Et donc nous y (re)voilà, le top albums de fin d'année. Traditionnel pudding sans lequel les fêtes n'auraient pas la même fastidieuse saveur. L'idée est, comme toujours, de faire découvrir, de donner, un peu, parfois davantage, envie d'écouter ou de réécouter des disques. Le plus souvent je n'ai eu le temps que de rédiger quelques mots, mais le cœur y est. Après la surenchère de ces dernières années, j'ai restreint ce classement à 50 disques. J'en ai aimé davantage, mais vous avez déjà de quoi vous occuper.
En complément, il y a le classement métal, dont vous auriez tort de négliger les premiers, au minimum. Et bien sûr le classement des chansons (j'ai essayé d'éviter les doublons ici, en sélectionnant des extraits différents). Sur le bilan en lui-même, d'année en année, même constat, la bonne musique ne connaît pas la crise. Il y a des révélations, de grands noms et des surprises.
Même si cela n'a pas forcément grande valeur statistique, habituellement mes classements sont (involontairement) assez paritaires, mais cette année les voix féminines dominent largement (environ 33/50, avec un léger flou quand ce sont des groupes mixtes, disons), et un top 10 entièrement féminin (avec ce léger flou des groupes, mais ce sont des chanteuses qui mènent la danse). Après, rigoureusement personne ne viendra s'en plaindre, au contraire.
Enfin, oui, je sais, il y a des genres qui ne sont pas représentés, des pays absents, c'est limité, c'est biaisé, c'est 1000% personnel. Cela ne se veut pas exhaustif et des millions d'autres sites et publications font un travail plus consensuel, vous en connaissez sûrement plein et je vous laisse vous y référer. Bon, trêve de bavardages, on y va. Et bonnes fêtes, bonne année, bonnes grêves et bonnes révolutions, au passage.
50
A Winged Victory For The Sullen - The Undivided Five
Valeurs sûres de l'ambient néoclassique. L'occasion de citer deux autres excellents disques d'ambient sortis en 2019, provenant de deux autres valeurs plus que sûres du genre : celui de Fennesz (Agora) et celui de Nivhek, plus connue sous le nom de Grouper (After Its Own Death/Walking In A Spiral Towards The House).
49
Pup - Morbid Stuff
Pop punk qui parle de sujets morbides pour se sentir encore plus vivants. L'occasion de citer des artistes absents de ce classement mais qui ont failli y être : Ada Lea, Aldous Harding, Blanck Mass, Bruce Springsteen, Brutus, Chai, Floating Points, Florist, Jay Som, Jesca Hoop, Joanna Sternberg, Kate Tempest, Kim Gordon, Mannequin Pussy, Marika Hackman, Pharmakon, Plaid, Thurston Moore et les Vivian Girls.
48
Caroline Polachek - Pang
L'ex-chanteuse de Chairlift revient avec un album plein de classe et porté par sa voix inimitable.
47
Aurora - A Different Kind of Human (Step 2)
Pop tribale synthétique très mélodique.
46
Shura - Forevher
Synthpop queer avec plein de surprises et un sens mélodique impressionnant.
45
Lady Lamb - Always in the Tremor
Un peu moins bien que les deux (fantastiques) premiers albums, mais Lady Lamb demeure une des grandes compositrices de l'indie rock US.
44
44 - Nick Cave & The Bad Seed - Ghosteen
Sur fond de nappes synthétiques un peu kitsch (à l'image de la pochette), Nick Cave exorcise son deuil. C'est fréquemment très beau (surtout quand le chanteur use d'un falsetto qui lui est assez inhabituel) mais difficile à écouter et surtout à réécouter.
43
William Tyler - Goes West
Dans le genre album country-folk-rock instrumental à la guitare, William Tyler c'est toujours la garantie d'un grand bonheur.
42
Julia Jacklin - Crushing
De la chanson féminine et féministe, à la fois très intense, mélodique et émouvante.
41
Swans - Leaving Meaning
Plus apaisé, moins dans la confrontation, Michael Gira réinvente encore son groupe.
Personnellement, j'aime beaucoup la version "plus pop" de Deerhunter, car, quand on sait écrire d'aussi bonnes chansons, on peut aussi les présenter dans une certaine simplicité sans qu'elles ne perdent rien de leur intérêt.
