C'est une initiative qui sera sans doute diversement perçue : "Oh l'autre, il a mis le métal dans un ghetto", "Oh l'autre, si c'est si bien que ça, ça a sa place dans un classement généraliste", "Oh l'autre, le métal c'est de la crotte de toute façon, c'est pas plus mal de le mettre à part, ça m'évite d'avoir à cliquer dessus". Mise en valeur ou stigmatisation ? Je vous laisse le choix.
Pour moi, c'est pratique, ça libère de la place dans un classement déjà très chargé, de plus en plus chargé, chaque année. Et, à mes yeux, il s'agit d'une mise en valeur, qui permet de ne pas noyer des disques généralement "difficiles" au milieu de beaucoup d'autres œuvres que vous verrez dans les classements un peu partout ailleurs (et pas seulement sur des sites spécialisés).
Ensuite, j'écoute de plus en plus de nouveau métal. C'est revenu, comme ça, après plus d'une décennie d'abstinence et de déshabituation. J'ai mis un peu de temps à réapprendre, mais, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas. Surtout que, quand j'y pense, le métal, dans tous ses genres et dérivés, fait partie de mon univers sonore depuis le début de mon adolescence. Le seul point qui fait peut-être une différence, c'est que j'y suis tombé sans "palier de décompression", je suis passé de Queen à Emperor, comme ça, hop, sans être en contact avec un métal plus "grand public" et plus facile à écouter, qui semble être le parcours classique de beaucoup. J'ai découvert Metallica et Iron Maiden bien après l'intégrale de Darkthrone et de Morbid Angel. Ca m'a paru... un peu fade... Depuis, j'ai redécouvert ce métal accessible et, bien souvent, j'ai appris à l'apprécier. Même si, à mes oreilles, Iron Maiden ça reste de la "pop métal".
Bon, on ne va pas s'étriper sur des histoires d'étiquettes, hein, pas de ça ici. En métal, comme pour le reste, j'ai une grande affection pour tout ce qui envoie les étiquettes valser. Oui, je comprends les genres, en écoutant de près je sais faire la différence entre du "technical brutal death metal" et du "technical progressive death metal" (rigolez pas). Enfin, peut-être. Mais peu importe. Donc, pour les connaisseurs, n'allez pas vous offusquer si je manie la terminologie de manière vulgarisatrice. Ici, on est surtout lu par des amateurs, des néophytes, des gens suffisamment fous et ouverts pour aller cliquer sur les extraits proposés (parfois ce sont même les albums en entier, ah ah ! Le piège !). Allez, justement, halte à la parlotte, on y va.
22
Zeal & Ardor - Stranger Fruits
Dans la lignée de Deafheaven, Zeal & Ardor fait un "métal pour tous" avec un bon concept : mélanger plein de genres et voir ce que cela donne, en particulier de la musique black et du black (métal), du gospel et des hurlements. Quand ça marche, c'est vraiment très bon. Mais, sur l'ensemble de l'album, ce n'est pas tout à fait à la hauteur des louables ambitions. Et il y a toujours cette crainte, plus ou moins justifiée, que le métal ne soit qu'un gimmick un peu opportuniste. Ce n'est heureusement probablement pas le cas. Il y a des disques de métal plus traditionnels, sortis en 2018, plus percutants, mieux composés et interprétés que celui-ci, mais il faut saluer l'audace, saluer l'idée. C'est très prometteur.
21
Deafheaven - Ordinary Corrupt Human Love
Là on peut s'envoyer des étiquettes à la gueule si vous voulez. Est-ce que Deafheaven fait encore du métal ? En tout cas, plus du black métal et encore moins du métal extrême. Il reste la voix de goblin, pour le décorum, quelques blast beats, de plus en plus rares. Sinon, sur cet album, on est carrément parti sur les solos de guitares du hard rock californien, limite c'est les Guns'n'Roses version progressive. C'est toujours vraiment bien, avec un effet de surprise moins marqué, certes, mais on ne peut pas toujours demander de l'effet de surprise. A la limite, il manque cette sidération, souvent si importante quel que soit le genre. Ils sont ailleurs, dans leur truc, là aussi un "métal pour tous" bien foutu.
20
Harakiri for the Sky - Arson
Il serait facile de balayer d'un revers de la main le nouvel album d'Harakiri for the Sky sous prétexte qu'il ressemble beaucoup au précédent (un très grand disque) et qu'il aborde le black métal sous un angle désormais classique. Oui, mais non, car si les morceaux sont bons, pas la peine de révolutionner le genre. Et les morceaux sont bons, excellents même.
