Rien de vraiment surprenant dans le nouveau Dan Deacon, ce qui est, je sais, assez paradoxal chez un artiste qui nous a tellement bousculé par le passé. C'est du Dan Deacon, un genre un soi, un genre qui fait du bien, car c'est toujours aussi amusant, toujours aussi positif.
49
The Chicks - Gaslighter
Les opinions politiques de The Chicks (ex-Dixie Chicks) ont causé beaucoup de tort à ce trio féminin, reines de la country au tournant du millénaire. Ah oui, être progressistes et critiques des intentions belliqueuses de son pays quand on fait de la country, c'est risquer d'y perdre une bonne partie de son public. Elles auront mis pas moins de 14 ans pour finaliser ce huitième album, plus remonté que jamais. C'est toujours aussi bon, disons légèrement moins que Home qui reste leur chef-d'œuvre.
48
Autechre - Sign / Plus
Cela pourrait être ce qui se rapproche le plus d'un double best of d'Autechre, le duo mythique de l'electronica. Sign est le côté un peu plus ambient et accessible (tout est relatif), Plus est le côté plus froid et complexe. Dans tous les cas ça reste Autechre, uniques en leur genre. Ces nouveaux albums, excellents en soi, ne remplacent pas leurs grands classiques, mais peuvent faire office, soit de porte d'entrée pour les oreilles un peu frileuses, soit de madeleine de Proust pour les vieux fans. Oui, parce qu'on se fait vieux comme moi si on a écouté Tri-Repetae à sa sortie...
47
Hayley Williams - Petals For Armor
Premier album solo de la chanteuse de Paramore, un disque long, avec à boire et à manger et beaucoup, beaucoup de personnalité. Toutes les chansons ne font pas mouche, mais on y retrouve le talent pop un peu déjanté d'Hayley Williams. Il y aussi sa révolte qui touche au cœur.
46
Courtney Marie Andrews - Old Flowers
De la country rock, classique dans l'absolu, mais avec de très belles compositions qui rendent l'écoute vraiment plaisante. Il y a des moments où on a toujours besoin de ce genre de disques.
45
Westerman - Your Hero Is Not Dead
Westerman est un compositeur qui connaît ses classiques. Ici, il ne cache pas rendre hommage à Mark Hollis de Talk Talk. Attention, ça ne ressemble pas à du Talk Talk, non, on dirait qu'il y a un "esprit", dans le sens où on y retrouve des sonorités des années 80 traitées avec une sophistication extrême. Pensez, je ne sais pas, à The Blue Nile, par exemple. Les chansons sont arrangées avec un soin maniaque, il se passe mille et une choses sans que ce ne soit jamais ostentatoire, sans que l'émotion soit écrasée. C'est admirable.
44
Raphael Weinroth-Browne - Worlds Within
Violoncelliste dans le monde du métal, ce compositeur remarquable a créé une longue pièce instrumentale toute en tension et en éclat de beauté. Grand moment néo-classique.
43
Beatrice Dillon - Workaround
Vétéran de la scène DJ, Beatrice Dillon a sorti un premier album austère mais transcendé par ses rythmes passionnants. C'est de la techno minimale, un peu glacée, si vous aimez votre dancefloor cérébral ça va vous parler.
42
Cornershop - England is a Garden
Valeur sûre de la scène britannique, Cornershop ne se limite bien sûr pas au tube que vous connaissez certainement (Brimful of Asha). Régulièrement, un nouvel album de grande classe vient faire vibrer la corde nostalgique. Celui-ci aurait pu sortir à peu près tel quel en 1997 et c'est un grand disque positif qui fait du bien en cette fin d'année légèrment galère sur les bords. Il y a même de quoi danser avec le sourire, c'est vous dire.
41
Katie Gately - Loom
De la synthpop maximaliste pour parler de la maladie et de la mort. C'est le gros son pour le gros malaise, faut s'accrocher, c'est un épuisement auditif et émotionnel.
40
Shamir - Shamir
Ceux qui en sont restés au premier album de Shamir, et son côté pop, passent à côté d'une discographie passionnante. L'artiste a refusé les paillettes et le succès pour mieux affirmer ses ambitions artistiques. Ce nouvel album est une forme de nouveau départ. Plus accessible que les précédents, il conserve les étrangetés et le côté touche-à-tout en offrant des chansons aux contours plus classiques. Par contre, il faut aimer le mélange des genres, mais qui n'aime pas cela ?