38
Sharon Van Etten - Remind Me Tomorrow
Sharon cède aussi aux sirènes des 80s et se perd un peu dans le synthétique. Heureusement la qualité d'écriture reste inchangée.
37
The New Pornographers - In The Morse Code Of Brake Lights
Un album mineur de mon supergroupe favori reste quand même un disque de power-pop exceptionnel.
36
Martha - Love Keeps Kicking
Punk pop au sens le plus norme du terme.
35
The Mountain Goats - In League With Dragons
Après le catch, après les goths, John Darnielle dédie un album aux jeux de rôles façon Donjons & Dragons. Une merveille de tendresse, sans sentimentalisme aucun..
34
Barrie - Happy To Be Here
Pop-rock lumineuse avec une jolie voix.
33
Teeth of the Sea - Wraith
Le post-rock de Teeth of the Sea est tranchant et accrocheur.
32
Kelsey Lu - Blood
Un disque qui touche à mille et un genres, par une artiste qui refuse de se laisser enfermer dans une case.
31
Rose Elinor Dougall - A New Illusion
La pop de chambre de Rose Elinor Dougall a atteint en 2019 un niveau de sophistication presque austère. C'est magnifique et le chant est toujours aussi divin, mais c'est moins accessible que par le passé.
30
FKA Twigs - Magdalene
Plus gothique que jamais, le R'n'B de FKA Twigs flirte à présent avec la musique industrielle. C'est quand elle plonge sans retenue dans les ténèbres que l'artiste est la plus intéressante.
29
Wilco - Ode To Joy
Jeff Tweedy et son groupe sont qualifiés de vétérans depuis de nombreuses années déjà. Et ils ont offert cette année le parfait disque de vétérans : des chansons magnifiques avec des arrangements magnifiques et des paroles magnifiques. Tout "simplement".
28
Hannah Diamond - Reflections
La mode PC Music est-elle finie ? Préfère-t-on quand ce son sert à des choses plus bizarres, comme les productions de plus en plus difficiles d'accès de SOPHIE ? En tout cas le premier album d'Hannah Diamond est un peu passé inaperçu en fin d'année, alors qu'il révèle des trésors de synthpop faussement enfantine, qu'on pourrait écouter à tous les âges en l'appréciant pour des raisons différentes (ou non).
27
Girlpool - What Chaos Is Imaginary
En achevant sa transition, Cleo Tucker, moitié du duo Girlpool, a aussi changé de voix et affirmé ses envies musicales. Il en résulte un album clairement scindé entre les compositions de Cleo et celles d'Harmony Tividad. Certains ont regretté une forme d'incohérence, alors que ce sont deux artistes complémentaires qui ont cherché ici comment poursuivre leur parcours ensemble.
26
Whitney - Forever Turned Around
C'est du soft rock dinstingué, entre 70s et 80s, très accrocheur.
25
Haiku Salut - The General
Le fantastique trio féminin instrumental a composé une BO pour Le Mécano de la Générale de Buster Keaton. Et, même sans les images, le disque qui en découle est un génial moment de musique cinématographique, avec une inventivité de chaque instant. Ecoutez Haiku Salut, tout Haiku Salut, tout est magique chez Haiku Salut.
24
The Twilight Sad - It Won/t Be Like This All The Time
Le groupe d'indie rock écossais produit toujours d'excellents disques, le dernier en date ne déroge pas à la règle. Pour ceux qui aiment ce souvenir du milieu des années 2000, quand le rock lyrique de qualité s'est refait une santé.
23
Stella Donnelly - Beware of the Dogs
L'indie rock féminin et féministe, encore, que voulez-vous, il y a que ça de vrai. Très très haut niveau chez Stella Donnelly qui met à bas tout le patriarcat juste avec sa voix, des mélodies imparables et des punchlines démentielles..
22
Eerie Wanda - Pet Town
De la pop miniature, conçue comme des comptines. Adorable.
21
Bedouine - Bird Songs of a Killjoy
La folk précieuse de Bedouine se fait encore plus sophistiquée.