19
The Atlas Moth - Coma Noir
The Atlas Moth se range dans le "post-métal", mais pour moi Coma Noir est juste un bon vieux disque de métal qui touche un peu à tout. C'est éclectique, très virulent, motivant ou épuisant suivant le moment de la journée. Et on ne plaisante pas, là, c'est de la musique en souffrance, un truc qui veut en découdre avec la terre entière.
18
Behemoth - I Loved You At Your Darkest
Depuis que Behemoth règne sur le death metal grand public, le groupe ne cherche pas vraiment à changer la formule, juste à la distiller au plus efficace à chaque fois. Le créneau ici, c'est le blasphème, jusqu'au grotesque. Faut avouer, parfois ça fait un peu sourire, mais diantre que la musique est bonne.
17
Rebel Wizard - Voluptuous Worship of Rapture and Response
Les riffs du heavy metal à la Judas Priest avec le chant du black métal pouilleux à la Darkthrone. Et le tout dans un univers semi parodique où les chansons s'intitulent (vous allez vous marrer) : Drunk on the wizdom of unicorn semen ou bien encore Healing the chakras with heavy negative wizard metal. Bref, c'est n'importe quoi, un pied dans la parodie, un pied dans le sérieux. C'est surtout extrêmement amusant et rudement bien fichu.
16
Délétère - De Horae Leprae
Ouh, le bon vieux black métal, bien roots, bien vintage, avec des claviers, un duo de voix à l'étrangeté un peu folle, des riffs énormes et... des mélodies accrocheuses. C'est Québécois, voyez-vous, à rapprocher des aussi excellents Cantique Lépreux (grosse hype de la lèpre dans la Belle Province, apparemment). Ces gens savent ce qu'ils font, ils ne sont pas là pour faire de la figuration. Ils s'inspirent des classiques et les réinventent. Autre preuve que c'est du bon : ils ne sont même pas sur Spotify (à l'heure où j'écris ces lignes).
15
Oceans of Slumber - The Banished Heart
Vous n'aimez pas le métal, mais ça, vous avez de grandes chances d'aimer. On est a la limite de choses que, justement, pour ma part, je n'aime pas trop d'habitude. En particulier ce métal symphonique avec chanteuses "lyriques" qui donne des trucs assez vilains en général (et pas dans le bon sens du terme). Mais là, pour une fois, ça va, peut-être parce que les chansons savent faire passer une vraie émotion, qu'il y a suffisamment de variété pour tenir la distance. Il y a beaucoup de talent ici.
14
Wayfarer - World's Blood
C'est une période faste pour le black métal américain teinté de folk (on en retrouvera plus haut dans ce classement). Les compositions de Wayfarer sont à la base très classiques, il y a même une rudesse dans la production qui rend hommage aux grandes heures du black métal qui cisaillait les oreilles. Ca et là, de petites touches mélodiques rendent World's Blood facile d'approche. Et puis il y a les thèmes : les grands espaces américains, le peuple amérindien, les tragédies et injustices historiques, un souffle épique jamais démenti.
13
Horrendous - Idol
Hail to the kings of death ! Le meilleur groupe de death métal de l'époque ? On ne va pas polémiquer, mais ce n'est pas absurde de l'affirmer. Certes, Idol est un chouia moins bon que le précédent, Anareta, qui était une date, un chef-d’œuvre. Mais cela reste un possible classique, un nouveau jalon atroce et bizarre, plein de chausse-trappes, de violence et d'imprévus. Passionnant.
12
Windhand - Eternal Return
C'est toujours la même chose avec Windhand, ce doom métal porté par la belle voix de Dorthia Cottrell. On ne change pas une formule qui gagne, après tout. Alors, c'est toujours un poil long, faut l'écouter un disque à la fois (on parle d'un double vinyle), ou même une face à la fois, c'est bien aussi comme ça. C'est hypnotique, envoûtant, lourd et gracieux à la fois.
11
Thou - Magus
A partir d'ici, on entre dans les albums qui auraient mis un boxon monstre dans mon top 20 "généraliste". 11 disques, pas moins ! Imaginez, donc, le remaniement que cela aurait demandé ! Et comprenez pourquoi j'en suis arrivé à faire ce petit ghetto, pardon, cette petite vitrine spéciale. Donc, si vous avez lu jusqu'ici, que les choses soient claires : les albums suivants sont incontournables. Il y a des chefs-d’œuvre, attention, des trucs qui peuvent changer votre vie, pas moins.