39
The Soft Pink Truth - Shall We Go On Sinning So That Grace May Increase?
La moitié de Matmos offre toujours des albums solos complètement fous (le précédent était un génial hommage synthpop au black métal). Ici c'est un mélange de techno qui fait guincher et d'ambient liturgique (si, si) sous la forme d'une longue fresque aussi étrange que belle.
38
Mrs Piss - Self-Chirurgy
Alors c'est toujours le même problème avec Chelsea Wolfe : rock ou métal ? Dans quel classement la classer ? Ici en duo avec la batteuse Jess Gowrie, la chanteuse est plus proche du sludge métal que de sa folk gothique que vous connaissez peut-être. C'est donc très très rock, bien violent, très énervé et probablement plus à sa place dans mon top métal. Tant pis, elles se retrouvent ici avec ce premier album de 18 minutes qui ressemble donc davantage à un EP. Peu importe la durée, c'est un uppercut et, je le souhaite, une nouvelle direction que Chelsea Wolfe va davantage explorer.
37
Lucrecia Dalt - No era sólida
De la pop ambient expérimentale, très expérimentale, avec les sons bizarres qui fusent et les structures qui prennent toujours l'oreille à rebrousse-poil. Tous les rythmes sont arythmiques, toutes les boucles sont fantomatiques. Si vous n'êtes pas dans le bon état d'esprit, c'est pire que du death métal technique. Si vous parvenez à vous plonger dans cet univers qui palpite, c'est... palpitant.
36
Another Sky - I Slept On the Floor
Musicalement, c'est du pop rock indé britannique qu'on connaît bien, parfaitement composé et interprété. Mais ce qui fait la différence, c'est la voix, très particulière, de la chanteuse Catrin Vincent. J'avoue, c'est le gros coup de cœur. Elle élève à elle seule les chansons vers un autre niveau. L'émotion qu'elle contient, à fleur de peau, passe de la douceur à la puissance en un instant. Une révélation.
35
Braids - Shadow Offering
Le très grand groupe canadien emmené par la chanteuse Raphaelle Standell-Preston ne déçoit jamais, bien au contraire. Peut-être un peu en deçà du monumental album précédent, Deep in the Iris, ce nouveau disque n'en est pas moins remarquable, aussi personnel et unique que facile d'accès.
34
Perfume Genius -Set My Heart On Fire Immediately
Poursuivant sur sa lancée, Perfume Genius continue à ciseler une pop expérimentale de haute volée. Le corps et ses méandres sont au cœur de ce nouvel opus, sur lequel on pourra parfois danser mais qui crée surtout un malaise persistant.
33
Thurston Moore - By The Fire
Le vétéran de feu Sonic Youth fait ce qu'il sait faire de mieux : de longues errances électriques avec sa guitare comme maître d'œuvre. On connaît par cœur, hein, bien sûr, mais c'est rudement bien fait, on est toujours aussi surpris d'être aussi emporté par cette musique.
32
Hum - Inlet
C'est un disque qui parlera à ceux et à celles qui sont nostalgiques du rock des années 90. En fait, c'est le nouvel album (surprise) d'un groupe qui n'avait rien sorti depuis... 1998. Donc, les voilà qui ressurgissent, tel Hibernatus, comme si presque rien n'avait changé. On est entre le shoegaze et le métal alternatif, le son de guitare est immédiatement reconnaissable. Les rythmes pesants et la voix qui surnagent par-dessus les larsens aussi, on connaît ça par cœur. Mais c'est vraiment bien fait, je vous le dis. Il y a ici tout ce qu'on a aimé dans le genre et dans son époque.
31
Mary Lattimore - Silver Ladders
Le monde de la "pop" à la harpe ne se limite pas à Joanna Newsom. Alors, là, certes, ce n'est pas du tout la même chose, à part l'instrument de prédilection. On est ici plus proche de l'ambient, on n'y chante pas. Ce n'est pas de la tapisserie sonore, c'est fréquemment surprenant, parfois déstabilisant, toujours passionnant.
30
Run The Jewels - RTJ4
Je l'avoue, en 2020 je n'ai pas écouté beaucoup de rap et de hip-hop. Et ce que j'ai écouté m'a généralement déplu. Il m'a resté la valeur refuge qu'est Run The Jewels. Ce quatrième volet est largement aussi réussi et percutant que les précédents.
29
U.S. Girls - Heavy Light
Moins réussi, à mon sens, que le très grand album précédent, ce nouveau recueil signé Meghan Remy demeure une perle inclassable, pleine de revendications cinglantes et d'introspections déchirantes, déguisées sous des atours pop et soul.
