet ne pas passer très loin de sa tête (surtout après Ed Wood et Mars Attacks), c’est plutôt une bonne nouvelle. Après, libre à vous de continuer ou non le voyage, ou de ratiociner une gloire passée et idéalisée. Certains cinéastes chutent effectivement très clairement (de Coppola à Scorsese, on a en a vu perdre tous leurs moyens ou presque), ce n’est pas le cas de Tim Burton. Avec ses sommets et ses abysses, sa filmographie se poursuit sans rien perdre de sa magie et de son non-conformisme.

 
 
 
 
 
 
 
 
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