A commencer, donc, par le nouveau Thou qui, même s'il est moins monstrueux que leur précédent (Heathen), n'en demeure pas moins un jalon pour qui aime se faire super mal en écoutant de la musique. Parce qu'il faut se l'infliger celui-là, hein, c'est pas une promenade de santé. 1h20 de sludge qui colle et qui écharpe dans le même mouvement. C'est la grande dépression, le truc qu'on se demande à mi-chemin pourquoi on insiste. Jusqu'au moment où le déclic, le fameux, se fait. Bon sang, évidemment, c'est un monument gothique ! Une cathédrale de souffrance.
10
Portrayal of Guilt - Let Pain Be Your Guide
Du hardcore/death metal à fond la caisse. Hyper sombre, sans concession, en colère après tout, triste pour tout, on n'est pas là pour plaisanter. C'est du pan dans la gueule bouclé en à peine 20 minutes. A écouter en regardant des images d'émeutes.
9
Sleep - The Sciences
Du stoner rock, la quintessence du stoner rock, même. Un seul thème : la Marie-Jeanne, la fumette, les volutes, ça plane dur sur une musique rigoureusement défoncée, avec des riffs énormes au ralenti. Si la thématique vous parle moyennement (c'est mon cas), la musique, par contre, fichtre, elle envoie du rêve, c'est du trip sans risque, sans s'abîmer les neurones, ça ouvre l'esprit sans craindre la parano et la fringale.
8
Sumac - Love in Shadow
Dans le métal expérimental, Sumac a sorti un nouveau jalon avec Love in Shadow. En grande partie improvisé, l'album est un monument à la gloire de toutes les nuances du métal, avec quatre très longs morceaux (plus de 20 minutes pour celui d'ouverture), traversés par les rugissements d'Aaron Turner. Il y a ici suffisamment de moments sidérants et de variations pour captiver l'auditeur. Certes, ce n'est probablement pas le disque le plus accessible de ce classement, mais c'est un de ceux qui peuvent apporter le plus de récompenses.
7
Vein - Errorzone
Là encore, les étiquettes ne servent à rien. Vein fait du hardcore, du death metal, avec des rythmes de jungle ou de big beat. De toute façon, c'est tellement violent et ça va tellement vite, que les genres se percutent sans qu'on puisse vraiment analyser quoi que ce soit. Ca ne dure même pas une demi-heure et c'est largement suffisant. Quel uppercut, quel cri de colère, quel peinture ravagée de notre temps !
6
Mesarthim - The Density Parameter
La musique de Mesarthim a pour but d'évoquer la beauté de l'univers, le sublime des galaxies, la sidération de l'infini mais aussi l'angoisse liée à l'immensité, au vide, au froid, au silence, au sentiment de solitude et d'insignifiance. C'est du "black ambient" avec force synthétiseurs sortis des années 80 et soudains déferlements de blast beats et de hurlements. Les objectifs, fort ambitieux, sont pleinement atteints.
5
Portal - ION
Alors, comment vous expliquer ? Portal au départ, pourrait s'évoquer ainsi : retranscrire musicalement l'univers de Lovecraft ou, en tout cas, recréer par la musique la sensation de la folie qui saisit les protagonistes des nouvelles de l'auteur américain lorsqu'ils contemplent les créatures indicibles. Mais c'est plus compliqué que cela, avec un univers basé sur une science-fiction obsolète et mystique, issue du XIXe siècle, et d'innombrables étrangetés ésotériques.
C'est donc un disque difficile à décrire qui ressemble à un maelström sonore d'une épaisseur incalculable. C'est, à la fois, l'une des musiques les plus compliquées à appréhender et une des plus accessibles. Car il suffit de se laisser porter, comme sur les vagues de mutilation chères aux Pixies. C'est presque de l'ambient, de l'ambient horrifique, mais de l'ambient quand même. Autre point fort : le chant, particulièrement adapté à l'atmosphère : étouffé, incantatoire, comme s'il montait des entrailles d'une autre dimension. Il y a une cohérence absolue de l'univers, avec des musiciens déguisés et anonymes qui ne brisent jamais leurs personnages. C'est du grand cinéma, quoi.
L'album précédent (Vexovoid), avec sa production plus opaque, était encore plus immersif. ION est plus "propre", mais cela reste relatif, et il est donc le plus facile à aborder, selon moi. Il faut tenter l'écoute, il sera probablement nécessaire de s'y reprendre à plusieurs fois et de passer un probable rejet réflexe. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les réfractaires à beaucoup de sous-genres du métal risquent de s'y retrouver plus aisément ici. "Est-ce que cela vaut la peine de s'infliger un truc pareil ?", me demanderez-vous. La réponse revient à se poser aussi la question de pourquoi on s'inflige des films d'épouvante ou le cinéma de David Lynch, par exemple. C'est bien qu'on y trouve quelque chose dont notre esprit se repaît avec gourmandise.