28
Porridge Radio - Every Bad
C'est la success story du rock indépendant de 2020. Le deuxième album du groupe britannique Porridge Radio a séduit la critique et, dans une moindre mesure, une partie du public. Il faut dire que ce rock là ne fait pas beaucoup de concessions, tout en restant accessible. On connaît bien ce mélange de calme et de tempête, ces grosses guitares et ces petites touches synthétiques, tout ce petit fatras qui va du post-punk aux Pixies. La vraie différence se situe en la personnalité et surtout la voix de la chanteuse et compositrice Dana Margolin. Elle emporte tout sur son passage, notamment avec des répétitions toujours au bord de l'exaspérant et des hurlements toujours au bord du soutenable. C'est quand même assez plaisant qu'un disque aussi mal aimable soit autant aimé.
27
Haim - Women in Music pt. III
Je n'étais pas convaincu par les deux premiers albums des trois sœurs Haim, trop aseptisés, trop référencés, trop tièdes. Ce nouvel opus demeure encore très marqué par les hommages, mais corrige le côté clinique. C'est un petit bordel, il n'y a pas d'autre mot. Y a un peu de tout, on les sent plus libres et on s'y sent, logiquement, plus libre aussi. Comme souvent avec ces disques remplis jusqu'à ras-bord (ça dure une heure), c'est un peu trop long, tout n'est pas indispensable. Mais les réussites sont hyper accrocheuses, il y a de sacrées chansons. Accessoirement, les clips sont signés Paul Thomas Anderson.
26
Waxahatchee - Saint Cloud
Katie Crutchfield, la chanteuse de Waxahatchee, a mis de côté l'alcool. Son nouvel album évoque longuement ce parcours vers la sobriété. Musicalement, il ne se démarque pas particulièrement de ses précédents (et excellents) opus. Si vous aimez depuis le début, vous allez adorer celui-là aussi.
25
Destroyer - Have We Met
Dan Bejar ne nous surprend sans doute plus autant qu'il y a 15 ans, le dernier album de Destroyer est un des plus "confortables", même si cela demeure assez relatif à la lecture de textes toujours aussi acerbes, voire un peu misanthropes sur les bords. Musicalement, ceux qui ont aimé Kaputt vont être contents, on s'en rapproche davantage que sur Poison Season et Ken. C'est donc très référencé, entre soft rock 70s et synthpop 80s, tout en étant très personnel et sophistiqué. Facile d'approche, donc, tout en se révélant un peu plus à chaque écoute.
24
I Break Horses - Warnings
Le duo de synthpop suédois poursuit sa progression avec un nouvel album très personnel et merveilleux. Ce sont de fausses chansons douces, dont les tourments ne sautent pas toujours aux oreilles dès la première écoute.
23
JARV IS... - Beyond The Pale
Après de longues errances dans le rock un peu rustique, qui ont culminé sur son précédent album, le brutal Further Complications, Jarvis Cocker est de retour avec des sonorités disco et électro vintage. Sur le premier morceau de Beyond The Pale, il est à deux doigts de plagier Leonard Cohen période The Future. La sensation demeure sur l'ensemble de l'album, mais Jarvis a suffisamment de tact et de talent pour faire oublier l'ombre du géant dont il s'inspire. Les paroles, bien sûr, n'ont rien perdu de leur mordant. La musique, enregistrée en conditions live, a une présence qui manquait sans doute un peu sur les deux premiers disques solo. C'est pour danser, pour danser à la maison, pour danser déprimé, mais aussi pour danser amusé. Alors, ne cherchez pas, ce ne sera jamais Pulp, mais pour un disque de nouveau "vieux", c'est du grand art.
22
Hamilton Leithauser - The Loves Of Your Life
L'ex-chanteur de The Walkmen (un groupe qui nous manque très fort) se débrouille néanmoins bien en solo. On y retrouve sa verve, son sens des mélodies et aussi des contre-pieds.
21
Hinds - The Prettiest Curse
Une des grands injustices musicales de 2020 est sans doute que le troisième album des espagnoles de Hinds soit passé relativement inaperçu. C'est pourtant un petit idéal de pop rock au féminin, plus pop et un peu moins rock qu'avant, certes, mais avec des mélodies énormes et une énergie folle. C'est presque épuisant, mais il y a des moments de calme soigneusement disséminés. Et puis dans le genre Girl Power, on peut difficilement faire mieux.
