20
Air Doll
2010 aura vu fleurir mille et un contes de la solitude contemporaine. Qu'on se noie dans le tout médiatisé, ou que l'on vieillisse dans l'oubli, il fallait s'accrocher au moindre souffle d'humanité. Chez Kore-Eda, cette brise est issue d'une poupée gonflable. Idée saugrenue, triviale, qui donne pourtant naissance au film le plus mignon de l'année. Au fil de l'errance burlesque de la créature dégingandée surgissent des séquences érotiques et dérangeantes.
19
Inception
2010, l'année DiCaprio ! En signant son film le plus intrigant, Christopher Nolan se jette dans l'abime du/des sens. Vertigineux, malgré un sentiment de trop peu. Vivement les suites !
18
Film concept, hermétique et exigeant, Shirin cherche à la fois à trouver l'essence du regard du spectateur et à approcher la grâce féminine. Ambitions démesurées, mais quasi atteintes au final.
17
Le meilleur film des studios Dreamworks est encore très loin de faire le poids face à Pixar (décidément plus intouchable que jamais). Il faut néanmoins le célébrer pour son rythme et surtout pour son usage de la 3D, ébouriffant à tous les niveaux.
16
Tournée
Un renard cool et classe. Juste un peu trop distancié pour être vraiment incontournable, mais riche en personnages adorables et irréprochable sur le plan technique. Le meilleur film de Wes Anderson par ailleurs.
Mathieu Amalric, voix de Mr Fox en VF, mais surtout réalisateur et interprète de Tournée. Un joli petit film toujours prêt à prendre la clef des champs, mais sans cesse rattrapé par les scories du cinéma d'auteur français. Heureusement, sa ribambelle de sublimes actrices le sauve des ornières et l'entraîne sur les sentiers de l'extase.
15
Piranha 3D
Sea, sex and fun. Le divertissement régressif, et pleinement assumé comme tel, dans toute sa splendeur. C'est très gore, c'est très gras, taillé dans le marbre des plus prévisibles séries B, voire Z. C'est réjouissant, d'un bout à l'autre, comme un gros best of des films de monstres de notre enfance. Avec, en bonus, Kelly Brook, plus craquante que jamais.
14
Bright Star
Le romantisme idéalisé, filmé avec un classicisme proche de l'austérité. Pour donner un peu de chair : des acteurs parfaits, en particulier la toute belle Abbie Cornish ; quelques scènes vibrantes et une fin impossible à rater mais enluminée avec intensité.
13
Dans ses yeux
Polar et mélo, liés amoureusement, passionnément. Une partition que l'on connaît par coeur, mais qui bat avec tendresse et puissance. Un film aussi cruel que doux, joliment interprété et dissimulant en son centre le plan séquence le plus ébouriffant de 2010 (et qu'on ne me parle pas de la virée à la Foire du Trône qu'est Enter The Void).
12
Summer Wars
Une ode enthousiasmante aux relations humaines sous toutes leurs formes. La version positive de The Social Network. Ou quand internet rapproche les êtres et que le virtuel n'est plus considéré comme un danger mais comme une possible famille universelle. Exaltant au possible.
« Koi koi ! »
11
Le mélo méchant, tout bancal, tout brinquebalant, kitsch et naïf et qui donne bizarrement du baume au coeur. Peter Jackson en délicieux mode mineur.
10
Le retour inespéré de Martin Scorsese au sommet. Bien aidé il est vrai par DiCaprio dans son meilleur rôle et par un scénario sables mouvants laissant libre cours à une mise en scène grandiose.
9
Exister dans la grande toile. L'individu est-il encore d'actualité quand le nombre dépasse l'entendement ? Plus haut, plus vite, plus fort. Des gosses se rêvant dieux. Mais tout n'est que creux et bosses, trahisons et petites combines, gros chiffres et fuite en avant, médiocrité géniale. Au final, l'intime scintille, vacillant au bord de la spirale des altérités.
8
The Ghost Writer
A l'image de Scorsese, une résurrection inespérée et oh combien réjouissante. Un thriller déroulé avec une maestria qui rappelle que Polanski fut un metteur en scène de génie. Le plaisir de se balader et de se faire balader au fil d'une histoire classique mais contée à la perfection. Il suffit de comparer avec le tout banal Fair Game, sur un sujet assez proche, pour constater à quel point Roman est toujours au-dessus du lot.
7
Etre sur la corde raide. A la limite entre le fun et l'horreur. Peut-on rire de tout ? Kick-Ass répond à la question en analysant le point de non retour. Mieux vaut s'amuser en attendant d'en pleurer. La guerre comme jeu, la violence comme exutoire, puis recréer la douleur, la souffrance, à l'heure où tout n'est plus qu'indifférence et vidéos sur Youtube. La morale de l'histoire prouve à nouveau que le réalisateur Matthew Vaughn (Stardust) n'a pas son pareil lorsqu'il s'agit de mélanger les tonalités.