4
Panopticon - The Scars of Man on the Once Nameless Wilderness I & II
La musique d'Austin Lunn me rappelle sans cesse pourquoi j'aime le métal "extrême" et pourquoi j'aime le métal qui ne s'embarrasse pas de règles de conduite. C'est du black métal, mais du black métal qui parle de la nature et des hommes, de la souffrance face aux éléments mais aussi face à la société. Chez Panopticon, on sent le souffle du blizzard et le souffle de l'Histoire. Ici, c'est un double double disque (oui, double double), près de deux heures de musique. Le premier album s'inscrit dans la lignée des chefs-d’œuvre précédents, c'est du black métal pur et dur avec des touches de folk. Le second, c'est de la folk, de la country, avec des tonalités post-rock, sans hurlements ni blast beats. Et c'est celui-là que j'ai le plus écouté jusqu'à présent. La voix cassée et le chant clair un peu faux de Lunn y sont particulièrement évocateurs, émouvants. Ce duo de disques écorchés peut paraître brinquebalant, c'est aussi sa grandeur. La musique devrait toujours avoir cette sincérité et cette ambition.
3
Rolo Tomassi - Time Will Die And Love Will Bury It
J'en vois déjà prêt à me dire : "Oh mais ça c'est pas du métal, c'est du (rayez la/les mention(s) inutile(s)) mathcore, post-hardcore, shoegaze, progressive rock, screamo...". Oui, mais non. Alors ça pourra paraître étrange que Fucked Up se retrouve dans le top "général" et Rolo Tomassi dans le top métal, mais c'est comme ça. A mes oreilles, là, tenez, Rolo Tomassi c'est plus "métal" que le dernier Deafheaven, donc, bon, hein, tout est relatif. Ceci dit, le broyage d'étiquettes est encore un des points forts. Y en a quand même qui les compare à My Bloody Valentine. Et ce n'est pas évident, croyez-moi. Mais pourquoi pas ? Moi j'y ai reconnu de l'Asobi Seksu, on n'est pas si loin. C'est un test de Rorschach musical, en fait. Chacun y trouvera quelque chose à son goût. Par endroit c'est limite du métal symphonique. Bref, encore un disque qui peut entrer dans la catégorie : le métal pour débutants/ceux qui n'aiment pas le métal. Time will die and love will bury it est un album incroyablement lyrique, d'une puissance évocatrice complètement fofolle (rien que le titre). Il y a un souffle irrésistible, une énergie qui donnent l'impression de voyager à la vitesse de la lumière.
2
Eneferens - The Bleakness of Our Constant
Comme Panopticon, Eneferens est le projet d'un seul musicien : Jori Apedaile. Eneferens partage le même label que Panopticon et une même approche du (black) métal : rien à faire des genres. C'est aussi le même esprit artistique qui les habite, cette volonté de peindre des paysages réels, mais aussi des paysages émotionnels, par la seule grâce d'une palette infinie de nuances musicales. Voix claire, voix de death métal, voix de black métal, le chant varie d'un morceau à l'autre, et même au sein d'une même chanson. Longues parties de guitares acoustiques, soudains déferlements qui emportent tout comme des avalanches, vastes pauses contemplatives d'une incroyable douceur. The Bleakness of our Constant émerveille car, discrètement, paisiblement, avec une aisance totale, l'album ne fait pas que dessiner les mille et un visages du métal, il étend son canevas bien au-delà. Presque aucun autre album de 2018 n'aura autant fait preuve d'éclectisme sans se perdre, et presque aucun autre album n'aura provoqué une émotion aussi intense, aussi inoubliable.
1
YOB - Our Raw Heart
Eneferens a placé la barre très haut pour ce qui est de créer des émotions extraordinaires, mais Our Raw Heart de YOB est allé encore plus loin. Composé sur un lit d'hôpital, au bord de la mort, cette musique tient du miracle. Tout le parcours du groupe, et de son compositeur principal Mike Scheidt, était déjà remarquable, et le disque précédent (Clearing the Path to Ascend) est peu ou prou du même niveau. Mais avec le péril à sa porte, Scheidt a trouvé une inspiration qui ne pouvait que transcender les aspects les plus "doom" de sa musique. Il en découle un long album passant de la plus grande âpreté (les presque 10 minutes dévastatrices de The Screen) à la beauté absolue d'une balade métal aussi classique que bouleversante (Beauty in Falling Leaves). Alliant passages éprouvants et instants de grâce, Our Raw Heart érige un pont entre le métal le plus exigeant et le plus accessible, sans jamais rien perdre d'une sincérité viscérale. Cette musique, très littéralement, semble vitale.
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