20
Julianna Barwick - Healing is a Miracle
Pour une oreille distraite, Julianna Barwick sort un peu toujours le même album. Ce n'est pas faux et c'est ça qui est bien. L'ambient de cet acabit ne se conçoit qu'avec d'infinitésimales variations. Pour l'auditeur conquis, chaque micro-changements, au sein d'un morceau, entre chaque disque, est un événement. C'est de la musique qui apaise, oui, mais qui n'est pourtant jamais un sédatif ou une sucrerie, il y a des aspérités, des milliers de détails qui accrochent l'attention.
19
Phoebe Bridgers - Punisher
Une star est née. Son premier album, bien accueilli mais passé un chouia inaperçu, n'avait pas totalement annoncé que Phoebe Bridgers allait rayonner sur le monde en 2020. Incontournable, dans sa combinaison squelettique, hilarante sur Twitter, présente un peu partout avec sa personnalité électrisante, Phoebe a surtout offert un des très grands disques de l'année. Un recueil de folk pop tourmentée mais accessible, avec d'improbables tubes qui auront parlé à un vaste public. Je lui souhaite le meilleur.
18
Fiona Apple - Fetch The Bolt Cutters
Dans le genre plus facile à admirer qu'à vraiment aimer, le dernier album de Fiona Apple est un cas d'école. La chanteuse y explore son univers et ses thèmes de prédilection avec une radicalité qui ne peut que forcer le respect. C'est de la belle pop expérimentale, qui reprend pile là où elle s'était arrêtée avec The Idler Wheel. L'album précédent est de la même veine et reste, à mes oreilles, son chef-d'œuvre. Plus accessible, sans jamais se départir de son étrangeté viscérale, The Idler Wheel est certes moins "fou" que Fetch The Bolt Cutters, mais c'est aussi une écoute plus plaisante. Ne me faites pas dire ce que je n'écris pas, cet album est remarquable et ce classement très haut en est la preuve. Il est toujours rassurant de voir des artistes aussi libres qui s'éclatent clairement à clamer leur différence en bidouillant une musique "alien" et aliénante.
17
Taylor Swift - folklore
Quand Taylor Swift débarque dans l'indie folk, c'est avec la force de frappe de Disney déboulant dans le monde des plateformes de streaming. C'est un rouleau-compresseur, un blockbuster musical. Pour la crédibilité, on se fait produire par Aaron Dessner de The National et on fait un duo avec Justin Vernon de Bon Iver. Des noms que le grand public a peut-être déjà croisé, donc ça va, ça ne fait pas trop indé non plus. Et après on compose comme on sait le faire : merveilleusement. Oui, parce que bon, ça va, on peut ne pas aimer Taylor Swift, mais Red et, dans une moindre mesure, Lover, c'est pas de la gnognotte. Y a déjà de sacrées chansons là-dedans (et de sacrés parpaings aussi, je sais). Là, dépouillé des morceaux les plus embarrassants, folklore fait briller d'autant plus les jolies compositions. Et il y a en a, beaucoup. Seul vrai problème : c'est trop long. La folk ça ne devrait pas être conçu comme une course aux streams, pas comme ces albums de rap ou de pop qui en rajoutent, encore et encore, et qu'on n'écoute jamais en entier. Là, ça reste vraiment bien, mais ça finit par se ressembler de plus en plus au fil des pistes. Et, comme Taylor n'a décidément aucune inhibition (tant mieux pour elle), elle a carrément sorti un folklore 2 (evermore) en fin d'année. Avec 15 morceaux de plus, quasi identiques à ceux de folklore. Du délire. Alors c'est chouette, c'est généreux et c'est vraiment très agréable à écouter. On y reviendra, c'est sûr, ce sont des mini classiques en devenir. Mais je dois vous avouer que l'indigestion des Fêtes n'est pas loin. Il y a aussi une jolie pochette façon black métal, mais bon, Taylor peut se la jouer sylvestre, elle n'atteint pas la cheville d'Adrianne Lenker.
16
Kelly Lee Owens - Inner Song
L'auteure poursuit ici ce qu'elle avait magnifiquement entamé avec son premier album : un mélange de pur techno de club pour danser et de dream pop électro pour rêver. Au sein d'un même morceau parfois (écoutez On, par exemple), on passe d'un univers à l'autre. Franchement, ça ne devrait pas fonctionner aussi bien. C'est divin.