20
Anna Meredith - FIBS
Sur la lancée de son génial premier album, Anna Meredith continue de créer un univers à part, à lisière d'une infinité de genres. Au point qu'elle a clairement créé le sien. On a de plus en plus le sentiment qu'il ne s'agit pas ici de la pop du future, mais de la vraie "pop mutante", tant vantée ailleurs, et qui trouverait là sa plus belle incarnation.
19
Chromatics - Closer To Grey
Les temps changent. A force d'attendre la suite de Kill For Love, un des albums les plus essentiels de la décennie, Closer To Grey a été accueilli fraîchement par la critique. A tort, certainement, tant tout ce que l'on aimait chez les Chromatics est présent dans cet album. Certes, il y a moins de virées ambient, les chansons sont plus directes, avec peu de détours, mais l'atmosphère est intacte.
18
Carla Dal Forno - Look Up Sharp
Un disque étonnant, entre chansons oniriques, joliment cold wave, et interludes hérités de Brian Eno. Discret mais fascinant.
17
Jenny Lewis - On The Line
Un très grand disque pop-rock par une artiste qui n'a jamais enchaîné les tubes avec autant d'aisance.
16
Joan Shelley - Like The River Loves The Sea
De la part de Joan Shelley, on ne s'étonne pas de découvrir une splendeur folk d'une grâce absolue. C'est doux, mélancolique, lumineux et vital.
15
Holly Herndon - Proto
Poursuivant ses expériences entre science et musique, Holly Herndon a livré son oeuvre à la fois la plus révolutionnaire, la plus cérébrale et la moins accessible. Elle chante ici en duo avec une intelligence artificielle. Celle-ci apprend peu à peu, imite, balbutie, participe de plein droit à la création. Une image du future aussi frappante que lorsqu'on entend les plus premiers essais de musique électronique datant des années 1950.
14
Bill Callahan - Shepherd In A Sheepskin Vest
La voix de Bill Callahan est reconnaissable entre mille, son écriture l'est encore plus. Poète déprimé, troubadour rêveur, amuseur acide, il offre ici un vaste recueil ciselé dans ses moindres détails.
13
SPELLLING - Mazy Fly
Navigant en marge de tous les courants, SPELLLING est la grande surprise de 2019. Expérimentale, étrange, drôle, définitivement ailleurs, cette musique recrée de toute pièce la synthpop pour en faire quelque chose de nouveau et d'infiniment personnel.
12
Jenny Hval - The Practice of Love
Avec des structures plus classiques et des rythmes plus évidents, le dernier album de Jenny Hval est aussi son plus accessible. Ses thèmes de prédilection : féminisme piquant, questionnement du déterminisme biologique et autres déboulonnages du patriarcat et du consumérisme généralisé sont plus percutants que jamais.
11
Purple Mountains - Purple Mountains
Le retour de David Berman (connu pour son groupe les Silver Jews) était un peu inespéré, surtout à ce niveau. Luttant depuis toujours contre la dépression, l'artiste sortait en juillet un album exorcisant ses pensées les plus noires avec un humour cinglant. Moins d'un mois plus tard, Berman se suicidait, donnant malheureusement ainsi une toute autre dimension à ce disque, sorte de testament tragi-comique.
10
Angel Olsen - All Mirrors
Dans son indie rock, Angel Olsen a ajouté des cordes. La voilà qui se prend pour Kate Bush. Et qui repart sur le côté, ailleurs, jamais là où on l'attend, entre lyrisme et murmures. All Mirrors rappelle que cette artiste a sans doute encore beaucoup à révéler.
9
Weyes Blood - Titanic Rising
Les 70s, toujours, avec une touche de 80s, encore. On est entre l'hommage et la création, le pastiche et l'éclair de génie. Accessoirement, c'est la plus belle pochette de l'année.
8
Desperate Journalist - In Search of the Miraculous
De la très grande pop à guitares, comme dans les 90s, pensez le meilleur de la britpop, dans ses recoins les plus rock. Avec des refrains épiques qui donnent envie de pousser les murs, d'ouvrir grand les fenêtres, de faire la révolution dans la rue.
7
Big Thief - U.F.O.F.
Une merveille d'indie rock à l'ancienne, avec la voix inimitable d'Adrianne Lenker. Des compositions complexes créent un univers unique. Le groupe, au sommet de sa créativité, a sorti un deuxième album en fin d'année (Two Hands), plus traditionnellement rock, plus âpre et tout à fait complémentaire.