6
Insoutenable, le film de Kechiche est une démonstration tétanisante. Pris au piège de son voyeurisme, le spectateur est boxé dans ses derniers retranchements. Un vrai coup de poing, qui dépasse en virulence tous les petits pamphlets qui confondent dénonciation et divertissement. Le cinéma comme geste politique, comme cri social, comme véritable outil d'apprentissage. Sans compter des performances d'acteurs et une mise en scène au-delà de tous les éloges. L'expérience extrême de 2010.
5
Jusqu'où peut-on aller pour inventer ? L'art pour l'art, l'art au-delà de l'art. Comme il l'avait fait pour l'amour avec Dolls, Kitano s'interroge sur la création. Tout sacrifier, jusqu'à l'autisme, jusqu'à la rupture avec le monde, avec soi-même. Un immense aveu d'impuissance, ironique, attendrissant. Au bout du tunnel, une touche de tendresse, trois fois rien et c'est ainsi que Kitano est grand.
4
Poetry
Le gigantesque petit film de 2010. Réflexion extrêmement juste et sensible sur la vieillesse et la notion de poésie, l'œuvre propose bien davantage. Il s'agit non seulement de l'histoire tragique d'une dame qui perd peu à peu tout son (petit) quotidien ; mais en accomplissant ce chemin de croix, elle découvre la beauté du monde. Doucement le film nous mène vers le final le plus bouleversant de l'année.
3
Mother
Un autre grand portrait de femme, étrange et bouleversant. En reprenant la voie discrète de Memories of Murder, Bong Joon-Ho livre ce qui est à la fois son film le plus original, mais aussi son meilleur. Passionnant, drôle, surprenant, et au final déchirant.
2
Oui, c'est toujours plus ou moins la même histoire depuis le premier opus. Oui, Pixar tire sur les mêmes cordes. Mais le studio n'était jamais allé aussi loin dans l'émotion. Divertir, amuser, faire rire, mais pour mieux briser nos cœurs au final. Vivre c'est apprendre à dire adieu. Une conclusion époustouflante à ce qui est devenu la meilleure trilogie de l'histoire du cinéma.
1 ex-aequo
Zelda, Frank Black, Seinfeld, Street Fighter, Akira... Un tombereau de références, au service de personnages attachants, de combats dantesques, de romances craquantes. Et surtout une manière de citer, de mélanger et de créer qui réinvente le cinéma à chaque scène, à chaque plan. Depuis Kill Bill, on n'avait pas revu cela sur grand écran. Pas avec autant de passion et de générosité. Le 7e art en tant que somme de tous les arts, surtout les plus jeunes, les plus mal aimés. Une manière pour le cinéma de rattraper son retard (sur les jeux vidéo en particulier), en vampirisant le(s) meilleur(s) sans perdre l'essentiel. Film de l'année, haut la main !
1 ex-aequo
Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)
C’est un film qui parle au cœur et à la raison. Une œuvre intellectuelle et sensorielle. C’est un opus pour cinéphiles, pour ceux qui aiment s’émerveiller devant le génie absolu d’une mise en scène. Mais c’est aussi une expérience de pure perception, où chaque rayon de lumière et chaque bruissement de la jungle ouvre un univers nouveau. C’est une histoire tendre et inquiétante, sur la vie, la mort et les singes fantômes. Oncle Boonmee ne ressemble à rien de connu, à part aux autres films de Weerasethakul. On y retrouve les esprits, la forêt, la caverne et les bars à karaoké. Cette fausse lenteur qui devient narration suprême, cette humilité des gens simples qui ne philosophent pas plus haut que leur condition, et la magie du monde, renouvelée.
Tout ici est réfléchi et ressenti, le moindre plan tremblotant, la moindre entrée des acteurs dans le champ, la perfection déborde à chaque seconde. Mais sans jamais écraser le spectateur par la prétention ou une véritable austérité. Oncle Boonmee est une œuvre fréquemment drôle, d’où se dégage une douceur fragile, triomphant de l’aspect oppressant de la majeure partie de l’histoire. Se joue ici la logique du rêve, l'effroi du cauchemar, l'intemporalité des songes. Cela pourrait être du David Lynch rencontrant Terrence Malick et Kurosawa au détour d’une partie de campagne. Mais Weerasethakul est toujours au-delà de nos références, dans sa propre création, associant les idées et les émotions, en faisant table rase.
Oncle Boonmee subjugue souvent, parfois pour un plan (ah ces créatures simiesques aux yeux rougeoyants) ou pour une scène entière (la séquence du dîner sur le porche, incroyable). Le réalisateur flirte même avec la démonstration de force un peu ostentatoire lorsqu’il se lance dans le diaporama à la Chris Marker pour évoquer le futur. Mais cela est fort bref et participe à la puissance de l’ensemble. D’autres instants deviennent immédiatement inoubliables (le poisson et la princesse, la caverne, la scène finale) et laissent pantois. On a presque l’impression de n’avoir jamais vu cela. Est-ce possible ? Le simple fait de le ressentir, de se poser la question est y répondre. D’une manière totalement différente que Scott Pilgrim, Oncle Boonmee aura aussi réinventé le 7e art en 2010. Film de l’année, haut la main ! (bis)