15
Wire - Mind Hive
Dans la multitude de groupes de post-punk qui ne cessent de piller avec plus ou moins de talent les trois premiers albums de Wire, autant préférer les originaux. Parce que le groupe est, depuis sa reformation, toujours à part, toujours ailleurs. Le son est immédiatement reconnaissable et pourtant toujours différent, polymorphe, parfois doux, souvent nerveux. A chaque nouveau disque, des compositions parfaites viennent s'ajouter à un répertoire sans aucune fausse note. Si vous ne savez pas que Wire est un des groupes les plus essentiels de toute l'histoire du rock, vous passez clairement à côté de quelque chose.
14
Bruce Springsteen - Letter To You
Jetez-moi la première pierre, en terme de Bob Dylan, j'ai préféré cette année, l'album du faux Dylan à celui du vrai Dylan. Springsteen c'est une voix (et une musique) qui m'a toujours davantage parlé. Ne me demandez pas de me justifier particulièrement, c'est comme ça. Alors, certes, mon album préféré, c'est celui des intellos qui n'aiment pas forcément le reste de sa discographie, c'est donc Nebraska. Mais j'aime autant Born to Run ou Darkness On The Edge of Town. Donc, forcément, Letter To You m'a particulièrement touché. C'est le retour du E Street Band, vous savez, ce groupe monumental, son Crazy Horse à lui. C'est aussi un hommage au son du Springsteen des années 70, avec le muscle des années 80, c'est percutant, à part le premier morceau, le glaçant One Minute You're Here, le calme avant la tempête. C'est un de ces fameux "grands disques de vieux hanté par la mort", vous savez, ces albums qui font un peu figure de testaments et qui, parfois, le sont vraiment. Alors on croise les doigts pour que ce ne soit pas le cas ici, que ce ne soit pas le Blackstar ou le You Want It Darker du Boss. C'est un album de nostalgie, on y parle du passé, on y parle des amis disparus, c'est du pur hold-up lacrymal, je ne vous le cache pas. Sur moi ça marche à fond. Certes, âge oblige, ça rock moins dur que dans Born To Run, mais y a de beaux restes. Et niveau émotion, c'est du très grand Springsteen, le truc qui te fout la chair de poule, comme ça, en un riff de guitare, un solo de saxophone et deux lignes poétiques balancées par une voix cassée. Springsteen, c'est un genre en soi, on aime ou pas. Si vous aimez, c'est probablement son plus grand disque depuis longtemps.
13
Laura Veirs - My Echo
Ah, les disques "de divorce", c'est un genre en soi. Celui-ci est particulièrement dur. Laura Veirs l'a en effet enregistré... avec son ex-mari. Elle y parle, selon ses mots, de "désintégration". Pourtant, comme à son habitude, elle tire de ses tourments des chansons d'une douceur folle, d'une grâce infinie. Ce sont des petits miracles, avec un niveau de composition qu'on connaît bien à présent mais qui parvient néanmoins encore à surprendre. Très, très émouvant.
12
Roisin Murphy - Roisin Machine
Roisin, Roisin, Roisin... Depuis les débuts de Moloko, je suis fan. Pour moi, c'est l'incarnation de la classe disco. Oui, enfin, du néo-disco ou même du "post-disco", peu importe. On s'y abandonne pleinement au rythme mais sans rien perdre de sa prestance. Alors, comme c'est du disco, c'est forcément excentrique, bizarre, déjantée. Mais avec de la classe. Le dernier album en date est à la fois le plus accessible de sa carrière solo (oui, encore plus que Overpowered) et aussi le plus personnel. Roisin y raconte son histoire, en musique. C'est de l'autobiographie sans beaucoup de paroles, mais avec beaucoup de rythmes et de paillettes. Parce qu'on peut ravager la piste de danse sans rien perdre de son âme, bien au contraire. Du disco existentiel, oui, du disco à fleur de peau.
11
Moses Sumney - grae
Dans le top 10 or not dans le top 10 ? Franchement ça me fait mal au cœur de classer Moses Sumney à la 11e place alors qu'il aurait mérité le top 5, sans problème, je vous le dis. Son dernier album est un monument, sorti en deux parties, avant et après confinement. La première moitié est épique, ou du moins ce qui est le plus épique possible pour un créateur de soul en forme de trou noir. Les étiquettes n'existent de toute façon plus avec un compositeur pareil. Il fait du rock, de la pop, du R'n'B, de la soul, oui, de l'électro aussi. Tout en même temps, bien sûr. Dans la seconde moitié, c'est plus proche de ce qu'il avait proposé sur son premier album, le sophistiqué et hanté Aromantism. Toutes les chansons sont au service d'une personnalité qui se veut, se revendique, se souhaite inclassable. Moses le dit : il est multiple. Son étrangeté en fait un solitaire aussi, c'est souvent déchirant. Aussi unique qu'il soit, il nous parle pourtant à tous et à toutes. C'est un être universaliste, universel, impossible à restreindre. Il est l'avenir.