6
Nilüfer Yanya - Miss Universe
Touche-à-tout, Nilufer Yanya a sorti un premier album très ambitieux qui accumule les détours. Dans tous les genres, la chanteuse semble à l'aise. Quelle voix ! Quel(s) son(s) ! Quel charisme ! Pour ceux qui aiment être surpris à chaque morceau d'un disque.
5
Billie Eilish - When We All Fall Asleep, Where Do We Go?
La révélation de 2019 incarne non seulement l'avenir de la pop au niveau musical (avec l'aide essentielle de son frère), mais aussi une attitude, une manière de vivre, une façon d'exister dans l'époque. Provocante, un peu nihiliste, prête à foutre la trouille aux "vieux", la quintessence de ce que devrait être la pop pour les ados. Un phénomène de société planétaire, certes, mais qui s'accompagne aussi d'un album passionnant, qui peut passer de moments expérimentaux gorgés d'infrabasses apocalyptiques à des chansons aussi simplement belles que "I Love You" qui possède la grâce des déclarations évidentes.
4
Cate Le Bon - Reward
C'est la grande compositrice de la pop "autre". Cate Le Bon crée des monuments miniatures qui ne devraient pas tenir debout. On dirait du bricolage mais tout est pensé avec un soin unique. C'est brinqueballant et hyper accrocheur. Au fil des disques, sa musique est devenue plus accessible jusqu'à offrir ce point d'orgue, plein de finesse et de surprises.
3
Lana Del Rey - Norman Fucking Rockwell!
Alors, celui-là est numéro un à peu près partout. EVIDEMMENT. Oui, c'est le chef-d'œuvre que Lana Del Rey allait forcément offrir, même si les critiques auraient très bien pu déjà célébrer davantage Ultraviolence et Honeymoon. Mais là, c'était impossible de nier l'évidence, NFR! c'est la musique qu'il fallait à l'instant qu'il fallait. L'adéquation parfaite entre une artiste au sommet de son talent et son époque. En plus, c'est très émouvant. La "femme de plastique", dont je me méfiais il y a presque 10 ans, a révélé qu'il y avait une âme (et quelle âme !) dans la carapace.
2
Jessica Pratt - Quiet Signs
Quelle délicatesse, quelle subtilité, quelle orfèvrerie de chaque instant. C'est un album où, non seulement, chaque note compte, mais aussi chaque silence. Intemporelle, la musique de Jessica Pratt évoque le rêve, la nostalgie, une soirée apaisée, un matin doux. On y est transporté dans un univers infinimement poétique. C'est une splendeur, c'est magique.
1
Charly Bliss - Young Enough
Si les quatre premiers de cette liste pourraient largement être classés à égalité, le numéro un évident à mes oreilles c'est quand même le deuxième album du groupe Charly Bliss. Il y a ici tout ce que j'aime et en particulier des chansons pourvues d'une énergie irrésistible et de mélodies extraordinaires.
On retrouve ici le meilleur de la pop à guitares des années 90 avec une dose du son de l'époque. En plus, c'est girl power et la chanson sur l'agression sexuelle de la chanteuse Eva Hendricks (Chatroom) est aussi le tube de l'année. Une approche radicalement différente et tout à fait complémentaire de celle de Lingua Ignota. Ce qui me permet, encore, de rappeller qu'il n'y a pas de "bonne", ni de "mauvaise" manière pour une victime de raconter son histoire et d'exprimer son ressenti. On peut le faire en hurlant sur des sons terrifiants ou en créant des mélodies pop.
Avec ses textes brillants, Young Enough sait être émouvant tout en restant accueillant. Est-ce parfait ? Non bien sûr, pas "objectivement" (mais on ne sait que trop bien ce que vaut l'objectivité quand on écrit sur l'art). Ce que je peux dire, c'est que j'aime tous les morceaux du disque. Je l'écoute presque tous les jours depuis des mois et je ne m'en lasse pas. Chose rare, chose qui ne trompe pas. C'est donc tout naturellement mon album préféré de cette très, très, très belle année (musicale) 2019.