10
Nadine Shah - Kitchen Sink
Nadine Shah est britannique, d'origine pakistanaise et norvégienne, elle est aussi musulmane et fortement engagée pour le respect des femmes et contre la xénophobie. Ces éléments biographiques ont leur importance pour apprécier pleinement ses textes, mais ce que vous devez surtout noter c'est que Nadine Shah a sorti le meilleur album de Fiona Apple de 2020. Et le meilleur album de PJ Harvey aussi. Enfin bref, le meilleur album d'indie rock au féminin de l'année. Il y a des influences qu'on reconnaîtra, donc, mais il y a aussi une patte déjà très affirmée (pour un second disque). Et il y a de la verve à revendre, la chanteuse n'a pas envie de se faire marcher sur les pieds, ni siffler dans la rue. Elle n'est pas un objet, ni une victime, elle a son mot à dire et elle le fait, avec des morceaux entêtants, percutants, imparables.
9
Sufjan Stevens - The Ascension
Ouhlala, l'angoisse. Ah oui, c'est le disque de la trouille. Ce n'est pas nouveau chez Sufjan, mais depuis The Age of Adz, c'est la grosse flippe. C'est de l'anxiété généralisée. La musique le reflète de manière parfaite : répétitive, parfois enfermée sur elle-même dans des boucles électroniques obsessionnelles. Pour qui est venu à Sufjan Stevens par la case Illinoise, ça doit être violent. Ce n'est, presque, plus le même artiste. Et c'est tant mieux. Le temps passe, la vie file, les épreuves s'accumulent. Et le monde se casse la figure. Y a de quoi développer un certain mal être. Alors Sufjan exorcise. Et pour quelqu'un qui revendique sa foi chrétienne, l'exorcisme ça ne se prend pas à la légère. C'est dans la douleur qu'on grimpe vers la lumière. Pour l'artiste, c'est un processus en cours. Et la musique qui en découle n'est sans doute pas facile d'approche. Enfin, pour ma part, ça va, j'ai accroché très vite, c'est vraiment tellement, mais tellement, beau et émouvant. Oui, des qualificatifs simples pour des tourments complexes. Après tout, we're all gonna die, my butterfly.
8
Fleet Foxes - Shore
C'est le feel good album de 2020. Il en fallait bien un. Pourtant la musique garde sa part de ténèbres, on est chez Robin Pecknold, ce n'est pas un ravi de la crèche. Shore n'est pas aussi complexe que l'album précédent, le passionnant mais un peu austère Crack-Up. Ici, le soleil n'est jamais très loin. C'est aussi une nouvelle avancée dans la carrière remarquable d'un groupe qui, sans jamais se départir d'un son immédiatement reconnaissable, a créé quatre albums très différents, quatre chefs-d'œuvre. Le dernier en date est sans doute le plus bienveillant, le plus accueillant, le disque qu'il nous fallait pour panser les blessures. C'est un baume musical.
7
Poppy - I Disagree
Non, je sais bien, le mélange de pop et de métal n'est pas neuf. En plus la "pop métal" pour moi ça remonte au moins à Iron Maiden et à Judas Priest. Mais Poppy est une bête différente : une hybride cybernétique, une création délicieusement maléfique, aussi drôle qu'un tantinet inquiétante. A l'image de sa musique. Il y a un peu toute l'histoire du métal grand public qui est résumé dans I Disagree et aussi l'histoire de la bubble pop. C'est quelque part entre Britney Spears et Marilyn Manson, la grande réconciliation. Ou du moins la reconnaissance qu'on pouvait aimer Nine Inch Nails et les Spice Girls. Les chansons Frankenstein qui résultent de ce programme sont aussi amusantes qu'efficaces et, étrangement, presque par hasard, elles sont fréquemment assez touchantes. L'avenir de la pop, à mon bon-mauvais goût, est ici.
6
Austra - HiRUDiN
Après un Future Politics à moitié réussi, c'est le grand retour au sommet de Katie Stelmanis. On retrouve dans HiRUDiN tout ce qu'on adore chez Austra : de l'électro-pop à nulle autre pareille, avec une voix unique et des idées qui débordent de chaque chanson. Il y a des tubes qui devraient être dans toutes les oreilles, ainsi que des passages plus expérimentaux, toujours infiniment personnels. C'est de la musique qui ose, sans concession, et pourtant facile d'accès.
5
Adrianne Lenker - songs / instrumentals
Après une rupture amoureuse douloureuse, la chanteuse de Big Thief se retrouve aussi privée de son groupe et de tournée. Elle est, comme nous tous, confinée, plus seule que jamais. Mais, pas comme nous, elle s'enferme dans une cabane au fond des bois, avec du matériel pour enregistrer sa voix et sa guitare. Cela donne deux disques : songs, avec des chansons (tiens donc) et instrumentals avec... des instrumentaux. Ce n'est pas encore Pink Moon de Nick Drake, mais on en n'est pas si loin. Oui, je vous assure. C'est d'un minimalisme délicat qui est pareil à un cristal (sombre). Avec ce petit filet de voix si particulier, qui chante la douleur avec une justesse qui picote dur. Et l'enregistrement, ouhlala, mazette, avec le son direct qui capte la chaise qui grince, le feu qui craque, les oiseaux qui chantent, la pluie qui tombe... C'est beau, ahala, c'est presque trop. Et sur instrumentals, ça va encore plus loin. Deux pistes de 20 minutes. La première est composée d'un montage des improvisations d'Adrianne à la guitare, les bruits alentours sont de plus en plus présents mais la musique est encore sur le devant de la scène. Dans le second morceau, la musique disparaît peu à peu, c'est de la pure ambient fantomatique. On est dans la même lignée que Williams Basinski ou que The Caretaker, c'est le récit d'une disparition. On entend plus que la pluie, le vent, les oiseaux, la forêt qui bruisse et ces carillons éoliens qui sonnent sous le porche. Quand on écoute les deux disques à la suite, tout fait sens, c'est (encore) une bande son idéale pour 2020, celle de l'isolement et de l'effacement. Ne reste plus que des fragiles traces du passage des humains. Et la Nature qui murmure ou qui tonne, qui continue de vivre.
4
Laura Marling - Songs for our Daughter
Très productive, Laura Marling ne cesse néanmoins de se surpasser à chaque nouveau disque. C'est un peu dingue, je vous le dis. A chaque fois, on se dit que, bon, ça va, elle ne va pas faire encore mieux que le disque de l'année dernière (ou de l'année précédente, au pire). Et pourtant si. Semper Femina, l'album précédent, était son chef-d'œuvre. Songs for our Daughter (chansons pour notre fille, imaginaire) est encore meilleur. C'est vous dire le niveau stratosphérique, là on a dépassé notre galaxie, on est à des années-lumière. Tous les morceaux sont des perles de folk ultra sophistiquée, c'est d'une précision d'écriture folle et pas austère pour autant. Non, non, c'est miraculeux, y a pas à chercher. L'évidence des compositions, leur personnalité, ce qui fait que chaque minute parvient à émerveiller tout autant que la précédente, c'est hors normes. Là, voilà, en toute simplicité.
3
James Dean Bradfield - Even in Exile
Donc, c'est un hommage à la vie et à l'œuvre du poète et militant argentin Victor Jara, un des acteurs de la victoire de Salvador Allende et une des premières victimes de la dictature de Pinochet. Avec la verve lyrique du chanteur des Manic Street Preachers, ce récit est une fresque, une biographie grandiose qui n'oublie jamais d'être aussi tendre et apaisée. Il y a, bien sûr, les grands refrains et le souffle épique qu'on adore chez les Manic Street Preachers. Il y a cette sincérité débordante. Il faut que les émotions sortent. On est là pour ressentir, on est là pour être transcendé. Comme dans les plus grands disques du groupe, Even in Exile donne envie de faire la révolution, pas moins. On en a, vous vous en doutez, plus que jamais besoin. Car, presque, tout reste à faire. On a gagné peu de victoires, on ne cesse d'enchaîner les défaites. On nous reprend toujours davantage, on le voit bien. Que faire ? Résister à notre manière. Voyez donc, Victor Jara a résisté par ses mots, par sa musique, par son engagement au quotidien. En partant d'un petit peu, ne serait-ce que de sa liberté d'esprit, on peut faire beaucoup. L'influence minoritaire, ça marche. Et surtout, ne jamais perdre espoir, ne jamais baisser la tête face aux monstres et à l'absurdité de leurs actions. Tous humains et pourtant jamais capables de nous entendre, ou si peu. Ce "si peu", c'est sur lui qu'il faut se reposer, pour le cultiver, le chérir, le faire grandir. En évoquant le passé, celui qui nous apprend, nous motive, James Dean Bradfield parle bien évidemment de notre présent et surtout de notre futur. Que les combats d'hier puissent aider les combats de demain, c'est le message d'Even In Exile. Ce n'est pas en vain que nous luttons.
2
Creeper - Sex, Death & The Infinite Void
Au milieu de tous ces monuments qui peuplent ce classement, au milieu de tous ces disques "forts", avec des messages essentiels, l'album de Creeper vous paraîtra peut-être une anomalie. Non, bien sûr, non, car un disque de rock fun, avec des chansons qui ne sont que de gigantesques refrains à entonner à tue-tête, fichtre, ça fait tellement de bien. L'efficacité du disque est fondée sur la richesse des formes des hymnes. Et de leur capacité à nous pirater le cerveau, bien sûr. Chaque morceau est soigneusement construit et interprété pour être imparable. Les passions évoquées par les textes résonnent dans tous les instruments et dans les intonations du chanteur grandiloquent qui canalise le fantôme de Bowie, mais aussi les âmes bien vivantes de Brett Anderson et de Meat Loaf. C'est théâtral, oui, gothique, un peu, à 1000% dans la lignée du rock électrique qui n'a que faire des conventions. Pour parachever la réussite, il y a aussi une petite touche mélancolique, qui culmine sur la balade finale, le surprenant All My Friends (rien à voir avec le tube de LCD Soundsystem). De l'amusement, oui, un défoulement rock'n'roll à l'ancienne, sans doute, mais avec un soupçon de cœur, un trois fois rien de tristesse qui nous touche presque par inadvertance.
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Annie - Dark Hearts
Annie, Annie, they're playing our song... Alors on se souvient... On est de retour... 15 ans en arrière ? Oui, bien sûr, à l'époque de notre première rencontre avec la chanteuse. Mais aussi plus loin. Nous aussi de retour en 1992. Dans les rues où nous avons vécu, auprès des amis que nous avons perdu. C'est un album de fin, oui, de fin des temps, carrément. Alors oui, le temps fait disparaître les moments présents, mais il ne détruit pas tout, loin de là. Le temps construit. Il construit les souvenirs. C'est un album sur le temps qui crée. Qui fait de nous ce que nous sommes, ce que nous devenons, comme dirait l'autre philosophe à grosse moustache. C'est un album qui contient la totalité, pas moins, tiens, osons le dire. L'amour, bien sûr, dans ses évidences : le plaisir, et les cailloux aussi. La mort qui plane comme un oiseau de proie, ou plutôt comme un drone. Il y a l'absence, forcément, c'était une année dédiée à l'absence, vous l'aurez remarqué. Il y a de la tristesse, beaucoup, et du bonheur, énormément. Il y a la vie nocturne, celle qui fait vibrer les jeunes cœurs. Et il y a la promesse de l'aube, celle qui ne disparaît jamais. Quand la nuit vient, l'espoir du lendemain est toujours là, même lorsqu'on danse sur les rives de la fin des temps.
Quoi ? J'en fais dire beaucoup trop à cette jolie électro-pop nostalgique des années 80 et 90 ? Je tire à la ligne sur cette musique qui a beaucoup aimé, comme nous tous, les bandes sons de Twin Peaks et des films de John Carpenter ? Non, je vous assure, au contraire, gloire à la pop et à sa capacité à révéler notre âme. Gloire à la pop qui, en moins de 4 minutes, peut contenir toute la philosophie humaine. Gloire à la pop d'Annie qui met en mots et en notes nos souvenirs les plus intimes. Gloire à Annie et à son chef-d'œuvre inespéré, cette merveilleuse surprise, la plus belle, la plus essentielle de 2020. Une année d'épreuves, oui. Et l'avenir ne promet pas forcément d'être plus rose. Mais bon sang, il y a Annie, et avec elle l'Apocalypse ne fait plus peur. On y dansera, oui, on y versera une larme sur le passé, oui, on y espérera un futur après le point final, oui, on dansera sur l'Apocalypse. La fin du monde ? Le commencement d'un autre, oui.